dimanche 31 août 2008

Veille de rentrée.

C'est demain la rentrée, ma quinzième en ce qui me concerne. La rentrée d'un prof n'a psychologiquement rien à voir avec celle d'un élève. Je n'ai pas d'inquiétude, pas de stress, simplement le plaisir de reprendre le travail. Mais oui! Et j'aime pourtant beaucoup les vacances...

Notre rentrée s'appelle "prérentrée". Elle commencera à 9h00 pour les nouveaux enseignants dans l'établissement, et à 10h00 pour tout le monde. A midi, nous aurons droit à une petite réception. Et puis... ce sera fini pour la journée, sauf pour les professeurs principaux du collège et de Seconde (mon établissement est une cité scolaire, collège et lycée) qui se réuniront dans l'après-midi.

Je ne vous en dis pas plus. Même si la rentrée ne me préoccupe guère, il faut que je dorme paisiblement. Ce n'est tout de même plus les vacances!

samedi 30 août 2008

Les cours l'été.

Les vacances d'été se terminent dans 48 heures. Beaucoup se demandent si un prof, pendant ses vacances, prépare ses cours. Oui et non. Oui parce que les premières années, les cours sont à constituer, à roder, à essayer, à transformer. Les vacances servent notamment à ça. Mais au bout de sept ou huit ans (je parle en tout cas pour moi, et en tant que prof de philo), on atteint la bonne formule, le format qui convient, la trame qui est efficace et qu'on ne change alors plus, mais qu'il faut sans cesse parfaire en la répétant.

C'est pourquoi il n'est jamais lassant de faire cours, même si certaines personnes me disent: "Tu dois t'ennuyer à redire les même choses chaque année. " Mais non, bien au contraire! Répéter, ce n'est pas se répéter: un même cours peut être fait et dit de façons très différentes. Il faut donc beaucoup répéter (comme on le dit d'un comédien et d'une pièce) pour parvenir à se rapprocher, petit à petit, au fil des années, de la meilleure façon, du bon cours. Un prof qui changerait ses cours chaque année, pendant l'été, serait un mauvais prof, qui n'aurait pas trouvé son style de cours.

Ce qui ne signifie pas que tout est immobile dans un cours, puisque celui-ci n'est réussi que s'il est vivant. Les ouvrages étudiés, les auteurs travaillés, les références exploitées, les sujets abordés, oui, tout cela se prépare pendant les vacances, mais naturellement, spontanément, au gré de mes réflexions et de mes lectures. Car je ne dissocie pas mon métier de mon existence. Mes loisirs, par exemple, je les consacre aussi à la philosophie, en lisant comme je l'ai fait cet été des ouvrages divers qui m'aident, sans y penser spécifiquement, à l'élaboration de mes prochains cours. Même pendant ce week-end où je lis les "Propos sur le bonheur" d'Alain, même pendant ces dernières heures qui me séparent de la rentrée.

jeudi 28 août 2008

MGEN.

J'ai reçu, au courrier ce matin, une grosse enveloppe de la MGEN, pleine de documents et de prospectus, à afficher ou à distribuer à la rentrée dans mon établissement, dont je suis l'un des correspondants MGEN. Dans l'Education Nationale, tout est dans tout, et réciproquement. L'appartenance syndicale, l'engagement associatif, la responsabilité mutualiste, et j'oserais ajouter l'adhésion politique, l'école publique ayant été fondée par les républicains et, depuis, fort défendue par la gauche. Mais attention: en toute laïcité! L'affichage politique n'a pas sa place à l'intérieur des établissements.

Correspondant MGEN, ça consiste en quoi? A renseigner les collègues sur les problèmes de Sécurité Sociale et de couverture santé. Ca signifie surtout rappeler aux nouveaux qu'ils doivent s'inscrire à la MGEN départementale, car il n'y a pas automaticité. La MGEN, c'est la principale mutuelle des enseignants, qui s'occupe aussi de leur Sécu. Pour moi, c'est plus que ça: c'est la défense de certaines valeurs, solidaires, mutualistes, progressistes, qui sont liées à l'école publique et au métier d'enseignant.

En réalité, le boulot de correspondant n'est pas lourd du tout, puisque nous avons, dans les lycées et les collèges, une administration qui informe bien les collègues. Dans les écoles, en revanche, l'enseignant peut se sentir plus isolé, moins bien informé (pas d'administration). Mais avec internet, l'information circule très vite. Le temps est bien fini où les enseignants vivaient en quelque sorte sous la protection de la tutelle syndicale et mutualiste, à la grande époque de la FEN, il y a... 20 ou 30 ans.

Il n'empêche que la MGEN, ce n'est pas rien! 3 millions d'adhérents, qui versent chacun 2,5% de leur revenu brut pour faire face aux aléas de la santé. C'est la première mutuelle d'Europe. Et j'y tiens!

mercredi 27 août 2008

L'usage des expos.

J'ai visité ce matin l'exposition "Le grand récit de l'Univers", à la Cité des Sciences et de l'Industrie, à Paris. C'est remarquablement bien fait. On apprend tout sur l'origine de l'Univers, les galaxies, les étoiles, la matière. Pas facile d'expliquer des théories aussi difficiles que celles d'Einstein ou de Max Planck! Mais pari réussi.

La visite d'une expo avec les élèves peut seconder utilement le travail de l'enseignant. L'expo elle-même peut donner des idées en matière de pédagogie. Je crois qu'il est bon, de temps en temps, de sortir de sa classe. A deux conditions: qu'un travail préalable des élèves les prépare à ce qu'ils vont voir, que la visite soit suivie d'une réflexion individuelle et collective, pour que la sortie ne soit pas perçue comme un loisir, même studieux!

Je n'ignore pas les préventions qu'on peut avoir à l'égard des expositions, du moins quant à leur exploitation dans un cadre scolaire. C'est un peu comme la visite au musée. Il y a dans la démarche une passivité qui n'est pas très profitable. Des panneaux, c'est statique, mort, on passe devant et on n'apprend pas nécessairement grand-chose. J'en suis d'accord. C'est pourquoi, en compagnie d'élèves, la meilleure visite sera toujours guidée, commentée.

Et puis, le monde des expos a bien changé. Fini les longs textes bavards, pédants, incompréhensibles et ennuyeux, terminé ce côté poussiéreux qui collait à pas mal d'expos. Celle de La Villette est vraiment formidable parce que très moderne. On est bien loin de ses ancêtres que j'allais voir, dans les années 70, au Palais de la Découverte. Désormais, les espaces sont larges, aérés, les textes extrêmement concis, la vidéo abondamment utilisée, l'interactivité sollicitée, à travers des questions posées au visiteur tout au long de l'exposition. L'ensemble est clair, didactique, agréable, ludique. Et pour ne rien gâcher, l'accès est ouvert, signe des temps, aux personnes handicapées, avec rampes, braille et langage des signes. L'expo d'autrefois, c'est bel et bien fini.

mardi 26 août 2008

La fin du samedi.

La rentrée à l'école primaire sera différente des autres années, puisqu'une réforme est appliquée, dont la mesure sans doute la plus spectaculaire est la fin du samedi matin travaillé, qui existait depuis toujours. Pour retrouver un événement équivalent dans la chronologie scolaire, il faut se souvenir du passage du jeudi au mercredi, que j'ai vécu dans les années 70. Mais on ne faisait alors qu'un transfert. Là, il s'agit carrément d'une suppression.

Qu'est-ce qui a motivé cette petite révolution? Bien sûr l'évolution des moeurs, les changements dans la société. Le week-end, depuis longtemps déjà, est devenu sacré. Avec les 35 heures, il commence souvent le vendredi soir. Les loisirs se sont répandus, les voyages de deux jours aussi. Bref, les gens ont de plus en plus besoin de leur samedi matin! La banalisation du divorce a renforcé le phénomène, avec la garde des enfants tout le week-end. Pour toutes ces raisons, il est plus simple, plus pratique, bien meilleur de supprimer le samedi matin. La population ne s'y trompe pas: tous les sondages montrent que la majorité est satisfaite.

Pourtant, moi, je ne suis pas complètement satisfait. Je sais pourtant que ce mouvement s'est déclenché il y a quelques années, avec des écoles fermant dès le vendredi soir. Je sais que les collèges et surtout les lycées ont anticipé cette suppression. Chez moi, à Henri-Martin, au début, je travaillais le samedi matin. C'est terminé, depuis pas mal d'années. Avec cette nuance: les élèves de Terminales viennent régulièrement ce jour-là pour des devoirs surveillés préparant généralement au baccalauréat.

Si je ne suis pas satisfait, c'est parce qu'on pense dans cette affaire à l'intérêt et au confort des familles avant de songer à l'intérêt et au travail des élèves. Les deux sont évidemment liés et méritent qu'on veille à l'un et à l'autre. Mais la priorité, c'est l'élève! Car la suppression du samedi conduit inévitablement à la semaine de quatre jours de travail. Le bon sens me fait dire qu'il faut étaler le travail et non pas le concentrer. L'expérience la plus banale montre qu'au bout de quelques heures, surtout dans l'après-midi, on perd de son efficacité.

Drôle de société: on demande aux adultes de travailler plus, et on va amener les enfants à travailler moins. Mais pour gagner quoi? Quelques heures de loisirs... Je ne suis certes pas fondamentalement inquiet. Les jeunes sauront s'adapter, de nouvelles habitudes seront finalement prises, le travail et l'intelligence, l'un étant le moyen et l'autre l'objectif de l'école, finiront par l'emporter.

lundi 25 août 2008

Assuré et rassuré.

Dans une société obsédée par la sécurité, la question se pose d'autant lorsqu'il s'agit de la sécurité des élèves. Le monde moderne conjure l'insécurité par un mécanisme révolutionnaire: l'assurance. On paie pour se prémunir contre les conséquences financières du malheur. A l'école, l'enfant doit-il être assuré? Non, ce n'est pas obligatoire, c'est l'Etat qui débourse en cas d'accident, sauf les petits pépins. Mais pour les activités scolaires facultatives (une sortie par exemple), il faut s'assurer.

Cependant, l'Education Nationale recommande fortement l'assurance scolaire, pour plus de... sécurité, pour éviter les contentieux (dont notre société qui se judiciarise est de plus en plus friande). Le problème, c'est que les contrats d'assurance sont souvent un maquis inextricable que seuls les experts peuvent démêler. L'assurance scolaire fait parfois double emploi avec d'autres contrats, qui couvrent déjà les risques à l'école, par exemple la responsabilité civile, l'assurance individuelle accident corporel, le contrat multi-risques habitation,...

Pour ceux qui veulent quand même prendre une assurance scolaire, il y a un empire en trois lettres, MAE, 3,4 millions d'adhérents en 2007, et des cotisations pas très élevées, 10 à 30 euros par an. Particularité: cette mutuelle propose des contrats collectifs aux écoles et elle est en partenariat avec la fédération des parents d'élèves, la FCPE. Bref, la MAE couvre environ la moitié des scolarisés, de la maternelle à l'Université.

Mais l'empire a ses concurrents, certes moins puissants mais actifs. Les MMA ont conclu un accord avec les parents d'élèves de la PEEP, la réponse du berger de droite à la bergère de gauche, si j'ose dire. Mais d'autres compagnies ne sont pas en reste (sachant que tous les assureurs ont maintenant leur assurance scolaire): MAAF, Axa, AGF, Groupama-Gan.

Assurés, vous voilà rassurés, donc prêts pour la rentrée: c'est dans huit jours!

dimanche 24 août 2008

Tendances.

Je vais rester aujourd'hui dans les achats scolaires, puisque c'est de saison. Allez dans un hypermarché en ce moment, vous verrez enfants et parents nombreux dans le copieux rayon papeterie. Enfants et parents? Pas tout à fait. Les parents viennent maintenant plus souvent sans les enfants, leur liste à la main, pour éviter la pression vers ce qu'on appelle l'hyperconsommation. Autre phénomène: le recours à l'internet, qui permet la chasse aux bonnes affaires. 50% des familles s'y rendent. Il n'empêche que l'année scolaire est ouverte et close par ces deux événements: la cohue dans les supermarchés en fin août pour les fournitures, la cohue dans les lycées en début juillet pour les résultats du bac.

Quels sont les articles à la mode cette année? Les articles qui ne sont pas à la mode! C'est une boutade bien sûr, avec sa part de vérité: les produits de marque reculent au profit des MDD, marques de distributeurs, c'est-à-dire les premiers prix. Une tendance qu'il faudra vérifier lors des prochaines rentrées. Sinon, quels produits font fureur? Dis-moi ce que tu achètes, je te dirais qui tu es... En regardant ce que nos élèves disposent sur leur table et dans leur sac, nous apprenons aussi à les connaître et à comprendre notre société, tant il est vrai que la consommation en est le reflet.

