mardi 10 février 2009

La méfiance des mots.

Sous mon vasistas, c'est aujourd'hui le vent qui me parlait et me poussait. Je suis tombé sur une copie embarrassante: très bien écrite, trop bien écrite. La forme l'emportait sur le fond, les mots mangeaient les concepts. La dissertation de philosophie exige du recul, de la retenue, une certaine froideur, un peu d'austérité, qui s'accordent mal avec les élans lyriques, le langage fleuri. Quand on est bon en français, on est généralement bon en philo, parce que la maîtrise de la langue est un précieux atout. A condition de ne pas s'élever à la littérature, car c'est faire chuter la philosophie.

Autre défaut rencontré dans les copies, universel celui-ci: les phrases et donc les pensées qui commencent par " De nos jours", une bonne intention qui annonce presque toujours une grosse bêtise. Pourquoi "De nos jours"? La philosophie est "inactuelle", "intempestive", comme disait Nietzsche. Elle n'est pas datée, elle n'est contemporaine de rien, elle traverse les époques et ne s'attarde dans aucune, ses affirmations prétendent à l'éternité. Peut-être la philo a-t-elle tort, peut-être est-elle horriblement prétentieuse, mais il faut la prendre comme elle est, ou bien s'intéresser à autre chose.

"De nos jours, les gens sont égoïstes". Voilà le genre de bêtise que la formule provoque. Comme si l'homme de l'Antiquité ou celui du Moyen Age étaient plus volontiers altruistes. Moins fréquente, mais tout aussi stupide, la forme opposée "De tout temps", stupide parce qu'inutile. "De tout temps"? Qu'en savons-nous? Il faudrait être omniscient, connaître tous les temps pour se permettre de dire "De tout temps".

Par exemple: "De tout temps, l'homme a eu peur de la mort". Qu'apporte la précision chronologique? Rien. Il suffit de dire: "La nature humaine a horreur de la mort", qui est beaucoup plus philosophique, à condition d'expliquer ensuite pourquoi. Car "De tout temps" est une expression qui nous évite la réflexion, l'argumentation. On ne va tout de même pas justifier quelque chose si le temps est là pour en témoigner et l'imposer.

Mes élèves, je vous en conjure: ne dites jamais "De nos jours", n'employez jamais "De tout temps". Méfiez-vous des mots, ne vous laissez pas bercer et berner par eux, ils sont très forts pour ça.

1 commentaire:

Anonyme a dit…


Comment philosopher quand la forme l'emporte si facilement sur le fond et que la forme qui devrait nourrir, être acceptée instable (tout comme on ne peut dire ni "de nos jours, ni "de tout temps")devient une interface à créer de l'égo...
Comment croire à l'éducation.?