dimanche 31 mai 2009

Fin de règne.

Le paquet des Littéraires, le plus long à corriger, tire sur sa fin. J'ai commencé hier, je n'ai pas tout à fait terminé aujourd'hui. Pourtant, ce paquet n'est pas complet. 7 devoirs manquent à l'appel, des absents. Auront-ils l'honnêteté de me faire parvenir leur travail ? Je n'en sais rien, mais je sais que l'année elle aussi tire sur sa fin. C'est peut-être le moment où tombent les masques, où l'on comprend un peu mieux qui est qui. Toujours est-il que le relâchement a sérieusement atteint cette classe, avec ce nombre relativement important de copies non rendues. Ça ne m'étonne pas complètement : c'est une classe constituée de bons et même d'excellents éléments, ce qui cache toujours les moyens, les paresseux, les irrespectueux.

Je ne prends qu'un seul exemple : en ramassant jeudi les devoirs, une élève m'a dit très doucement, sans gêne aucune ni trouble apparent, qu'elle l'avait oublié chez elle. Elle m'a dit ça comme si c'était naturel, un fait parmi d'autres. J'étais évidemment furax. Depuis le début de l'année scolaire, j'ai fixé les règles, précises, intangibles, justifiées et répétées à de nombreuses reprises : on rend au jour et à l'heure les copies, si un élève rencontre un problème, il le dit au professeur AVANT que le professeur ne découvre le problème, jamais APRES. Foutage de gueule pour cette élève, qui n'a rien retenu ou fait semblant de ne rien retenir.

Moi en tout cas, j'ai bien retenu son nom et je m'en souviendrai le moment venu, c'est à dire dans peu de temps, au conseil de classe. Je l'ai envoyée immédiatement en salle de permanence pour qu'elle me fasse sur le champ son travail. Mais je tiens tout de même à préciser que quelques élèves, qui étaient absents jeudi, ont eu la délicatesse de me rendre la veille leur devoir. Ce qui est formidable dans le métier d'enseignant, c'est que c'est un excellent observatoire de la nature humaine : on voit se mettre en place, par exemple, les personnalités honnêtes et les malhonnêtes.

Mes L ont très majoritairement choisi (20 copies) comme sujet "peut-on se mentir à soi-même ?", qui a obtenu quelques très bonnes notes. "Les passions nous empêchent-elles de faire notre devoir ?" n'a attiré que 4 élèves, et un a opté, c'est rare, pour le commentaire de texte de Hegel. Je vous donne les résultats, sous forme d'échelle des notes, demain.

Les élèves qui n'ont pas rendu leur copie et qui voudraient encore le faire ont intérêt à se presser. S'ils lisent ce blog, qu'ils sachent que les bulletins du dernier trimestre doivent être remplis pour jeudi midi, qu'il faut donc me rendre ça au plus vite, dès maintenant, et sûrement pas le dernier jour ni l'avant-dernier (pas de bouffonnerie !). Sinon, c'est très simple, j'ai prévenu : la note sera pour tout le monde divisée par trois, même quand il n'y en a que deux. Attention donc aux "piteuses" !

samedi 30 mai 2009

Philo joyeuse.


Atelier philo hier après-midi à Guise, dans la joie, la bonne humeur et sous le soleil : la photo je crois exprime bien tout ça. A gauche, tout sourire, la responsable de l'atelier d'insertion, la belle Maria. A gauche, casquette et mains dans les poches, le flegmatique Vincent, seul homme parmi ce groupe de femmes rmistes à la recherche d'un emploi. Nous sommes dans la cour du centre social, qui a fait appel à mes services pour entraîner ces dames (et monsieur) dans les charmes de la discussion philosophique. Un bien grand mot ? Et alors ? Les petites gens ont droit aussi aux grands mots, qui ne sont pas nécessairement réservés aux grands hommes.

Comme à Soissons samedi, nous avons débattu du thème "ne pensons-nous qu'à l'argent ?" Un peu provocateur pour des personnes qui touchent le RMI. Mais la provocation est une bonne chose. Les stagiaires me disent que leur rapport à l'argent consiste essentiellement à "compter" pour ne pas trop dépenser, ne pas arriver avant la fin du mois sans rien dans la poche. Voilà quelques questions que nous avons abordées :

- Quel serait le montant d'un salaire décent ? (la réponse a été entre 1500 et 2500 euros nets par mois)
- Est-il bien de jouer au Loto ?
- Préférez-vous qu'on vous offre un cadeau ou de l'argent ?
- Donnez-vous de l'argent aux mendiants ?
- Que vous inspire le personnage de Picsou ?
- L'argent fait-il le bonheur ?
- Les riches doivent-ils être nos ennemis ?
- Le Prince Charmant est-il encore plus charmant avec de l'argent ?
- Faut-il habituer les enfants à l'argent ?
- Le troc est-il préférable à la monnaie ?
- Tout travail mérite-t-il salaire ?
- L'acte gratuit est-il supérieur à l'acte rémunéré ?
- La pratique du pourboire est-elle désuette ?
Etc.

vendredi 29 mai 2009

L'Europe au lycée.

Dominique Fabre explique avec passion l'Europe.
L'Europe mérite d'être mieux connue, surtout à l'approche d'une élection où le taux d'abstention s'annonce important. C'est pourquoi j'ai choisi mon association Rencontre Citoy'Aisne (qui promeut la citoyenneté sous toutes ses formes) et mon lycée d'exercice pour organiser une réunion publique, conférence-débat sur l'Europe et ses institutions. L'invité, Dominique Fabre, agrégé d'histoire, haut fonctionnaire européen, est un passionné d'Europe. Il a efficacement passé en revue et démonté les principaux préjugés qui discréditent l'Europe (inutile, coûteuse, complexe, libéral).
Après ce genre de manifestation, je fais toujours un petit debriefing personnel. Je suis rarement satisfait. Il y a toujours des imperfections. Hier soir, il y en a eu de petites et de grosses. Arrivé à 19h45 (la réunion devait commencer à 20h00), j'aperçois des personnes déjà présentes dans la cour de l'établissement. Elles sont passées ... par le parking, la porte d'entrée étant fermée. Pas très grave, mais première erreur de ma part (j'aurais dû venir un peu plus tôt).
La salle Jamet, où se tenait la réunion, n'est pas très loin ... pour qui connaît le chemin, que j'aurais dû flécher. Au début de l'exposé, un micro ne fonctionne pas et l'autre fonctionne mal. Du coup, l'orateur parle de vive voix. C'est audible, mais pour 80 personnes, l'écoute n'est pas confortable, il faut tendre l'oreille, se concentrer, ce n'est donc pas évident. En cours de conférence, je remarque que certains stores sont restés baissés, ce qui diminue la luminosité (un détail, mais c'est l'addition des détails qui fait la réussite d'un projet). Autre détail : j'ai oublié le verre et la petite bouteille d'eau minérale pour l'orateur.
Mais le pire est à venir. Dominique Fabre, ancien élève d'Henri-Martin, souhaitait tout particulièrement s'adresser à des élèves. Mais nous avions décidé que la participation serait libre (nous étions hors temps scolaire). Car si le vote est un devoir, ce n'est pas une obligation. De même ce genre de réunion. Les élèves, tout particulièrement les internes, ont donc été incités mais pas forcés. C'est pourquoi j'ai été heureux de voir entrer dans la salle une cinquantaine d'entre eux.
J'ai été moins heureux quand, au bout de trente minutes, quelques-uns ont commencé à partir, suivis très vite par tous. Le conférencier s'est retourné vers moi, interloqué. Je ne pouvais que lui renvoyer ma surprise, en précisant tout de même que la réunion était libre, qu'on pouvait donc en partir quand on voulait. Il n'empêche que ce rapide départ en masse a choqué l'assistance, l'interprétant comme un désintérêt à l'égard de l'exposé et de l'Europe, et même comme une impolitesse.
La vérité n'est pas tout à fait celle-là, et mon proviseur a su la rétablir : ces jeunes sont venus parce qu'on leur a demandé, pour faire plaisir. Tout comme bien des adultes, ils ne s'intéressent pas particulièrement à l'Europe. Pourquoi voudriez-vous qu'ils soient plus motivés qu'eux ? Ils ont fait l'effort d'écouter une demi-heure, ce n'est pas si mal, peut-être leur en est-il resté quelque chose ... En tout cas, cet incident m'apprendra deux leçons : il n'est pas judicieux de mélanger deux publics aux niveaux et aux attentes très différentes ; le public scolaire doit être très en amont préparé à ce genre de rencontre.
J'ai cru naïvement que la curiosité des lycéens s'exercerait librement, que l'harmonie avec les adultes se ferait naturellement. J'ai pourtant pas mal d'expérience en matière d'organisation de débat public. Mais il me reste encore beaucoup à apprendre.

jeudi 28 mai 2009

Jurys 705 et 706.

