mercredi 28 avril 2010

Un point c'est tout.


Je reviens comme promis sur le café philo des Phares de dimanche. Parmi une bonne dizaine de sujets, je suis allé à la difficulté en choisissant "Un point c'est tout". Car il faut en parler pendant deux heures, sans préparation ! Pas évident ... Je vous livre ce que j'ai pu en retenir :

Un point c'est tout termine un débat, stoppe une pensée, interrompt une situation, impose, ordonne. La formule est impérative, autoritaire, peut-être même fascisante ! Le point en question est final, brutal. Au nom de quoi nous prive-t-il de la suite, quelle qu'elle soit ? Un point c'est tout n'est jamais souriant, son ton est toujours cassant, désagréable. Notre liberté se sent bafouée. Ce point est en réalité un poing qui nous frappe.

Mais n'a-t-il pas, après tout, sa légitimité ? Quand un débat s'éternise, quand la pensée se perd dans des méandres, quand une situation tourne à la confusion, un point c'est tout met un terme au désordre et rassure son monde. Il est un acte de courage, une ferme décision qui rétablit un peu de cohérence. Il n'est autoritaire que face à l'anarchie, parce qu'il y a anarchie. Dans la normalité ou l'harmonie, un point c'est tout ne se justifie pas.

N'est-il pas aussi l'affirmation de la morale ? Ne pas mentir, ne pas tuer, ne pas voler, respecter autrui, secourir le faible, ça ne s'explique pas, ça peut même être critiqués, rejetés. Un point c'est tout instaure le bon sens moral. Sa certitude est quasi kantienne, son assurance écarte toute forme oiseuse et dangereuse de contestation. Quand l'enfant questionne stupidement le parent, quand l'élève remet en cause les propos de l'enseignant, un point c'est tout remet les choses en place et les idées à l'endroit. Sans son intervention, le mal finirait par l'emporter sur le bien.

Un point c'est tout peut être interprété mathématiquement. Le point est une figure centrale de la géométrie euclidienne. Mais ce point est-il vraiment le tout ? Non, il en est la plus infinitésimale composante. Un point, loin d'être tout, est plutôt rien puisqu'il n'a pas de surface. C'est la plus abstraite des catégories. Le point est insaisissable mais en même temps fondamental puisque fondateur de toutes les autres figures de la géométrie.

En astrophysique, en revanche, un point c'est vraiment tout, puisque l'univers est conçu comme un concentré ponctuel d'énergie et de matière d'où a surgi la totalité, le monde. Mais ce point ne conclut rien : au contraire, il est une origine. Tout devient possible à partir de lui. Le point est alors le germe, la graine qui engendrent tout.

En matière d'art, le point de vue, le point de fuite, la perspective permettent d'organiser le tout, de faire apparaître un monde. Chez Nietzsche, tout est question de point de vue, de regard posé sur la vie. On retrouve ici le point comme départ et ordonnancement de la totalité. Archimède, de son côté, cherchait un point fixe, un point d'appui à partir duquel il pourrait faire basculer le monde.

Dans le langage et sa ponctuation, le point est le seul signe qui soit indispensable si l'on veut que l'écriture ait un sens. On ne peut pas se passer de ponctuer, sinon la phrase n'existe pas, se transforme et se déforme en logorrhée. Le paradoxe, c'est que le point termine autant qu'il commence. Il achève un avant et annonce un après. Tous les points ne sont pas finaux (sans jeu de mots !). La philosophie, quant à elle, privilégie le point d'interrogation, qui lance la réflexion, et les points de suspension, qui laissent à chacun le soin de compléter et de méditer. Elle se méfie néanmoins des points d'exclamation, trop vifs, trop déclamatoires, qui ne prennent pas assez le temps de penser.

En langage jeune inspiré de l'informatique, il y a l'actuel et insupportable point barre, qui non seulement nous impose un point mais le redouble par une barre ! Mais ne faut-il pas y voir l'impatience de la jeunesse, qui ne veut pas trop se casser la tête (se prendre la tête, dit-elle) et qui a peut-être raison ? Le point barre est une façon de tourner la page, de passer à autre chose.

N'est-ce pas, au bout du compte, le réel qui s'impose à nous dans le un point c'est tout ? C'est comme ça et pas autrement, dirait-on également. La nécessité est rappelée, aucune contingence n'est concevable. Un point c'est tout est le socle du monde et de l'existence. On ne peut certes pas le généraliser, tout le monde, n'importe quand, n'est pas autorisé à le prononcer mais son énonciation est à certains moments inévitable. Un point c'est tout.

Aucun commentaire: