mercredi 31 mars 2010

Bravo Sinceny !


Goûter philo hier après-midi, dans le domaine de Beauregard, avec les CM1-CM2 de Sinceny. Sujet choisi : la liberté. Je commence par le commencement, tant qu'à faire, c'est-à-dire la définition du mot : c'est quoi la liberté ? Première réponse : faire ce qu'on veut mais pas le mal. Deuxième réponse : avoir le choix. Et c'est parti pour une heure ! Les réponses entraînent de nouvelles questions qui à leur tour ... Et c'est ainsi depuis 2 500 ans, jusqu'aux enfants de Sinceny.

Faire ce qu'on veut mais pas le mal ? Alors la liberté subit une restriction. Est-ce encore la liberté ? Car celle-ci ne consisterait-elle pas plutôt à faire ce qu'on a envie (troisième définition) ? Quant à avoir le choix, est-ce toujours possible ? La question de la liberté pose aussi celle de ses moyens. D'où une réflexion sur l'argent : du riche et du pauvre, lequel est le plus libre ? Les avis étaient partagés. Tant mieux, c'est ainsi que je conçois un goûter philo, la pluralité des opinions.

J'ai demandé aussi quel animal symbolisait le mieux la liberté ? L'oiseau, le cheval sauvage, le poisson pourquoi pas. Et puis d'autres questions ont fusé : l'enfant est-il plus libre que l'adulte ? La liberté peut-elle être dangereuse ? Faut-il être seul ou avec les autres pour être libre ? Nous avons terminé par la liberté dans la tête : on peut imaginer ce qu'on veut, personne ne peut y venir nous contraindre.

Je ne vous ai donné ici qu'un résumé très partiel de nos échanges, ne prenant pas de notes pendant l'animation. Mais j'ai restitué la saveur de ce goûter philo. Le démarrage a été un peu lent, avec seulement quelques interventions, puis le rythme s'est accéléré. J'en ai peut-être fait un peu trop, au départ, en me présentant comme prof de philo, exerçant en lycée, j'ai sans doute inutilement et involontairement impressionné les enfants.

Mais la séance a été très fructueuse. Les élèves de Sinceny sont fort sages, sans aucun problème de discipline (ce n'est pas toujours le cas !), leur élocution est bonne, le contenu est riche. Il n'y a pas eu ce qu'on rencontre fréquemment à ce niveau de scolarité : des paroles à côté du sujet, des propos purement anecdotiques ou bien de la simple répétition. Bravo Sinceny !

mardi 30 mars 2010

Voir Paris ...






Qu'est-ce que j'ai retenu de notre belle journée de dimanche à Paris, "Sur les traces de Jean-Paul Sartre" ? D'abord qu'il n'a pas plu ! C'est bête à dire mais c'est ainsi : la pluie aurait tout gâché. Je la redoutais, elle a menacé toute la journée, mais quelques gouttes seulement sont tombées.

J'ai retenu aussi le Café des Phares tellement bondé que cinq élèves n'ont pas pu entrer ! Parmi les sujets avancés par l'assistance, certains étaient osés, en ce jour des Rameaux : "Dieu est-il pédophile ?" ou bien "Dieu est mort mais il bande encore". Finalement, Gunter Gorhan n'aura pas cédé à la provocation et choisi un sujet très sage : "Parler, est-ce naturel ?" proposé par un élève d'Henri-Martin. La province l'emportait sur Paris !

Dans le cimetière du Montparnasse, où j'avais laissé chacun libre de sa visite, j'ai été surpris de l'engouement des lycéens pour la tombe de Gainsbourg, qui vaut certes le déplacement. Mais les voir allumer et se passer une cigarette en une sorte de rituel était inattendu. Après tout, le chanteur est mort à peu près à l'époque où ils venaient au monde. Pour moi c'était hier, pour eux, je suppose, une éternité.

Enfin, quand une de mes élèves, 17 ans, m'a appris que c'était la première fois qu'elle venait à Paris, j'en étais stupéfait. Et moi, la première fois, c'était quand ? Je devais avoir 13 ou 14 ans. Paris, c'était à mes yeux la Chine, le bout du monde, le paradis. Je me suis dit dimanche que si je retournais à Paris, j'emmènerais avec moi cette élève, je lui montrerais par exemple la Tour Eiffel, qu'elle n'a jamais vue. Comment puis-je lui parler de Kant alors qu'elle n'a même pas vu la Tour Eiffel !

Vignette 1 : les deux derniers textes de Sartre lus lors de la promenade.
Vignette 2 : le questionnaire distribué au retour dans le car.
Vignette 3 : le gagnant du questionnaire, c'est le très souriant Antoine, le même dont Gunter a retenu le sujet, et qui a remporté le numéro hors-série de Marianne. On comprend sa joie.

lundi 29 mars 2010

Sartre dans le texte.






Voici les trois premiers textes que j'ai lus hier à Paris, en hommage à Jean-Paul Sartre et pour illustrer sa philosophie :

Vignette 1 : "L'homme est condamné à être libre".

Vignette 2 : la révélation de l'existence.

Vignette 3 : la condition humaine à travers l'activité d'un garçon de café.

Les deux derniers textes demain.

dimanche 28 mars 2010

Sortie scolaire Sartre.






Vignette 3 : boulevard Saint-Michel, je lis un extrait de Jean-Paul Sartre sur la liberté, à peu près à l'endroit où le philosophe s'est fait arrêté par la police pour avoir vendu, au début des années 70, le journal maoïste "La Cause du Peuple".

Vignette 2 : après la lecture du célèbre passage de "La Nausée" sur la racine du marronnier et la révélation de ce qu'est l'existence, le groupe pose sur les marches du jardin du Luxembourg.

Vignette 1 : la journée se termine devant la tombe de Sartre et Beauvoir, dans le cimetière de Montparnasse.

samedi 27 mars 2010

La panne de micro.




On croit parfois que la hantise d'un animateur de café philo, c'est le risque de voir peu de public. Non, le concept est à la mode, les séances sont fréquentées. Ou bien d'avoir une salle qui demeure silencieuse. Aucun problème : ceux qui viennent ont envie de parler et parlent. On pense alors que c'est le niveau des interventions qui peut pécher. Non plus, la plupart sont intellectuellement satisfaisantes. On redoute peut-être les provocations, voire les perturbations alcoolisées (nous sommes dans un café, après tout !). Je n'en ai jamais constatées.

Rien de tout ça ne représente de sérieuses menaces. Alors quoi ? La panne de micro ou de sono, voilà l'ennemi, auquel j'ai été confronté à plusieurs reprises. Et ce soir au café philo de Soissons. Quand il y a technique, il faut qu'il y ait un technicien. D'habitude, c'est Jean-Hugues, pas là en début de réunion. Pierre a donc essayé de mettre en place le système. En vain. Puis c'est Colette qui s'est déplacée pour acheter une pile (pour le micro). Inutilement aussi. Pendant ce temps-là, pour faire patienter le public (qui a été très patient !), je raconte mon voyage de demain à Paris.

