lundi 6 juillet 2009

Dans le secret du jury.

Ce matin, j'ai pris le train pour Creil, mon cartable plein à craquer de mes 128 copies du bac. Sur le quai, et dans chacune des gares rencontrées (Tergnier-Chauny-Noyon-Compiègne), j'ai vu des individus suspects, sac à dos volumineux, qui n'avaient pas l'air de partir en promenade ou en vacances. Des profs avec leurs copies, j'en suis sûr !

A Creil, mon centre d'examen est installé dans le lycée Jules Uhry. L'entrée est très "sécurisée", comme on dit aujourd'hui : une porte automatique, un gardien puis un tourniquet. A une fenêtre de l'établissement, j'aperçois un énorme panneau marqué "SNES", le syndicat majoritaire dans le second degré.

A l'intérieur, les couloirs sont vides, pas de comité d'accueil (certaines années, dans le lycée, un petit déj nous attend !), des collègues qui errent, une feuille qui m'indique la salle de mon jury (en fait de mes deux jurys, puisque les profs de philo sont très chargés en copies à corriger, étant moins nombreux que dans les autres disciplines).

Il faut donc que je choisisse : j'assiste aux délibérations d'un des deux, et je me tiens près à intervenir dans l'autre, si besoin est. Comment je choisis ? En allant jeter un coup d'oeil chez l'un et l'autre, et en retenant celui qui me semble le plus efficace et le plus rapide ! Mais parfois je me plante ...

Je vais donc vous faire entrer dans ces mystérieux jurys du bac et vous dire ce qui s'y passe. Nous sommes dix enseignants, parmi lesquels la hiérarchie a désigné un président et un vice-président, qui sont responsables des débats et qui font le plus gros du boulot, à forte dimension administrative. Il faut remplir des papelards et faire gaffe de ne pas se tromper dans le calcul des résultats.

C'est assez pesant, surtout pour des profs qui n'ont pas trop l'habitude de ça. On pourrait penser que le travail serait plus efficacement et rapidement fait avec du personnel administratif. Mais le principe est sacré : les jurys du baccalauréat ne doivent être composés que d'enseignants, qui ont seuls le pouvoir de délibérer dans le secret de leur réunion. C'est un peu, si vous voulez, comme un conclave et l'élection d'un pape.

Il faut rappeler que l'attribution du bac est une décision collective, entre les mains d'un jury. La souveraineté n'est pas dans la note que l'enseignant attribue au candidat dans la solitude de son travail. Celle-ci n'est qu'une proposition. C'est le jury qui unanimement arrête les résultats définitifs, par la discussion et l'examen éventuel du livret scolaire.

Ce qui signifie aussi que l'anonymat, à ce moment là, est levé : le jury passe en revue chaque candidat et ses résultats par épreuves et disciplines, en décidant s'il est admis au bac, admissible à l'oral ou bien refusé (il n'y a que ces trois options-là). Pour les admis peut se poser la question de leur mention (assez bien, bien, très bien).

En règle générale, il n'y a pas discussion, le jury ne fait que reconnaître et additionner les notes données, en constatant si le candidat a le bac ou pas. Mais il existe des cas, certes minoritaires, où le débat s'impose : tel candidat à qui il manque quelques points pour aller à l'oral, pour avoir le bac ou pour obtenir une mention, que fait-on ?

C'est à ce moment-là que le jury a toute son utilité et exerce un réel pouvoir. Priver un élève de passer l'oral, d'avoir le bac dès l'écrit ou de recevoir une mention, c'est une lourde responsabilité. Nous en discutons donc entre nous, pour savoir ce qu'on fait. Car les résultats purement numériques ne suffisent pas. Il y a des circonstances où l'intelligence, le bon sens doivent intervenir.

Ce matin, une candidate était à trois points d'avoir le bac. Qu'avons-nous fait ? La faire revenir à l'oral aurait été stupide, puisqu'avec trois points qui manquent, l'oral est automatiquement dans la poche. Sauf que ça n'a pas le même sens d'avoir le bac tout de suite ou au rattrapage. Dans ce genre de situation, nous consultons le livret scolaire, pour voir si l'élève n'a pas démérité dans l'année. Il nous arrive de remonter jusqu'aux résultats de la classe de Première. C'est en fonction de ces informations que nous exerçons ou pas notre indulgence.

Le système est bien rodé, et je le crois profondément juste. Aucun laxisme ou sévérité ne viennent le contrarier. Un prof n'est certes pas contraint de changer une note, ni les collègues ni l'administration ne l'y obligent. Mais la délibération collective a ses vertus, la raison finit par l'emporter. Je n'ai jamais vu, en 16 ans de participation à ces jurys, un désaccord entre les membres qui conduise à un conflit ou à un rapport de force (nous ne passons jamais au vote).

Nous avons notre patois. "Racheter" un candidat signifie lui donner les points supplémentaires pour aller à l'oral et lui donner ainsi une seconde chance. Par extension, "être racheté" ou "repêché" veulent dire que le candidat a réussi à l'oral. Le "rattrapage", c'est le second groupe d'épreuves, quand on n'a pas été admis au premier. Une "collante", c'est la feuille des résultats.

Bilan de mon jury : sur 64 candidats, 29 ont été admis, 15 ont été refusés et 18 vont au "rattrapage" (2 étaient absents lors des épreuves). C'est jeudi que commencera l'oral, jusqu'à vendredi. Comme la philo, dans la série technologique, n'a pas un gros coefficient, il n'est pas certain que j'ai des candidats à interroger. Du coup, pour les disciplines à faible coefficient, le président du jury nous téléphonera jeudi matin pour faire éventuellement appel à nous (les épreuves auront alors lieu dans l'après-midi). Bref, on ne se déplacera pas pour rien et le rectorat fera des économies !

Au retour, dans le train, j'apprécie de porter un cartable allégé : j'ai laissé mes 128 copies dans le centre d'examen, devoir accompli ! Demain, pour tous les candidats au bac de France, c'est le D Day. J'ai ce soir une pensée pour mes élèves, pour le travail que nous avons mené ensemble pendant une année et qui prendra tout son sens demain matin, à la lecture des résultats. Je serai bien sûr là, dans la cour de mon lycée où ces résultats seront affichés.

Je sais qu'il y aura, comme chaque année, des pleurs de joie et de tristesse, des satisfactions et des incompréhensions, des choix à faire pour celles et ceux qui devront passer l'oral. Je sais que des parents seront présents, qu'ils auront autant peur que leurs enfants en prenant connaissance du fatal résultat. Je me dois d'être là, moralement, puisque ce n'est pas une obligation statutaire.

Pour mes élèves, je sais aussi que cette nuit sera la plus longue, que demain sera pour eux l'heure de vérité et pour beaucoup le début d'une nouvelle vie. Leur résultat dort au fond du tiroir de l'administration, dans un quelconque bureau. Pour la plupart, les jeux sont faits. On verra demain si c'est réussi ou raté.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors, avez-vous choisi le "bon" jury?

Difficile à vivre ce moment où l'on apprend les résultats du bac. Comment exulter librement pour exprimer son bonheur d'avoir réussi, quand d'autres sont en larmes d'avoir échoué?...

Une élève a dit…

Aujourd'hui, 7 juillet 2009, je suis ENFIN débarrassée du bac! Youpi! Merci à tous!!!

soldat karl a dit…

Jai eu mon bac et jai pris l'apéro en famille ct aprem comme promis, 14 en philo le résultat grace a lenseignement d'un bon prof qui sait faire intérésser ses éleves a une matiere qui n'est en général pas trés interessante pour eux, trés bonne année, a la prochaine en éspérant enseigner à vos côté d'ici 5 année, pari qui reste à prouver....

Emmanuel Mousset a dit…

A bientôt, cher futur collègue.

Anonyme a dit…

Au sujet du rattrapage de philo, je ne sais pas quelle partie de l'oeuvre Lettre à Ménécée d'Epicure est "interrogeable". Pouvez vous me le rappeler? svp

Emmanuel Mousset a dit…

N'importe quelle partie de l'oeuvre peut être choisie par l'examinateur et soumise à l'explication du candidat, je l'ai souvent répété dans l'année.

Anonyme a dit…

Il est préférable de racheter un double de l'oeuvre alors?

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, il faut que chaque candidat ait deux exemplaires de chaque ouvrage : un pour lui, un pour l'examinateur. Mais ce peut être des photocopies (attention : pas d'annotations sur les documents). Vous pouvez aussi, le jour de l'épreuve, emprunter les exemplaires d'un camarade.