lundi 18 août 2008

"Lost", série philosophique.

Samedi soir, TF1 a diffusé les deux derniers épisodes de "Lost", saison 4 (il y en aura 6). Une série ou un film populaires peuvent faire l'objet d'une lecture philosophique, comme mon collègue Yannick Bezin, prof de philo à Soissons, s'y s'est essayé avec "Matrix". Pourquoi la série de J.J. Abrams se prête-t-elle, à mon sens, à ce type d'interprétation? Quatre problématiques philosophiques sont repérables dans "Lost":

- La raison: cette histoire extravagante de survivants d'un crash sur une île rien moins que déserte, soumis à des événements tous plus fantastiques les uns que les autres, surprend, interpelle, provoque la raison. Nous pourrions être dans de la pure science-fiction ou dans une aventure surnaturelle. Non, les scénaristes ont choisi de rationaliser, autant que faire se peut, le déroulement des faits, en nous laissant la liberté, le plaisir et la difficulté de résoudre les mystères, qui vont en s'accroissant au fil des épisodes. Comme nulle autre série télévisée auparavant, sauf peut-être "Le Prisonnier", "Lost", loin d'exciter notre imagination, fait travailler notre raison en quête incessante (et vaine pour ma part, du moins jusqu'à maintenant) d'explications scientifiques.

- Le sens: moins nous comprenons "Lost", plus nous voulons lui donner un sens. Car l'hypothèse d'une trame gratuite et absurde ne tient pas. Il y a une causalité, une cohérence, une direction dans ce feuilleton, comme dans la vie. Mais la finalité nous échappe, comme beaucoup de choses dans la vie, dont la raison ne suffit pas à rendre compte. "Lost" pose donc le problème du sens. Que signifient donc ces images qui défilent, cette histoire qui se déploie, ces événements qui surviennent? Certains téléspectateurs leur ont trouvé un sens moral (des hommes et des femmes soumis à épreuve), social (l'expérience de la vie collective), psychologique (le déroulement d'un mauvais rêve) et même religieux (les "disparus" seraient au Purgatoire!).

- Le mal: l'île est un paradis végétal mais souvent un enfer humain. Les personnages y souffrent, certains meurent. Un monstre rôde, des faits étranges et inquiétants se produisent. Chaque protagoniste est confronté à sa mémoire, toujours douloureuse, souvent coupable, dans laquelle le rapport filial est fréquemment et dramatiquement interrogé. C'est pourquoi le mal est un thème constant qui relie entre eux les personnages, et qui est peut-être la clé finale. Ce mal, c'est aussi la limite que frôlent sans cesse les "disparus": la folie.

- Le temps: le puzzle que chaque téléspectateur, moi le premier, s'efforce à reconstruire n'est pas spatial, l'énigme semblant trop complexe à résoudre dans le seul présent, mais temporel. La série est construite sur une déconstruction du temps, puisque nous sommes confrontés, jusqu'à la saison 3, à des retours dans le passé, et à partir de la saison 4, à des projections dans l'avenir. Cette chronologie perturbée trouble notre jugement et contient probablement, une fois reconstituée, le fin mot de toute cette incroyable histoire. La problématique de la durée, de la temporalité, est donc soulevée par le feuilleton.

Etudierai-je "Lost" en classe? Probablement pas, sauf si j'avais une classe très sérieuse, qui soit apte à prendre très au sérieux cette série, que la plupart des élèves prendront pour ce qu'elle est directement, une fiction américaine d'aventures fantastiques. Ceux-ci jugeront alors très peu sérieux un prof de philo qui aurait la fantaisie de l'aborder en cours, même sous le prétexte d'une lecture philosophique, encore plus énigmatique pour eux que les mystères de "Lost".

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