mercredi 30 septembre 2009

Evaluer en philo.




J'ai reçu aujourd'hui cette invitation de l'ACIREPH, une association de profs de philo dont je suis membre. Le sujet du colloque est primordial : L'évaluation en philosophie, quels problèmes ? Et des problèmes, il y en a pas mal. J'en sais quelque chose, moi qui suis revenu ce matin avec deux bons paquets de copies à corriger. C'est ainsi qu'on comprend que l'année scolaire est bien engagée !

mardi 29 septembre 2009

Billets de reprise des cours.


Il y a quelques temps, je vous ai présenté les billets d'absence que remplissent les enseignants lors de l'appel. Mais il y a aussi d'autres types de billets, complétés cette fois par les services de la Vie Scolaire, que tout élève doit le cas échéant montrer à son professeur pour pouvoir être admis en classe. L'obligation scolaire est assortie dans certaines circonstances d'une autorisation d'entrée. Une salle de classe n'est pas un moulin où entre qui veut quand il veut.

Le premier billet (en vignette) est rose saumon. Un élève en retard doit le montrer pour participer au cours. Comment définir le retard ? C'est quand on n'arrive pas à l'heure, me direz-vous. C'est plus compliqué que ça. Qu'est-ce qui définit les horaires dans un lycée ? Non pas la montre ou la pendule comme partout ailleurs mais la sonnerie qui indique le début et la fin de la séance. Sauf qu'au moment précis de son retentissement, les élèves ne sont pas sur leur chaise devant leur table mais en train de s'acheminer vers leur salle, dans le hall d'entrée, l'escalier ou le couloir.

De plus, s'il y a embouteillage (ce qui est fréquent), un cours ne commence jamais exactement à la seconde où se termine la sonnerie. Que faire alors ? Ma règle est simple, et mes élèves la connaissent : tant que la porte est ouverte, ils peuvent entrer. Généralement, je laisse l'entrée béante pendant l'appel, offrant une dernière chance aux retardataires. Mais une fois fermée, l'élève doit aller faire remplir le fameux billet saumoné, et ne même pas songer à frapper si la porte est définitivement close.

Il y a quelques jours, j'ai été un peu vache, et j'ai regretté. Deux élèves de 1ère L1, en ECJS, m'attendaient devant la salle de classe alors que nous étions au CDI. J'avais certes prévenu il y a quinze jours de cela, mais j'aurais pu franchement être un peu plus cool. Je les ai renvoyés à la Vie Scolaire pour qu'ils me présentent un billet de retard. C'était excessif, je n'aurais pas dû. J'espère qu'ils ne m'en voudront pas jusqu'à la fin de l'année !

Le deuxième billet concerne les absences. C'est plus facile, plus classique, moins sujet à litiges : un élève n'est pas là, c'est la Vie Scolaire qui est juge des raisons qu'il avance et qui décide de sa réintégration en cours. Le prof prend acte en visant le billet jaune, c'est tout. Le troisième billet, orange, concerne les départs à l'infirmerie. Il suffit qu'un élève lève la main et dise qu'il n'est pas bien pour que l'enseignant l'autorise à rejoindre l'infirmerie (nous ne sommes pas là pour juger de la véracité des dires de l'élève). Simplement, l'élève doit être accompagné par un de ses camarades, généralement le délégué de classe (mais à l'heure qu'il est, nous n'avons pas encore procédé à leur élection). Il n'y a pas de problème pour trouver un volontaire. C'est le seul sacrifice qu'un lycéen accepte avec plaisir. Au retour dans la classe, l'élève doit montrer son billet.

Comme vous le constatez, le système est assez bien fait. Il dissuade les tentations, il limite les abus, il interdit tout laxisme. Il n'est sûrement pas parfait, mais il n'est pas mal. Ces trois types de billets sont à détacher dans le carnet de correspondance. Nous savons donc très précisément où en est chaque élève en matière d'absence, de retard et de passage à l'infirmerie. C'est quand même bien fichu, l'Education Nationale !

En haut de la vignette, j'ai fait figurer la carte du lycéen, comme en juillet j'avais exposé la carte de l'enseignant.

lundi 28 septembre 2009

Difficile ...




Ci-dessus le dernier numéro du bulletin d'information du lycée, qui fait honneur au café philo et au ciné philo.

Ce dimanche, j'ai corrigé mes premières dissertations de l'année scolaire, avec ce constat à chaque fois stupéfiant : malgré mes indications fort précises concernant la présentation des devoirs, certains élèves passent outre. Alors qu'ils savent que je vais les pénaliser là-dessus. Il faudra qu'on m'explique un jour la nature humaine ...

Difficile aussi d'expliquer à certains élèves que mes conseils pour la dissertation ne sont pas des consignes à appliquer au pied de la lettre. Ils aimeraient tellement, et je les comprends ! Mais dans l'adaptation d'une règle, il n'y a rien de systématique, d'automatique ; l'intelligence, le discernement sont requis. Une méthode de philo, ce n'est pas une recette de cuisine. Et même celle-ci exige de l'art, du doigté, de la décision dans sa réalisation. Dans la gastronomie comme dans la philosophie, on ne peut pas faire l'économie de la réflexion.

dimanche 27 septembre 2009

La philo vaincra !




Hier soir, en entrant dans le Havana Café, l'établissement où se tient à Soissons notre café philo, j'étais quelque peu désespéré. Mais c'est souvent mon état psychologique avant une manifestation que j'organise ou que j'anime. La salle était vide, plongée à moitié dans la pénombre, je n'étais même pas certain d'avoir l'indispensable matériel de sonorisation. J'avais rendez-vous avec une journaliste pour lui présenter le programme de l'année et notre association. Mais je suis tombé sur un lapin ! Pour couronner le tout, il faisait un temps magnifique qui incitait plus à la promenade qu'à la philosophie, et Soissons était en fête. Bref, de quoi être désespéré ...

Et puis, la salle s'est remplie petit à petit, jusqu'à une vingtaine de participants (ce qui est un très bon chiffre pour ce café philo). Colette, la responsable de l'activité philo sur Soissons, est arrivée avec un carton contenant devinez quoi ? Une toute nouvelle sono ! Jean-Louis a fait les réglages et miracle, ça fonctionnait ! Il y a de quoi se réjouir quand on sait que les micros qui ne marchent pas et les enceintes qui crachouillent sont une énigmatique spécialité française. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes philosophiques et ma désespérance passagère a fondu comme neige au soleil. Enfin pas tout à fait car rien n'est parfait : je n'ai pas digéré le lapin, la journaliste n'est pas venue.

L'animation s'est fort bien passée, du moins si j'en crois les leçons du debriefing auquel je me soumets après chacune de mes manifestations, dans la voiture sur le trajet du retour. Interventions nombreuses, variées, de qualité et dans la bonne humeur : c'est ce qui fait la réussite d'un café philo. Ah j'ai oublié de vous donner le sujet. C'était le même qu'à Saint-Quentin la semaine dernière (nos thèmes sont quasiment identiques) : L'écologie, est-ce bien sérieux ?

Dans l'assistance, j'ai eu le plaisir de retrouver Elodie, qui s'occupe du café philo de Tergnier, dont je vous ai déjà parlé, qui viendra à Saint-Quentin pour animer la séance de novembre, et peut-être aussi à Soissons ultérieurement. Il est bon que notre public s'habitue à des styles, des visages et des personnages différents. Ces dix dernières années, j'ai sans doute eu le tort de trop focaliser le café philo de Saint-Quentin sur ma personne. Il est temps de préparer la relève !

En vignettes, le programme des activités philo à Tergnier : café philo, conférence débat et atelier d'étude de texte philosophique. Dans l'Aisne, c'est sûr la philo vaincra !

samedi 26 septembre 2009

Un cowboy au lycée.


Vous vous souvenez peut-être de mon billet sur la pré-rentrée, le 1er septembre. J'avais noté, dans l'intervention du proviseur, cette anecdote amusante : la venue d'un jeune américain de Kansas City dans notre lycée, logé chez l'habitant, sous réserve qu'il n'y ait ni chat, ni tabac ! (deux raisons qui m'interdisent par exemple de le recevoir). Nous avons reçu l'appel, à diffuser aux parents d'élèves (en vignette).

Kansas City, on imagine tout de suite un cowboy. C'est idiot mais c'est comme ça ! J'espère que ce jeune homme viendra à mon café philo. C'est aussi ça la french touch. Trêve de plaisanterie, cette ouverture du lycée au monde est une excellente démarche. Nous recevons régulièrement des assistantes de langues vivantes, nous hébergeons des chinois. Pour les élèves qui ne peuvent pas aller à l'étranger, c'est l'étranger qui vient à eux, même si l'immersion linguistique n'est pas totale.

Je me prends à imaginer qu'on pourrait aussi accueillir des philosophes qui viendraient s'entretenir avec les élèves dans les classes. Après tout, la philosophie n'est-elle pas, à bien des égards, une langue étrangère, dotée d'un vocabulaire incompréhensible à celui qui ne l'a pas appris ? On ferait venir un docteur de la Sorbonne, qui paraîtrait aux élèves aussi étrange qu'un cowboy du Missouri (et même sans doute plus). Chez l'habitant, je suis sûr que le chat et le tabac ne le dérangeraient pas. Notre philosophe aura besoin de nicotine pour activer ses neurones et d'un chat pour méditer sur l'existence des créatures de ce monde. Une idée à creuser.

vendredi 25 septembre 2009

L'exclusion de cours.


Je crois n'avoir jamais exclu un seul élève de mes cours durant mes 16 ans de carrière. Pourtant, les occasions se sont présentées, surtout les premières années. Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? D'abord parce que ça ne sert pas à grand-chose. L'élève s'en va, mais il revient, et tout recommence. Ensuite parce que l'élève turbulent ne demande parfois pas mieux que de quitter la classe. Pourquoi lui donnerais-je ce plaisir ? Enfin et surtout parce qu'il vaut mieux qu'un problème, quel qu'il soit (sauf gravissime), soit réglé au sein de la classe, entre le prof et les élèves.

Et puis, je ne veux pas sembler reporter une difficulté sur la Vie Scolaire, qui a d'autres chats à fouetter, si j'ose dire. C'est mon boulot de faire moi-même la police dans ma classe. Ceci dit, je comprends parfaitement les collègues qui procèdent à des exclusions (surtout au collège) : c'est souvent le seul moyen de ramener la paix dans une classe que d'en extraire l'élément facteur de trouble.

Cette semaine, j'ai reçu dans mon casier le formulaire qui permet d'exclure un élève de cours (en vignette). On croit souvent que cette décision est arbitraire, selon le bon vouloir de l'enseignant, pour ne pas dire à la tête du client. C'est faux. La procédure est réglementée par une très sérieuse circulaire nationale. Car exclure est en soi contraire à l'obligation scolaire. C'est pourquoi quatre conditions sont requises :

- La gravité : il faut constater un manquement grave qui empêche le fonctionnement normal du cours. Un élève ne peut pas être exclu parce qu'il a oublié de faire son travail ou qu'il est en retard.

- L'exception : l'exclusion doit être ponctuelle, ni reconduite, ni régulière, ni répétitive.

- L'accompagnement : l'élève exclu doit être astreint à un travail donné par le professeur.

- L'information : l'exclusion donne lieu à une note écrite et motivée au CPE et au chef d'établissement.

jeudi 24 septembre 2009

Le sexe en classe.

Faut-il parler de sexe en classe ? Question délicate. Dans certaines matières, elle ne se pose pas, en maths, physique ou langues. En philosophie, je n'y coupe pas. En ce moment, nous traitons du désir. J'aborde la question : l'amour est-il un sentiment égoïste ? Impossible de ne pas évoquer le lien avec la sexualité, l'égoïsme du plaisir physique (même quand on est deux !).

C'est cependant délicat. Le prof peut être mal compris, les élèves peuvent mal interpréter. Mes propos, retirés de leur contexte, deviennent des notes dans les cahiers dont la lecture peut parfois surprendre les parents. Le sérieux se transforme alors rapidement en graveleux, du moins dans la perception qu'on en a. Certains collègues préfèrent carrément s'autocensurer, pour ne pas risquer d'être embêtés.

C'est un tort. Il faut parler de sexe en classe, ne rien craindre des retombées. En Terminale, nos élèves ont en moyenne 17 ans. C'est jeune mais la maturité est là, plus grande qu'on ne croit (la tarte à la crème de "l'immaturité des jeunes d'aujourd'hui" m'énerve). Les adultes feraient mieux de se taire sur ce point, car parfois mal placés pour donner des leçons. Et faire confiance aux élèves (je ne parle bien sûr que des lycéens en fin de scolarité).

J'aborde le sujet sans modifier le style qui est le mien, mélange de rigueur et d'amusement. La philosophie est aussi une entreprise de désacralisation. Et dans le monde moderne, c'est le sexe qu'il faut désacraliser ! Les élèves, qu'on croit libérés sur ce point (à l'image de notre société) sont plus puritains (ou plus pudiques) qu'on ne croit. Dans une réflexion sur l'amour, certaines dissertations évacuent complètement la sexualité, ce qui est un peu fort de café. C'est au prof de montrer que la philo n'a aucun tabou, qu'elle peut tout penser, même le sexe. Et puis, quand j'en viens à Freud et à la psychanalyse, comment faire autrement ?

mercredi 23 septembre 2009

L'échec scolaire.


C'est aujourd'hui, dans l'Education Nationale, la Journée du refus de l'échec scolaire. C'est la deuxième du genre, c'est donc une initiative très récente, comme l'est la notion d'échec scolaire. Il y a quelques décennies, on n'en parlait pas, l'expression n'existait même pas. L'illustration (en vignette) est marrante mais ambiguë : un élève en parachutiste, qui perd les livres de son cartable. Curieuse façon de symboliser un échec, même scolaire. Que veut-elle signifier ? Je ne peux pas croire que l'école soit un avion qui largue ses voyageurs ! Ni que la réussite scolaire soit assimilable à la descente en parachute et son atterrissage en douceur ...

Échec scolaire, la notion est tout d'abord discutable. Aller à l'école, faire des exercices, passer des examens, n'est-ce pas par définition prendre le risque de l'échec. Mieux que ça : se soumettre à de nombreuses et régulières épreuves tout au long de sa scolarité, n'est-ce pas être condamné à certains moments à échouer ? Quelqu'un qui réussit en permanence, c'est impossible. Allons plus loin : l'échec est profitable, c'est ainsi qu'on progresse. Quelqu'un qui ne raterait rien n'avancerait pas. Il y a une vertu pédagogique de l'erreur.

Corriger ou surmonter l'échec scolaire, oui, c'est le mouvement naturel de tout apprentissage. Mais son "refus" me semble être une position radicale, presque insensée (car l'échec est humain). C'est un rêve de perfection, l'aspiration à une école idéale qui n'existe pas et ne peut pas exister. Le slogan laisse entendre, a contrario, qu'il y aurait un droit à la réussite. Pire que ça : une obligation de réussir. Voilà un commandement bien pesant, et même anxiogène pour des élèves, qui sont sommés de ne pas rater leur scolarité, qui ne pourront, les pauvres, ne s'en prendre qu'à eux-mêmes s'ils échouent.

Journée du refus de l'échec scolaire, ça me fait penser à Journée du refus de la misère. Ça n'a pourtant rien à voir : la misère est un drame insupportable, une situation inhumaine. L'échec scolaire n'atteint pas une telle intensité. Mais peut-être est-il vécu comme tel, dans notre société qui investit beaucoup, financièrement et moralement, dans son système éducatif.

Malgré mes réserves, mes doutes et mes critiques, je crois que cette Journée peut avoir du bon (c'est une excellente méthode que celle qui recherche en chaque chose son côté positif) : elle incite l'Education Nationale à s'interroger sur elle-même, ses failles, ses défauts, ses limites. Car une forte minorité d'élèves en sort sans diplômes et mal préparée à affronter la vie professionnelle.

Quand certains élèves ne sont pas faits pour l'école (comme on disait autrefois, comme disent encore certains aujourd'hui), il faudrait se demander si ce n'est pas plutôt l'école qui n'est pas faite pour eux. Le système rejette certains faute de reconnaître, de valoriser et d'exploiter leurs capacités. De ce point de vue, l'école doit continuellement se réformer. Car la Journée du refus de l'échec scolaire stigmatise peut-être autant celui de l'école que celui ses écoliers.

mardi 22 septembre 2009

La Lune des philosophes.


C'était hier la rentrée du ciné philo (après celle la semaine dernière du café philo). Du beau monde m'attendait dans le hall du Multiplexe, comme l'atteste la photo : à mes côtés la directrice du cinéma, puis dans l'ordre le maire-adjoint à la culture (par ailleurs prof d'économie dans mon établissement), le président de Saint-Quentin Astronomie (par ailleurs prof de physique dans mon établissement), enfin le vice-président de l'association (prof dans un autre lycée de la ville). Ces enseignants, ils sont partout !

Cette photo, où nous sommes relativement guillerets, c'était avant "l'incident". Car incident il y a eu, le premier du genre en trois ans de ciné philo : le film démarre, c'est la version anglaise, et pas de sous-titrage. Catastrophe et panique ! Enfin non, je ne panique, je vais voir le projectionniste. Explication : le lecteur n'arrive pas à déchiffrer les sous-titres du disque dur. Comment faire ? Passer quand même la version originale ? Rembourser tout le monde ? Débattre malgré tout sans voir le film ? Toutes ces "solutions" sont embêtantes ...

J'en vois une dernière : aller chercher chez moi le dvd que par bonheur j'ai acheté pour préparer la séance, on installe un lecteur spécial et on recommence tout depuis le début. Ni une ni deux, je prends ma bagnole et je file at home prendre le précieux chargement. Retour, puis causerie avec les spectateurs pour les rassurer. Mais ils auront perdu une heure !

Avec tout ça, je ne vous ai pas parlé du film et du débat : In the shadow of the Moon, de David Sington, sur la conquête spatiale et ses implications philosophiques. Les philosophes sont dans la Lune, c'est bien connu ! Et notre "incident" aura été finalement une bonne introduction à notre sujet : à quoi bon aller sur d'autres planètes si nous ne sommes pas capables de faire marcher un lecteur de disque dur ?

lundi 21 septembre 2009

Rêves de prof.


Est-ce qu'un prof rêve (quand il dort) ? Oui bien sûr. Les chats rêvent. Pourquoi pas les profs ? Mais de quoi rêvent-ils ? Je veux dire : existe-t-il des rêves de prof ? Je suis sûr que les chats font des rêves de chat. Pourquoi pas les profs ?

Si je pose la question, c'est que j'ai, comme tout bon prof, la réponse. Oui, un prof peut rêver à son lycée, à ses classes, à son enseignement. En ce qui me concerne, ça m'arrive plutôt rarement. Mais ça m'arrive. Pour tout vous dire, ça m'est arrivé ce week-end, et deux nuits de suite. Ce qui est assez surprenant pour que je vous en parle.

Le premier de ces rêves, samedi, n'est pas nouveau, je l'ai déjà fait, il me vient de temps en temps. Est-ce bien un rêve ? C'est plus proche du cauchemar. Disons que c'est un rêve pénible, désagréable, un peu angoissant. Je suis face à une classe (dont je ne connais pas les élèves) qui m'échappe, qui me glisse entre les doigts, que je ne parviens pas à maîtriser. Ces élèves se lèvent, parlent, m'ignorent, n'en font qu'à leur tête, se moquent gentiment de moi. Bref l'horreur. J'ai beau faire des efforts, rien ne va, rien ne marche. Un sentiment d'impuissance absolue m'envahit, me paralyse peu à peu. Un songe terrible, qui heureusement n'est pas prémonitoire. Car tout y est totalement étranger à la réalité telle que je la vis. Au réveil, je suis rassuré.