Depuis que l'école existe, il n'y a que de trois façon pour l'élève de porter son cartable: à la main, sur le dos ou en bandoulière. Ce dernier mode est récent, dans les années 70, lorsque le cartable s'est transformé en sac, surtout au lycée. La nouveauté: le cartable à roulettes, qui répond à un problème récurrent ces quinze dernières années, la lourdeur des cahiers et des livres, désormais réglé puisqu'on ne porte plus, on pousse ou on tire, comme sa valise dans la gare ou l'aéroport. Le cartable à roulettes, c'est le triomphe de la société du confort.

Plus surprenant dans notre société du prêt à jeter, de l'objet qu'on change rapidement, la vogue des articles flexibles et donc incassables, règle, équerre, compas par exemple. Mais ne rejoignent-ils pas l'attrait pour le "développement durable", avec ces ustensiles qui le sont aussi? Souplesse, flexibilité, ces qualités dans l'air du temps ne valent plus que pour les hommes, les objets aussi sont concernés. Et puis, entre les mains de l'enfant turbulent, les choses ne risquent plus leur vie.

Le mini est de retour. Dans les années 60, nous avions la mini-jupe, puis le mini-vélo. Aujourd'hui, le mini s'est répandu aux articles scolaires, gomme, stylo, etc. Pourquoi, qu'est-ce que ça signifie? Le mini est maniable, pratique, économe en place. Il correspond à cette catégorie esthétique très contemporaine, le "mignon", qui a supplanté le beau et l'élégant, pas assez démocratique. Plus profondément, le "petit" est devenu un terme qui s'est répandu: petit ami, petit souci, petit café, notre société raffole de tout ce qui est petit, et le vocabulaire l'atteste. Pour plus d'explication, écoutez l'émission radiophonique "Mythographies" consacrée à ce sujet ( http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions_ete/rr ).

Dernière tendance, moins surprenante, les fournitures scolaires écolos: calculatrice solaire, stylo en plastique recyclé, trousse en pneu (mais oui, ça existe!). Quand je reprendrai mes cours la semaine prochaine, c'est promis, je commencerai par observer ce que mes élèves étalent devant eux.

samedi 23 août 2008

L'achat des manuels.

Il est beaucoup question, ces jours-ci, dans la presse régionale et nationale, du coût de la rentrée scolaire pour les familles, en se concentrant sur les dépenses de papeterie et en oubliant les manuels scolaires, qui reviennent pourtant le plus cher, surtout aux lycées, où ils sont nombreux et onéreux. Mais l'oubli est normal, cette charge financière étant souvent assumée par la collectivité, du moins partiellement.

A l'école primaire, pas de problème, ce sont les communes qui paient, même si la loi ne les oblige pas. Mais la tradition s'est installée. Au collège, pas de problème non plus pour les familles: c'est l'Etat qui attribue une somme aux rectorats, distribuée aux inspections académiques, reversée à chaque collège pour l'achat des livres. Mais au lycée, c'est à la famille, en théorie, de se débrouiller, comme si l'école "gratuite" s'arrêtait à la classe de Troisième!

En pratique, les Conseils régionaux, dont dépendent les lycées, interviennent fortement, de multiples façons, avec un objectif: tendre autant que possible à la gratuité, ce que parviennent à faire certains Régions. D'autres réduisent considérablement le coût des manuels en distribuant des cartes de crédit, des chéquiers-livres, des bons d'achat ou des dotations particulières aux établissements. Le lycée aussi doit être gratuit! Surtout en ce qui concerne les manuels scolaires. Imaginez un ouvrier allant à l'usine et devant acheter ses outils ou un employé allant au bureau avec sa table et son matériel...

Combien coûte à mes élèves leur année de philo? Presque rien! La philosophie est l'une des rares matières, peut-être la seule, qui peut se payer le luxe de la quasi gratuité. Tout dans la tête, nul besoin de fournitures annexes! Je charrie un peu: il faut un stylo et du papier pour prendre des notes, cahier ou classeur, peu importe. Mais après? A Saint-Quentin, au lycée Henri-Martin, la tradition chez les profs de philo est de ne pas demander aux élèves d'acheter de manuel. En 15 ans, je n'ai vu aucun élève m'interroger là-dessus, ni aucun parent s'en plaindre. La force de l'habitude, que personne n'ose remettre en question...

Socrate et ses disciples philosophaient sans livres, alors... Sauf que je ne suis pas Socrate et mes élèves ne sont pas mes disciples. Quand nous devons travailler sur des textes de philosophie, je distribue des photocopies à la classe. Et puis, le CDI (la bibliothèque du lycée) met à disposition de nombreux ouvrages de philo, dont quelques manuels.

Cependant, le programme officiel oblige à étudier, dans l'année, deux ouvrages qui serviront éventuellement pour l'oral du baccalauréat, si le candidat rate l'écrit et est admis au second groupe d'épreuves. Là, les élèves doivent acheter leurs livres et les garder pour eux. En général, le coût global tourne autour de 11 euros. Et comme je m'efforce de choisir des texte courts (entre 20 et 30 pages), les élèves dans la dèche peuvent les photocopier ou les imprimer sur internet. Bref, le matériel nécessaire en philo: un cahier, un stylo et surtout un cerveau!

vendredi 22 août 2008

Contre l'homophobie.

Dans un entretien à paraître en septembre dans "le magazine des gays et des lesbiennes", Têtu, n°136, Xavier Darcos rappelle que la lutte contre l'homophobie est "un enjeu essentiel" pour l'Education Nationale. On pourrait s'étonner de la confirmation d'une telle évidence, qui ne devrait pas en avoir besoin. Pourtant, la mention explicite à l'homophobie en tant que discrimination date de cette année, dans ce qu'on appelle la circulaire de rentrée, c'est-à-dire le texte qui expose les grandes orientations pour l'année scolaire à venir, paru le 4 avril.

A quoi il faut ajouter la campagne d'affichage, dès la rentrée, dans tous les lycées, où un numéro (le 08 10 20 30 40) permettra de répondre aux questions des élèves sur l'identité sexuelle. Les collèges ne sont pas concernés, le sujet étant jugé "délicat" à traiter auprès des plus jeunes. Je comprends la réticence et la prudence, mais la bonne pédagogie ne craint pas ce genre de défi. Tout s'explique, tout se partage, pourvu que les mots soient choisis, les méthodes appropriées, les objectifs très clairs, les éducateurs bien formés. Ce que je sais, c'est que l'homophobie la plus sauvage, la plus méchante, la plus bête est plus présente en collège qu'en lycée, où les pré-adultes que sont ses élèves sont moins perméables aux préjugés idiots. Il ne faudra donc pas oublier, l'an prochain, le collège.

