dimanche 2 mai 2010

Dimanche dernier.




Gunter Gorhan a suivi et noté attentivement les échanges lors du café philo que j'ai animé aux Phares, à Paris, dimanche dernier. Son regard m'est précieux, sa distance est utile (quand on est au coeur de l'animation, on entend mais on ne voit pas), d'autant que sa façon de faire n'est pas tout à fait la mienne (et c'est très bien comme ça). Je vous livre donc le compte-rendu qu'il a bien voulu me faire parvenir, que j'ai seulement amputé de la liste des sujets proposés, déjà présentée dans le précédent billet. J'ai également redécoupé les paragraphes, pour une meilleure lisibilité. Vous pouvez aussi consulter ce texte sur le site du café philo des Phares. L'intérêt, me semble-t-il, est de comparer ce que ma mémoire a retenu du débat et ce que Gunter a retranscrit. Merci à lui.


« Un point, c’est tout »

(Echos ou bribes, forcément subjectifs, de l’échange philosophique au café des Phares le 25 avril 2010)

C’est avec un très grand plaisir que nous avons accueilli, pour la troisième fois, Emmanuel Mousset, l’animateur de cafés philo (aussi dans une prison) dans l’Aisne et qui vient régulièrement nous rendre visite aux Phares accompagné de sa classe de philo ou de ses étudiants de l’université du temps libre de Laon. Il a récemment animé une « boulangerie philo » (dans une petite ville de son département) où les clients se sont laissés entraîner dans un échange de réflexions tout sauf prévu…Son projet : animer dans un hall de gare, propice selon E. Mousset, aux embarquements de toutes sortes, y compris symboliques, métaphysiques, conceptuels. Ceux qui en veulent savoir davantage, E. Mousset a un blog : il suffit de taper « prof story » sur google, par exemple.

Après les annonces habituelles des événements philosophiques à venir, les participants ont proposés les sujets. Notre animateur du jour avoue son embarras : « Tous les sujets mériteraient d’être traités, je choisis le plus difficile, celui à propos duquel j’ai le moins à dire ; ainsi je devrai compter sur vous, je ne serai largement qu’un facilitateur de paroles ».
Il choisit donc le sujet proposé par Nadia, la « mère du sujet » : « Un point c’est tout. »

Nadia, sollicitée par Emmanuel, en dit un peu plus : »Mon sujet recouvre en fait deux thématiques, à savoir celle de l’autorité, ou plutôt de l’autoritarisme : « C’est moi qui décide et on n’en parle plus. » L’autre thématique, incluse dans l’intitulé du sujet, a un rapport avec la totalité : « Le tout (n’) est (qu’) un point » (au sens de détail).
Nadia nous donne également l’étymologie : le point vient du latin « pungere » (piquer, faire souffrir, tourmenter) ayant la même racine indoeuropéenne, signifiant « frapper », que le latin « pugnus » (poing).

L’écoute (« lacanienne ») « Le poing, c’est tout » - tout est question de rapport de force – a été proposée, ainsi que « Le point sait tout », suivie d’un développement astucieux sur le point symbolisant l’intersection, le croisement, le carrefour - des trajets de vie, par exemple…
Les différentes locutions et expressions comme « mettre les points sur les i », « faire le point », « mettre au point », « point de droit » et « point de fait », « points de suspension », etc., ont été examinés, les échanges étaient tellement riches et variés qu’il serait fastidieux et ennuyeux de les rapporter tous…Il y avait beaucoup de demandes de parole – ce qui est toujours bon signe : la parole n’est pas monopolisée par quelques-uns - et un animateur qui savait se limiter à reformuler et à proposer une nouvelle piste lorsque l’échange menaçait de tourner en rond.

Certains, me semble-t-il, étaient décontenancés par la profusion des idées et la créativité spontanée que l’animateur se gardait bien d’enfermer dans une méthode a priori, dans une technique « moule à gaufres » (l’expression suggestive est d’Olivier Abel, élève et commentateur de Paul Ricœur). Le pointillisme (Seurat et Signac en peinture), pour être « compris » exige une certaine distance, celle qui permet de repérer les formes sous-jacentes à une nuée de points disséminés dans un désordre apparent ; n’est-ce pas l’une des définitions de la philosophie possible : Prendre de la hauteur sans perdre pied ?

Je retiens de l’échange pointu (sous apparence pointilliste) du dimanche dernier quelques questions :
Est-ce le point (au sens de détail) ou le tout qui compte ? Autrement dit : Dieu (ou le diable) gît-il dans le détail ou dans le tout (la totalité) ? Deux réponses données en histoire de la philosophie : « Le vrai est le tout » (Hegel) et « Le tout est le non-vrai » (Adorno).
Pour passer à l’acte, n’est-il pas nécessaire, à un moment donné, de se « jeter à l’eau », d’arrêter dialogues (avec autrui ou avec soi-même) et réflexions ; le Concept n’est-il pas toujours en retard sur la Vie, ou exprimé avec K. Marx : « La conscience, n’est-elle pas forcément en retard sur la conscience ? »

N’y a-t-il pas aussi un point d’arrêt nécessaire dans la régression de la recherche des causes (pas de « regressio ad infinitum » !), d’où le fameux « il faut s’arrêter » (« ananké stenai » en grec, si je me souviens bien) d’Aristote. Finalement, le point ou plus largement la ponctuation ne sont-ils pas nécessaires pour rythmer (« grammatiser » en langage derridien) le flux ininterrompu de la Vie ?

Merci, en tout cas à Emmanuel Mousset, pour son animation bienveillante, intelligente et laissant la première place aux participants « philosophants ».

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