samedi 7 février 2009

L'exorcisme des préjugés.

J'ai évoqué hier les vaches philosophes. C'est Nietzsche qui affirmait que penser, c'était ruminer, prendre les idées, les faire aller dans cet estomac un peu spécial qu'est le cerveau, les malaxer ensuite dans la bouche. Le philosophe comparait aussi la réflexion au flair du chien: pister une idée, la sentir, la suivre, remonter à son origine.

Quelle que soit l'image employée, c'est de la lutte contre les préjugés dont il s'agit. J'ai parlé de la religion, mais ce n'est guère mieux, c'est même pire avec la justice et le droit, une notion que nous avons commencé hier avec les Littéraires. J'ai prévenu: notre société véhicule beaucoup de clichés, d'idées fausses, de préventions à l'égard du système judiciaire (qu'il faut bien aborder quand on réfléchit sur la justice).

Les élèves, comme la plupart de nos concitoyens, ignorent tout des bases du droit. Chaque année, je me bats contre les grosses bêtises, de celles qui font dire que la justice n'est pas juste, que la loi c'est n'importe quoi, que les procès donnent raison aux riches et aux puissants, etc. Qu'on critique la justice à l'aide d'arguments, c'est une chose; qu'on ressasse des appréhensions, des approximations, des rancoeurs, c'est autre chose, qui n'a pas sa place en philosophie.

Car je crois que les réactions à l'égard de la justice sont négatives parce que nous la craignons, parce qu'elle est capable du pire pour un homme: le priver de sa liberté, et dans certains pays de sa vie. Pourtant, paradoxalement, dans la société contemporaine, les individus ont de plus en plus recours à la justice, ainsi adorée et détestée.

Bref, les élèves sont les enfants de leurs parents, de leur milieu, de la société, et ils en reproduisent les préjugés, qui sont du plus mauvais effet dans une dissertation. M'étais-je appliqué à expliquer tout ceci que deux élèves, dont l'une très habituée à la prise de parole, se sont exprimées... pour me contester et, involontairement, me donner raison, puisque par leur bouche sortaient les préjugés, sur un mode certes atténué, que je venais de dénoncer.

Nous avons débattu, j'ai argumenté, sans me faire grande illusion. Mais je me suis vu en prêtre administrant un exorcisme à la classe, les démons à chasser étant les préjugés, et deux corps de possédés s'agitant, attestant ainsi de l'efficacité de mon eau bénite philosophique. Vade retro!

L'amusant, c'est qu'hier soir, j'étais à Soissons pour animer un café-philo (quelle semaine! Laon lundi, Bernot mercredi, Bohain jeudi, Soissons vendredi!), que le sujet portait sur "Foi et loi" et qu'une participante a répété presque mot pour mot les préjugés des élèves, qui sont les préjugés de tous, ce pessimisme à moitié irrationnel sur la justice. Philosophe exorciste, voilà quel devrait être mon métier! Et j'aurais du travail!

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