Le second rêve, dimanche, est complètement différent, beaucoup plus agréable mais beaucoup plus mystérieux. Je croise mon prof de philo d'il y a trente ans, quand j'étais lycéen, et qui s'appelait Joseph Commets. Il n'a pas changé, il est resté le même, n'a pas vieilli. Premier mystère. Il me parle sans être étonné de me rencontrer là. Deuxième mystère. Il exerce dans ma ville, à Saint-Quentin, près de la gare (sauf qu'il n'y a pas de lycée par là). Troisième mystère. Dernier mystère : qu'est-ce que tout ça veut dire ?

En vignette, les billets d'appel pour inscrire les absents, l'un qu'on remplit à 8h00 et 14h00 puis qu'on glisse dans une pochette plastique sur la porte de la classe (un surveillant vient le ramasser très vite), l'autre qu'on remplit au début de chaque cours et qu'on remet dans le casier des absences dans la salle des profs. En cas de litige, ces documents feront foi. Voilà pourquoi il faut soigneusement les informer.

dimanche 20 septembre 2009

6h30 du matin.


Ce matin, levé à 6h30, j'ai pris une feuille pour prendre quelques notes en vue d'un prochain cours. C'est la meilleure heure, celle de la rosée, du jour qui se lève. Il fait frais, on se sent bien, très reposé. Préparer un cours en soirée, pire la veille, c'est mauvais. Deux heures de travail pour commencer la journée, c'est pas mal. Récompense à 8h30 : le petit déjeuner !

Quand j'ai commencé dans le métier, j'organisais l'année pendant les grandes vacances, je composais mon enseignement à ce moment-là. Ce n'était pas une bonne idée : ce qu'on a fait en juillet, on l'oublie, on le maîtrise moins bien quand on le reprend en février. C'est comme un plat, le fumet s'est alors dissipé. J'avais en ces débuts la mauvaise excuse des élèves qui font le travail d'un coup pour en être débarrassés, et longtemps à l'avance pour se rassurer, ne plus craindre l'angoisse du dernier moment.

Aujourd'hui, je construis l'année scolaire au fur et à mesure, au fil de ses jours. Deux trois jours avant, c'est raisonnable, c'est suffisant. On garde en tête ce qu'on doit dire quand on doit le dire. Sinon la vie s'en va, c'est de la répétition, ou plus grave de la récitation. Le savoir supporte peut-être la distance, la durée, comme ces livres qui traversent les siècles. Pas la pensée, qui n'admet pas le réchauffé, encore moins le congelé. Un cours sous cellophane, beurk !

Je m'y prends comment, de bon matin ? Je pars d'une question (ce matin : l'amour est-il un sentiment égoïste ?), je jette sur le papier tout ce qui me passe par la tête, comme si je commençais au brouillon une dissertation (c'est en réalité ce que je fais). Les idées fusent, des exemples s'imposent, quelques références m'inspirent, un plan s'ébauche, une problématique s'installe, une conclusion est pressentie. Voilà le premier temps de préparation d'un cours. Je travaille la pâte, je la pétris.

Après, il faut laisser reposer un jour ou deux, avant de reprendre. Là, on met au four, il faut que la pâte lève. J'ordonne rigoureusement les idées, je fignole l'introduction et la conclusion, je développe chaque partie et je laisse cuire le tout dans ma tête. Si le soufflé ne retombe pas, si le met n'est pas brûlé, je sers bien chaud le lendemain ou le surlendemain à mes élèves. Je goûte un peu avant de distribuer mes pensées, généralement c'est bon, le cours peut débuter.

En vignette, un tract syndical reçu cette semaine dans mon casier. En bas, vous notez l'autorisation du chef d'établissement et le texte réglementaire qui permet dans un lycée ce type de réunion. On ne peut pas faire n'importe quoi !

samedi 19 septembre 2009

Formules et sketchs.


Pour rendre vivant un cours, il faut aussi peu faire cours que possible. Sous ce paradoxe, je veux dire qu'un exposé fastidieux qui porterait le nom de "cours" n'aurait aucune chance de fonctionner auprès des élèves. Pourtant, tout enseignement, parce qu'il oblige l'élève à travailler, a un côté laborieux. Mais ce n'est pas une raison pour charger la bête. C'est pourquoi j'essaie d'agrémenter mon cours de quelques bons mots et sketchs, qui n'ont d'autre objectif que de maintenir l'élève en éveil et provoquer sa pensée. J'ai trois exemples récents à vous donner :

a- "C'est un mort qui vous parle", voilà la formule que j'ai employée il y a quelques jours pour secouer la classe. Des regards consternés se sont allumés ! Je ne sais plus très bien de quoi nous parlions, raison peut-être pour laquelle il fallait passer à autre chose (faire cours, c'est savoir parfois faire court). J'ai donc lancé cette énigme, immédiatement décryptée devant eux : trente ans nous séparent. Quand ils auront mon âge, je serai un vieillard (si tout s'est bien passé !). Quand ils seront des vieillards, je ne serai plus de ce monde. Voilà l'explication.

J'ai devant moi des êtres humains qui pour la plupart seront encore vivants quand je serai mort. Par extension, quand nous observons notre environnement, tout sera encore là quand nous ne serons plus là. Nous sommes en quelque sorte des mortels au milieu de l'éternité. Je ne sais pas si ça les fait réfléchir, sûrement les inquiète un peu, et aussi les fait rêver.

b- Le philatéliste : c'est un sketch de ma composition pour illustrer le thème du désir, pour montrer sa puissance au coeur même de l'activité la plus ordinaire, la plus anodine et la moins passionnante : collectionner des timbres ! Le philatéliste est en effet l'être le plus pacifique au monde. On image même un garçon frustré, perdu dans ses albums, une grosse loupe dans une main pour compter les dents de ses précieux petits bouts de papiers postaux, une petite pince dans l'autre main pour les prendre sans les toucher, passant ses gris dimanches après-midi à ranger, trier, classer, c'est à dire l'occupation la plus chiante qui puisse exister sur terre.

Mais voilà, le désir peut tout, transforme tout, déplace les montagnes et les albums de timbres, transfigure un individu, l'enflamme, l'élève, le grandit. Un passe-temps stupide devient alors une passion violente, unique, obsessionnelle. Un sketch ne se raconte pas mais se joue. En l'espace de quelques minutes, j'incarne ce terne philatéliste qui se métamorphose, par la magie du désir, en amoureux fou de son activité, complètement timbré !

c- La bourgeoise et le loubard : toujours pour illustrer le désir, sa puissance et son irrationalité, mais cette fois dans le rapport amoureux, j'improvise un couple improbable mais pas impossible, pour défendre la thèse que le désir est l'attirance des contraires (alors que l'amitié est l'attraction des semblables). Elle, serre-tête, nattes, chemisier fermé à ras du cou, jupe écossaise plissée, socquettes blanches : c'est la parfaite catho bourgeoise coincée. Lui, mal rasé, cheveux gras, décolleté poilu, blouson noir : c'est le parfait loubard de banlieue dévergondé. Et pourtant ils s'aiment, la belle et la bête ! C'est mon numéro, généralement très apprécié, pour introduire une réflexion nécessairement plus nuancée sur le désir et ses ressorts.

En vignette, mon calendrier pédagogique. Vous noterez tout particulièrement les conseils de classe, la réunion parents-profs et les bacs blancs. Et vous remarquerez bien sûr que mon établissement regroupe un collège et un lycée.

vendredi 18 septembre 2009

La vie ou la mort.




Enseigner, c'est une question de vie ou de mort. Qu'est-ce que je veux dire ? Qu'un prof doit rendre vivant ce qu'il fait, sinon c'est fichu, il est mort. Ce matin, avec mes Littéraires, j'ai eu une digression sur ce sujet (ce qu'on dit en marge d'un cours est parfois aussi important que le cours) : noter mes propos c'est bien, mais il faut lire et relire ces notes, régulièrement, presque quotidiennement, se les approprier, les incorporer si j'ose dire mentalement, les faire siennes, et surtout les rendre vivantes, c'est à dire fécondes. Les pensées du prof notées par les élèves n'ont de sens, d'utilité que si elles nourrissent leurs réflexions. Mes paroles ne doivent pas rester, dans les classeurs et cahiers, lettres mortes.

De même, un prof doit veiller à rendre vivant son enseignement, ne pas le fixer dans la routine, la répétition, qui sont des formes de mort elles aussi. Le mot même de "cours" me gêne, je ne l'aime pas trop, il renvoie à des exposés figés, à des conférences passives, à quelque chose d'immobile qui est le contraire de la vie. Un "cours" de philo doit être aussi un spectacle, un show, mais sérieux, instructif. J'aime bien en revanche le terme d' "exercice". Le "cours" doit être créatif, et les élèves doivent le ressentir.

L'idéal, ce serait une co-création, la pensée du prof mobilisant et suscitant celle des élèves. On n'y parvient pas toujours, on peut s'en rapprocher. Cette année, j'ai décidé de refaire complètement mes cours, de laisser tomber ceux de l'an dernier. Mais si le contenu diffère, la forme demeure identique, celle de la réflexion philosophique. La création n'est pas une table rase, un départ à zéro. Je retiens plutôt l'idée de fécondation. La vie contre la mort, on y revient.

En vignettes, la photo de rentrée du café philo (ce sont des internes de mon lycée que j'ai accompagnées) et ses questions d'introduction.

jeudi 17 septembre 2009

Une question légitime.



Elle est venue me voir à mon bureau à la fin du cours. Elle avait une béquille et un pied dans le plâtre. C'est marrant, si j'ose dire : chaque année, dans chaque classe, c'est inévitable, quelques élèves, à un moment ou à un autre de l'année, se tordent ou se cassent une jambe ou un bras. On les voit arriver très handicapés, souvent aidés par un camarade, ce qui les fait remarquer de toute la classe. Je les appelle affectueusement "mes petits canards boiteux" (quand c'est la jambe) ou "mes oisillons blessés" (quand c'est le bras). En vérité, je ne le leur dis rien, je le pense tout bas dans ma tête.

Donc, ce matin, un petit canard boiteux s'adresse à moi, et si je vous dis tout ça, c'est que sa détresse est renforcée par sa situation physique. Elle me pose une question angoissée : comment faites-vous pour noter une dissertation de philosophie ? Elle s'interroge parce qu'elle a, comme toute cette classe de Littéraires, un premier devoir à me rendre le 24 septembre. Son doute est d'une sincérité absolue, qu'elle porte sur son visage inquiet.