Mais "meubler", ça va un temps seulement. Jean-Hugues finalement arrive mais, malédiction, ne règle rien. Je décide donc, avec 35 minutes de retard, de commencer l'animation, à haute voix, sachant toute la difficulté de l'exercice. Non pour moi, je sais faire, mais pour les participants, qui ne parviennent pas toujours à se faire entendre. Au bout de dix minutes, un heureux grésillement monte de la sono : ça y est, c'est réparé. Le micro change vraiment tout : plus besoin de forcer la voix, répartition aisée de la parole, écoute confortable. La pire des situations pour un animateur de café philo n'est pas philosophique mais technique : la panne de micro.

vendredi 26 mars 2010

La philo descend dans la rue.


Nous serons 54 dimanche matin à prendre le car pour nous rendre à Paris, "Sur les traces de Jean-Paul Sartre", selon le titre que j'ai donné à ma sortie scolaire. C'est beaucoup plus que les deux années précédentes. Mais ce sera un peu différent des années précédentes, plus difficile pour moi.

J'ai sélectionné cinq grands textes de Sartre, à même de faire comprendre sa philosophie. Je les lirai à haute voix, dans l'espace public parisien, en commençant par le boulevard Saint-Michel, puis le Luxembourg, la Closerie des Lilas et devant les deux derniers appartements habités par le philosophe, boulevard Raspail et boulevard Edgar-Quinet. Bref, je m'apprête à faire un cours de philo en plein air et en pleine rue, au coeur de la capitale.

C'est risqué, parce que la philo reste de la philo, des textes qui se lisent et se méditent plus facilement qu'ils ne se disent et s'écoutent. Mais je vais tenter d'y mettre le ton et la passion, suivis de quelques explications. Devant cinquante personnes et dans le bruit de la ville, je sais que ce ne sera pas évident. C'est un défi comme je les aime. Mon pire ennemi ne sera pas celui qu'on croit, mais ... la pluie. Car les cieux ne s'annoncent pas très cléments. Qu'importe, soyons philosophes, tout passera.

En vignette, un numéro hors-série de Marianne qui peut être une utile préparation à la sortie de dimanche.

jeudi 25 mars 2010

Une sortie.


Aujourd'hui, le cours avait commencé depuis quelques minutes seulement, j'en étais encore à des considérations administratives sur un éventuel changement d'horaires quand une élève a levé la main, en insistant. Je n'aime pas trop être interrompu par une intervention qui ne porte pas sur ce dont on parle. Chaque chose en son temps, ordre et efficacité. Sauf que l'élève en question semblait insister vraiment, signifiant que son problème était urgent.

Quel était-il ? Une camarade à elle, tout à côté, avait les yeux rougis par les pleurs et demandait poliment à pouvoir sortir, accompagnée de sa copine. Dans ce genre de situation, l'administratif qu'est aussi tout enseignant réagit : une sortie de classe doit évidemment être justifiée, et accompagnée par la déléguée de classe. Dans la quasi totalité des cas, ce sont des problèmes de santé qui occasionnent un départ de la classe. J'envoie alors les élèves à l'infirmerie, ils en reviennent avec un mot de rentrée visé par l'infirmière.

Tout ça peut sembler lourdement administratif et un peu tatillon. Mais la nécessité s'impose, sinon n'importe quel élève, sous n'importe quel prétexte, ferait n'importe quoi en quittant la classe à son aise. J'ai à ce sujet un souvenir précis : lors de ma première année d'enseignement (c'était en 1993 au lycée Colbert à Reims), un élève m'avait demandé de sortir pour éteindre les phares de sa voiture ! J'étais à l'époque un bleu, j'ai dit oui, sous les sourires entendus de ses camarades. Aujourd'hui, même pour aller pisser, je dis non ! (mais ça n'arrive jamais).

Ce matin, c'était différent, très délicat. L'élève concernée est irréprochable dans sa scolarité, tout risque de bouffonnerie était donc écarté. Il n'empêche que la règle s'impose à tous, y compris aux bons élèves. Si le problème était médical, elle m'aurait demandé d'aller à l'infirmerie, et j'aurais appliqué la procédure habituelle, qui couvre ma responsabilité. J'ai senti que le problème était autre, que l'élève avait besoin de la présence de sa copine. Je les ai donc laissées rejoindre le couloir, sans trop savoir de quoi il en retournait vraiment. Car l'administratif que je suis n'en demeure pas moins quelque part humain.

Il faut se laisser aller à l'intuition, s'adapter aux circonstances, sacrifier la lettre à l'esprit. Même si je n'aime pas trop ça, parce que c'est contraire à l'idéal fonctionnaire. Imaginez que le proviseur passe dans le couloir, qu'il constate la présence des deux élèves : je devrais m'expliquer ... et je n'aurais rien à dire. Et puis, dans ce couloir vide au moment des cours, que font-elles ? Le problème est peut-être gravissime, il peut provoquer des réactions inattendues, peut-être dangereuses. Pendant le cours, je suis responsable des élèves qui sont devant moi.

Les deux heures se sont déroulées sans que les deux élèves ne reviennent. Je n'ai rien dit, j'ai laissé faire. J'ai senti que c'était la meilleure attitude à adopter. Mais je ne me suis pas départi de ma prudence : deux ou trois fois, j'ai ouvert la porte pour voir si tout allait bien, si j'ose dire. A vrai dire, ça n'allait pas, mais les élèves étaient là, assises contre le mur, parlant et pleurant, discrètement.

Au moment de la pause, elles ont été rejointes par quelques autres camarades, qui se sont mises en position de consolatrices, dans des attitudes qui me surprennent toujours parce qu'elles me sont étrangères et me semblent très actuelles, impudiques, ostentatoires : enlacements, caresses, embrassements. Est-ce qu'on faisait ça quand j'étais lycéen ? Je ne pense pas mais j'ai peut-être oublié ou pas remarqué.

A la fin des deux heures de cours, l'élève est venue me voir pour s'excuser de son absence. J'ai demandé comment ça allait et quel était le problème. Elle m'a répondu que c'était "personnel". Je n'ai pas cherché à en savoir plus, je ne m'en suis pas senti moralement le droit. Chagrin d'amour, difficultés familiales, décès, je ne saurais jamais. C'est très bien comme ça, ça ne me regarde pas. Et je ne veux pas jouer les psychologues, ce que je ne suis pas.


En vignette : le café philo de Soissons, samedi prochain, que j'anime.

mercredi 24 mars 2010

Une vie de chien.