J'ai reçu hier dans mon casier ma convocation pour faire passer le baccalauréat. Cette année, je vais corriger la série technologique, précisément Sciences et Technologies santé social. C'est plutôt rare, c'est peut-être la première fois (mais je n'en suis pas certain). Généralement, je suis chargé des séries générales. Les technologiques, ça signifie que les copies seront courtes. Ce ne sont pas nécessairement les plus simples à évaluer ! En lycée tehnique, il n'y a que deux heures de philo par semaine, un coefficient faible, par conséquent des élèves pas très motivés. Et ça se ressent dans les copies !

Je récupèrerai les copies (jurys 705 et 706) le 19 juin à 17h00 dans mon établissement. Le marathon de la correction pourra alors commencer. Le 22 juin, je suis convoqué à 14h00 à Amiens pour la commission d'entente : les profs de l'académie se réunissent pour évoquer les critères de correction. On essaie de "s'entendre" entre nous. Une semaine après, le 29 juin, on se retrouve dans la commission d'harmonisation : la grande partie des copies ont été évaluées, nous comparons nos résultats, on "harmonise", c'est à dire qu'on prend compte de ce qu'ont fait les collègues pour éventuellement rectifier nos notes. Ceci dit, le correcteur reste maître de son évaluation, et personne ne peut l'obliger à quoi que ce soit.

mardi 26 mai 2009

Bataille pour un journal.

J'ai failli me battre avec un collègue de travail ! Je plaisante bien sûr, j'exagère. Qui peut imaginer deux enseignants se castagner ? Non, ce qui s'est passé, c'est une petite querelle pour savoir qui lira le premier le journal local, qui arrachera les feuilles. C'est arrivé dans la loge, à l'entrée du lycée, où surveillent en alternance les deux concierges, Eric et Marie-Rose. Qu'est-ce que je fichais là, loin de ma salle de classe ?

Au moment de la pause ou de la récréation, que peut faire un enseignant ? Rester dans sa classe, sortir dans le couloir, faire un tour au CDI, se balader dans la cour ou bien aller en salle des profs. Je fais un peu tout ça, selon les moments, mais je fais surtout quelque chose que personne ne fait : aller dans la loge des concierges pour lire la presse locale ! L'endroit se transforme alors en salon de lecture pas complètement agréable (on est sans cesse interrompu par les visiteurs) mais très utile.

Il faut aller vite. Le facteur passe entre neuf heures et onze heures. Trop tôt, il n'y a rien à lire, et trop tard non plus, car le Courrier Picard est alors envoyé à l'intendance, tandis que L'Aisne Nouvelle part au CDI. Tout serait à peu près parfait, hormis cette petite course contre la montre, si je n'avais pas un concurrent, un lecteur tout aussi avide que moi de parcourir les journaux locaux, et qui a adopté la même stratégie que moi, c'est à dire aller lire dans la loge (ce qui évite aussi d'acheter les journaux, désolé de ne pas faire marcher le commerce). Ce rival avec qui je me suis disputé L'Aisne Nouvelle (le lycée n'est plus abonné au troisième journal local, L'Union), c'est le CPE de l'établissement, conseiller principal d'éducation, Vincent Savelli. Sans rancune.

lundi 25 mai 2009

Orage sur le lycée.

Est-ce la chaleur pas loin d'être torride ? Est-ce une nuit agitée et la fatigue qui a suivie ? Est-ce l'orage qui s'est déclenché en fin de matinée et la pluie violente qui s'est abattue sur le lycée ? Toujours est-il que j'avais du mal à enseigner ce matin, et les élèves du mal à se concentrer. A moins que ce soit moi qui projette mon propre état d'esprit et ses faiblesses sur mes classes ... L'année tire sur sa fin et ça se sent. Et je ne voudrais pas qu'à force de tirer, ça finisse par casser ... Le cours de 10h00 a commencé par une chaise qui a raclé le sol d'un bruit qui a traversé toute la salle en passant par mes deux oreilles : j'ai regardé l'élève fautive avec des yeux comme les épingles qui clouent le papillon sur sa planchette.

J'ai toujours envie d'enseigner, aller au lycée est pour moi une joie. On peut résister à tout sauf à la tentation, disait Oscar Wilde en se trompant : on résiste à tout sauf à la fatigue. Quoiqu'il y ait des fatigues rédemptrices, stimulantes, qui aident à se surpasser quand on s'efforce de les surmonter. J'ai ainsi une collègue sportive qui se repose en courant ou en faisant du vélo. Mais la fatigue épuisante et énervante, on ne peut rien contre elle, à part dormir, ce qui est impossible dans un lycée.

J'ai donc tenu, j'espère que ça ne s'est pas trop vu. Le sujet du cours ne m'a pas aidé : nous avons terminé "la démonstration" et nous avons commencé "l'interprétation", autant dire des thèmes pas très affriolants, surtout pour les élèves. Mais c'est le métier de rendre ça intéressant, sinon ce ne serait pas un métier. J'ai donc lutté contre la fatigue, la chaleur et l'orage. Je ne sais pas si j'ai vaincu. En attendant, je vous livre deux nouvelles photos du café philo de Bernot, que m'a envoyées Michel Mahieux, que je remercie sincèrement. Pas de photo en revanche du café philo de samedi à Soissons, j'avais à la fin la tête ailleurs.


Qui est le professeur, qui est l'élève ? A vous de deviner ...



Qui dit café philo dit café : Madame Blanchard s'affaire et
Monsieur le Maire, bras croisés, attend son tour.

dimanche 24 mai 2009

Violence à l'école.

Après de récents et tragiques événements, le ministre de l'Education Nationale, pour lutter contre la violence à l'école, propose quelques mesures choc : portiques pour détecter les armes, création d'un "force mobile d'agents" (une sorte de police des écoles, comme il y a par exemple une police du métro), faire des chefs d'établissement des officiers de police judiciaire (pour qu'ils constatent efficacement les délits). Ces propositions ont suscité la polémique et le doute, au sein même du gouvernement. Elles posent une question de fond : faut-il aligner, en matière de sécurité, l'école sur la société ?

Je ne crois pas. Transformer les établissements en forteresses, certains personnels en policier, ça ne changera rien. Il existe déjà, sur le papier, les règlements qui sanctionnent la violence et les personnes chargées d'y remédier. Ce sont les moyens qui manquent, pas assez de surveillants par exemple. La surenchère en matière de sécurisation ne débouche sur rien, tant que le problème n'est pas traité à la racine. Et puis, pourquoi faut-il réagir une fois le mal commis ? Les meilleurs décisions ne se prennent pas dans le feu de l'action, mais après réflexion et concertation, en se donnant des objectifs, non pas en réagissant à l'événement. Ici, le ministre sur-réagit.

Quelques mots sur le café philo d'hier soir à Soissons, consacré à l'argent. Je n'ai pas été complètement satisfait. Mes questions, trop nombreuses, trop prosaïques n'ont pas vraiment élevé le débat, comme on dit. Mais nous avons tout de même échangé, les idées ont circulé, c'est l'essentiel. Le beau temps n'avait pas dissuadé les uns et les autres de s'enfermer au fond d'un café. Ça aussi, c'est gagné !

samedi 23 mai 2009

Cocorico !

Je ne cultive pas le patriotisme d'établissement, mais les faits sont là : mon lycée (et son collège) sont les meilleurs ! Ma collègue de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), Gwendolyn Carlier (une ancienne élève d'Henri-Martin devenue prof à Henri-Martin !), m'annonce qu'un élève de Seconde A2 a remporté le premier prix national au concours de biologie. Bravo !