Depuis la rentrée, je leur explique, dans les détails, comment faire une dissert de philo, et je leur ai dicté des modèles d'introduction, de conclusion et de partie argumentée. Je leur expose en ce moment un développement avec parties et sous-parties. Ils sentent bien, avec tous les conseils et les exemples que je leur donne, qu'ils n'ont pas trop droit à l'erreur. Et puis, un premier travail, il ne faut pas le rater, sinon ça fait un peu mauvais effet, on tombe vite dans la superstition, la malédiction d'un échec qu'on craint de voir se répéter.
Malgré mes efforts, les élèves buttent sur cette question, qui est celle de mon canard : comment une réflexion personnelle (la dissert de philo) peut-elle être objectivement évaluée ? Quand je leur dis que chaque devoir ne ressemblera à aucun autre, que chacun apportera sa propre pensée, ils se demandent, légitimement, comment je vais les évaluer. Voici ma réponse :

Je ne vais pas juger le fond (chacun pense ce qu'il veut) mais la forme (on ne réfléchit pas de n'importe quelle façon). Je ne vais pas me prononcer sur les opinions mais sur les méthodes, les démonstrations. Je vais évaluer la compréhension du sujet, sa problématisation, l'organisation et l'argumentation des idées, la pertinence et l'exploitation des exemples, la maîtrise et l'analyse des références, la conclusion de la réflexion. Sur ce terrain-là, la subjectivité n'a pas sa place. Pas d'inquiétude donc. Il suffit de faire honnêtement et sérieusement ce que j'ai demandé de faire.

En vignette le dernier numéro du bulletin d'information du lycée.

mercredi 16 septembre 2009

Exercices.

Mon collègue de philo a donné un exercice sur table à ses élèves (c'est l'un de ses élèves qui me l'a dit). Je ne fais pas ça. Je devrais peut-être. Le problème, c'est que dans notre discipline, il n'y a que deux exercices au bac, pas trois : la dissertation et le commentaire. Certes, rien ne m'empêcherait de faire des petits tests de connaissances sur des auteurs. Mais ce n'est pas l'esprit de la philo en classe de Terminale, où l'on privilégie la réflexion personnelle.

Bien sûr, je pourrais entraîner mes élèves à faire une introduction, une recherche d'idées, une argumentation, une analyse d'exemples, un développement de références, une conclusion. Peut-être qu'un jour j'y viendrais. Ce qui me freine, c'est que ce type de travail, s'il est noté, déforme un peu le niveau réel de l'élève.

Ce que je veux dire, c'est qu'on peut fort bien réussir une intro et rater tout le reste, trouver des idées et ne pas savoir les exploiter, développer un exemple mais en faire un mauvais usage, maîtriser une référence qui ne soit cependant pas pertinente. Bref, et c'est une règle d'or de la philo, une dissert ou un commentaire de texte sont des touts qu'on juge en tant que tels et pas par morceaux.

Une conclusion peut rattraper un développement dont le sens ne s'impose pas immédiatement à la lecture. Dans le développement, un bon passage équilibre une mauvaise partie. C'est la grande justice de l'épreuve de philo : si on échoue ici, on peut compenser ailleurs. L'évaluation sera nécessairement générale. Donc je tiens à respecter les deux formes canoniques des exercices, je me refuse à les démembrer. Mais je reconnais que ça se discute.

Ce que je fais en revanche, et c'est le cas en ce moment, c'est de dicter à mes élèves un modèle d'introduction, de conclusion et de partie argumentée, pour qu'il comprenne ce qu'on leur demande et qu'il s'en inspire. Car leur difficulté, c'est le passage à l'écrit. Dans l'idéal, un bon prof de philo devrait moins parler et les élèves plus souvent écrire. Ceci dit, ce n'est pas évident à organiser.

mardi 15 septembre 2009

Pourquoi je ne suis pas agrégé.

Parfois, très rarement, des élèves se demandent ou osent me demander si je suis certifié ou agrégé. L'écrasante majorité s'en moquent royalement et ont raison : ça ne change fondamentalement rien pour eux. Chez les collègues, la distinction a aussi perdu de son importance. Le temps est bien fini où dans les lycées il y avait deux salles des profs, une pour les agrégés, une autre pour les certifiés. C'est aussi que les certifiés sont devenus les plus nombreux et que l'agrégation a perdu de son prestige.

A l'extérieur, le titre de professeur agrégé de philosophie a gardé de son impact, de sa gloire et aussi de sa vanité sociale, surtout aux yeux des générations les plus anciennes, qui ont en tête les clichés du passé. Qu'est-ce qui distingue aujourd'hui un agrégé d'un certifié ? Le degré de compétence philosophique. Le capes est difficile, l'agrég est très difficile. Pour ce dernier concours, il faut maîtriser des auteurs, savoir travailler sur un texte en langue étrangère. L'agrégé est en ce sens meilleur philosophe, techniquement parlant. Mais il n'est pas nécessairement meilleur prof.

Nous avons tous en mémoire un agrégé de philo génial mais obscur, d'autant plus admirable qu'il est incompréhensible. Mais ce n'est évidemment pas une fatalité quand on est agrégé ! On se souvient du mot prêté à de Gaulle recherchant un collaborateur et demandant "un agrégé sachant écrire". Cherche agrégé sachant enseigner, c'est ce que nous pourrions dire par parodie, mais ce n'est qu'un boutade facile. J'ai beaucoup d'admiration et de respect pour mes collègues agrégés.

Pourquoi ne suis-je pas agrégé ? Parce que je ne suis pas assez bon pour l'être, il n'y a pas de mal à le reconnaître, ayant suffisamment la fierté d'être certifié. C'est aussi une histoire de vie : je n'ai pas pu poursuivre d'études faute de moyens, j'ai repris assez tard une fois salarié, en prenant la voie de la fac qui prépare au capes alors que l'agrég s'obtient généralement en passant par les classes prépa.

Pourquoi je ne passe pas maintenant l'agrégation ? Je pourrais tenter l'interne, beaucoup plus accessible que l'externe. Mais ça ne m'aiderait pas professionnellement à être meilleur prof, je vous l'ai dit. J'y gagnerais surtout un salaire plus élevé et trois heures de cours en moins. Ces avantages conséquents ne me motivent pas. Il n'y a que le prestige du titre qui pourrait flatter ma vanité, mais j'ai épuisé depuis un certain temps toutes les réserves qu'il me restait en ce domaine.

Et puis, je veux demeurer libre de mes curiosités intellectuelles (préparer l'agrég, c'est se soumettre à un programme ; excellent quand on est étudiant, moins marrant plus tard). A quoi s'ajoute le problème de ma disponibilité : l'agrég, il faut y consacrer un temps complet, sinon ça ne vaut pas le coup. Mes nombreuses activités extra-scolaires rendent difficile cette liberté. Je ne dis pas jamais. Peut-être qu'un jour j'y viendrai. Pour le moment non. Voilà pourquoi je ne suis pas agrégé.

lundi 14 septembre 2009

Ouf de philo.


On dit parfois qu'avec les années un enseignant s'assagit, qu'il perd de son peps, que l'enthousiasme diminue, que l'énergie se rabougrit. Bref il n'a plus de jus. On imagine alors un prof gris, terne, épuisé, devenu routinier à force de routine. C'est pour moi exactement l'inverse. J'ai commencé il y a seize ans très calme, un peu plat, assez conventionnel, et plus j'ai avancé, plus je suis devenu ... de l'explosif !

Ce matin, devant les élèves, je m'agitais, m'excitais, bougeant, virevoltant, rarement assis, gesticulant, parfois éructant, lâchant quelques grossièretés (pédagogiquement calculées), tenant des propos brutaux, brandissant des images crues, jetant en pâture des exemples provocateurs. Les élèves sont immobiles de corps mais j'essaie d'introduire la tempête dans leurs têtes après l'avoir déclenchée au bureau. Je blague, d'un humour froid qui choque certains, j'use et abuse de la caricature, me demandant si je ne suis pas en train de me caricaturer moi-même en prof de philo un peu délirant, mais d'un délire sérieux, signifiant, philosophique, un peu à la Nietzsche.

J'interroge une élève, elle n'ose pas trop répondre à l'hurluberlu qui est devant elle. Je lui fais peut-être peur, comme on craint un dément. Ses grands yeux m'observent, presque stupéfaits. Je transpire, je postillonne, je grimace, mon regard inspecte, transperce, un simple détail me fait réagir, je suis un personnage de dessin animé. Mais j'ai besoin de passer par là pour rendre la philo vivante, curieuse, étrange, intéressante. Les élèves auront suffisamment le temps de s'ennuyer en faisant leurs exercices. Je dois les bousculer, les déranger, avec quelques pointes de scandale dans mes propos.

Vous connaissez le savant fou, Frankenstein, Tournesol, Folamour. Bizarre qu'un homme de science soit représenté sous des traits irrationnels. Et s'il y avait aussi le prof fou ? Prof d'espagnol non, on ne l'imagine pas sombrer là-dedans, mais prof de philo oui. Son image porte à la fantaisie. Jusqu'à la folie, il n'y a qu'un pas. Et puis, philo folie, c'est pas très loin non ? Si je me voyais comme les élèves me voient, je crois que je me surprendrais, je crois même que je m'inquiéterais. En matière de croisement génétique, je pourrais être l'enfant dénaturé de Louis de Funès et Nicolas Sarkozy, du moins dans la gestuelle, les mimiques.

Pour vous rassurer sur mon sérieux de fonctionnaire, je citerais Nietzsche, précédemment évoqué : "J'aimerais prodiguer et distribuer, jusqu'à ce que les sages parmi les hommes, à nouveau, se réjouissent de leur folie ..." C'est signé Zarathoustra, dans l'ouvrage du même nom, au Prologue, chapitre 1. Fou de philo oui, fou de transmettre cette folie.