Devant l'Université du Temps Libre de Cambrai, j'ai fait cet après-midi une conférence inédite sur le cynisme philosophique (voir le plan ci-dessus). Je choisis des thèmes qui bien sûr m'intéressent, ainsi que mes étudiants, que je me sens capable de traiter et qui m'obligent à travailler des sujets que je ne connais pas précisément. Ainsi le cynisme. Diogène, son tonneau, ses provocations et ses idées, je savais, mais insuffisamment. Enseigner, c'est autant transmettre aux autres qu'apprendre pour soi.

Le cynisme est un courant de pensée ignoré, déformé et malmené, qui mérite une réhabilitation. Il est bien peu cynique, au sens moderne du terme, mais au contraire si sincère qu'il renverse les conventions sociales et morales. Je repère sa postérité dans l'anarchisme, un certain ascétisme chrétien, chez Rousseau et Nietzsche aussi. Cette contribution à la pensée universelle est en tout cas précieuse. Nous avons tant besoin d'être remués !

De Diogène, le plus connu de tous les Cyniques, je retiens l'art de l'insulte élevé au rang philosophique. Mendiant, il n'implorait pas les passants, il les agressait verbalement pour les confronter à leur vérité. N'y a-t-il pas que la vérité qui blesse ? Le mensonge, lui, caresse. C'est à cette docilité qu'on le reconnaît. A mon tour, il me prend l'envie de pratiquer l'insulte, à quoi je cède parfois, pour réveiller les consciences, déclencher le débat.

Notre époque pourtant ne s'y prête pas. Elle ne tolère que l'échange bourgeois, soyeux, consensuel. Mais dans la ouate, on ne réfléchit pas, on sommeille et on rêve. Les Cyniques savaient qu'on ne pensait qu'à la dure, tel Diogène sur le bois de son tonneau. Philosopher, c'est aboyer et mordre. Cynique, étymologiquement, c'est le chien, kunos en grec ancien. Le vrai philosophe mène une vie de chien.

mardi 23 mars 2010

La Lune en débat.




Hier, j'ai commencé avec les Littéraires l'Histoire, avec ce premier sujet de dissertation que nous avons travaillé ensemble : Qu'est-ce qu'un événement historique ? Au brouillon, nous recherchons des idées. Pour cela, je leur demande de me fournir quelques exemples d'événements historiques à partir desquels nous pourrons réfléchir. Je leur rappelle que ces exemples doivent être indiscutables et très différents les uns des autres, afin d'élargir et enrichir notre pensée. Nous nous accordons sur cinq événements :

- La première guerre mondiale : un événement militaire.
- La prise de la Bastille : un événement politique.
- La naissance du Christ : un événement religieux.
- La découverte de l'Amérique : un événement économique.
- La conquête de la Lune : un événement technologique.

Cinq, pas tout à fait, puisque le dernier est contesté par les trois élèves en face de moi, devant le bureau, dont l'un est le meilleur de la classe. Que m'objectent-t-ils ? Que l'homme n'est pas allé sur la Lune ! Devant mon étonnement, ils se montrent plus prudents et constatent que la réalité de cette exploration est mise en doute par certains "scientifiques".

Que faire dans une telle situation ? L'argument d'autorité (l'homme est allé sur la Lune, un point c'est tout !) n'est pas digne d'un professeur, surtout de philosophie. L'autorité ne doit porter que sur les comportements, pas sur les idées (voir le billet d'hier). Me lancer dans toute une explication n'est pas le lieu ni le moment, l'exercice étant "Qu'est-ce qu'un événement historique ?" et non pas "L'homme est-il allé sur la Lune ?"

J'ai choisi une position intermédiaire et a minima, bien sûr très insatisfaisante : d'abord en affichant une stupéfaction qui avait valeur de bon sens ("Il est évident que les hommes sont allés sur la Lune"). Ensuite en avançant quelques rapides preuves ("Les cailloux ramenés par les cosmonautes ne viennent pas de leur jardin !"). Enfin en expliquant que la rumeur de la non conquête de la Lune est ancienne, motivée par l'incrédibilité de l'événement et l'antiaméricanisme.

Les ai-je convaincus ? Sans doute pas. Un enseignant peut expliquer, doit se faire comprendre. Mais convaincre, non, c'est hors de portée. Et je me dis que c'est tant mieux. Je leur ai donné des éléments rationnels et scientifiques, à eux maintenant d'y réfléchir. Mon embarras n'est que la confirmation de ce que je suis : un enseignant n'a pas à vouloir convaincre ses élèves. Mais en tant qu'enseignant, je me dois de les avertir : dans une copie de philo au bac, douter de la conquête de la Lune, ça la fiche un peu mal.

lundi 22 mars 2010

Enseigner est un combat.




Ce matin, j'attendais de pied ferme une classe qui s'est signalée très négativement lors de son conseil de classe. L'ambiance n'est pas au travail, il y a de nombreux bavardages, certains résultats sont catastrophiques. Je confirme. Ils ne sont pas méchants, l'indiscipline n'est pas constante, les devoirs sont rendus à l'heure et pas si mauvais que ça avec moi. Mais quelques petits rigolos plombent la classe, la concentration n'est pas à son maximum et je dois régulièrement gueuler pour remettre les choses en ordre.

Après le conseil et sept ou huit mises en garde concernant aussi bien le comportement que le travail, il fallait faire quelque chose, ne pas rester inerte. Je ne me fais aucune illusion : nous commençons le troisième trimestre mais nous débutons plutôt la fin de l'année. La semaine prochaine, je ne les vois pas, c'est bac blanc. Après, nous entrons dans quinze jours de vacances de Pâques. Au retour, il restera quoi ? Un mois et demi à peine de cours. Il faut quand même les tenir. Je m'y emploierai.

Paradoxalement, j'aime ce genre de situation. Que serait la valeur d'un enseignant si sa classe était tranquille, notant sagement, apprenant facilement et donnant d'excellents résultats ? Ce serait d'un ennui mortel. Dans cette circonstance, les élèves pourraient fort bien se passer du prof. Se retrouver face à une classe dont une partie résiste et pose problème, voilà qui me plaît : si je suis un bon enseignant, je peux devant la difficulté exercer tous mes talents. C'est ce que j'ai fait ce matin, sans être certain d'avoir réussi. Mais ce défi m'excite, ce challenge justifie que je sois à la place où je me trouve, et rémunéré pour ça. Un enseignant, c'est un militant, un combattant, un résistant qui affronte l'ignorance, l'indifférence et parfois la bêtise. A lui d'en sortir vainqueur.

J'ai fait quoi ce matin ? J'ai pris trois mesures. D'abord mettre tous les élèves frappés d'une mise en garde au premier rang, devant moi, pour que je puisse les surveiller sans cesse. Ensuite leur infliger un ramassage de leurs cahiers auxquels sera donnée une évaluation, pour les forcer à noter, donc à se concentrer et à travailler. Enfin j'ai interdit les exclamations bouffonnes que soulèvent certains noms quand je fais l'appel. Au début, je m'en moquais, ce n'était pas très grave. Mais étant donné la situation déplorable évoquée en conseil de classe, je ne laisserai plus rien passer.