Après la tête, les jambes : le lycée a décroché il y a peu le titre de champion de France d'accrosport, et c'est maintenant le collège qui se hisse en deuxième position. Re-bravo !

Tout ça s'ajoute au bon classement de L'Express il y a quelques semaines, où nous étions pourtant en concurrence rude et faussée avec les lycées privés (puisqu'eux sélectionnent leurs élèves). Henri-Martin s'en tire à la 8ème place au niveau département (sur 18 établissements) et 1er parmi les 6 lycées de la ville. Pas mal non ?

Après ce court exercice de chauvinisme scolaire, je vous invite à me rejoindre en fin d'après-midi, à Soissons, au café philo du Havana Café, rue Charpentier, à 18h00, autour du sujet suivant : ne pensons-nous qu'à l'argent ? Je suis sûr que vous m'offrirez un verre ...

vendredi 22 mai 2009

La joie de voter.

Il faut serrer ces temps-ci les élèves de près, ne rien laisser passer, comme dans les premières semaines de l'année scolaire, qui ressemblent de ce point de vue aux dernières : il faut bien commencer, il faut bien terminer. Un professeur est semblable à un artiste : il ne faut pas rater son entrée sur scène, il faut réussir sa sortie. Je déteste ces fins d'années qui s'effilochent, ne ressemblent à rien. Il faut savoir se quitter dans les règles, avec force et dignité. Nous avons tout de même vécu neuf mois ensemble ! Certains j'en suis sûr s'en souviendront longtemps. Je me rappelle encore de cette année 1979 qui était celle de ma Terminale.

Aujourd'hui, je craignais les absences, avec ce fichu "pont", cette stupide invention française qui croit bon de décréter férié un jour normalement ouvré mais qui a la particularité de se glisser entre deux jours non ouvrés. D'autant que l'Education Nationale a pris une décision qui ne lui ressemble pas mais qui est bien française là aussi, et très contemporaine : laisser chacun faire comme il veut pour ne mécontenter personne ! Du coup, un tiers des lycées ce matin étaient fermés. Tout le monde demande à ce que l'Education reste Nationale, on se méfie beaucoup de l'autonomie accordée aux établissements et on n'a pas complètement tort, mais quand il s'agit de savoir si on "fait le pont"ou non, personne ne s'offusque que la décision soit locale et pas générale.

Toujours est-il que j'avais ce matin, dans mes deux heures de cours, neuf élèves absents sur 32. Je m'attendais à pire, et très nettement. Dès l'appel, il a fallu que je remette de l'ordre : cette formalité est non seulement réglementaire mais elle fait partie du cours, les élèves doivent donc se taire, attendre que leur nom soit prononcé, sortir leurs affaires, se préparer à écouter et à noter, relire le cours précédent. Je déteste que des élèves s'entretiennent entre eux, même discrètement, pendant cet appel, qui devrait être en quelque sorte la minute de silence d'avant le cours proprement dit, dédiée à je ne sais quelle divinité, celle de la philosophie par exemple.

C'est un peu austère ? Oui, je l'assume, je le revendique. Et plus j'avance dans les années d'enseignement, plus j'accentue cette austérité, qui va de pair avec un certain dépouillement : être clair, strict, vif, tout cela va ensemble, tout cela nous prépare utilement aux deux heures de cours que nous allons passer ensemble. Jusqu'à la fin de l'année, jusqu'à la dernière heure, jusqu'à mon dernier souffle, je resterai sur cette ligne, qui est précisément ce que doit être une ligne : fine, droite, inflexible, tendue dans une direction, qui n'en déroge pas. Pas marrant pour les élèves ? On ne va pas à l'école pour se marrer.

Après le cours, en fin de matinée, j'ai organisé une conférence de presse dans le foyer des lycéens, au milieu d'une exposition sur l'Europe. J'étais en compagnie de mon proviseur-adjoint et du conseiller principal d'éducation. L'objectif ? Annoncer une conférence-débat qui aura lieu le jeudi 28 mai dans les murs de l'établissement sur "L'Europe et les institutions européennes", avec pour intervenant Monsieur Dominique Fabre, professeur agrégé d'histoire, haut fonctionnaire européen et ... ancien élève du lycée Henri-Martin. C'est ce retour aux sources qui l'a convaincu de répondre à mon invitation.

Cette réunion débutera à 20h00, en salle Jamet, trente minutes d'exposé, une heure de débat. Les lycéens seront bien sûr les premiers concernés, soit parce qu'ils seront pour certains électeurs le 7 juin, soit parce que l'Europe est à leur programme. Mais nous avons aussi ouvert cette rencontre à tout public, car l'ignorance en matière européenne, la fréquence des préjugés et l'indifférence que manifestent ostensiblement beaucoup de citoyens à l'égard de cette élection sont consternantes et inexcusables.

J'ai choisi mon lycée (alors que la réunion pouvait se tenir dans n'importe quelle salle public) parce que ce cadre n'est pas partisan. Il s'agit d'informer, pas de s'engager, d'expliquer, pas de convaincre. Si l'Ecole de la République n'incite pas à aller voter, qui va le faire ? Je ne vois personne d'autre s'en charger aussi efficacement. J'ai terminé la conférence de presse par une anecdote personnelle : la première fois de ma vie où je suis allé voter, c'était en 1979, lors des toutes premières élections européennes, à une époque où l'on parlait moins d'Europe qu'aujourd'hui, où les institutions européennes avaient moins de pouvoir que maintenant. Je suis allé voter sans me poser de questions tellement ce geste, que je n'avais pourtant jamais fait, me semblait naturel. Je l'ai fait avec plaisir et fierté. J'aimerais transmettre, trente ans après, ce plaisir et cette fierté, qui ne m'ont jamais quitté depuis, lorsque vient une élection, lorsqu'il faut aller voter. Un devoir ? Ne me dites jamais ça! Une joie.

jeudi 21 mai 2009

Militant de la philo.


Beaucoup de monde hier soir à Bernot au café philo. Pour un village de 400 habitants, attirer une trentaine de personnes, c'est pas mal du tout ! Je n'y suis d'ailleurs pour rien, tout le travail revient à mon élève Raphaël, à sa mère et au Foyer rural. Non seulement la participation a été forte (aussi bien qu'à Saint-Quentin) mais la séance a été très réussie (ce n'est pas le cas pour tout café philo) : j'ai réussi à installer une ambiance, c'était vif, nerveux, intéressant, marrant, une grande diversité de points de vue, pas de temps morts, bref un café philo comme je les aime.

Sur la photo, assis au sol, vous reconnaissez Raphaël qui porte l'écriteau avec le sujet du jour : "la sincérité existe-elle vraiment ?" Tout au fond, à l'extrême gauche, on aperçoit entre deux visages monsieur le maire. Tout à gauche mais au premier rang, la dame avec un décolleté prononcé, c'est Lise, la "patronne" du café philo de Guise, venue en voisine, mon employeur par intermittence. Derrière, cachée par la dame au chemisier jaune, la maman de Raphaël ne dévoile que son abondante chevelure. Pudeur ou coïncidence ?

Au mur, sur la droite, vous remarquez un oeil : celui de la connaissance et de la sagesse, qui jette un regard bienveillant et protecteur sur nos débats. Au dessus du groupe, un drôle de chapeau géant doit vous intriguer : normal, ceci n'est pas un chapeau géant mais une tasse à café géante, symbole du café philo de Bernot. Au début de mon animation, madame Blanchard, la mère de Raphaël, m'a posé une devinette : je devais chercher dans la salle quelque chose que j'aime bien, mon péché mignon. Devinez quoi ? Quatre chocolats "Mon Chéri", qui se trouvaient à votre avis où ? Sur les bords du chapeau, pardon de la tasse !