Vous me direz peut-être que le mot "homophobie" n'a pas besoin d'être écrit noir sur blanc pour que les enseignants dénoncent le phénomène avec leurs élèves, à l'occasion de tel ou tel travail pédagogique, à partir de la discipline de chacun (l'homophobie vue par la biologie, l'histoire, la littérature, la philosophie,...). Certes, mais cela va encore mieux de soi quand on l'écrit. L'Education Nationale est un univers administratif, où l'écrit, notamment ministériel, a une valeur impérative, force de loi en quelque sorte.

Personnellement, dans le cadre des "Semaines contre le racisme et les discriminations" que j'organise chaque année, je sais que je pourrai m'appuyer sur la précision de la circulaire de rentrée pour justifier la mise en place d'une action spécifique contre l'homophobie, qui ne pourra pas alors m'être refusée, même au titre parfaitement légitime de la précaution ou de la prudence. Quoique mon propre exemple n'est pas bon, mon lycée n'ayant jamais posé aucune difficulté à ce type d'action, les ayant au contraire toujours encouragé.

Xavier Darcos a demandé aux chefs d'établissement d'être particulièrement vigilants en matière d'incidents homophobes. On pourrait croire cette recommandation excessive, dans une société où l'homosexualité est incomparablement mieux admise qu'autrefois, notamment parmi les jeunes. Oui et non. Les réactions homophobes sont toujours là, même quand la loi les condamne (mais il n'y a pas si longtemps, c'est l'homosexualité qui était condamnée par la loi!). "Sale pédé!", combien de fois ne l'entend-t-on pas quand on traverse une cour de récréation? Bien sûr, c'est souvent plus une injure facile, une provocation qu'une marque authentique et profonde d'homophobie. Mais l'école est un lieu où l'on apprend que les mots ont un sens et qu'on ne les emploie pas n'importe comment. Cette interjection, quel qu'en soit le sous-entendu, est inacceptable et doit être sanctionnée.

jeudi 21 août 2008

Les allocations scolaires.

Il n'y a pas que les allocations familiales versées aux parents, il y a aussi, cette semaine, les allocations scolaires, que j'emploie au pluriel puisque cette année, l'allocation unique de rentrée scolaire (ARS) a été modulée selon trois tranches d'âge, qui correspondent aux trois niveaux de la scolarité, école (6-10 ans: 272,59 euros), collège (11-14 ans: 287,59 euros) et lycée (15-18 ans: 297,59 euros). Cette aide pour chaque enfant d'une famille répond au problème que j'évoquais dans le billet d'hier, le coût de la rentrée.

Le versement est accepté sous conditions de ressources, ce qui me semble juste: seuls les familles modestes en bénéficient. Ces ressources ne doivent pas dépasser 21 991 euros pour un enfant à charge, 27 066 euros pour deux enfants, 32 141 pour trois, puis 5 075 euros par enfant supplémentaire.

Ce système est incontestablement plus équitable que le montant unique pour tous, qui était de 272,59 euros l'an dernier. En effet, l'achat de fournitures scolaires augmentent considérablement au fil de la scolarité. Entre l'enfant de 6 ans et, dix ans plus tard, l'adolescent de 16 ans, il n'y a pas de commune mesure.

C'est là précisément, dans la faible amplitude de la modulation, que le dispositif n'est pas aussi juste qu'il conviendrait. L'élève de Terminale ne touche que 25 euros de plus que celui de Cours Préparatoire! La solution aurait été d'augmenter l'allocation manifestement trop faible du premier et de réduire celle du second (272,59 euros pour un enfant qui entre au CP, est-ce bien raisonnable?)

Mais quel gouvernement se risquerait politiquement à prendre une telle mesure? Car si toutes les familles sont amenées à fréquenter l'école primaire, toutes ne conduisent pas leurs enfants jusqu'au lycée. Quant à conserver le montant de l'allocation de base et d'élever substantiellement celui du collège et du lycée, on imagine facilement les arguments économiques (et d'économie!) qui seraient avancés.

Autre problème souvent soulevé: l'argent ne va-t-elle pas ailleurs qu'aux fournitures scolaires? Se la poser, c'est introduire un soupçon que je trouve moralement déplacé. Sans verser dans la naïveté, pourquoi faudrait-il douter de l'affectation de la somme donnée? Ou bien alors, il va falloir douter de toute somme versée dans un but précis sans vérification de l'utilisation.

Allons jusqu'au bout du raisonnement: qui est prêt à accepter un système où l'allocation serait versée sur présentation de justificatifs, sous forme de remboursement de factures, ou bien par retenue de l'argent non justifié sur l'allocation de l'année suivante? Sans compter qu'il faudra trouver les fonctionnaires chargés des fastidieuses vérifications... Je crois que personne n'oserait aller jusque-là.

mercredi 20 août 2008

L'école a un prix.

Ecole gratuite? Oui, mais il faut acheter les fournitures scolaires, dont le prix n'a cessé d'augmenter ces 24 dernières années... sauf pour cette rentrée, selon l'enquête de l'association Familles de France. Pour un collégien, le coût s'élève à 190,82 euros, soit une baisse de 7,67% par rapport à 2007. A l'heure où beaucoup de secteurs de la consommation sont affectés par la hausse des prix, où le débat politique est centré sur la question du pouvoir d'achat, les emplettes scolaires échapperaient-elles à cette actualité? Deux autres associations contestent les conclusions de la première, la Confédération syndicale des familles et l'Union des familles laïques, qui annoncent une augmentation du prix de la rentrée entre 1 et 3%. Où est donc la vérité?

Comme toujours avec les chiffres, la réponse est moins dans le résultat que dans le mode de calcul. Familles de France avance une baisse qui porte exclusivement sur les fournitures scolaires. Or, ce que coûte l'élève à ses parents va au-delà: il y a le prix du transport, de la cantine, des vêtements, etc. Quand ce n'est pas le recours à du soutien scolaire privé... Familles de France en a parfaitement conscience puisqu'elle précise que les frais annexes (sport, loisir, transport) ont augmenté de 50% et le budget vêtements-coiffeur de 115 euros! Bref, un élève revient cher à ses parents...

La baisse des fournitures scolaires, qui est tout de même le coeur des dépenses de rentrée, s'explique en grande partie par l'accord passé entre le ministère et la grande distribution qui vise à geler les prix de 46 produits scolaires de base, décision qui a manifestement eu un effet sur les prix dans les magasins spécialisés.