Un élève a senti la dureté de ce virage politique. Quand j'ai demandé ce que nous avions fait lors du dernier cours (question traditionnelle pour voir si la classe suit), il a rétorqué assez clairement pour que je saisisse : "on n'a pas fait grand-chose". Je n'ai pas raté le gus, qui a ajouté qu'il s'en fichait puisqu'il avait de bons résultats, ce qui est vrai, mais ce qui est à mes yeux d'autant moins acceptable : un bon élève doit donner l'exemple. En l'occurrence, sa morgue était moralement insupportable. J'ai alors pensé, en lui répondant, à ces élèves qui rencontrent des difficultés et qui font pourtant tout leur possible pour s'en sortir : que doivent-ils penser devant une telle insolence ?

C'est pour eux, et pour eux seuls, que je mène le combat contre le morveux. Moi je m'en moque, même si je m'excite à ce rapport conflictuel, qui rompt la monotonie d'une situation d'enseignement, mais qui est trop facile puisque j'ai la certitude d'en sortir vainqueur. L'élève a tout à y perdre, plus il insiste plus il s'enfonce. Et moi j'ai le pouvoir, donc le dernier mot, et la décision finale. Le drôle est devenu ma cible, je ne le lâcherai plus. Je serai en droit de rédiger un rapport au proviseur. Je ne veux pas. Un problème doit se régler entre les murs d'une classe, sauf événement grave, ce qui n'est pas le cas. Et puis, laisser filer ma proie, je n'aimerai pas ça.

dimanche 21 mars 2010

L'Arbre de Vie.




Très belle cérémonie hier matin à Villers-Cotterêts, à l'initiative de l'APEI Action § Technique : des personnes handicapées ont présenté leur sculpture, L'Arbre de Vie, conçue sous la direction de la Ligue de l'enseignement. L'Ecole et les associations périscolaires font maintenant toute leur place à celles et ceux qui sont différents, qui n'entrent pas dans le moule de la normalité rationnelle et cartésienne, mais qui n'ont pas moins en eux des trésors d'humanité, que l'activité artistique en particulier révèle.

En vignette 1, une vision panoramique du public, lors des allocutions officielles.

En vignette 2, j'ai à mes côtés Hubert Dufour, notre céramiste plasticien, qui a oeuvré à cet Arbre de Vie, et Jean-Claude Simon, délégué culturel de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne, qui a mis en place l'atelier. Dans ses bras, un résident heureux de nous retrouver devant son Arbre. Au fond, au dessus de mon épaule, vous apercevez l'humoriste et écrivain Jean-Louis Fournier, complice de Pierre Desproges en son temps et auteur du très controversé "Où on va, papa ?" Son fils réside dans cette structure et a participé à L'Arbre de Vie.

samedi 20 mars 2010

A l'an prochain !




La célébration de la Journée mondiale contre le racisme et les discriminations, hier matin dans mon lycée, s'est mieux déroulée que l'an dernier. J'avais resserré le programme et la durée. Une heure, c'est suffisant. Et comme une prestation a été supprimée (la démonstration gymnique, faute de tapis de sol), le tout n'a pris que trois bons quarts d'heure, et c'est aussi bien. Du coup, certaines imperfections ont été éliminées. A l'usage, le hall du lycée, même s'il est petit et pas adapté à ce genre d'activité, convient mieux que la grande salle de l'an passé.

Combien étions-nous ? A mon avis entre 150 et 200, ce qui fait du monde (vignette 1, une partie du public). J'ai même cru, au début, que nous aurions du mal à tenir. Très vite, les portes vitrées se sont embuées, si monsieur le proviseur-adjoint n'avait eu le bon réflexe d'en ouvrir une. Quelle chaleur ! Quel bruit aussi. J'ai dû gendarmer l'assistance. Mais c'est mon boulot d'enseignant. 200 élèves, c'est une masse molle, statique, qui n'entend rien et n'en fait qu'à ses 200 têtes. Il faut remuer et discipliner tout ça, un peu à la militaire.

Dans ce genre de situation, on oublie toujours quelque chose. J'avais oublié des chaises pour les personnalités présentes, dont certaines sont âgées. Erreur vite réparée. Les jeunes, eux, peuvent s'asseoir au sol ! De concert avec le proviseur-adjoint, nous n'avons pas donné la parole à ces personnalités politiques ou associatives, à la différence de l'an dernier, où les allocutions étaient interminables et mal adaptées à un public d'enfants et de jeunes peu réceptifs. Nous avons directement commencé par les interventions des élèves.

Rien de tel qu'une chorale de l'école primaire, en l'occurrence Lyon-Jumentier, pour donner le ton et mettre de l'ambiance. Puis nous sommes passés à la lecture des meilleures cartes de la fraternité, des petits et des grands (vignette 2). C'est pour eux un excellent exercice de s'adresser à un public, pas facile et pas toujours probant. Je tenais à ce que nous rendions hommage à Jean Ferrat, pour moi le moment le plus émouvant de la cérémonie, avec la lecture de Nuit et Brouillard par Camille et Clotilde. Enfin c'est Yasmina qui nous a interprété Cris de Bosnie, sous les applaudissements très nourris de ses fans. J'ai terminé par mon traditionnel "A l'an prochain !" Il n'y a pas de raison, ça dure comme ça depuis treize ans ...

vendredi 19 mars 2010

Gunter le retour.


C'est la troisième fois que Gunter Gorhan venait me rendre visite dans l'Aisne. Nous procédons ensemble à un gentlemen's agreement : il anime le café philo de Saint-Quentin, j'anime celui des Phares, à Paris, dont il est l'un des fondateurs. Hier soir c'était son tour, à Saint-Quentin. Quand on a créé le premier café philo au monde et qu'on bourlingue en France et même au-delà pour des animations philosophiques en tout genre, on dispose d'une intéressante expérience à transmettre. J'avais donc invité la presse à rencontrer Gunter, dans les salons de l'hôtel Ibis. Mais aucun journaliste ne s'est présenté.

En revanche, c'était le public fourni des grands jours à l'intérieur du Manoir. Une fois passée la traditionnelle séquence des problèmes de micro, Gunter s'est lancé, à la parisienne (et moi, aux Phares, je la joue à la saint-quentinoise), c'est-à-dire qu'il a demandé à l'assistance de lui proposer des sujets, tandis que je notais. Onze ont été énoncés, le dernier a été retenu : Sommes-nous condamnés à désirer ?

J'ai toujours un peu d'inquiétude quand Gunter est parmi nous, je crains que les interventions ne soient pas à la hauteur ou insuffisamment nombreuses, par comparaison avec ce qui se dit et se fait à Paris. Sans doute le vieux complexe de la province à l'égard de la capitale ... Il y va presque de mon honneur ! C'est qu'il faut lui donner l'envie de revenir, à cet homme-là ... Je suis finalement assez content, je crois que ça s'est bien passé. Bien sûr, il y a les inévitables détails qui clochent : des élèves insuffisamment attentifs, des clients un peu trop bruyants. Mais en gros ça allait.