En vignette, la rentrée du ciné philo.

dimanche 13 septembre 2009

Sainte Trinité du lycée.


Vu de l'extérieur, dans la représentation que beaucoup de gens s'en font, un lycée est une construction à trois étages : le proviseur dans son bureau, les enseignants dans la salle des profs et les élèves dans leurs classes. L'architecture d'un lycée est infiniment plus compliqué. Je vous ai mis dans une première vignette la structure administrative de mon établissement et dans la seconde sa structure pédagogique.

Généralement, on réduit la direction à une monarchie, celle du "chef d'établissement". S'il y a bien un chef, il faudrait parler, en ce qui concerne la "gouvernance", de triumvirat ou plus exactement de trinité : le proviseur, le proviseur-adjoint, l'intendant. Puisque j'évoque la trinité, poursuivons la comparaison avec le concept chrétien : le proviseur, c'est Dieu le Père, ou si vous préférez le patron. C'est vers lui que les parents, élèves et enseignants tournent leurs prières. Dans une République il serait président, dans une royauté ce serait le Souverain. Il jouit de la fine pointe du pouvoir politique dans l'établissement.

Mais Dieu, selon la Bible, a besoin de s'incarner : c'est le deuxième personnage de la Sainte Trinité, le Fils, qui au lycée n'est autre que le proviseur-adjoint. Le bureau du proviseur est lointain, à Henri Martin du côté de notre Cour d'Honneur. C'est L'Eternel sur son nuage. Le bureau du proviseur-adjoint est près de la salle des profs. Ce bras droit, lieutenant, homme de mains du proviseur navigue dans les couloirs comme un poisson dans l'eau. Il est l'oeil et l'oreille du proviseur, qu'il sait fermer et se boucher quand il le faut. A bien des égards, cette présence et cette connaissance du terrain font du proviseur-adjoint un personnage aussi sinon plus important que le proviseur, dont il est en quelque sorte le Premier ministre.

Et puis, fort et injustement ignoré, il y a le Saint-Esprit, l'intendant, le grand trésorier, le ministre des finances. Comme la troisième personne de la Sainte Trinité, il est le Souffle et le Feu dans un lycée, l'inspirateur principal, celui par qui tout fonctionne bien, jusque dans les moindres détails : chauffage, nettoyage, restauration et mille autres choses pratiques, c'est à lui, l'intendant, qu'on les doit.

Père, Fils et Saint-Esprit, ainsi donc sont messieurs Foucaut, Sobczyk et Delclitte. Mais la Trinité chrétienne ne gouverne pas seule le Royaume des Cieux, malgré sa toute puissance. Il en va de même dans un lycée. Le proviseur, son adjoint et l'intendant sont entourés d'anges, archanges, chérubins et séraphins : la secrétaire de direction, l'attaché d'intendance, l'agent chef, les conseillers principaux d'éducation, les infirmières et quelques autres. Un vrai Paradis, même si certains élèves le voient à tort comme un Enfer !

samedi 12 septembre 2009

Les vertus d'un prof.






En relisant machinalement mon billet d'hier, je découvre, horreur, une erreur. Ma référence biblique est inexacte. Ce n'est pas Dieu qui nomme les animaux, il se contente de les créer, mais il laisse ce soin à l'homme (Genèse, 3-19). C'est un détail d'importance, théologiquement intéressant (et comme la philosophie n'est jamais très loin de la théologie ...). Mon erreur est impardonnable. Un prof ne doit pas se tromper dans une référence (il se doit de vérifier son exactitude). Une faute de français passe encore, tout le monde en fait, même les meilleurs. Et puis, les règles de notre langue sont tellement compliquées ...

Comme punition, je m'inflige de ne rien retoucher au billet d'hier. Je vais ainsi expier ma faute aussi longtemps qu'existera ce blog et qu'il sera lu. Un professeur doit pratiquer deux vertus, dont il ne peut pas faire l'économie : la rigueur et la précision. Je ne parle pas des manies tatillonnes, mesquines et ridicules de certains universitaires, mais de ces détails qui ont du sens, comme mon histoire de Dieu, de bêtes et d'appellation.

Quand je préparais le Capes, j'allais de temps en temps chez une charmante vieille dame qui habitait derrière le Panthéon et qui n'est plus de ce monde aujourd'hui ( il m'arrive de repasser dans sa rue, son nom est toujours sur sa boîte aux lettres, comme si elle était encore vivante, ce qui me fait un drôle d'effet et nous ramène d'ailleurs au détail du livre de la Genèse). Madame Codos, puisque c'était son nom, avait été dans un lointain passé présidente du jury de l'agrégation. Dans le petit monde des profs de philo, c'est quelque chose, un peu comme Sitting Bull pour les Sioux.

Madame Codos était donc une sommité. Bien qu'à la retraite et très âgée, elle n'avait rien perdu de son goût pour la philosophie et les concours, à tel point qu'elle recevait à domicile pour entraîner les postulants. Le mot n'existait pas encore mais sa réalité oui (comme quoi une réalité est indépendante de sa désignation !) : c'était un coach avant la lettre. Chez elle, je m'exerçais à l'épreuve orale du Capes. Au beau milieu de l'après-midi, dans le petit salon qu'elle avait réservé à mon seul usage, elle frappait comme si elle n'était pas chez elle et m'apportait une tasse de café très fort. C'était ma récompense et une forme d'encouragement.

Pourquoi je vous raconte ça ? D'abord parce que j'ai plaisir à vous le raconter, à ressusciter le temps d'un billet le souvenir de Madame Codos. Ensuite parce que j'ai une anecdote qui illustre bien mon propos de ce jour : Madame Codos m'avait raconté qu'elle avait failli refuser l'agrégation à une pourtant excellente candidate parce que celle-ci avait confondu, lors de l'entretien oral, les titres de Docteur de l'Église et Père de l'Église (je ne vous explique pas, cherchez sur Internet !). Aux yeux de n'importe qui, cette confusion aurait paru une broutille. Pour la présidente du jury de l'agrégation, cette erreur méritait de coûter le prestigieux titre, professeur agrégé de philosophie !

De cette histoire qui m'a marqué puisque je l'ai retenue, j'en ai gardé aujourd'hui encore la leçon : rigueur et précision sont les deux vertus d'un prof.

En vignette, pour illustrer ce billet, et puisque nous sommes en début d'année scolaire, je vous donne le texte ministériel du programme de philosophie, en trois pages ! Quand on pense que certains croient qu'en philo il n'y aurait pas de programme, que cette matière serait arbitraire ... Rigueur et précision, là aussi.

vendredi 11 septembre 2009

L'Appel.




En début de classe, l'appel des élèves n'est pas une formalité. Il fait partie intégrante du cours. Les mêmes règles que celles de l'heure s'y appliquent donc : silence et concentration. Si les élèves ne s'y préparent pas là, ils ne les pratiqueront pas après. L'appel est pour moi un moment très important, solennel même. C'est le début d'une séance d'enseignement. Il ne faut pas rater cette entrée. Je suis alors comme le chef d'orchestre qui donne le ton, le rythme.

Trop d'élèves prennent leurs aises pendant l'appel. J'ai horreur de ça. Certains collègues ne citent que les prénoms, par souci de rapidité. Moi j'énonce clairement, fortement et lentement prénom et nom. Je ne veux pas de familiarité. La vérité d'une personne, c'est son prénom et son nom. Commençons le cours de philo en respectant la vérité de chacun.

Ces noms d'élèves, ils doivent tonner comme le canon, sourdre comme le tocsin, claquer comme le fouet. Quant aux absents, il faut par un silence bien montrer et marquer leur absence, son anomalie et son tort. L'appel fait comprendre qu'un cours n'est pas une conférence, qu'une classe n'est pas un spectacle, qu'on n'est pas là pour rigoler mais pour travailler. C'est une séquence pédagogique hautement importante.

Que doit faire l'élève pendant l'appel ? Écouter et attendre, répondre audiblement présent quand son nom est prononcé. Comme Dieu dans le livre de la Genèse nomme les bêtes et les fait exister, il en va de même pour le prof avec les élèves. Au commencement n'était pas le Verbe mais l'Appel ... Le devoir de l'élève ne s'arrête pas là : il doit ouvrir son cahier ou classeur, relire le cours précédent et s'apprêter à prendre note du suivant, stylo en main. L'appel est un travail autant pour lui que pour moi.

Hier, en TES, au dernier mot de l'appel je prononce immédiatement les premiers mots du cours. Et je vois quoi ? Une élève, bras croisés sur son cahier fermé, pas prête du tout à noter, faisant perdre à toute la classe de précieuses secondes dans le temps de l'univers. La foudre de Dieu est tombée sur elle ! Car l'auguste personnage n'a pas fait que créer le monde, il a aussi rayé de la carte Sodome et Gomorrhe et noyé la terre sous les eaux du Déluge. Voilà ce qui arrive quand on ne respecte plus les tables de la loi et les règles de la classe ...

En vignette, le dernier numéro du bulletin d'information du lycée Henri-Martin.

jeudi 10 septembre 2009

Au pied du mur.


Premier cours d'ECJS (Education civique, juridique et sociale) avec le premier demi-groupe de la 1erL1, demain matin ce sera au tour de l'autre groupe. Je ne veux pas réitérer les erreurs (pas catastrophiques) de l'an dernier : un enseignement un peu improvisé, pas assez organisé, l'initiative laissée aux élèves, qui est certes une bonne chose à condition de les encadrer suffisamment.

Jusqu'à la Toussaint, j'ai choisi le thème suivant : à quoi servent les murs ? En partant du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, il s'agit d'amener les élèves à une réflexion personnelle sur les notions de clôture, séparation, frontière, mur et muraille. Entre la Chine, la Palestine, le Mexique, l'Empire romain, les exemples sont nombreux, hier et aujourd'hui. Sans parler des murs du quotidien : celui de la prison, mais aussi celui de notre maison qui nous protège du voisin. Allez savoir si nous n'aurions pas aussi des murs dans nos têtes !

Pourquoi les hommes ressentent-ils le besoin d'élever des murs ? Quel est le but recherché ? Ces constructions sont-elles efficaces ? Faut-il abattre les murs ou suivre les écoliers quand ils "font le mur" ? Le mur peut-il avoir une fonction positive ? Car c'est aussi l'endroit où l'on peut accoler des affiches, des dazibaos, où l'on peut élever une bâtisse, où l'on peut percer des fenêtres. Le sujet, interdisciplinaire, me semble assez riche et prompt à susciter l'intérêt des élèves.

Ils pourront le traiter seul ou en groupe, pourvu que dans deux mois environ, ils m'en présentent un exposé oral. Nous irons à chaque séance au CDI pour que les élèves fassent un travail de documentation qui nourrisse leur réflexion. Mais je ne veux pas une récitation de textes ! Cerise sur le gâteau : le café philo du 22 octobre portera sur les murs (voir le programme de l'année dans la vignette ci-dessus), et j'aimerais qu'un élève lance le débat à ma place. On verra.

mercredi 9 septembre 2009

L'amour au lycée.

Quand on est lycéen, qu'on a entre 15 et 19 ans, c'est le temps des amours. Si on n'aime pas à ce moment-là, on n'aimera jamais. Quand j'étais lycéen, il y a trente ans, on s'aimait déjà, mais ça ne se voyait pas, ou ça se voyait beaucoup moins. On se cachait pour s'aimer, on allait dans un bosquet, on attendait que la nuit nous dissimule.

Aujourd'hui, les lycéens ne se cachent plus. Ils traversent la cour main dans la main, ils s'embrassent à pleines bouches dans les couloirs, ils se caressent dans de très visibles petits coins. Difficile d'ailleurs de se planquer complètement dans un établissement scolaire, on dirait que les architectes ont tout fait pour empêcher de conter fleurette. En ce moment, c'est encore les beaux jours, qui favorisent largement les manifestations de l'amour.


Certains collègues sont choqués, ils estiment qu'au lycée ça ne se fait pas, on ne devrait pas faire ça. A les écouter, ils seraient prêts à surveiller et interdire les baisers. J'avoue que je m'en fous. Je trouve même plutôt charmant que des jeunes s'aiment et le montrent. Il y a tellement d'adultes qui se détestent ! Ça me redonne le moral, ça me fait croire en l'humanité quand je vois des lycéens se bécoter et se peloter.


Bien sûr, je peux comprendre qu'un collégien perpétuellement en rut puisse irriter mes collègues et désorganiser une classe. Mais parvenu au lycée, le besoin biologique s'est un peu spiritualisé, il est devenu moins violent, moins vulgaire. En tout cas, je le redis, son expression ne me gêne pas. C'est de leur âge ! J'aime cette formule pleine de sagesse et de compréhension.


Certes les temps ont changé, ce qu'on voit aujourd'hui ne se faisait pas avant, du moins publiquement. Et alors ? Je préfère des unions au vu de tous que des rapprochements glauques, dans l'obscurité des recoins et les relents d'alcôve. J'ai constaté un phénomène complètement nouveau, qui n'existait absolument de mon temps, ni même au début de ma carrière : les relations lesbiennes assumées et là aussi exprimées. Il est de plus en plus fréquent, même si les situations demeurent minoritaires, de voir deux filles les bras autour du cou et de la taille ou en train de s'embrasser (en revanche, je n'ai jamais vu des garçons faire de même). Autour d'elle, aucun regard étonné (à part le mien très discret !), aucune ironie, aucune insulte. C'est formidable parce que c'est aussi une grande leçon de tolérance.


Croyez-moi, il vaut mieux faire l'amour que la guerre. Vous me ferez sans doute remarquer qu'un lycée n'est fait ni pour l'un ni pour l'autre mais pour travailler, et vous aurez parfaitement raison. Mais il n'y a pas de mal à exprimer ses sentiments. Il n'y a pas en tout cas mort d'homme, comme dit une autre expression que j'aime bien. La guerre a tellement dominé le monde et l'histoire, ne pourrait-on pas accepter que l'amour, dans des limites raisonnables, ait sa place au lycée sans s'en offusquer ? Le vrai problème, à l'école comme ailleurs, ce sera toujours celui de la violence, de la haine, jamais celui de l'amour.


Ne me demandez pas ce qu'il en est de l'amour entre enseignants. Nous avons des relations cordiales, fraternelles, qui peuvent quelquefois aller jusqu'à l'amitié, qui atteignent rarement l'amour, pour ce que j'en sais et ce que j'en vois. Rien n'est moins érotique qu'une salle des profs, rien n'est moins propice à des relations de séduction qu'une situation d'enseignement et les horaires qu'elle implique. Quand je lis des magazines qui enquêtent sur "l'amour au bureau", je suis toujours surpris et vaguement envieux. Je n'imagine pas ça dans un lycée. Mais c'est peut-être parce que je manque d'imagination.

mardi 8 septembre 2009

La politique à l'école.

Barack Obama a prononcé aujourd'hui un discours sur l'Ecole, en visitant un établissement. J'applaudis, c'est la preuve que le président américain est attaché à une institution essentielle au bon fonctionnement de la République, en France comme aux Etats-Unis. En se rendant auprès d'une classe, il renforce cette préoccupation, lui donne une portée symbolique dont on ne peut que se féliciter quand on est défenseur de l'Ecole Publique.

Mais je ne me félicite pas du tout, je m'inquiète même franchement quand j'apprends que quelques jours avant, le département de l'Education a envoyé des recommandations à toutes les écoles du pays, parmi lesquelles un thème de travail : "Comment aider le président ?" Là non, c'est abusif, c'est d'une certaine façon une entorse à la laïcité. Cette valeur fondatrice de l'école républicaine ne consiste pas seulement à interdire l'accès de la religion dans l'éducation nationale, mais aussi la politique.

Dans un établissement scolaire français, classes ou locaux administratifs, vous ne trouverez jamais le portrait du président de la République, alors qu'il est présent dans les mairies. C'est que l'Ecole doit être absolument indépendante du pouvoir politique. C'est la condition de l'obéissance de ses agents. Le jour où le gouvernement m'imposera d'enseigner une idéologie quelle qu'elle soit, d'appliquer une consigne politique même minime, je cesserai d'obéir à ma hiérarchie.

C'est ce qu'on appelle la liberté pédagogique de l'enseignant, qui est sacrée. A défaut, nous deviendrions des propagandistes, des missionnaires ou des domestiques. En tant que fonctionnaires, nous sommes au service de l'Etat, sauf s'il n'était plus républicain (par exemple le régime de Vichy, qui a embrigadé l'Ecole et détruit la laïcité). Bien sûr, nous appliquons sans discuter les programmes qui sont définis par les autorités compétentes et nous suivons les consignes administratives. Mais dans la classe, nous sommes les "maîtres", au sens ancien et magnifique du terme (qui n'a évidemment rien à voir avec le tyran puisqu'il est tout son contraire).

L'Amérique est une grande démocratie et Obama a été salué, lors de son élection, comme un grand président par le monde entier. Espérons qu'il rectifie très vite et fasse oublier ce malheureux document où il dicte aux enseignants un exercice scolaire. Me voyez-vous proposer à mes élèves ce sujet de dissertation, en guise de philosophie politique ou d'instruction civique : "Comment aider le président Sarkozy ?"

lundi 7 septembre 2009

Feeling.

J'ai eu aujourd'hui ma plus grosse journée, sept heures d'enseignement. L'an dernier, c'était le jeudi. Je ne m'en plains pas. La concentration des cours permet de libérer des plages horaires que je peux consacrer à d'autres activités. Sauf que c'est un peu crevant. Et une fois par mois, je devrais ce même jour animer le ciné philo ! Peu importe, j'aime ça.

Ce matin et cet après-midi, avec mes Scientifiques, nous avons travaillé en demi-groupes. C'est l'occasion pour les faire participer, favoriser leur expression orale. Ça s'est plutôt bien passé, surtout pour une première fois. Nous avons essayé ensemble de trouver quelques idées à partir du sujet : Le bonheur doit-il être le but de notre vie ? Il y a eu un bon feeling entre nous. Du moins l'ai-je, moi, ressenti comme ça. C'est bien, parce que les Scientifiques, souvent, se foutent de la philo : peu d'heures, faible coefficient au bac, matière associée à tort au monde littéraire, perçue donc comme pas très scientifique. Il m'est cependant arrivé d'avoir d'excellentes classes de S en philosophie.

Je me dis ce soir que la participation orale, c'est quand même l'idéal. L'élève se sent concerné, impliqué, reconnu dans ce qu'il dit, par conséquent motivé. Mais il faut que tous prennent la parole, que ce ne soit pas les quelques mêmes qui s'imposent au reste de la classe. Pousser les timides à s'exprimer, ce n'est pas facile et c'est pourtant indispensable. C'est tout un art, ça demande beaucoup de doigté.

Il ne faut pas donner l'impression de forcer, sinon l'élève va se refermer comme une huître. Je ne peux pas non plus laisser chacun libre de se taire, car certains ne diront alors jamais rien de toute l'année (ça m'est arrivé !). Quoi de plus beau qu'un élève qui a surmonté son appréhension, qui a réussi à présenter son idée devant ses camarades, qui s'est fait sa place dans le monde de la philosophie ?

Autant mes cours magistraux sont à mon goût très réussis (et je crois que mes élèves les apprécient), autant j'ai du mal à gérer l'oral. Je crains que je ne foute la trouille à certains, que je ne "casse" quelques interventions téméraires, ce qui dissuade la plupart d'y revenir ou de tenter. Si j'avais professionnellement des progrès à faire, ce serait de ce côté-là : mieux susciter la participation orale des élèves.

Certes, mes cours ne sont pas "magistraux" au sens traditionnel. C'est vivant, j'interpelle mes classes, ce sont plus des exercices que des leçons. Il n'empêche que les élèves ne sont guère encouragés à lever la main et à parler. C'est un défaut. Depuis le premier jour de rentrée, je leur fais un cours sur la méthode de la dissertation de philo. C'est utile, indispensable, concret, mais ça reste un exposé très théorique, où ils écoutent, notent, de façon très passive, interrompant par moments avec quelques rares questions.