Mais le problème de fond, nous le connaissons bien depuis une bonne vingtaine d'années: l'école est entrée elle aussi dans l'ère de la consommation, d'une façon affolante. La vogue des "marques" en est l'expression la plus spectaculaire. Stylo, cahier, cartable, chaussures, vêtements, tout y passe, l'enfant devient un agent publicitaire, un singe grimé, un petit clown de la société de consommation. Je connais la réponse à cette critique: les enfants veulent être comme les autres, ne pas se sentir rejetés, marginalisés. A ce prix-là? En les transformant en des poupées ou en des jouets vivants? En encourageant le mimétisme et le narcissisme?

Non, un enseignant ne peut pas approuver cette tendance. Mes souvenirs d'école, dans les années 1960-1970, me font dire qu'on peut vivre sans les marques et les gadgets, ou bien les réserver, si cela amuse, au temps extra-scolaire. Les parents sont bien sûr les premiers responsables. C'est à eux de ne pas céder à la demande des enfants. Mais c'est aussi le rôle des enseignants, de l'administration, de résister à l'offre de la société. L'école doit être ouverte sur le monde mais ne pas tout en accepter. Le mercantilisme doit être banni des établissements scolaires, autant que le prosélytisme religieux ou politique. Les cours d'instruction civique sont par exemple le lieu où cette prise de conscience pourrait être suscitée.

mardi 19 août 2008

La rentrée avant la rentrée.

Quinze jours avant la date officielle, 6 167 lycéens dans 200 lycées en difficultés scolaires, généraux, techniques ou professionnels, ont fait hier leur rentrée. Pas la vraie de vrai, bien sûr, seulement des cours de soutien pour préparer à la Terminale ou à l'Université. Mais tout de même, pour ces courageux élèves (tous volontaires!), les vacances sont bel et bien finies:

4 heures par jour, du lundi au vendredi, durant les deux prochaines semaines, ils vont, par groupes de dix, réviser les maths, le français et les langues pour les lycéens, les méthodes de travail pour les bacheliers. L'encadrement sera assuré par des enseignants volontaires payés en heures supplémentaires, des étudiants en 2ème année de master et des vacataires étrangers. Si le dispositif est un succès (et il semble que oui vu le nombre d'inscrits), il sera reconduit aux vacances de Toussaint et de printemps.

Comment ne pas se réjouir, quand on est enseignant, de cet engouement! Qui dira après que les élèves sont "nuls" ou fainéants? A vrai dire, la prise de conscience d'une nécessité de la réussite scolaire est très forte chez la plupart d'entre eux et de leurs parents, la volonté de la satisfaire au mieux est souvent présente. Et cette décision de préparer l'année à venir les honore. Pour les futurs étudiants, la fac est un monde qui inquiète, où les structures très serrées de l'école, du collège et du lycée, auxquelles ils ont été habitué pendant près de quinze ans, disparaissent pour laisser place à une dangereuse liberté, une terrible autonomie, qui doivent être maîtrisées avant qu'elles ne perdent les jeunes étudiants.

Pour les lycéens, je vais parler de ma boutique, la philosophie, une discipline à bien des égards universitaire, d'ailleurs enseignée dans le supérieur pour la plupart des autres pays. La philo, à la différence des autres matières, ils ne connaissent pas, ont entendu parler en de mauvais termes, ne savent évidemment pas faire une dissert de philo, redoutent le commentaire de textes largement incompréhensibles, se noient dans des lectures insaisissables. Je verrais bien, pour eux, une préparation seulement méthodologique en cette fin d'été, sans entrer encore dans le programme, mais pour initier, sensibiliser, rassurer aussi.

L'idée est déjà ancienne, quel que soit le nom qu'on lui donne, soutien, accompagnement, tutorat,... Elle part d'un double constat: le nombre important d'élèves en difficulté, le succès grandissant des cours privés. C'est donc une bonne idée, qui répond à une nécessité, mais qui n'est pas sans poser des questions:

- 6 000 élèves, c'est peu au regard du problème à traiter. Comment, avec quels moyens étendre le dispositif?
- Au nom de l'égalité, chaque élève, chaque famille voudront pouvoir bénéficier de ce soutien gratuit. Comment se fera la sélection?
- Le ministère propose du travail et des heures supplémentaires aux enseignants, mais supprime des dizaines de milliers de postes. Comment cette contradiction sera-t-elle longtemps tenable?

lundi 18 août 2008

"Lost", série philosophique.

Samedi soir, TF1 a diffusé les deux derniers épisodes de "Lost", saison 4 (il y en aura 6). Une série ou un film populaires peuvent faire l'objet d'une lecture philosophique, comme mon collègue Yannick Bezin, prof de philo à Soissons, s'y s'est essayé avec "Matrix". Pourquoi la série de J.J. Abrams se prête-t-elle, à mon sens, à ce type d'interprétation? Quatre problématiques philosophiques sont repérables dans "Lost":

- La raison: cette histoire extravagante de survivants d'un crash sur une île rien moins que déserte, soumis à des événements tous plus fantastiques les uns que les autres, surprend, interpelle, provoque la raison. Nous pourrions être dans de la pure science-fiction ou dans une aventure surnaturelle. Non, les scénaristes ont choisi de rationaliser, autant que faire se peut, le déroulement des faits, en nous laissant la liberté, le plaisir et la difficulté de résoudre les mystères, qui vont en s'accroissant au fil des épisodes. Comme nulle autre série télévisée auparavant, sauf peut-être "Le Prisonnier", "Lost", loin d'exciter notre imagination, fait travailler notre raison en quête incessante (et vaine pour ma part, du moins jusqu'à maintenant) d'explications scientifiques.

- Le sens: moins nous comprenons "Lost", plus nous voulons lui donner un sens. Car l'hypothèse d'une trame gratuite et absurde ne tient pas. Il y a une causalité, une cohérence, une direction dans ce feuilleton, comme dans la vie. Mais la finalité nous échappe, comme beaucoup de choses dans la vie, dont la raison ne suffit pas à rendre compte. "Lost" pose donc le problème du sens. Que signifient donc ces images qui défilent, cette histoire qui se déploie, ces événements qui surviennent? Certains téléspectateurs leur ont trouvé un sens moral (des hommes et des femmes soumis à épreuve), social (l'expérience de la vie collective), psychologique (le déroulement d'un mauvais rêve) et même religieux (les "disparus" seraient au Purgatoire!).