Nous retrouverons Gunter le 28 mars aux Phares, lors de la sortie scolaire "Sur les traces de Jean-Paul Sartre". Puis j'animerai au même endroit le 25 avril.


En vignette, Gunter relit, avec mon aide, les sujets proposés, que voici :

1- Etre heureux, est-ce être libre ?
2- L'obéissance.
3- Le rebelle est-il un héros ou un emmerdeur ?
4- Comment la philosophie pourrait-elle contribuer à l'épanouissement et au bonheur des citoyens ?
5- Où est le réel ?
6- Est-il nécessaire de s'aimer pour vivre ?
7- La philosophie n'est-elle qu'un plaisir intellectuel ?
8- L'estime de soi.
9- Est-ce que philosopher, c'est agir ?
10- L'homme peut-il avoir pour but d'être une machine parfaite ?
11- Sommes-nous condamnés à désirer ?

jeudi 18 mars 2010

Penser où ça fait mal.




Le café philo de Bernot est peut-être ce que je fais de mieux dans le genre : public nombreux, populaire, pas du tout préparé à l'exercice philosophique, par conséquent sans trop d'interventions apprêtées, convenues, qui rendent souvent très irritables la fréquentation de ce type d'endroit. Bref, la philo à la bonne franquette. Les participants se connaissent, maintenant me connaissent, s'expriment donc librement, sans affectation ni conformisme.

C'est le but : décrasser les esprits du discours moral, de ce qu'on appelle aujourd'hui le "politiquement correct", laisser émerger les pensées, même les plus sombres et les plus sauvages, les amener à s'entrechoquer, se contredire. Socrate appelait ça la maïeutique, c'est-à-dire un accouchement d'idées (sa maman était sage-femme !). L'opération ne se mène à bien qu'à une condition : l'humour, l'absence de sérieux, les petits délires, parfois la franche déconnade (Socrate, qui n'est pas passé par Bernot, pratiquait lui l'ironie, ce qui revient à peu près au même).

On ne peut pas penser bourgeoisement, ou alors maladroitement. Pour bien philosopher, il faut penser où ça fait mal. Hier nous débattions de solidarité ; j'ai mis le doigt sur nos plaies, nos douleurs : est-il vrai que nous sommes réellement solidaires ? Les pauvres méritent-ils qu'on les aide ? La solidarité n'est-elle pas l'alibi de la bonne conscience ? et d'autres questions qui remettent en cause nos certitudes, nos préjugés. La philosophie est un travail de destruction, à partir duquel chacun construit ce qu'il veut, sans mon aide ni mes conseils : je ne borne à être un efficace démolisseur.

Vignette 1 : Raphaël et moi, devant la salle du café philo, avant d'entrer en scène. Nos visages sont reposés. Ils seront peut-être décomposés une heure et demi plus tard ...

Vignette 2 : photo que j'ai retenue parce qu'elle est étrange. Accroché au mur, un énorme coeur rouge de carton symbolise le sujet de la soirée. Au dessus, le tic-tac de la pendule lui donne ses pulsations. Au dessous, un corps sans visage, remplacé par une volumineuse touffe, sert le café, sous la menace de deux mains venues de nulle part : c'est Raphaël et sa maman, sous le regard de monsieur le maire et de deux amis.

mercredi 17 mars 2010

Lundi, mardi, etc.


Le Ciné Philo de lundi a rassemblé 70 spectateurs environ, dont 20 élèves. Pas mal, quand on sait que les séances se sont succédées à des dates très rapprochées ces derniers temps. Le film, "Disgrace", est terrible et produit un fort malaise. Le débat a été un vrai débat (ce qui n'est pas toujours le cas), entre ceux qui critiquent la culture traditionnelle sud-africaine marquée par la violence et ceux qui l'exonèrent en rappelant la violence tout aussi grande de l'apartheid.

Mardi, nous avons sélectionné, avec le proviseur-adjoint, huit Cartes de la Fraternité dont les textes seront lus vendredi matin. Nous avons eu l'embarras du choix mais avons préféré limiter, pour que la cérémonie ne s'attarde pas trop. J'ai pensé qu'un hommage à Jean Ferrat serait bienvenu. "Nuit et brouillard" est une chanson qui s'impose dans le cadre de la Journée mondiale contre le racisme.

Aujourd'hui mercredi, j'animerai le Café Philo de Bernot, sur le thème "La solidarité est-elle nécessaire ?" C'est à 18h30, en salle de la mairie. Demain jeudi, ce sera au tour de Saint-Quentin, avec un Café Philo spécial Gunter Gorhan. C'est l'animateur parisien qui conduira la séance. Chaque participant est invité à réfléchir à un sujet, Gunter faisant ensuite son choix ... comme à Paris ! Une liste circule parmi les internes du lycée afin de s'inscrire.


mardi 16 mars 2010

20 minutes chrono.




Hier soir, j'avais conseil de classe des Littéraires, dont je suis le professeur principal (on dit PP dans le jargon). En l'absence du proviseur ou de son adjoint, c'est le CPE qui préside. En vérité, c'est le PP qui anime la séance, le président valide et fait éventuellement quelques remarques.

Hier soir, le CPE était sur la même longueur d'onde que moi : rapidité et efficacité, pas de temps mort, par de parlotes inutiles. En effet, certains conseils de classe virent à la thérapie de groupe ou au colloque sociologique. Vite fait bien fait, telle est au contraire ma devise. Il me semble avoir battu un record : 20 minutes chrono !

Les collègues ont été épatés, ont trouvé "théâtrale" la tenue de la séance. Le CPE, réjoui, a remarqué que je faisais les questions et les réponses, ce qui est un peu vrai. Mon secret : une préparation minutieuse, aucune improvisation, pas de place pour l'incertitude. Ce qui est largement anticipé s'effectue ensuite rapidement et aisément.

J'ai lu attentivement chaque bulletin scolaire, j'ai relu ceux du trimestre précédent pour comparer, j'ai examiné les résultats coefficientés du bac blanc, j'ai envisagé les encouragements, félicitations et mises en garde à attribuer : tout était prêt, il n'y avait plus grand-chose d'autre à ajouter. Je n'irai pas jusqu'à dire que je pourrais faire un conseil de classe en me passant de la présence des professeurs, mais je n'en suis pas loin.

Il faut tout de même apporter certaines précisions : la classe a de bons résultats et aucun élève ne pose de problèmes personnels. Il n'en serait pas de même dans toute autre classe. Ceci explique aussi mes 20 minutes chrono.

lundi 15 mars 2010

Cartes de la Fraternité.