Quelques mots sur le déroulement de la séance, quelques mots seulement parce qu'un café philo, c'est comme un bon film ou un bon livre, ça ne se raconte pas. Nous avons devisé sur la sincérité, vaste sujet ! Est-on sincère quand on dit, les yeux dans les yeux, "je t'aime" ? Un camp de naturistes n'est-il pas le seul lieu d'une complète sincérité ? Un homme politique peut-il être sincère, sachant que l'opinion attend de lui des réponses agréables à entendre ? Peut-on être sincère avec soi-même ? Le médecin doit-il tout dire à son malade ... et le conjoint infidèle à sa femme !? L'hypocrisie n'est-elle pas la première des politesses ? La franchise s'apprend t-elle ? Peut-on mentir avec sincérité ? Etc.

Bref, des questions qui ne prennent pas la tête mais qui excitent le cerveau, le tout dans la bonne humeur. Ça vaut une soirée télé, je vous promets ! Et si vous ne me croyez pas, venez voir ... En tout cas, depuis une bonne semaine, j'enchaîne les animations philo. Une stagiaire de l'IUFM, devant lequel j'ai fait un exposé sur la responsabilité (voir le billet du 12 mai), souhaitant que j'organise un goûter philo dans son école, m'a qualifié dans un courriel de "prophète" de la philo. C'est bien sûr exagéré et faux. Je ne suis pas un gourou, je ne m'inscris pas dans une démarche religieuse, je suis foncièrement laïque, rationnel et tolérant. La philo, je comprends très bien qu'on s'en moque, car il n'y a pas que ça dans la vie !

En revanche, je suis persuadé que la philo telle que je la pratique peut apporter quelque chose à une partie de l'humanité, que réfléchir à des sujets fondamentaux est à la fois plaisant et utile dans la vie. Je pense en particulier à cette part de l'humanité qui n'a pas eu accès à la philosophie, qui lui a même été parfois interdite au nom d'une inaccessible rationalité. Ainsi, j'ai fait de la philo avec des pauvres, des enfants, des fous, des handicapés, des taulards. Il me reste tant de territoires à explorer, de cafés philo à monter, chez les vieux, les putes, les militaires, les sportifs, pour ne citer que quelques catégories qui me viennent spontanément à l'esprit et pour lesquelles j'ai des projets. Prophète non, mais militant ou pèlerin de la philo oui.

mercredi 20 mai 2009

Philo sous écrou.

La prison de Château-Thierry est "familiale", m'avait curieusement dit le responsable au téléphone. Tout ça parce qu'elle renferme environ 80 détenus et que sa vieille bâtisse est en pleine ville. Il n'empêche qu'une prison est une prison et qu'avant d'y entrer, hier après-midi pour la première fois de ma vie, j'avais quelque appréhension. Les murs épais, les barbelés, les traditionnelles fenêtres avec barreaux forment une masse menaçante et impressionnante. J'ai compris alors le pourquoi de l'expression "porte de prison" : quelque chose de froid, d'anonyme et de muet devant lequel vous poireautez avant qu'on vous dise de passer par la petite entrée d'à côté. Une "porte de prison" ne s'ouvre jamais.

J'explique aux gardiens que je viens animer un café philo, je sens que je surprends. On me demande d'abandonner tout ce qui est métallique et de laisser bien sûr ma pièce d'identité. Le responsable des activités culturelles me fait visiter. On a beau avoir vu mille fois l'intérieur d'une prison à la télé, au ciné ou ailleurs, "pour de vrai" comme disent les enfants ça fait un choc. Ce qui me marque, c'est la vétusté des lieux, ce sont surtout ces portes que sans cesse on ouvre et on ferme. L'arme ici, ce n'est pas le pistolet ou le bâton, c'est la clé.

Pour ma première, on m'a conduit dans le quartier des courtes et moyennes peines. Les cellules sont portes ouvertes (les seules à ne pas être fermées !), les détenus ont le droit de se balader dans le couloir. Quand on les croise, on ne peut s'empêcher d'être troublé : ceux qui sont ici ont commis le mal, ont transgressé les lois de la société, sont peut-être prêts à récidiver. De ce point de vue, cette rencontre est unique, ce face à face est édifiant. Mais je répète : j'ai moins été impressionné par les prisonniers que par la prison, par les hommes que par les lieux.

Les détenus portent leur condition sur leur visage, des traits, des regards tendus, une violence dont on sent qu'elle pourrait à se réveiller, ou bien au contraire des faces relâchées, fatiguées. On constate, c'est frappant, que la sérénité n'est pas en eux, qu'ils ont des physiques marqués par la vie. L'un me demande ce qu'est un café philo. Un surveillant, au passage, me dit que c'est une bonne idée.

Nous nous retrouvons à une toute petite dizaine de volontaires (et sélectionnés par l'administration) dans le coin de la prison qui ressemble le moins à une prison, la buanderie, au bout du jardin potager que cultivent quelques prisonniers. Ils sont arrivés en file indienne, accompagnés bien sûr par un surveillant, je serre la main à chacun d'eux, je dis "bonjour monsieur", j'y tiens. J'aurais étrangement moins de respect dans un café philo "normal".

Mais très vite, les murs de la prison sont oubliés et ce café philo devient "normal". Je leur ai expliqué qui j'étais et pourquoi j'étais ici, mon plaisir d'exporter la philosophie dans tout milieu, y compris le leur. Nous sommes partis d'un mot, que j'ai choisi parce qu'il marche bien, auprès de n'importe qui : BONHEUR. Et c'est parti pour une heure ! Le but du jeu, parce que c'est aussi un jeu, est de faire le tour du concept, d'en tirer le maximum de questions, à charge pour chacun de proposer ses réponses.

Ça a très bien fonctionné. La seule différence avec un autre café philo, c'est que le thème de la détention est omniprésent, à tel point que devant le surveillant j'en étais un peu gêné (mais celui-ci m'a dit après que ce n'était pas gênant, qu'au contraire il fallait que certaines pensées "sortent"). Quand j'ai esquissé l'idée que le bonheur c'était peut-être de s'évader, je pensais à la littérature, à l'imagination, au rêve, eux songeaient évidemment à autre chose et on a bien rigolé.

En partant, j'ai à nouveau salué chacun d'une poignée de mains, mais sans rajouter "monsieur", parce qu'au bout d'une heure on se connaissait un peu mieux, on avait lié une complicité (seulement philosophique !), on était sur un pied d'égalité, le titre devenait alors inutile. Je les ai invités à réfléchir à un sujet pour la prochaine fois, et puis toutes les portes se sont refermées derrière moi. Dehors, ça fait un drôle d'effet, presque autant que dedans. La philosophie est capable de tout, même d'aller en prison (Socrate a fini là sa vie). Moi, j'y retournerai dans quinze jours.

mardi 19 mai 2009

Cinoche.

Hier soir, dernier Ciné Philo de l'année où les élèves de mon lycée pouvaient bénéficier de trente places gratuites. Et pour la première fois de l'année, les trente ont été réservées ... mais une petite dizaine ne sont pas venus, bien qu'ayant précisé qu'une place non occupée privait bêtement un camarade qui aurait bien voulu venir. Passons. Chez les adultes, c'est devenu fréquent : on s'inscrit et au dernier moment on ne vient pas parce qu'on a mieux à faire. Ainsi le veut la société de consommation. Ce n'est pas que jadis les gens étaient plus vertueux, mais les distractions étaient plus rares. On honorait ses engagements parce qu'aucune tentation ne les remettait en question.

Le film documentaire, d'un accès pas évident pour des élèves (et même pour tout public), portait sur le système financier mondial : Let's make money, de l'autrichien Erwin Wagenhofer. Ce qui explique la présence importante d'élèves de la série ES. J'avais invité un prof agrégé d'économie, Karim Saïdi, pour nous éclairer. Mais j'avais surtout en tête de surveiller les élèves. Toute sortie, même sur la base du volontariat, est périlleuse. Il vaut mieux le savoir si on ne veut pas être confronté à de désagréables surprises.

A l'heure du film, il manque bien sûr des élèves. Comment distinguer ceux qui ne viendront pas de ceux qui sont en retard ? J'apprendrai plus tard, en consultant mon téléphone portable, que trois élèves m'avaient prévenu de leur retard. Avant d'entrer dans la salle, je procède à un briefing : éteindre les portables, ne pas parler entre camarades pendant le film. Ça peut paraître évident, ça ne l'est pas pour beaucoup, comme on va le voir. Ils discutent entre eux au ciné comment n'importe où, il n'y voit pas grand mal. Même un murmure s'entend et gêne quand on veut suivre un film. Cette ambiance de monastère où il y aurait des distractions, les élèves n'y sont pas habitués. Le silence est presque pour eux inhumain, contre-nature.

