mardi 31 mars 2009

La petite croix.

La grippe chopée au Père Lachaise (ou avant) gagne du terrain. Après la voix puis le corps, c'est mon outil de travail qui a été atteint aujourd'hui, c'est à dire le cerveau. Que les élèves qui lisent ce blog ne se fassent aucune illusion: ils auront droit demain dès 8h00 à mon cerveau en classe (et ce qui suit). Depuis 16 ans de métier, je n'ai jamais été absent pour cause de maladie, même quand j'étais malade.

Hier, mon cerveau a justement été mis à rude épreuve psychologique, sans que la grippe y soit directement pour quelque chose. Je devais remplir sur internet les feuilles d'orientation des élèves, qui résument d'abord leurs deux premiers trimestres en philo et dans chaque matière, qui valident ensuite leurs voeux d'études pour l'an prochain, déjà examinés lors du dernier conseil de classe. Ça m'a pris trois bonnes heures.

Au bout de chaque voeu (fac, prépa, BTS, IUT, école spécialisée ou autres), il y a quatre cases que je dois remplir en tant que prof principal, en apposant une petite croix dans l'une d'entre elle:s très favorable, favorable, réservé, défavorable, voilà le dilemme. Bien sûr, il a déjà été discuté et tranché collectivement en conseil, mais là, quand je griffonne la petite croix, c'est irréversible.

C'est dans de pareils moments qu'on sent, j'ai presque envie de dire qu'on souffre d'avoir à juger. La partie la plus difficile du métier d'enseignant, c'est pour moi celle-là. Bien sûr c'est l'élève qui propose, qui décide, mais la petite croix sera vue dans les administrations scolaires ou universitaires, et c'est à partir de là que la sélection se fera.

Pour les bons élèves, pas de problème, je fais la croix les yeux fermés. Pour les paresseux et les mauvais, même chose, en me disant cependant: que c'est dommage! Je me revois en début d'année, disant aux uns et aux autres de veiller à bien travailler, d'adopter une attitude sérieuse, de mettre toutes les chances de leur côté, surtout lorsqu'ils n'en ont pas beaucoup. Mais pour certains, c'est peine perdue: la petite croix qui va leur interdire l'accès à telle formation (du moins ne pas la favoriser) est déjà inscrite sur leur front, tel un stigmate.

Je ne les plains pas, je les ai prévenus, ils l'ont voulu, je me demande même parfois s'ils ne l'ont pas cherché (il y a chez certains élèves une forme de suicide pédagogique qui se repère très vite et contre lequel on ne peut pas grand-chose). Toujours est-il que cette petite croix, même pour ceux qui l'ont amplement méritée, j'ai du mal à la loger dans sa petite case. Sous le prof principal, il y a le prof de philo qui résiste et qui se dit qu'on ne devrait jamais juger personne. Moi, en tout cas, j'y parviens difficilement, je recherche spontanément les circonstances atténuantes.

Le plus étrange, c'est que si j'ai beaucoup de mal à juger (car ça revient un peu à décider du destin de quelqu'un), j'accepte volontiers, avec plaisir même, d'être jugé par les autres. Examens, concours, devoirs à rendre, tout cela m'a toujours beaucoup plu, j'aime et je trouve utile pour moi, pour progresser, ces mises à l'épreuve. Juger non, mais être jugé oui! Pas mal de gens réagiraient en sens inverse. Allez y comprendre quelque chose!

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