J'ai fait remplir aujourd'hui les Cartes de la Fraternité à mes classes. Les huit motifs figurent sur l'affiche ci-dessus. J'ai demandé à mes élèves de rédiger un texte au verso, libre, créatif, original. C'est un petit exercice pas si facile que ça, qui me permet aussi de juger les élèves, même si ce n'est pas noté, même si ce n'est pas de la philosophie. J'évalue l'effort, le travail, la bonne volonté, mais aussi la rédaction, l'imagination, la réflexion.

L'élève qui se contente de quelques phrases banales, bâclées, mal écrites, j'ai compris et vite jugé. Heureusement, c'est plutôt rare. Beaucoup de mes élèves se livrent avec plaisir au jeu. J'en aurai demain matin le résultat : j'ai rendez-vous à 8h00 dans le bureau du proviseur-adjoint, pour lire tous les textes et retenir les meilleurs, qui seront lus publiquement vendredi matin.

dimanche 14 mars 2010

Hier, aujourd'hui, demain.




Je vais lancer lundi, et jusqu'à vendredi, la Semaine contre le racisme et les discriminations, une opération conjointe à l'Education Nationale et à la Ligue de l'enseignement, avec la participation de bien d'autres associations. Ce moment me tient à coeur, je vous en ai déjà parlé et j'y reviendrai dans quelques jours. Mais je ne vous ai pas dit ce qui me semble pourtant le plus important : il y a treize ans que j'organise cette manifestation !

Ce que nous faisons (et je fais partie de ceux qui font pas mal de choses) s'efface aussi vite qu'il s'effectue. Un projet met des mois à mûrir et quelques minutes à mourir, quand il est terminé. Inévitablement, le vide s'empare de moi, une sorte de mélancolie et de dépression : c'est déjà fini ! Heureusement, j'en guéris très vite et me relève aussitôt puisqu'un projet en remplace un autre. La dépression (au sens atmosphérique d'une baisse de pression) n'a pas le temps de me faire chuter.

C'est pourquoi il est important, et je le dis aussi pour les élèves, d'inscrire tout ce que nous faisons dans la durée. C'est le temps, et lui seul, qui donne un sens à nos initiatives (et peut-être à notre vie). Cette Semaine contre le racisme et les discriminations, je la porte depuis treize ans. Ce n'est certes pas une éternité, mais ça fait quand même un bon bout de temps ! Le hasard d'un archivage m'a fait retrouvé les articles de presse consacrés à la première édition de la Semaine. Je ne résiste pas au plaisir de les soumettre à votre lecture et méditation (en vignettes).

Le programme, en 1997, avait été le suivant : spectacle théâtral, exposition sur le racisme et la biologie, rencontre-débat avec l'ASTI et la Ligue des Droits de l'Homme. A l'époque, la photo en témoigne, je portais lunettes et barbe rase ! Mes invités étaient Claudette Lemire, toujours en charge de l'ASTI (Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés) et Olivier Lazo qui, absent, s'était fait remplacer par Olivier Mignot, le père de l'actuel directeur de cabinet du président du Conseil général (à moins que je ne me trompe d'année).

Qu'est donc devenue Caroline Miannay, de Terminale littéraire, qui s'était occupée de toute la partie théâtre ? Et ces élèves sur les deux photos, où sont-ils aujourd'hui ? Ils doivent avoir la trentaine, ont sans doute un métier, une famille, des enfants qui seront peut-être dans quelques années mes élèves, avec lesquels à nouveau j'organiserai la Semaine contre le racisme. Me voilà replongé dans une forme de mélancolie ...

Les deux articles de presse avaient été à l'époque affichés par moi en salle des profs, d'où les remerciements et l'invite : " A l'an prochain !" J'étais loin de me douter alors que je recommencerai treize fois de suite. Et aujourd'hui ? Oserais-je dire : " A dans treize ans " ? 2 023, ça me paraît très loin, j'aurai 63 ans, je serai sûrement encore en exercice, ayant commencé tard dans le métier. Mais suis-je bête ! 2 023 c'est demain ...

samedi 13 mars 2010

L'année d'après.


En philo, un prof reste un an avec les élèves, neuf mois à peine, et puis plus rien. C'est assez frustrant. Que sont-ils devenus ? On aimerait bien le savoir. Une nouvelle rentrée, une autre classe, l'oubli nous rattrape toujours. Il y a ces visages qu'on croise, qui disent vaguement quelque chose, sur lesquels on ne parvient pas à mettre de nom, qu'on n'est même pas certain d'avoir eu comme élève. L'année scolaire est si vite passée.

Et puis, il y a des élèves qui ont marqué, qui sont restés en mémoire, mais qu'on n'ose pas interpeller parce qu'on ne sait pas vraiment s'ils ont envie de revoir leur prof. Je comprends aussi : un prof, est-ce vraiment quelqu'un qu'on a envie de revoir ? Pas tous, pas nécessairement. Et pour quoi ? La vie continue, les études aussi, de nouveaux profs entrent dans notre existence, pourquoi revenir en arrière, l'année d'après ?

Camille intervient de temps en temps dans les commentaires de ce blog. C'était l'an dernier une excellente élève en Littéraire, "la meilleure élève" comme on dit. Si vous reprenez les archives 2008-2009, vous la rencontrerez dans certains billets, j'en suis sûr. Moi c'est dans la gare de Saint-Quentin que je l'ai croisée, il y a quelques semaines, sans la reconnaître vraiment, sans surtout avoir la discourtoisie ou l'audace de m'approcher et de l'observer. J'aurais pu me tromper ! C'était pourtant bien elle.

Nous avions rendez-vous cet après-midi au Golden Pub, après s'être recontacté sur ce blog. Mais que se dire ? Et puis il y a désormais cette ambiguïté entre nous : je ne suis plus son prof, elle n'est plus mon élève. Qui sommes-nous alors l'un pour l'autre ? Une ancienne élève qui rencontre son ancien prof ? Ce n'est pas sur de l'ancien qu'on bâtit une rencontre. Le problème, c'est que quelque chose en moi reste du prof, quelque chose en elle demeure de l'élève, sans qu'il y ait à ces survivances aucune raison. D'où une relation un peu biaisée.

Pourtant, nous sommes restés une heure trente ensemble, ce qui signifie que ça s'est bien passé. Camille est en prépa, au lycée Thuillier d'Amiens, elle est toujours bonne élève. Mais nous n'avons pas parlé que scolarité. Je lui ai même livré quelques confidences auxquelles peu de personnes ont droit. De son côté, elle a moins parlé. Je crois aussi que c'est dans son tempérament. Drôle de fille, tout de même ! Je la reverrai pour la sortie scolaire du 28 mars. L'an dernier, elle était déjà là et avait lu quelques textes.