Les cinémas n'ont rien arrangé avec leur vente de nourriture et boisson : les seaux à pop-corn, les emballages de friandises qu'on froisse, les bouteilles qu'on s'échange, tout ça favorise la convivialité bavarde. Il y a vingt ans, quand je suis entré pour la première fois dans une salle de cinéma à New-York, j'étais stupéfait, j'entendais les maxillaires remuer, la nutrition et la digestion se faire. Je découvrais qu'on venait aussi au cinéma pour bouffer ! Maintenant en France c'est arrivé.

Une fois la salle plongée dans le noir et le film commencé, c'est le moment de tous les dangers. J'exagère ? Oui un peu. Je tends l'oreille, à l'affût du moindre chuchotement à châtier. Mais rien. Sauf qu'un groupe d'élèves, quatre ou cinq, entrent et s'installent, ce sont les retardataires et ils n'ont pas été par moi briffés. Les places libres sont rares, ils vont au premier rang. Après l'oreille, c'est mon oeil qui est aux aguets.

Je fais bien : une personne se lève pour manifestement intimer aux élèves de se taire. Quelques minutes plus tard, elle réitère. J'ai compris, je bondis de mon siège et me précipite pour réprimander le groupe, dans lequel je reconnais un élève à moi. Sauf que je me plante (je ne le saurai qu'après, une fois la lumière revenue) : c'est un rang plus loin, juste derrière, qu'il y a problème. Un élève, malgré mon interdiction, a utilisé son portable. Il a fallu le surveiller toute la séance pour qu'il ne recommence pas. Vraiment minable !

J'avais repéré, pendant mon briefing, deux ou trois élèves qui ne suivaient pas, que j'ai dû rappeler à une meilleure attention. L'avantage avec les malhonnêtes, c'est qu'on les détecte assez vite, sauf s'ils sont très malins, très intelligents (mais l'intelligence fait tout pardonner). Généralement, ce n'est pas le cas. Après, la riposte est purement technique et repose essentiellement sur le principe de surveillance : certains élèves ne sont pas bien méchants, seulement un peu bêtes et malhonnêtes.

lundi 18 mai 2009

Paris sera toujours Paris.

Hier matin, à 10h22, j'étais sur le quai de la gare du Nord, arrivée des trains venant de Laon, une pochette rouge vif à la main, qui ne me quittera pas de la journée, que je brandirai parfois dans les rues ou le métro de Paris : ce n'est pas parce que mes étudiantes ne sont que douze qu'il ne faut pas être prudent ! Armés de cet étendard, nous étions prêts à conquérir la Capitale, à commencer par le Café Philo des Phares, où m'attendait une rude animation.

Comment ça s'est passé ? Ce n'est pas le protagoniste qui peut se juger lui-même. Mais je vous donne mon ressenti, qui est mitigé. Je suis globalement satisfait parce que, comme l'a dit Gunter, le public a été attentif. C'est déjà une énorme victoire. Ceci dit, j'ai transpiré, et j'ai quelques mécontentements. D'abord les trois micros qui ne marchaient pas tous comme il conviendrait. C'est agaçant et déstabilisant. Il y a tant de choses à penser, et il faut aussi penser à ça, qu'on pourrait tout de même éviter ! Un des micros doit être quasiment avalé pour qu'on y entende quelque chose, l'autre doit être tenu d'une savante façon si l'on ne veut pas d'un sifflement qui vous perce les oreilles.

Et puis, il y a le système des premières prises de parole, qui fait que je dois surveiller combien de fois chacun s'exprime, m'en souvenir et gérer les demandes en les ordonnant. Trop compliqué pour ma petite tête. Gunter s'en charge, mais du coup, il se transforme peu à peu en co-animateur. Il le fait bien sûr pour m'aider, et en plus je le lui ai proposé, pour faciliter le déroulement de la séance. Mais la nature humaine est ce qu'elle est : Gunter distribuant le micro, se déplaçant dans la salle, il devient contre son gré "animateur", au sens propre du terme : il met en mouvement le public. Dans ce genre de situation, mieux vaut être seul à bord et se débrouiller.

Au début, à moitié par stratégie à moitié par sincérité, j'ai annoncé que j'étais honoré et ... stressé, avançant en petit provincial devant le très parisien Café des Phares, un peu comme la souris fait le mort devant le matou. Cette entrée en matière, chargée de désamorcer les difficultés, a été assez bien perçue. Après, je me suis essayé à un peu d'humour, ce qui est passé me semble-t-il à côté de la cible. Je me suis en fait aperçu que dans l'Aisne l'humour permet de désacraliser la philo, de la rendre moins impressionnante aux yeux du public. Mais ici, pas besoin.

Mon problème, c'était la crainte de décevoir les habitudes : Gunter fait de nombreuses références, reprend les interventions, les commente. J'ai voulu faire de même. Erreur : il faut être soi-même, ne pas chercher à copier. Mais je voulais être à la hauteur de la réputation du lieu et de mes hôtes. Bref, et Gunter me l'a très justement fait remarquer, j'en ai fait trop, j'ai trop longtemps parlé. Voilà ce qui arrive qui on fait du zèle !

L'épreuve du feu passée, je me suis précipité avec mes étudiantes "Chez Léon", pour puiser de nouvelles forces dans un plat de moules-frites. Mais le repas a traîné en longueur, et nous sommes arrivés devant le Père Lachaise avec plus d'une heure de retard sur le timing, ce que je ne supporte pas (d'autant qu'une personne nous attendait là bas sous la pluie et a bien failli se transformer en gisant !). Une bonne heure trente de visite, ça convenait tout de même. On ne peut bien sûr pas tout voir, c'est inévitable. Ce sera pour une prochaine fois.

Dans le métro du retour, une angoisse a gagné notre petite troupe : allions-nous réussir à prendre le train de 17h52 (qui était inscrit au timing) ? La fermeture de la ligne 3 à la station République, imprévue, a déjoué dangereusement mes prévisions. Nous n'avons pas couru, mais l'adrénaline a réveillé les jambes les plus fatiguées. 17h46 : ouf, nous étions arrivés ! J'ai accompagné mes étudiantes jusque dans le wagon, leur rappelant la promesse qu'elles m'avaient faite une heure plus tôt : devant la tombe d'Eugène Pottier, n'ayant pas le temps d'entonner l'Internationale, je leur ai demandé de le faire dans le train, en ayant une dernière pensée (de la journée) pour moi. J'espère qu'elles l'ont fait, poings levés avais-je précisé. Mais je ne suis pas allé jusqu'à vérifier.

dimanche 17 mai 2009

Une journée romantique.


Je vous raconterai demain ma sortie d'aujourd'hui à Paris, avec les étudiantes de l'IUTA de Laon (Institut Universitaire Tout Âge). En attendant, je vous livre cette photo prise en début d'après-midi (au bout de l'allée, c'est l'entrée principale du cimetière du Père Lachaise). Comme vous pouvez le remarquer, il pleut. Je suis en train de réciter un poème, Tristesse, devant la tombe d'Alfred de Musset. Le ciel gris, les sépultures, le pavé mouillé, l'ambiance est follement romantique. A vous qui n'êtes pas venus, je vous récite ce soir, par écrit, le poème de Musset :

J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste en ce monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

samedi 16 mai 2009

Une poignée de mains.

Demain, ce sera un grand honneur pour moi, et un peu de crainte : Gunter Gorhan, qui est venu à Saint-Quentin animer mon café philo, m'a demandé d'animer celui du Café des Phares, place de la Bastille, à Paris, le premier café philo créé au monde. Là-bas, c'est à chaque séance trois fois plus de monde qu'à Saint-Quentin, deux heures de débat et surtout une autre organisation : le sujet n'est pas connu d'avance mais choisi parmi les propositions des participants. Il faut donc improviser. Inhabituel pour moi, et pas facile. D'autant que j'apprécie par dessus tout ce qui est préparé, prémédité. Certes je me prépare, mais psychologiquement !