- Le mal: l'île est un paradis végétal mais souvent un enfer humain. Les personnages y souffrent, certains meurent. Un monstre rôde, des faits étranges et inquiétants se produisent. Chaque protagoniste est confronté à sa mémoire, toujours douloureuse, souvent coupable, dans laquelle le rapport filial est fréquemment et dramatiquement interrogé. C'est pourquoi le mal est un thème constant qui relie entre eux les personnages, et qui est peut-être la clé finale. Ce mal, c'est aussi la limite que frôlent sans cesse les "disparus": la folie.

- Le temps: le puzzle que chaque téléspectateur, moi le premier, s'efforce à reconstruire n'est pas spatial, l'énigme semblant trop complexe à résoudre dans le seul présent, mais temporel. La série est construite sur une déconstruction du temps, puisque nous sommes confrontés, jusqu'à la saison 3, à des retours dans le passé, et à partir de la saison 4, à des projections dans l'avenir. Cette chronologie perturbée trouble notre jugement et contient probablement, une fois reconstituée, le fin mot de toute cette incroyable histoire. La problématique de la durée, de la temporalité, est donc soulevée par le feuilleton.

Etudierai-je "Lost" en classe? Probablement pas, sauf si j'avais une classe très sérieuse, qui soit apte à prendre très au sérieux cette série, que la plupart des élèves prendront pour ce qu'elle est directement, une fiction américaine d'aventures fantastiques. Ceux-ci jugeront alors très peu sérieux un prof de philo qui aurait la fantaisie de l'aborder en cours, même sous le prétexte d'une lecture philosophique, encore plus énigmatique pour eux que les mystères de "Lost".

dimanche 17 août 2008

Mes anciens élèves.

Neuf mois, le temps d'une année scolaire, et puis s'en va, on ne revoit plus la classe, sauf quelques rares redoublants. C'est ainsi lorsqu'on est prof de philo, en queue du système scolaire, la toute dernière année, la classe de Terminale. Neuf mois, c'est peu, c'est vite passé. Mais parfois, les élèves reprennent contact. C'est toujours pour moi un plaisir, savoir que le lien n'est pas rompu, apprendre ce qu'ils deviennent.

Sur mon téléphone portable, hier, j'ai reçu deux SMS d'anciennes élèves. Anciennes? De l'année passée, d'il y a quelques mois seulement. Emilie m'a appris qu'elle avait trouvée à s'inscrire dans un BTS d'esthétique, à Cambrai. Je suis très heureux pour elle. C'est une redoublante, que j'avais déjà comme élève l'année d'avant (qui m'a donc subi deux ans!). Sérieuse, travailleuse, en progrès dans sa seconde Terminale, mais confrontée à son deuxième échec au bac... qu'elle n'a pas mérité. Moralement je veux dire, car scolairement, elle n'est pas parvenue à dépasser certaines limites. C'est une peine pour moi, ces élèves-là, qui font tout pour réussir, qu'on aimerait voir réussir et qui n'y arrivent pas.

Emilie est très sensible. A la fin de sa première année avec moi, elle a pleuré quand je lui ai donné ses résultats. Puis elle a remonté la pente, retrouvé le moral. Mais la deuxième année, ça n'a toujours pas passé. Je suis heureux qu'elle ait pu trouver une formation post-bac qui n'exige pas... le bac. Et puis, Emilie a une passion, la chanson, et une très belle voix. Beaucoup d'élèves, des filles surtout, sont comme ça, c'est la génération Star Ac. J'ai envie de dire: l'illusion Star Ac. Mais Emilie a la tête sur les épaules. Après tout, ce n'est pas une émission déshonorante, pourvu qu'on la regarde avec lucidité.

J'envoie un SMS à Emilie, pour lui souhaiter bonne courage pour la suite, et garder le contact. Car j'aurai encore besoin d'elle! Chaque année, j'organise les Semaines d'éducation contre le racisme, en mars, et je sollicite sur ce thème les talents les plus nombreux et les plus divers. Emilie, c'est la variété française. Lui demander de philosopher, ça n'a pas toujours été facile, mais lui demander de chanter, je sais qu'elle dira toujours oui.

Mon second SMS est de Morgane: elle m'invitait, samedi, à une soirée dans le café tenu par sa mère. Morgane, elle, a eu le bac. Elle m'a déjà invité, dans l'année, une fois, à ce genre de petite fête. Beaucoup de collègues à ma place hésiteraient, diraient non, avec raison. Entre le prof et l'élève, il doit y avoir une distance, d'ordre professionnel, que la familiarité ne doit pas altérer. J'ai donc, moi aussi, hésité, mais pas trop longtemps. La rencontre n'était pas privée mais publique, et dans l'établissement de ses parents. J'y suis allé, sans regret, avec plaisir. Il est intéressant et bon de savoir d'où viennent nos élèves, comment ils vivent en dehors du lycée. Le problème, c'est que cette connaissance est strictement impossible: j'ai chaque année environ 80 élèves!

Hier soir, cependant, je ne me suis pas rendu à l'invitation (qui ne posait pourtant plus aucun problème déontologique, les anciens élèves n'étant plus des élèves, et moi n'étant donc plus leur professeur...). Je me suis excusé auprès de Morgane, mais je ne pouvais pas renoncer à la chose la plus importante au monde ce samedi soir: les deux derniers épisodes de la saison 4 de la série télévisée "Lost"! Je vous expliquerai pourquoi dans un prochain billet.

samedi 16 août 2008

Les grandes vacances.

Les grandes vacances! Rien de tel que le mois d'août pour en parler! Certains enseignants ont le sentiment qu'elles fondent comme neige au soleil, jusqu'à prétendre que les "grandes vacances" ne sont plus celles d'autrefois. Ils ont raison et tort à la fois. Raison parce qu'officiellement le terme ne figure plus dans les circulaires du ministère (on parle des "vacances d'été"), raison aussi parce qu'elles sont moins "grandes", moins longues qu'avant. Mais tort parce qu'aucun jour de vacances n'a été "volé": leur somme a été seulement mieux répartie, au bénéfice des "petites vacances". Pour comprendre cette évolution, il faut rappeler quatre étapes dans l'histoire des "grandes vacances":

XIXème siècle: l'expression "grandes vacances" apparaît dès qu'apparaît l'école moderne. Sauf qu'elles sont beaucoup moins "grandes" (six bonnes semaines, pas plus) et qu'elles ne ressemblent pas du tout à des "vacances", puisqu'elles ne sont accordées que pour permettre aux enfants d'aider leurs parents dans les travaux des champs. C'est pourquoi elles s'étalent du 5 août jusqu'au 20 septembre et sont les seules et uniques vacances de l'année!

1939: c'est le début des vraies "grandes vacances", c'est-à-dire des 10 semaines de liberté pour les élèves, du 15 juillet au 30 septembre. Cette extension considérable est la conjonction de deux facteurs: les congés payés décidés par le Front Populaire ont fait entrer la France dans la société des loisirs. Vacances devient synonyme de repos. Mais pas nécessairement pour tous les élèves! Notre civilisation est encore massivement rurale, et après la moisson vient le temps des vendanges: d'où le prolongement des grandes vacances jusqu'à la fin septembre.

1960-1970: les Trente Glorieuses valent aussi pour les grandes vacances, dont c'est en quelque sorte l'âge d'or. Beaucoup d'enseignants de cette génération en restent marqués et ont par comparaison (pourtant faussée) l'impression d'une dégradation. Le chiffre magique des 10 semaines est conservé mais les dates sont déplacées: 28 juin-16 septembre. Avec la société de consommation et le développement du tourisme, les grandes vacances deviennent pour les élèves de vraies vacances, où ils vaquent à leurs activités préférées sans nécessairement travailler. Les enfants d'agriculteurs ont des autorisations d'absence jusqu'au 30 septembre. Nous avons encore la nostalgie de ces "grandes vacances" là, qui sont les miennes.

1980-1990: la France a cessé d'être majoritairement rurale, les vacances se sont banalisées, elles ne concernent plus seulement l'été mais aussi l'hiver (la popularisation des vacances à la montagne, autrefois l'apanage de la bourgeoisie). Du coup, les "grandes vacances" n'ont plus lieu d'être. Les dix semaines ne subsistent plus, sans pour autant revenir aux six semaines d'avant 1939. Le ministère opte pour huit semaines, du 2 juillet au 2 septembre. Mais ce n'est pas si vieux: quand j'ai commencé dans le métier, il y a quinze ans, nous commencions l'année scolaire à la mi-septembre.

Nos chères "grandes vacances" sont donc à l'image de notre société et de ses évolutions. Ajoutons qu'elles s'appliquent aux élèves, les enseignants s'adaptant à cette nécessité de service. On ne devient pas enseignant pour bénéficier des grandes ou des petites vacances.

vendredi 15 août 2008

Le premier cours.

Que fait un prof de philo par ce bel après-midi du 15 août? Il pense à sa première heure de cours de la rentrée! C'est à moitié une boutade. J'ai relu dans un ancien numéro de "Philosophie Magazine", septembre 2007, l'article consacré à la première heure de cours de l'année (p.22-24). Que fait-on à ce moment-là? Le début, c'est important, pas question de le rater. Quelques collègues s'expriment, j'en ai retenu trois:

Anne-Marie Pontgratz, prof au lycée François-1er, à Fontainebleau (Seine-et-Marne): son truc, c'est l'expérimentation philosophique. Elle s'appuie sur l'ouvrage de Roger-Pol Droit, "101 Expériences de philosophie quotidienne" pour "accrocher" les élèves, stimuler leur curiosité, retenir d'emblée leur attention. Par exemple, demander à l'élève de regarder un crayon et de répéter le mot "crayon" jusqu'à ce que le son devienne étranger à son objet, qu'il existe par lui-même en tant que bruit bizarre, "crayon". Autre exercice, inverse au premier: manger quelque chose dont on ne connaît pas le nom afin de se concentrer sur sa substance, ce qu'on ressent d'elle, en oubliant toute appellation. Voilà deux expériences amusantes qui préparent à une réflexion sur l'être et le langage.

Jean-Charles Royer, prof au lycée Galilée, à Cergy-Pontoise (Val-d'Oise): comme beaucoup de collègues, il commence l'année en s'informant sur chaque élève. Traditionnellement, nous faisons remplir une fiche quasiment signalétique, dans un genre plutôt administratif. Jean-Charles a décidé de rompre avec la tradition! Il demande aux élèves de se présenter certes, mais oralement. L'écrit réserve l'information au seul professeur, l'oral apprend à se faire connaître de l'ensemble de la classe. Mais l'originalité va plus loin: il demande à l'élève à quoi il s'identifie, afin de mieux percevoir sa personnalité! Comme tout bon prof, il donne l'exemple en annonçant qu'il s'identifie à... la tour du jeu d'échec. La plupart des élèves, nous dit-il, citent un animal, souvent le chat.

Michèle Vergeade, prof au lycée technologique Valentine-Labbé, à La Madeleine (Nièvre): sa méthode d'introduction est plus classique, elle commence par une question, LA question: qu'est-ce que la philosophie? En laissant les élèves chercher le sens dans le dictionnaire, elle les amène à confronter plusieurs définitions et, de cette façon, à déjà philosopher. Puis elle lit les instructions officielles du ministère (beaucoup d'élèves... et leurs parents croient qu'il n'y a pas de programme en philo et que le prof fait ce qu'il veut, ce qui est évidemment faux). Enfin, elle montre à la classe des ouvrages de philosophie, car philosopher, c'est aussi s'intéresser à des auteurs et à des livres.

Je vous parlerai, le moment venu (c'est-à-dire à la rentrée!) de mon premier cours de philosophie. Mais le collègue dont je me sens le plus proche, c'est le dernier, Michèle, dont le classicisme me plaît bien. Mais bravo à Anne-Marie et Jean-Charles pour leur originalité! Peut-être que moi aussi, un jour, j'oserai...

jeudi 14 août 2008

500 euros la gifle.

Je ne savais pas hier, en inaugurant ce blog professionnel, que je serais rattrapé aussi vite par l'actualité, puisque nous avons appris que l'enseignant qui avait giflé un élève l'ayant traité de "conard" s'est vu infliger une amende de 500 euros. Par principe, je ne discute pas les décisions de justice. Mais je peux commenter l'événement et son dénouement.

La violence n'est pas admissible à l'école, qui doit être un havre de paix et d'études. Ni de la part des élèves, qui doivent se soumettre au réglement, ni de la part des enseignants, qui doivent faire leur métier, notamment garder leur sang-froid en toutes circonstances. Cette dernière exigence est difficile à satisfaire quand les élèves sont difficiles à tenir. Gifler un élève ne règle rien, il ne faut donc pas le faire. C'est une erreur qui doit être appréciée au niveau de l'établissement et de son administration.

Cependant, l'affaire a pris une tout autre tournure. Médiatisé à l'extrême, l'aléa du métier s'est transformé en événement national, l'incident malheureux est devenu catastrophe, le fait s'est élevé au symbole, la faute a pris des allures de crime, nous sommes entrés dans quelque chose de totalement disproportionné, donc d'injuste. Et là je ne suis plus du tout d'accord.

Cette gifle n'est pas venue de rien, elle ne procède pas d'une pure perte de nerfs de l'enseignant mais d'une insulte proférée par l'élève à son adresse. Il faut donc replacer l'acte dans son contexte, un climat, l'univers d'une classe. Il faut comprendre la signification que prendra immanquablement l'amende: l'enseignant sanctionné, l'élève absout. On condamne la faute du premier, on oublie la faute du second, alors que celle-ci a entraîné celle-là.

Tous les élèves de France comprendront alors que le respect que l'enseignant doit à l'élève est supérieur à celui que l'élève doit à l'enseignant, que l'un est obligatoire alors que l'autre est facultatif, bref qu'on peut insulter son prof mais que celui-ci n'a rien à en redire. Car ce qui vaut pour la gifle aujourd'hui vaudra demain pour la remontrance ferme qui sera considérée comme une insulte.

Le plus navrant, le plus significatif et sans doute le plus coupable, c'est le comportement du parent, gendarme! Voilà un homme d'autorité, un militaire, qui sait ce qu'est l'obéissance, comment elle s'obtient, qui pratique dans son métier le respect de la hiérarchie, et qui libère son propre fils de ces obligations. S'il est vrai que l'école n'est pas l'armée, respect, obéissance, autorité se retrouvent dans l'une et dans l'autre.

Ce père aurait dû donner tort à son fils pour l'insulte et régler le problème de la gifle avec l'enseignant, l'administration, au sein de l'établissement. Porter l'affaire en justice est certes un droit, mais dans les circonstances c'est un mauvais choix, c'est même une décision irresponsable lorsqu'on constate aujourd'hui ses conséquences médiatiques, préjudiciables au corps enseignant et négativement exemplaires pour les élèves.

mercredi 13 août 2008

Le choix du titre.

Le choix du titre d'un blog est un casse-tête. On cherche à faire original et on a tort, parce qu'un titre est rarement original. Il faut aller au plus efficace, en l'occurrence choisir ce que la mémoire retient, point. Au départ, je voulais appeler ce blog "1, rue Girodon". C'est original, personne ne comprend et on oublie vite. C'est la rue de mon lycée, du moins celle de l'entrée des élèves. J'ai laissé tomber. Pourtant, "Prof story" déplaira aux puristes de la langue et aux défenseurs du français, peut-être à certains collègues de lettres ou d'anglais! Mais un choix n'est jamais parfait. Et puis, j'ai voulu jouer avec les références, et l'internet, c'est un mélange de jeu et de sérieux.

"Love story", le film que je n'ai jamais vu mais dont j'ai tellement entendu parler! Enseigner, c'est aimer. De nombreux métiers n'exigent aucun amour de ce qu'on fait. Des millions d'employés rejoignent leurs bureaux, des millions d'ouvriers se rendent à l'usine sans nécessairement aimer ce qu'ils font, parce qu'il faut travailler, gagner sa vie. Certains parmi eux font même semblant. Un enseignant doit aimer, il ne peut pas tricher. Sinon son métier devient un enfer, ce qui arrive hélas parfois. Devant une classe, l'investissement personnel est obligatoire, il n'y a pas d'échappatoire. Aimer son métier, aimer ses élèves.

"Flic story", ça j'ai vu, le film de Deray, tiré du roman de Borniche, interprété par Delon. Un enseignant, c'est un peu un flic, pour le dire brutalement. Il faut de l'autorité, nous sommes chargés de "surveiller et punir", pour reprendre la formule du philosophe Michel Foucault. Et pourquoi? Parce que l'enseignant exerce un pouvoir, direct, quasi absolu, du moins dans les limites de la classe et selon les règles de l'école. Je ne crois pas en l'enseignant-copain, qui n'a d'ailleurs jamais existé. La difficulté du métier est dans l'exercice de cette autorité. Aimer et réprimer, servir et sévir.

"Loft story", la fameuse émission de télé-réalité, que j'évoque pour le souci de transparence qui préside à la rédaction de ce blog, et pas pour faire jeune! Je ne promets pas de vous montrer la vie à l'intérieur du lycée Henri-Martin comme les faits et gestes de Loana et ses ami(e)s ont été quotidiennement filmés, mais il y a un peu de ça... Je veux surtout vous décrire le fonctionnement ordinaire d'un établissement scolaire, vous faire pénétrer dans un monde à part, qui a ses lois, ses traditions, ses joies et ses peines.

Pourquoi ce blog?

Ce blog n'est surtout pas un journal intime, "ce misérable petit tas de secrets" dont parlait André Malraux. Ma vie n'est pas suffisamment exceptionnelle pour que je la livre et qu'elle intéresse quiconque. En revanche, mon métier et les activités qui y sont plus ou moins liées peuvent apporter aux lecteurs. Il s'agit donc d'un blog professionnel, qui se donne pour objectif de décrire, au jour le jour, avec ses satisfactions et ses difficultés, l'existence d'un enseignant, professeur de philosophie au lycée Henri-Martin, dans l'Aisne. Je ne cacherai rien, j'essaierai de dire tout, je m'efforcerai à l'objectivité.

Mon intention est aussi de démonter les préjugés qui existent sur le monde enseignant, autant ceux qui idéalisent le métier que ceux, sans doute plus nombreux, qui le discréditent. Les maçons ou les charcutiers ne sont pas confrontés à ce genre de problème! Mais les enseignants, oui. Que ne dit-on pas sur eux, souvent sans savoir! Je veux donc rétablir certains faits, en tout cas de mon point de vue. Ce qui ne m'empêchera nullement, bien au contraire, de faire les critiques nécessaires, car nulle profession ne saurait s'y soustraire.

Enfin, ce blog est un message d'amour: j'aime enseigner, je suis passionné par la philosophie, je me sens bien dans mon lycée, j'apprécie mes collègues, je suis très attaché à mes élèves, je suis attentif à leurs parents. Et puis, je me fais le devoir de défendre cette école publique que je sers depuis quinze ans déjà. A tous, personnels, élèves, parents, je dédie ce blog, et je les invite à apporter leur contribution à sa rédaction, en déposant leurs commentaires. Nous avons les jours, les mois et les années qui viennent pour nous connaître et pour échanger!