mercredi 28 octobre 2009

Salut Marie-Claude.


Marie-Claude Wachel est morte il y a quelques jours. Elle avait à peu près mon âge. Je suis allé cet après-midi à ce qu'on appelle la levée du corps, au funérarium. La dernière fois que j'ai vu Marie-Claude, c'était avant l'été, sur son lieu de travail, le Centre social de Guise. Un anniversaire avait été fêté je crois, tout le monde était un peu pompette, Marie-Claude riait, pleine de vie, comme à l'accoutumée. Nous avions plaisanté sur l'ivresse qui inspire des idées (elle préparait une expo et cherchait l'inspiration).

Cette ultime image renvoie à bien d'autres : Marie-Claude était active, dynamique, enthousiaste quand il s'agissait de monter un projet. C'est par la vie associative que je l'ai connue. On pouvait compter sur elle. Dans un monde où la passion n'est pas toujours présente, elle se distinguait et je l'avais remarquée.

Notre plus beau projet commun, mémorable, et le meilleur que j'ai pu mettre en place ces dernières années, c'est la célébration des 40 ans de Mai 68, où nous avions organisé quelque chose d'un peu fou : une manif à la fois parodique et commémorative dans les rues de Guise. C'est la photo qui me restera de Marie-Claude, avec sa pancarte "Nous sommes le pouvoir", et dans sa main gauche les textes que nous chantions tout au long du trajet, à la grande surprise de la population (au fond, vous reconnaissez le familistère Godin).

Marie-Claude et tout le Centre social avaient énormément travaillé pour assurer le succès de cette initiative. Le soir, quand tout s'est terminé, nous avons juré de faire encore mieux, plus grand, plus beau pour les 50 ans de l'événement, en 2 018. Quelqu'un a dit alors, je ne sais plus qui : "Si nous sommes encore là". Marie-Claude ne sera pas là, mais dans neuf ans maintenant, je ferais quelque chose, et je penserais à elle, si moi aussi je ne suis pas parti.

Le funérarium est un étrange endroit, où la mort, hors de tout contexte religieux, se cherche un style. L'entrée laisse écouter un écoulement d'eau qui rappelle l'ambiance zen japonaise. Les murs et l'ameublement ont quelque chose d'égyptien (c'est du moins ainsi que je le perçois), le plafond bleu nuit fait songer aux temples maçonniques. La chambre funéraire montre des fresques un peu mièvres, fades. C'est tout le paradoxe d'une atmosphère vaguement spiritualisée, qui ne relève d'aucune grande tradition, et qui du coup met mal à l'aise. On a un sentiment de bricolage, de fabriqué. Au moins, une église et sa cérémonie, même si on n'adhère pas, on sait à quoi s'attendre, il y a du sens.

Dans ce genre de situation, il est bon de penser (on n'a pas trop le choix !) à la mort, qu'on a tendance généralement à refouler. On vit, on meurt. D'un jour à l'autre, comme pour Marie-Claude, tout peut s'arrêter. On fait quoi avec ça ? L'oublier, s'en moquer, lui donner une signification ? Je ne sais pas. Je vais dire une banalité (mais la mort est affreusement banale) : il faut profiter de la vie, et songer à la mort pour relativiser nos drames personnels, qui sont souvent de tout petits drames.

Dans les programmes de philo, quand j'ai commencé à exercer, la mort était parmi les notions à étudier. Et puis elle a disparu il y a une dizaine d'années, je ne sais trop pourquoi. Craint-on que dans une société hypersensible la mort fasse un très mauvais effet, surtout sur nos jeunes ? Toujours est-il que c'est bien dommage. Qu'est-ce qu'une philosophie qui ne se penche pas sur le problème de la mort, même en Terminale ?

J'ai appris, en discutant à la fin de la "cérémonie", que le fils de Marie-Claude était à Henri-Martin, en Quatrième. Dans quatre ans, il sera peut-être mon élève. Tu peux être sûr, Marie-Claude, que je penserai alors à nouveau à toi.

Salut Marie-Claude.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Très touchant ce billet...
Un seul commentaire, celui qui me vient à chaque fois que j'apprends le décès d'une personne : carpe diem!

Emmanuel Mousset a dit…

C'est marrant (si on peut dire en pareille circonstance !) : quelqu'un m'a cité la même formule latine cet après-midi en sortant du funérarium !

Arthur Nouaillat a dit…

Billet très émouvant surtout quand on regarde la photo où on constate que cette Marie-Claude avait goût à la vie..
Sincères condoléances à toute sa famille, plus particulièrement à son fils pour qui cela doit être très dur..

Anonyme a dit…

C'est LA formule de ceux qui ont compris qu'il fallait profiter du moindre petit bonheur, et qui arrivent à relativiser leurs "petits" problèmes quotidiens, comme vous l'expliquez d'ailleurs dans votre billet, il me semble.

Anonyme a dit…

Avec un peu de chance,
ce sera votre tour la prochaine fois.

Aujourd'hui, on est là,
demain, on ne l'est plus.

La mort se rapproche de vous.

Emmanuel Mousset a dit…

Avec un peu de "malchance", vous voulez dire. Car chacun d'entre nous se passerait volontiers de cette "chance" là.

"La mort se rapproche de vous". De moi autant que de vous et de nous tous, hélas.

Vos deux lapsus rendent étrange votre commentaire, à la limite du malsain.

Anonyme a dit…

Mon frère et moi-même tenons à vous remercier sincèrement pour ce très bel hommage.

Vous avez su décrire notre maman avec beaucoup d'authenticité et cela nous touche énormément de savoir que malgré le temps qui passe elle reste encore dans le coeur et la mémoire de beaucoup.

Avec toute notre gratitude, Igor et Ophélie.