Je ne serai pas seul, puisque j'accompagnerai un groupe de mes étudiants de l'IUTA de Laon, je devrais plutôt dire étudiantes puisque ce sont toutes des femmes, une dizaine, à qui je ferai visiter, après le café philo, le cimetière du Père Lachaise, avec textes et chansons. Hier après-midi, j'ai donné une conférence à l'IUTA, sur le prologue du Zarathoustra de Nietzsche, qui avait très bien marché à Cambrai, qui a de nouveau très bien marché à Laon. Même si j'ai dû demander à une dame devant moi sa bouteille d'eau minérale, prétextant que la lecture de Nietzsche donnait inévitablement soif !

A la fin, un vieux monsieur, au corps complètement recroquevillé à tel point qu'il ne peut pas me regarder en me parlant, me félicite pour mon intervention et pour la précédente (sur l'allégorie de la Caverne chez Platon). Il a tenu à me serrer la main. Quelqu'un doit quasiment le porter jusqu'à moi, puis le remettre sur sa chaise roulante. Cette poignée de mains aveugle, toute en esprit, est assez émouvante. J'avais remarqué, depuis le début de mon cycle de conférences, ce vieux monsieur tellement replié physiquement sur lui même qu'il semblait absent. Son visage qu'on voit à peine laisse croire qu'il est endormi. Non, il est là, bien là, à m'écouter, à suivre Nietzsche, Platon et tous les autres. Cet homme lourdement handicapé pourrait rester chez lui. Mais dans ce corps meurtri, il y a l'essentiel, très actif : un esprit. Ma vie est alors justifiée, par lui, rien que par lui. Il n'a rien à attendre de moi, je n'ai rien à attendre de lui, nous ne nous connaissons pas. Et pourtant, cette poignée de mains nous unit plus que n'importe qui.

Mardi, ce sera, après l'animation du Café des Phares, une autre première pour moi, et aussi peu facile : un café philo en prison ! Le projet, je le traînais depuis plus d'un an, sans parvenir à le concrétiser. C'est fait ! La prison de Château-Thierry m'accueillera. Je n'ai pas proposé de sujet précis, je m'adapterai à la dizaine de détenus qui constitueront l'atelier. Je discutais hier au téléphone avec le responsable. Il m'expliquait que l'invitation a été lancée et que l'initiative suscitait déjà pas mal de curiosité et d'interrogations parmi les prisonniers. Ça aussi, ça justifie ma vie.

vendredi 15 mai 2009

Ce qui reste.

J'ai fait le point ce matin avec les élèves sur le programme et ce qu'il nous reste à étudier. Ce n'est pas que je tienne le programme pour sacré. En philosophie, les notions qui balisent l'année ne sont que des prétextes à penser. Ce qui compte, ce ne sont pas les thèmes que nous abordons, ce sont les capacités de réflexion qu'acquièrent les élèves. Cependant, je suis légaliste, et même formaliste : le ministère édicte un programme, appliquons-le à la lettre, et jusqu'au bout.

Donc, où en sommes-nous ? La réponse est sur la pochette cartonnée de couleur bleue qui m'accompagne depuis le début de l'année scolaire et qui occupe l'essentiel de mon cartable, avec mon agenda. Cette pochette contient les cours du moment, les listes d'élèves et des billets d'appel (où j'inscris chaque matin les éventuels absents). A l'intérieur de la pochette, j'ai collé mon emploi du temps et à l'extérieur le programme de philosophie. Celui-ci, au fil des mois, se décolle de plus en plus, le papier s'use. Il est temps que l'année approche de sa fin, mon document tourne de plus en plus au lambeau.

Sur cette petite feuille figure, pour chaque série, la liste des notions à étudier. Au fur et à mesure, je mets une croix sur ce que nous avons fait, pour savoir où j'en suis, pour pouvoir mesurer ce qui reste à faire. J'avance dans l'année au pif, je m'attarde sur certaines notions, j'accélère sur d'autres. Tout dépend de leur importance. J'ai une vision d'ensemble, je sais quel rythme adopter pour arriver à temps au terme de l'année et son final, le bac. C'est maintenant :

Chez les L, il reste 8 notions : l'Etat (commencé ce matin), la société, la perception, théorie et expérience, la démonstration, l'interprétation, le vivant, la matière et l'esprit.

Chez les ES, il reste 4 notions : l'Etat, la matière et l'esprit, l'interprétation, la démonstration.

Chez les S, il reste 4 notions : la conscience, l'inconscient, la démonstration, la matière et l'esprit.

Qu'il reste deux fois plus à terminer chez les L que chez les autres est logique : ils ont deux fois plus d'heures de philo. Vous remarquez que j'ai gardé pour la fin (et ce n'est pas le meilleur, du point de vue des élèves !) les notions politiques et surtout épistémologiques, qui passent pour rébarbatives. Mais quand elles sont bien exposées, ça ne l'est pas plus que d'autres notions.

Voilà donc ce qui reste à faire. Et à veiller avec beaucoup d'attention que l'ambiance de travail et de concentration persévère jusqu'à la dernière heure de cours. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple ...

jeudi 14 mai 2009

Salauds de jeunes ?

Je viens de découvrir deux sondages assez surprenants, l'un sur les jeunes vus par les adultes, l'autre sur les jeunes vus par eux-mêmes. Le premier exprime une assez incroyable hostilité des adultes envers les jeunes. Jugez-en plutôt :

- 51% des adultes ont une image négative des jeunes
- 70% les considèrent individualistes
- 59% les trouvent intolérants
- 52% ne les croient pas prêts à s'engager pour des causes utiles

Ces résultats sont assez incroyables parce que notre époque pratique le jeunisme (tout ce qui est jeune est encensé) et en même temps déteste les jeunes. A moins que ce ne soit un effet de la jalousie : tout le monde veut paraître jeune, on méprise donc ceux qui n'ont pas besoin de faire d'efforts pour cela, les jeunes !

Je serais curieux de savoir quels résultats donnerait ce sondage auprès des enseignants. J'espère, pour l'honneur de la profession, que nous rétablirions l'image de ceux pour lesquels et avec lesquels nous travaillons. Car ce qui ressort de ce sondage est faux et injuste.

Le second sondage m'apprend que les adolescents :

- sont satisfaits de leur vie (70%)
- se sentent bien à l'école (67%)
- parlent facilement avec leurs parents (86%)
- pensent qu'ils vont mieux réussir que leurs parents (60%)

Où sont-ils, ces ados dépressifs, mécontents de l'école, en conflit avec leurs parents, pessimistes pour leur avenir ? C'est l'image que les adultes et les médias se complaisent à véhiculer. Manifestement, ce n'est pas la vérité, même si un sondage a une portée limitée, mais sans doute moins que les préjugés qu'on colporte.

Quand j'étais jeune, je n'aimais pas les jeunes et je rêvais d'être vieux (c'est à dire adulte). Maintenant que je le suis, plus je m'éloigne de la jeunesse, plus je m'en rapproche et la comprends, plus j'ai tendance à être indulgent avec elle. Je ne suis pas d'accord avec la formule de Brassens : "Quand on est con on est con." Un jeune con sera toujours pardonnable, et il lui reste toute la vie pour devenir intelligent (cette grande aventure commence à l'école). Mais un vieux con est insupportable, car sa longue expérience devrait le prémunir de la connerie.

Je mets le premier sondage au feu et je diffuse le deuxième. Vive les jeunes !

mercredi 13 mai 2009

Faire l'amour.

J'ai commencé avec mes classes l'étude de la Lettre à Ménécée d'Epicure, un classique de l'oral du bac, tellement classique que je renonce certaines années à le traiter. Mais un ouvrage de philo qui fait sept pages, ce n'est pas fréquent et c'est tout de même plus simple pour les élèves. D'autant que le style est assez clair, bref, limpide. Quant au sujet, le bonheur et le plaisir ne peuvent que retenir l'attention des lycéens. Va donc cette année pour la Lettre à Ménécée.