Je me demande, pour les prochaines années, si je ne devrais pas laisser tomber ce cours inaugural, certes pratique, méthodologique mais en même temps assez abstrait et solennel. Pourquoi ne pas jeter les élèves tout de suite dans le bain de la philosophie, en leur soumettant dès la première heure un sujet de dissertation, en leur apprenant bien sûr à nager une fois qu'ils auraient plongé ? J'y songerai ...

dimanche 6 septembre 2009

Au boulot !

Tout mon boulot des prochains jours, c'est de faire comprendre aux élèves qu'ils sont là pour le boulot. "Faire comprendre" est encore inexact : ils n'ont pas le choix. Ils ne sont même pas là pour la philo : leur finalité, c'est le boulot (parce que la philo peut être aussi un loisir, un divertissement, sauf à l'école où c'est un travail).

Le problème, c'est qu'en philo vous ne trouvez pas ces petits exercices hebdomadaires ou quotidiens de certaines disciplines. Quoique je pourrais en imaginer, mais je préfère demeurer dans le cadre canonique de l'épreuve du bac : dissertation et commentaire de texte. Un devoir par mois, c'est suffisant. Quand on travaille avec soin, il n'y a pas besoin de plus. Sinon c'est lourd. Pour certaines élèves, c'est très léger, parce qu'ils ne bossent pas, bâclent la veille un sujet donné trois semaines auparavant, me torchent un truc innommable.

Là est le problème. Pour les élèves superficiels et paresseux, en philo y'a pas à travailler. Alors que c'est tout le contraire : cette discipline complètement nouvelle pour eux exige beaucoup d'efforts. Pour que cette évidence rentre dans les têtes, il ne faut pas tarder : dès le deuxième jour, j'ai donné à mes Littéraires une dissertation à rendre pour le 24 septembre : Tout le monde peut-il être heureux ? Eux avec moi, je ne sais pas trop ...

samedi 5 septembre 2009

La philo aux petits pois.

C'était il y a quelques années, à Laon, dans la brasserie Le Rétro, pas très loin de la gare, au rond-point du commissariat de police. J'étais au comptoir avec un ami, parlant de philosophie, expliquant le plaisir du métier, la joie que provoquaient aussi mes activités périphériques, café philo, ciné philo, etc. A quelques mètres, une dame âgée, très coquette, genre bourgeoise, était en train de manger un poulet à la crème, aux champignons et petits pois (c'était l'heure du déjeuner). Longtemps après, je me souviens encore de tous ces détails et de ce qui va suivre. Ils ne me quitteront sans doute pas jusqu'à la fin de ma vie.

La dame était trop polie pour écouter aux portes, mais comme il n'y a pas de portes dans une brasserie notre conversation lui est naturellement venue aux oreilles, et tout aussi naturellement, très tranquillement, sa voix à la fois faible et assurée s'est élevée dans ma direction et j'ai entendu, comme l'assistance alentours : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie". Et je la revois plonger sa fourchette dans la crème, en sortir un morceau de poulet pour se régaler. Fin de l'incident, début de l"histoire.

Il y a des philosophes (et des mystiques) qui ont vécu une révélation, Descartes et Pascal par exemple. Une vérité leur a été donnée dans des conditions mystérieuses, surnaturelles ou, si on veut rester rationnel, inexpliquées. C'est un peu ce qui m'est arrivé, à mon modeste niveau, et au détriment de la philosophie : j'ai compris, autant en écoutant qu'en regardant cette dame dont je ne connaîtrai jamais le nom, qui n'est peut-être plus de ce monde aujourd'hui, que la philosophie n'a rien d'essentielle, de fondamentale, contrairement à ce que je croyais avant et depuis longtemps.

Nous avons tous ce défaut, ce péché mignon de croire que ce que nous faisons, quoi que ce soit, surtout si nous sommes passionnés, est l'activité la plus importante au monde, que les autres ne peuvent que partager avec nous. L'enseignant que je suis a eu cette prétention, cette vanité professionnelle. Je pensais que mes élèves ne pouvaient qu'aimer et admirer la philo, d'autant que je leur en expliquais les raisons : réfléchir sur sa vie, rechercher des réponses aux grandes questions existentielles, élargir son esprit, prendre plaisir à lire des chefs-d'oeuvre de l'humanité, etc.

Ce que je ne savais pas, c'est que tout ce que je viens d'énumérer là ne pèse pas lourd face à un poulet à la crème, accompagné de champignons et de petits pois. Vous avez beau exposer tous les arguments du monde, faire les démonstrations les plus impressionnantes, c'est le poulet qui gagnera. D'autant que la dame n'était pas une mégère ou un goujat, elle n'avait même pas d'hostilité envers la philosophie, elle avait trop d'éducation pour ne pas la respecter. Mais elle a prononcé devant moi cette phrase terrible, qui sonnait pour moi comme une condamnation : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie".

On dit souvent que la haine est préférable à l'indifférence. J'aurais préféré que cette dame manifestement intelligente attaque sottement et brutalement ma discipline. J'aurais pu rétorquer, me battre, me défendre, comme j'aime tellement le faire. Mais là, vous voulez dire quoi contre une certitude, une évidence ? Le comble, c'est que la dame avait raison, qu'elle énonçait très simplement une forte vérité : un être humain peut fort bien se passer de philosophie, cette pratique intellectuelle n'est pas nécessaire à la vie. En revanche, un poulet aux petits pois et champignons à la crème, c'est une autre affaire ...

Cette dame, en rejetant radicalement la philosophie pour lui préférer, c'était visible, le contenu de son assiette, avait paradoxalement une attitude de ... philosophe. N'est-ce pas une forme de sagesse que de préférer un morceau de poulet à une page de philosophie ? Cette petite histoire, je la dédie, en ce premier week-end de l'année scolaire, à tous mes collègues professeurs de philosophie qui ont dû cette semaine faire un beau cours introductif sur l'utilité, la grandeur, la noblesse, l'humanité, la génialité de la philosophie. Pas moi. Parce que j'ai en tête la vieille dame et son poulet aux petits pois. Je sais qu'en chaque élève il y a une dame et un poulet qui sommeillent, c'est à dire un individu qui s'en fout royalement de moi, de mes cours et de ma philo. Il vaut mieux en avoir conscience en début d'année, si on ne veut pas se heurter à de cruelles désillusions.

Tout ça est triste, décourageant, désespérant ? Non, tout ça est vrai, sage et stimulant. Car que me reste-t-il à faire, et je crois que c'est en quoi consiste mon métier d'enseignant ? A essayer à mon tour de proposer à mes élèves de la philosophie aux petits pois, avec de la crème et des champignons.

vendredi 4 septembre 2009

Premiers incidents.

Ça n'a pas tardé, deux jours ont suffi pour qu'apparaissent les premiers incidents. J'exagère bien sûr, ce n'est pas grand-chose, des broutilles. Mais un enseignant doit veiller au grain et étouffer dans l'oeuf, couper à la racine les premières velléités d'indiscipline. C'était ce matin, avec mes TES2, ma deuxième heure seulement avec eux, et déjà trois incidents :

J'explique comment on rédige une dissertation de philosophie (je commence toujours l'année par ça, c'est le b-a ba). Je repère deux élèves, bras croisés, cahiers fermés, qui me regardent et m'écoutent mais ne notent rien. Est-ce que je fais cours pour les mouches ? J'avais dit hier qu'une classe était là pour bosser, pas pour bâiller. Gueulante et tout rentre dans l'ordre.

Je me dis qu'il faudrait que j'enseigne du fond de la classe, les élèves me tournant le dos, se contentant d'utiliser leurs oreilles et leurs mains pour gratter, sans se servir de leur yeux. Une classe de taupes, voilà l'idéal. Un cours, ce n'est pas la messe ou le cirque, ce n'est ni une cérémonie ni un spectacle.

Incident suivant : deux élèves (pas les mêmes !) discutent cette fois entre elles, discrètement il est vrai. Sauf qu'il n'y a pas de discrétion possible dans cet espace public qu'est une classe. Un murmure perturbe très vite, des signes se remarquent assez facilement. J'interromps le cours, je leur demande ce qui se passe. L'une me dit que ça n'a rien à voir avec ce que je dis, l'autre dit le contraire. Sa copine veut répéter ce qu'elle lui a dit et que celle-ci n'ose pas me redire.

C'est bien gentil tout ça, je peux comprendre la timidité qui inhibe, mais ces simagrées et tergiversations nous font perdre de précieuses minutes et déconcentrent l'ensemble de la classe. Tout ça parce qu'une élève voulait savoir s'il fallait introduire des références dans une dissert de philo et qu'elle craignait de m'interroger. Résultat : une belle perte de temps et des turbulences dans mon plan de vol ! je lui réponds correctement mais brutalement. Il faut qu'elle s'habitue à mon style.

Dernier incident, immédiatement après le précédent (comme si une connerie en appelait une autre) : je rappelle aux élèves qu'ils peuvent me poser toutes les questions qu'ils veulent, qu'aucune ne me dérangera, qu'il vaut mieux s'exprimer que garder ça pour soi. Une main se lève alors et un élève me demande ... s'il peut aller aux toilettes. A quinze minutes de la fin du cours ! Je lui demande à mon tour s'il peut se retenir, il me répond que oui. Fin du troisième incident.

Ce n'est pas bien méchant, mais comprenez-vous que quelque chose ne va pas ? C'est rarissime que des élèves aient besoin d'aller faire pipi. Nous sommes au lycée, pas en maternelle. Ils y vont avant ou après, pas pendant. Qu'un élève se permette, en début d'année, de faire la demande, c'est de la graine de bouffonnerie, et quelqu'un qu'il faudra avoir à l'oeil.

Il y a incontestablement un lien avec l'incident précédent, qui a libéré une certaine indiscipline produisant du n'importe quoi, vouloir pisser à un quart d'heure de la fin. Si l'envie avait été vraiment pressante, l'élève me l'aurait dit quand je lui ai demandé s'il pouvait différer sa visite aux WC. Est-ce une façon de me tester, prenant au mot mon propos sur les questions que peuvent librement me poser les élèves ? Peut-être. Toujours est-il que celui-là aura perdu une belle occasion de se taire. Il ne lui reste plus maintenant que deux issues : se faire oublier ou se faire magistralement remarquer. L'une est cependant plus facile que l'autre.

Dans cette classe, j'ai six élèves de l'an dernier. Ça ne va pas être facile pour eux, me subir une année de plus, retrouver des cours qui seront à peu près les mêmes. Il y a Anthony, que j'avais reçu chez moi en début juillet, pour le préparer à passer l'oral, qu'il a cependant raté. Il y a surtout Laëtitia, que je ne m'attendais vraiment pas à revoir et qui avait été l'objet d'un billet le 10 juin (La dernière élève). Ironie du sort.

jeudi 3 septembre 2009

Le meilleur des mondes.



Les parents s'extasient souvent sur leur très jeune enfant : qu'est-ce qu'il est mignon, gentil à cet âge-là, il faudrait qu'il ne change pas, qu'il soit tout le temps comme ça ! C'est bien sûr un rêve de parents : l'enfant va changer, grandir, acquérir son indépendance, se forger une personnalité, devenir moins amusant, parfois teigneux. Le gentil bébé va se transformer en gamin hargneux, puis en adolescent en crise. C'est à ce moment où les parents commencent à déchanter, que le plus dur de l'éducation se fait sentir.

Une classe pour un enseignant, c'est pareil, comme moi ce matin avec mes Scientifiques, que je rencontrais pour la première fois. Tout nouveau tout beau. Ils sont gentils, disciplinés, ne parlent pas, ne protestent pas, écoutent et notent tout ce que je dis. Bref la classe idéale pour un prof ! Leurs visages me sont indifférenciés, comme le sont entre eux les bébés, dans une stricte et parfaite égalité. Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, c'est merveilleux, c'est le meilleur des mondes possibles.

Mais comme l'enfant est condamné à changer, la classe aussi. Elle va s'émanciper, prendre ses aises, résister à mon enseignement au fil des jours, assez rapidement, et c'est là où le vrai boulot pour moi va commencer. Les élèves font se distinguer, des visages vont émerger, des personnalités vont se mettre à exister, des clans vont se former, une hiérarchie va s'instaurer, mes notes vont établir un ordre douloureux, bref une micro-société va s'organiser, que je vais devoir gérer douloureusement.
Il faut, élèves et enseignants, que nous sachions savourer ces premières heures, ces premières jours, que plus jamais ensuite nous retrouverons, qui sont également comparables aux premiers temps de l'amour, avant que la routine et les nuages ne s'installent. Nous vivons, en chaque début d'année, une sorte de paradis scolaire, où l'harmonie domine à peu près entre nous, où la curiosité est encore intacte pour quelques temps, où l'enthousiasme n'a pas été érodé par de mauvaises notes ou des cours inévitablement pesants. Apprécions cette courte période de bonheur, ce miracle qui n'aura lieu qu'une seule fois, que je ne connaîtrai à nouveau que l'an prochain à la rentrée.

En photos les informations distribuées hier aux élèves par les professeurs principaux à propos de la grippe A.

mercredi 2 septembre 2009

Le plus beau métier du monde.




9h00, ce matin, le proviseur-adjoint est aux portes du lycée, derrière lesquelles s'entassent les élèves. C'est la rentrée des Terminales. Son visage est sombre, je lui demande ce qui se passe. J'apprends qu'une élève, de TL2, est décédée accidentellement hier. Cette rentrée se fera donc à l'ombre d'un drame. Une communauté scolaire, c'est un lieu de vie qui rencontre parfois la mort. La jeunesse est rarement préparée à cet événement auquel nul n'échappe, mais généralement longtemps après avoir vécu. Le proviseur-adjoint est venu dans ma classe, la TL1 (où l'élève disparue avait quelques camarades) pour expliquer qu'une cellule de soutien psychologique était à la disposition de tous.

Et puis la vie a repris son cours, parce qu'il faut bien, parce que la vie est plus forte que tout. J'ai procédé aux formalités administratives, j'ai demandé aux élèves de remplir la fiche d'informations qui me permettra de mieux les connaître et j'ai tenu, dès cette première heure, à mettre les choses au clair, c'est à dire à souligner les trois règles disciplinaires qui sont les miennes, auxquelles je tiens par dessus tout et dont ils ne pourront déroger sans s'attirer de graves ennuis :

- Quand la porte de la classe est fermée, c'est que le cours est commencé et que rien n'autorise à le déranger, comme à l'opéra ou à la messe. Seule l'administration a ce droit. Inutile donc pour l'élève de frapper. Il doit se rendre directement à la Vie Scolaire qui lui délivrera un billet d'entrée. Mais je ne ferme pas la porte trop tôt, j'attends que l'appel soit fait, ce qui laisse une petite marge à l'élève. Une fois le cours commencé, c'est terminé, l'accès est interdit. Un cours, c'est sacré, ça ne s'interrompt pas.

- Les élèves sont en classe pour écouter, noter, participer. Toute activité ou comportement qui ne relèvent pas de ces trois catégories sont formellement interdits. Ce qui veut dire, en clair, qu'ils sont là pour bosser et pas pour causer avec les copains copines. Certes, je n'ignore pas qu'au bout de trente minutes d'attention, la concentration s'émousse, l'esprit se fatigue, surtout quand on fait de la philosophie. Mais l'effort doit être là, continu, soutenu. Je fais tout pour rendre le cours supportable. A l'élève de ne pas se rendre insupportable. Qu'au moins, en cas de fatigue, il ait la courtoisie de ne pas gêner autrui.

- Je demande aux élèves de me rendre un travail par mois, qui est noté. C'est peu par rapport aux exercices hebdomadaires qu'exigent certains disciplines, mais c'est beaucoup quand on mesure la difficulté de bien faire une dissertation de philosophie ou un commentaire de texte. Les élèves ont trois semaines pour me préparer ça. Ce qui signifie qu'un devoir doit être ABSOLUMENT rendu au jour et à l'heure indiqués. En cas de problème, l'élève doit me contacter le plus rapidement possible AVANT, et jamais pendant ou après ce jour et cette heure. Sinon c'est la guerre, qu'il perdra, que je gagnerai, car j'ai le pouvoir, lui pas.

Durant cette première heure de l'année scolaire 2009-2010, je me suis retrouvé, j'ai rendossé cette identité de prof qui me colle assez bien à la peau. J'aime le rythme assez vif que j'imprime à un cours, ma présence physique dans la classe, au milieu des élèves, et par dessus tout cette fine pellicule de sueur qui se répand très vite sur moi, le signe flagrant que je suis complètement dans ce que je fais, dans ce que je suis à ce moment-là, et que j'aime ça. Le plus beau métier du monde, comme le dit mon collègue CPE Vincent Savelli dans le LHM-Flash de rentrée que j'ai reproduit en photo ? Sûrement pas, mais le plus beau métier pour moi, oui.

mardi 1 septembre 2009

Pluvieuse et heureuse.


C'est fait. C'était ce matin, de 10h00 à 12h30, sous la pluie et le ciel gris. On appelle ça pré-rentrée ou rentrée des enseignants. C'est tout simplement la fin des vacances. Rentrée pluvieuse, rentrée heureuse ? Espérons-le. C'était ma 15ème rentrée dans le même lycée. "J'y suis, j'y reste", c'est sûrement ce qui a dû trotter dans ma tête ces quinze dernières années. Surtout parce que je m'y plais, que je m'y sens bien, que je dois aussi y trouver les élèves sympa.
Alors cette rentrée, c'était comment ? Comme une rentrée... Quoi de neuf ? Beaucoup de vieux... Ah si : on fêtera cette année le bicentenaire de celui qui a donné son nom à l'établissement, Henri Martin, un historien républicain du XIXème siècle. Je m'attendais à ce que le virus H1N1 ait la vedette. Non, le proviseur-adjoint l'a évoqué, mais raisonnablement.

Une pré-rentrée, ce sont de multiples séquences. La séquence émotion : le proviseur annonce ce que tout le monde savait déjà, c'est sa dernière année, il est arrivé un an avant moi. Des applaudissements ambigus ont suivi cette annonce. La séquence découverte : les nouveaux collègues se présentent devant tout le monde au micro (j'ai un nouveau collègue de philo, Olivier). La séquence rigolade : nous allons recevoir en janvier un jeune Texan de 16 ans, le proviseur lance un appel pour qu'une famille l'héberge, assorti de deux conditions : pas de tabac, pas de chat, notre petit cowboy est allergique ! La séquence distribution des fonctions, où j'apprends que je suis prof principal de la TL1 et coordinateur (ou coordonnateur, les deux se disputent dans les documents officiels) de ma discipline ; comme on est deux profs de philo, la coordination (là il n'y a qu'un seul mot possible) n'est pas trop difficile). La séquence convivialité : c'est le pot de fin de matinée où l'on va vers les anciens et les nouveaux, un verre de champagne à la main.

A la fin, on nous remet une pochette avec l'emploi du temps (enfin !), les listes d'élèves (et merde, j'ai ceux de l'an dernier, les 1er L1, avec lesquels je commence demain ; pour ceux qui ne comprennent pas ma réaction, lire le billet du 25 août) et quelques recommandations, notamment à propos de la fameuse grippe (là, il faut lire le billet du 30 août). Comme c'est le début de l'année scolaire, le temps est aux bonnes résolutions : je promets de remplir le cahier de texte électronique et d'y faire figurer les notes de mes élèves, ce que je n'ai pas fait l'an dernier, malgré l'obligation administrative de le faire. Voilà, c'est dit, c'est avoué, je sais que mon proviseur-adjoint consulte ce blog, maintenant il sait.

J'ai une pensée, en ce jour de rentrée, pour mes élèves de l'an dernier : qu'ils ne m'oublient pas comme moi je ne les oublie pas. Une pensée pour mes futurs élèves, ceux que je vais dans les prochains jours rencontrer : que tout se passe bien entre nous, car nous allons commencer neuf mois de vie commune. La suite, vous la lirez chaque jour dans Prof Story.