En vignette : le film qui sera diffusé lors du prochain Ciné Philo. Pas mal d'élèves se sont inscrits pour bénéficier d'une place gratuite. Il en reste. Vous pouvez me contacter lundi toute la journée au lycée.

vendredi 12 mars 2010

Visite médicale.


J'ai reçu cette semaine, dans mon casier, la feuille ci-dessus. Pour la première fois en 17 ans d'enseignement, on me propose une action de prévention santé. Ce n'est pas tout à fait une "visite médicale", mais on s'en rapproche. La MGEN est à l'origine de cette action.

C'est assez incroyable : il n'y a pas dans l'Education Nationale de médecine du travail. Et je n'ai jamais vu personne s'en plaindre ! A la fin de mon année de stage, j'ai été obligé d'aller voir un médecin pour faire valider ma certification. Puis plus rien.

Je suis en contact avec une centaine de personnes, mes élèves, et l'institution ne se préoccupe pas des maladies que je pourrais éventuellement leur transmettre. Et que dire de mon équilibre mental ? S'il était affecté, qui le saurait ? Dans une société prompte à la polémique, il est étrange que certains sujets qui s'y prêteraient n'engendrent aucune polémique.

C'est maintenant certain : je vais m'inscrire à cette action prévention.

jeudi 11 mars 2010

Remuer les pensées.


J'ai diffusé dès ce matin l'invitation ci-dessus, pour ma traditionnelle sortie scolaire à Paris. Petite précision : les Terminales et Premières sont prioritairement concernés. Les élèves intéressés doivent remettre le plus rapidement possible le coupon à la Vie Scolaire.

Dans l'après-midi, une conférence de presse en compagnie du proviseur-adjoint et de Jean-Claude, délégué culturel de la FOL, a présenté le programme (fourni) des Semaines contre le racisme et les discriminations. Vous pouvez aussi regarder notre présentation sur Aisne TV : http://www.aisne.tv/Archivage-Des-JT-080310

Jocelyne, une étudiante de Cambrai, m'a envoyé ce courriel à la suite du cours d'hier : "Aujourd'hui le sujet s'est encore révélé passionnant et brûlant, vous soulevez la polémique et remuez nos pensées". Elle termine par : "J'espère approcher la philosophie".

mercredi 10 mars 2010

Penser avec ses tripes.




Devant l'Université du Temps Libre de Cambrai, je me suis employé cet après-midi à un exercice inédit, une conférence philosophique sur la laïcité. Des interventions militantes sur le sujet, je ne les compte plus ! Mais une réflexion qui ne soit pas politique ni juridique, non, c'était, une première. Quoique philosopher sur la laïcité ne permet pas de faire l'économie de l'histoire ni du droit, tellement ce concept est plus politique que philosophique.

Je m'y attendais : l'exposé a déchaîné par moment les passions, parfois virulentes. Mais comment faire autrement ? Je me suis surtout efforcé de démontrer qu'un laïque patenté comme moi n'était pas nécessairement ce qu'on croit : un bouffeur de curé, un adversaire des religions. Non, la laïcité, c'est tout simplement la liberté. Je fais totalement mienne la définition qu'en donne Pena-Ruiz (vignette 2, texte 5).

En partant, une étudiante m'a dit que je donnais l'impression, quand je parlais, que je mangeais ! Drôle d'expression, mais ô combien vraie ! Je me régale des mots que je prononce, je savoure les idées que j'expose, je fais partager ma gourmandise, j'ouvre l'appétit aux plus réticents à la philosophie, je fais en sorte qu'ils ne puissent plus se passer d'en consommer. Je pense autant avec mon ventre qu'avec ma tête. Il faut que mes propos sortent de mes tripes.

Mon étudiante me dit aussi qu'elle aime me voir m'échauffer, que cela se constate aux oreilles qui rougissent ! Quel drôle de spectacle cela doit-il être ! Elle ajoute que même si on n'y comprenait rien, on prendrait plaisir à me regarder ainsi enthousiaste dans ce que j'affirme. Voilà des mots qui me vont droit au coeur ... ou plutôt aux tripes !

mardi 9 mars 2010

D'un Ciné l'autre.



Joli succès, assez inattendu, du Ciné Philo hier soir. Certes j'avais mis le paquet côté communication, mais c'est dans mes habitudes. La Journée internationale des femmes a été incontestablement porteuse, ainsi que l'avant-première du film. 26 élèves se sont inscrits, nombre inhabituel. Dans la salle, 128 spectateurs, une des meilleures fréquentations de l'année (une petite partie du public en vignette 1, dans la pénombre du hall d'entrée ...)

Le film, Fleur du désert, portant sur l'excision, a remué. Je m'attendais à des interventions passionnées, le débat a été seulement passionnant, après le choc des images. C'est sans doute mieux comme ça. Notre invitée Sylvie Racle a apporté d'utiles précisions juridiques, mais est restée plus discrète que je ne le pensais. Au lieu de demeurer debout face au public, comme le font généralement nos invités, elle s'est assise au premier rang, laissant le débat filer. Mais c'est bien aussi comme ça.

Ces dernières semaines sont assez exceptionnelles en matière de Ciné Philo, puisque les hasards du calendrier en ont vu s'enchaîner presque trois séances. La prochaine, c'est ... lundi prochain, dans le cadre des Semaines contre le racisme et les discriminations (vignette 2). C'est les élèves qui vont être contents : une sortie de plus !

lundi 8 mars 2010

Déjà vu.




Nous n'avions pas cours ce matin. La première moitié de journée était "banalisée", comme on dit dans notre jargon. Ça arrive quelquefois. Pour faire quoi ? Discuter de la réforme du lycée. Le chef d'établissement et son proviseur-adjoint nous ont présenté les conséquences pour la prochaine rentrée, essentiellement en classe de Seconde.

Les enseignants n'ont pas toujours été très attentifs aux propos de nos supérieurs hiérarchiques. C'est la tradition libertaire d'Henri-Martin. Un collègue a pris la parole, à l'issue des exposés, pour se lancer dans un discours quasi politique et vivement contestataire, annonçant qu'il ne ferait rien de ce qu'on lui demande de faire. Ça fait seize ans que je l'entends dans ce rôle et que les choses malgré tout se font.

Puis nous nous sommes retrouvés par discipline, pour discuter cette fois entre enseignants. En philo, c'est rapide, nous sommes deux, la réforme ne nous touche pas vraiment. La réunion de ce matin, j'ai l'impression de l'avoir déjà vécu de nombreuses fois. J'en viens à ne plus m'étonner de rien, à ne plus attendre quoi que ce soit. Cet après-midi, je retrouve mes élèves. Chouette, je revis !


Vignette 1 : une partie des participants au Café Lire de jeudi dernier.
Vignette 2 : les ouvrages recommandés et présentés par chacun lors de cette séance.

dimanche 7 mars 2010

Remise de copies.