Du plaisir justement, il en a été question ce matin avec les ES. Nous sommes arrivés au fameux paragraphe 10 de la Lettre (mais plusieurs paragraphes sont passés comme celui-ci à la postérité !), consacré à la distinction des désirs :

- Il y a les désirs "naturels" : ils sont spontanés, instinctifs, irrépressibles (manger, boire, dormir, ... )

- Il y a les désirs "vains" : ils sont inutiles, artificiels, créés par la société. On peut s'en passer, on le doit si on veut être heureux.

- Il y a les désirs "naturels et nécessaires" : ils proviennent de notre nature mais réclament notre volonté. Le premier d'entre eux est le désir d'être heureux. Naturel car en chacun (fou celui qui n'aspirerait pas au bonheur), mais pas totalement naturel puisque le bonheur ne se satisfait pas comme l'envie de manger. Il est l'objet d'une recherche plutôt compliquée.

Avant de donner ces explications à mes élèves, je leur demande, pour voir s'ils ont compris, de me donner un exemple de désir "naturel et nécessaire". L'un d'entre eux, pas bon du tout à l'écrit mais n'hésitant pas à prendre la parole en classe (y compris pour bavarder avec son voisin), répond tout de go : "faire l'amour".

Rires plus ou moins étouffés, corps qui se trémoussent, échanges de mots, la formule de l'audacieux a manifestement émoustillé la classe. Dès qu'il est question de sexe, c'est l'agitation. Les élèves s'interrogent, curieux, sur la réaction et la réponse de l'enseignant. Je garde tout mon sérieux pour réfuter la réponse et en solliciter une autre : où situer l'amour ? Désir seulement naturel, désir aussi nécessaire ou désir vain ?

Une fille se lance à son tour : désir naturel. Le garçon, lui, trouvait évident que l'amour physique soit également nécessaire. Je réponds aux deux que l'amour n'est pas complètement naturel, puisqu'à la différence de manger, boire et dormir, on peut s'en passer. Mais que l'instinct de reproduction soit inscrit dans notre nature, c'est un fait. Ce n'est en aucune façon une nécessité. La volonté ne s'exerce pas pour le sexe comme elle s'organise pour le bonheur.

A choisir, en me permettant d'interpréter Epicure, je dirais que l'acte sexuel est en partie naturel mais très largement artificiel, "vain". Après tout, nos représentations érotiques et autres fantasmes sont plus le produit de la société et de l'époque que de notre inconscient. Les hommes ne naissent pas avec un porte-jarretelles dans la tête.

Pour la fille qui est intervenue, mon hypothèse semble invraisemblable. Elle pense dur comme fer que l'amour est naturel et que sa nécessité est flagrante. Il y a des moments où l'on sent qu'on n'arrivera pas à convaincre les élèves. Je termine sur ce point en riant et en essayant de mettre les rieurs de mon côté : vous élèves, vous vous faites du sexe toute une baraque foraine dans votre tête. C'est le privilège de la jeunesse, et aussi son illusion. Je n'insiste pas (y a-t-il besoin ?), mais je reviens sur Epicure : cet homme adepte des plaisirs vertueux ne pouvait pas tolérer que la sexualité en fasse vraiment partie. Quoi qu'en pense aujourd'hui les élèves ...

mardi 12 mai 2009

Ma vie est belle.

Trois heures, c'est beaucoup. C'est le temps qui m'était imparti pour une intervention à l'IUFM de Laon, auprès de 25 professeurs des écoles qui participent dans les quinze prochains jours à un stage sur "Les comportements responsables et solidaires à l'école primaire". Trois heures où l'on m'avait demandé de plancher sur la question "Qu'est-ce qu'être responsable?" C'est le genre de sujet très généraliste qu'on pose à un prof de philo et qui ouvre utilement un stage. Trois heures qui me semblaient un peu longues pour traiter de ce thème.

Il s'est passé ce qui se passe toujours : le temps m'a finalement manqué (mais je m'étais réservé une demi-heure pour présenter les activités de la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne). C'est drôle tout de même cette crainte d'avoir trop alors qu'on n'a pas assez ! Pourtant, c'est la troisième année que je fais cette conférence, je devrais être habitué. Mais j'oublie et l'inquiétude est la plus forte. D'autant qu'en relisant hier soir le fil conducteur de mon intervention, retrouvée après trente minutes de recherche dans mes archives (eh oui, au bout d'un an, les papiers s'accumulent !), je n'étais guère satisfait, ça ne me paraissait pas très enthousiasmant.

Il paraît que l'appétit vient en mangeant. L'appétit d'enseigner vient en enseignant. Mes notes un peu défraîchies ont pris des couleurs devant mes collègues, quand je suis entré dans mon exposé, que je l'ai fait revivre. Un cours, c'est un souffle, un enthousiasme, je dirais même une communion. Je crois que l'élan est passé à travers la salle. Mon public n'était pas des plus faciles : un enseignant devant d'autres enseignants, ce n'est jamais évident. Mais j'ai fait bouger, réagir. Enseigner, devant des jeunes ou des adultes, c'est créer un mouvement. L'inertie, l'indifférence, l'acquiescement poli, c'est l'échec.

Ma grande satisfaction, c'est que je suis reparti avec un projet : une chorale d'enfants qui illustrera un prochain ciné philo. Et puis, j'espère bien que je serai sollicité pour organiser un goûter philo dans des écoles. J'ai enfin laissé l'adresse de ce blog, car du primaire au lycée, sous des formes certes différentes, ce sont les mêmes problèmes pédagogiques qui se posent. Si Prof Story pouvait être le prolongement de mon intervention de cet après-midi, un lieu d'échange d'expériences, de réflexions et de témoignages sur l'école, j'en serais très heureux.

Comme j'étais heureux sur la route du retour, pourtant dans le mauvais temps, pluie, ciel gris mais paysage rendu très vert par l'humidité, un peu brumeux : aujourd'hui à Laon dissertant sur la responsabilité, demain à Cambrai exposant le marxisme à l'Université du Temps Libre, après-demain à l'IUTA de Laon pour parler du Zarathoustra de Nietzsche, samedi animant le café philo de Guise sur le thème de la crise, et dimanche, fin de semaine en beauté puisque j'aurais l'honneur d'animer le café philo des Phares à Paris, suivi comme la dernière fois d'une visite guidée par mes soins du cimetière du Père Lachaise. Le tout entrelardé de cours à mes élèves : ceux-là, il ne faut quand même pas que je les oublie ! Ils n'ont rien à craindre, même s'ils aimeraient peut-être bien ... Je ne sais pas si une vie d'enseignant est toujours belle. Pas nécessairement. Mais ma vie est belle.

lundi 11 mai 2009

Mauvais signes.

Le proviseur-adjoint m'a appris, mais je m'en doutais, que la fin officielle des cours en Terminale aura lieu le vendredi 12 juin, soit six jours avant la première épreuve du bac, la philo. Plus qu'un mois donc : le compte à rebours a commencé. Avec les S et ES, ça va à peu près bien, je maîtrise. La surprise vient de là où elle ne devrait pas venir : les L. La semaine de rentrée, il y avait sept absents. Itou cette semaine. Sur 32, ce n'est pas rien.

Des absents, me direz-vous, ça ne dérange personne. Et puis, ils ont peut-être de bonnes raisons. Peut-être, mais dans mes deux autres classes, il n'y a pas un tel taux de défections. Surtout, les absents donnent le mauvais exemple : si eux se permettent de ne pas être là, pourquoi les autres ne se le permettraient pas ? Ces chaises vides éparpillées ici et là démotivent, démobilisent la classe, comme des trous d'air qui aspirent un avion. Une classe est une unité. Si vous l'affaiblissez, vous affectez toute la classe.

Il y a aussi ces signes de fatigue qui ne trompent pas. Un élève au fond de la classe ferme les yeux. Je jurerais qu'il somnole, tout en restant droit devant sa table. Son corps est figé, les membres ne bougent plus. Il croit sans doute que je ne vois rien. C'est le grand espoir et la grande illusion des élèves. Un enseignant voit tout et n'oublie rien.

