vendredi 13 février 2009

Pas sympa.

C'était hier. J'étais en train de donner à mes élèves le corrigé du sujet "Qu'est-ce qu'être maître de soi?", j'en étais arrivé à l'idée selon laquelle être maître de soi, chose impossible, c'est en réalité faire semblant d'être maître de soi, pour faire bonne figure. C'est une apparence, que les élèves traduisent très vite comme une hypocrisie. Je leur dis que oui, d'une certaine façon, mais que c'est utile aux relations sociales, comme la politesse, qu'on pratique sans y croire. Et j'ajoute, incise personnelle, que c'est la raison pour laquelle je ne crois guère en la sincérité de la politesse, que je méfie plutôt de son obséquiosité.

C'est à partir de là que tout a commencé, par une question effrontée qui a figé la classe: "Monsieur, pourquoi vous ne dites jamais bonjour quand on vous dit bonjour?" Les plus inattentifs deviennent alors attentifs, ils ont compris qu'il se passait quelque chose, qu'il ne fallait pas en perdre une miette. Une élève a osé une accusation précise. Comment le prof va-t-il répondre, comment va-t-il s'en sortir? Le cours est suspendu, la suite est incertaine, tout le monde l'a bien compris.

Je m'explique: il n'est pas vrai que je ne dise pas bonjour, mais il est vrai que je n'y accorde pas énormément d'importance, comme il m'importe peu que les élèves me saluent ou pas en entrant et sortant. Pourquoi cette indifférence, qui n'est pas celle de tous les enseignants, loin de là? Parce que la politesse m'importe moins que l'honnêteté. Ce que je veux, ce que j'exige, ce sont des élèves présents en classe, attentifs, prenant en abondance des notes, faisant leur travail, rendant leurs copies au jour et à l'heure. Après, la politesse, bonjour-bonsoir-merci, je m'en moque.

Et comme je m'en moque, à mon tour je ne suis pas un scrupuleux praticien de cette petite vertu, alors que j'essaie de respecter et d'appliquer cette grande vertu qu'est l'honnêteté. J'ai aussi le souvenir, et la désagréable expérience, en début de carrière, de ces élèves mielleux, la bouche pleine de bonjour-bonsoir-merci, qui ne cherchaient qu'à attendrir, affaiblir, tromper l'ennemi, c'est-à-dire le prof. Merci, merci, on ne devrait jamais remercier quiconque dans la vie, ne pas s'abaisser ainsi.

J'ai beau expliquer, je ne suis pas sûr que mon propos passe. Et je comprends: il résulte de ma personne l'image d'un prof pas sympa. Je le sens. Et ça me laisse indifférent. Je ne suis pas là pour être sympa. Je ne suis pas un prof-papa ou un prof-copain. Je suis simplement un prof, quelqu'un qui est derrière un bureau pour faire travailler des élèves qui n'en ont pas nécessairement envie. Je ne cherche pas à me faire aimer ou admirer, mais à me faire respecter et éventuellement estimer. Tout ça n'offre pas un profil très marrant, j'en conviens. Mais l'Ecole n'est pas faite pour s'amuser.

Ce matin, quand l'élève qui a osé est entrée dans la classe, je lui ai souri jusqu'aux oreilles et j'ai lancé un tonitruant bonjour. Comme quoi je peux le faire, moi aussi.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Les élèves vous aiment bien, sauf ceux qui détestent la philo ou les fainéants.

Emmanuel Mousset a dit…

A votre avis, ceux-là sont-ils nombreux?

Anonyme a dit…

Non c est certain !