J'ai ramassé lundi matin le 7ème devoir de l'année pour les S et ES, le 8ème pour les L. On sent la fatigue venir, le relâchement s'installer. En S, sur 30 élèves, il manquait cinq copies, rien que ça ! Deux l'avaient oubliée ! Ils n'ont même pas cherché à inventer une excuse intelligente ! Un devoir, ça ne s'oublie pas. Sinon, c'est l'aveu d'une insouciance, d'une négligence, d'un laisser aller insupportables. J'ai bien sûr gueulé.

Trois élèves étaient ce jour-là absents. Admettons, ça peut arriver. L'un d'entre eux a remis dans mon casier le devoir, je ne sais trop comment, mais c'est rendu et c'est l'essentiel. Un autre l'a fait à son retour, dans la semaine. Pourquoi pas, mais il aurait été avisé de me prévenir, comme je l'ai conseillé en début d'année. Le téléphone est fait pour s'en servir ! Il reste donc un élève, un seul, qui n'a rien rendu, que je n'ai pas vu. On verra bien cette semaine.

En ES, même statistique qu'en S : cinq copies sont aux abonnés absents. Un élève a purement et simplement oublié son devoir chez lui. Re-gueulante. Un autre a oublié, mais à l'internat. Je lui demande illico d'aller le chercher. Puis il y a trois absents, dont deux ont remis leur travail dans mon casier. Il reste une élève dont je n'ai aucune nouvelle ... et pas la copie. Comme en ES. Qu'est-ce que les êtres humains sont prévisibles ! Il existe hélas une implacable loi des proportions.

Pas vraiment tout de même. En L, il n'y a eu que deux défections, vite compensées par la remise des copies dans mon casier. Vous pensez peut-être que j'exagère, que je suis tatillon, maniaque. Sur 90 élèves au total, il n'y en a que deux dont les devoirs ne sont pas entre mes mains à l'heure qu'il est. Mais c'est deux de trop. J'ai prévenu, ils savent et n'ont rien fait pour m'avertir, s'excuser. Il faut être impitoyable là-dessus, et très indulgent sur le jugement qu'on porte sur la valeur philosophique des devoirs.

En vignette : l'annonce du Ciné Philo de demain. Pas mal d'élèves se sont déjà inscrits. Il reste des places gratuites. La feuille des inscriptions est disponible dans le foyer des lycéens, sur le panneau d'information.

samedi 6 mars 2010

Marx à l'IUTA.




J'ai animé mercredi après-midi un atelier-philo sur la pensée de Marx à l'IUTA de Laon. Pas facile d'aborder et d'expliquer en deux heures une oeuvre immense. Le Capital est la Bible du marxisme, mais d'une approche difficile. Le Manifeste du Parti communiste est en quelque sorte son Nouveau Testament, plus accessible. Marx et Engels l'ont d'ailleurs voulu ainsi. C'est tout de même l'ouvrage de philosophie qui a été le plus lu au monde ! Car c'est de la philo, malgré un titre qui fait plus penser à une brochure politique.

J'ai distribué à mes étudiantes (toutes des femmes, une vingtaine !) le plan, détaillé par mes soins, du Manifeste (vignette 1) et deux extraits de l'ouvrage (vignette 2). Celui à droite m'est particulièrement précieux : c'est l'une des rares pages chez Marx où son projet communiste est concrètement exposé.

vendredi 5 mars 2010

Ciné-Femmes.




Je célébrerai lundi la Journée internationale des femmes lors d'un Ciné Philo exceptionnel (voir vignettes). Les élèves peuvent me contacter encore lundi pour obtenir des places gratuites, dans un maximum de trente.

mercredi 3 mars 2010

Journée sans cours.




Officiellement, mon mardi est libre. En réalité, il est parfois plus chargé que certaines journées de cours. J'avais rendez-vous hier à Amiens avec mon inspecteur, au rectorat. C'est une sorte de bunker géant près de la gare, à l'intérieur duquel il est impossible de se retrouver tellement l'organisation des bureaux et couloirs est compliquée. S'il n'y avait la chaleur du personnel, ce serait la parfaite représentation d'une bureaucratie !

Pourquoi cette rencontre, dans un petit bureau avec cinq autres collègues ? Pour préparer le bac, aussi compliqué dans sa mise en place que l'infrastructure du rectorat. Mais notre tâche individuelle est des plus simples : choisir à l'issue des épreuves de philosophie les copies qui serviront de modèles pour les corrections et la définition de leurs critères. Mon établissement a donc le petit honneur, et moi la responsabilité, de sélectionner les devoirs, chez les candidats de la série L, qui seront ensuite diffusés auprès de tous les profs de philo de l'académie.

La réunion terminée, j'ai dû rejoindre au plus vite mon lycée pour la séance du conseil d'administration, à l'ordre du jour fort important puisqu'il s'agissait de la DHG, dotation horaire globale, c'est-à-dire le nombre d'heures que va nous attribuer le rectorat pour la prochaine année, ce qui va conditionner le nombre de classes et de postes. Tout ça a pris deux bonnes heures, si vous y ajoutez une série de conventions à faire adopter. Chaque CA se termine dans la bonne humeur, autour d'une table de délicieux toasts proposée par monsieur l'intendant.

mardi 2 mars 2010

Ma collègue est Rose-Croix !




On croit connaître les gens parce qu'on les côtoie depuis seize ans. Mais c'est faux, on ne connaît personne, surtout pas les collègues. C'était hier après-midi, je devisais tranquillement en salle des professeurs, pendant le court temps de la récréation, avec une collègue que j'aime bien, que je taquine souvent. On parle de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, parfois de sujets plus profonds. Bref une discussion banale entre collègues. Mais pas si banale que ça puisque j'apprends, très naturellement, qu'elle est Rose-Croix !

Vous ne savez peut-être pas de quoi il s'agit. Moi si, depuis longtemps, depuis enfant. Dans mon Berry natal, assez jeune, j'ai entendu parler des rosicruciens, adeptes de l'ordre des Rose-Croix, une sorte de secte, mais inoffensive, à laquelle adhéraient des commerçants en rupture avec le christianisme et en quête d'une spiritualité un peu plus pimentée. Car les Rose-Croix prétendent descendre des anciens Égyptiens, ils fricotent avec l'ésotérisme, l'occultisme, ils affirment révéler à l'homme ses vrais pouvoirs. Il y a une initiation et tout un fatras symbolique. Bref cela ne me plaît pas trop.

Ma collègue est libre d'être ce qu'elle voudra. N'empêche que les Rose-Croix, c'est très spécial, et le terme l'exprime bien. Je ne pense pas que ça puisse perturber son enseignement. Mais dans une école laïque, où la rationalité est le critère dominant, se réclamer d'une tradition rosicrucienne est quand même étonnant.


Vignette 1 : L'Aisne Nouvelle de lundi, le café philo de Bernot.
Vignette 2 : L'Union de lundi, l'atelier philo de Guise.