Il y a ces élèves qui sourient très légèrement. Et alors, où est le mal ? Le mal non, mais la faute oui. Un élève qui se concentre, écoute ce que je dis, prend des notes, essaie de comprendre, cela se voit sur le visage, comme le nez au milieu de la figure. Cette face-là sera sérieuse, appliquée, tendue, légèrement sombre, mais absolument pas souriante. Ce simple trait de la bouche est un signe d'absence, de négligence, de légèreté. C'est comme si un fidèle souriait pendant la messe, au moment de l'ostentation du Saint-Sacrement. Les mauvais élèves, je ne les reconnais pas à leur travail mais à leur sourire. Ils se condamnent alors sans appel.

Il y a ces regards qui flottent, virevoltent, sont incapables de me regarder, de regarder leur feuille, de regarder leur ouvrage (nous sommes en train d'étudier la Lettre à Ménécée d'Epicure)de regarder quoi que ce soit. Il y a ces têtes qui bougent, comme celles des chiens artificiels à l'arrière des voitures. Il y a ces corps qui n'arrivent pas à rester fermes sur leur chaise, qui devraient être des statues et se délitent en pâte à modeler. Il y a ces élèves qui ne sont pas assis droits devant leur table mais installés de biais, échappant ainsi à leur travail pour s'ouvrir à toutes les sollicitations de la classe. Il y a ces murmures qui viennent d'on ne sait où, de partout et de nulle part, qui ne sont même pas de francs bavardages facilement repérables mais une sourde protestation de fin d'année. La classe mugit comme une bête qui souffle son sang.

Il y a le pompon, à quinze minutes de la libération, le coup de grâce : cette élève qui lance avec désinvolture un stylo à un camarade deux tables plus loin. Elle fait ça comme si elle était chez elle (le ferait-elle d'ailleurs ?), comme si les autres alentours n'existaient pas. Je la reprends et je reprends l'ensemble de la classe, qui est en train de s'égarer alors qu'il nous reste un mois de vie commune.

Une classe qui se relâche, ce n'est pas des esprits qui abdiquent, ce qui ne se voit ni ne se sent. Mais ce sont des corps qui échappent à la discipline, s'ensauvagent. Et ça, le professeur ne le constate pas, il le vit, le subit, en souffre comme d'une agression. C'est son métier d'y mettre bon ordre, de rétablir la discipline, de réinstaurer la norme. Il faut que la rivière regagne son lit.

dimanche 10 mai 2009

Nico, Samy, Lolita.

Il y a quelque temps déjà, l'administration m'a demandé, en tant que professeur principal, de distribuer un fascicule à mes élèves, comme je le fais parfois. Cette fois, c'était "Le guide d'information sur les droits et les devoirs des jeunes". J'en ai gardé un exemplaire, pour le lire tranquillement chez moi. Voilà, en deuxième page, ce que j'ai pu lire :

"Tu as moins de 18 ans ? Tu es donc mineur et, en tant que tel, tu es protégé par la loi. Mais, tu es surtout un citoyen à part entière, au même titre qu'un adulte. Donc, comme un adulte, tu as des droits et des devoirs ! Le but de ce guide est de te présenter quelques-uns de tes droits et devoirs."

C'est bien, c'est clair, l'élève est incontestablement accroché. Ce que je remarque simplement, c'est le choix du tutoiement pour interpeller l'élève. C'est bien ça aussi, puisque que moi aussi je pratique avec mes classes le tutoiement. Mais notre ministre, à plusieurs reprises, l'a déconseillé, au nom du respect. Pourquoi pas, même si je ne partage pas cet avis. Toujours est-il qu'un document, ce "guide d'information sur les droits et les devoirs des jeunes", utilise le tutoiement, alors qu'il a été rédigé par le ministère de la Justice !

Sinon, c'est très bien fait : infos sur la famille, internet, la santé, les lois, le travail. Et puis, pour accompagner ce guide juridique, trois marque-pages sont offerts. Ce sont eux surtout qui ont attiré mon attention et suscité ma réflexion. Car chaque marque-page est illustré par un dessin représentant un type de lycéen : Nico, Samy et Lolita. Il est intéressant de voir comment aujourd'hui on se représente les jeunes :

Nico est qualifié de "romantique en quête d'identité". Il a une tignasse très noire, un tee-shirt jaune très ouvert en haut, avec un gros pendentif presque sur le ventre. Samy est présenté ainsi : "lascar à l'affût d'un nouveau plan". Il est plutôt gros, porte la casquette à l'envers, un pull noir, les mains dans les poches et une grimace sur le visage. Lolita est la "star des cours de récréation": chevelure blonde et abondante, débardeur moulant rose découvrant très largement le ventre et valorisant une forte poitrine, tour de cou laissant deviner un téléphone portable, bras nus, tatouage de scorpion sur l'épaule, main caressant la nuque, sourire aux lèvres qui montre les dents.

Sont-ce mes élèves ? Sont-ce des images de lycéens fantasmées par les adultes ? Pour le moment, Nico, Samy et Lolita ne sont que des marque-pages.

samedi 9 mai 2009

La philo partout !

Dans le numéro d'avril de Philosophie Magazine, je suis tombé sur un article qui m'a donné des idées. Son titre : "Un week-end à l'Ecole de la vie." Son chapô : "A Londres, le philosophe Alain de Botton s'est inspiré des écoles de sagesse antiques pour fonder une institution dispensant des cours autour des grandes questions existentielles ..."

Mais ce qui a surtout retenu mon attention, c'est que l'Ecole de la vie ne se contente pas d'un enseignement classique ; elle organise des voyages pour philosopher, mais de bien étranges voyages: "excursions dans des lieux étonnants - comme des aires d'autoroutes ou des jardins urbains - ou avec des buts insolites - par exemple observer les nuages." La philosophie nous a habitués à des bizarreries, mais là franchement, ...

Alain de Botton nous explique son intention: " Le monde qui nous entoure se caractérise par sa laideur. Comment ne pas être pris de cafard à la vue des aéroports, des centres commerciaux ou des lotissements ? Mais plutôt que de céder à une critique plaintive de la modernité, rappelons-nous que les catégories du "beau" et du "laid" ont toujours été fluctuantes." A partir de ce constat, notre philosophe propose un exercice pratique :

"Aujourd'hui, il est de bon ton de faire des descriptions apocalyptiques de Heathrow. Les usagers ne sont jamais à court de témoignages indignés sur la perte de leurs bagages dans ce triangle des Bermudes. Celui qui avouerait prendre plus de plaisir à traîner dans un aéroport qu'à atteindre sa destination passerait pour un cinglé. Et pourtant, dans les moments de déprime, j'ai souvent trouvé une forme d'apaisement à Heathrow, en errant dans les terminaux ou en m'asseyant devant une baie vitrée pour contempler l'incessant ballet des avions ..."

Je ne souhaite pas reproduire ce que fait Alain de Botton, mais m'en inspirer oui. L'idée que je retiens, c'est de faire de la philo in situ, in vivo. Hors de la classe ou de l'amphi bien sûr, mais aussi hors des cafés où j'organise mes débats. Hors les murs, quoi ! L'enfermement nuit peut-être à la philosophie, la soumission à un horaire aussi. J'imagine des animations philosophiques sauvages, impromptues, éphémères dans des endroits inattendus. Heathrow, c'est trop loin, trop compliqué, trop cher, mais dans ma ville de Saint-Quentin, les possibilités sont nombreuses. Devenir en quelque sorte le Christo de la philo : non pas emballer des espaces mais "emballer" des gens, des inconnus, des anonymes, leur faire déballer des idées au coeur de certains espaces.

Par exemple proposer un débat philosophique sur le voyage dans la gare, sur la nature dans un jardin public, sur la vie et la mort dans le hall de l'hôpital, sur le travail au Pôle emploi, sur le divertissement au coeur de la fête foraine, sur l'art dans le musée, sur l'image à l'entrée du cinéma, sur les échanges dans le parking d'Auchan ou Cora, etc. Les idées ne manquent pas, les lieux non plus : la plage, les rues piétonnes, la place de l'Hôtel de Ville, les terrasses de café, le marché, ... De la philo partout, et surtout là où l'on attend, où l'on ne sait quoi faire, où l'on perd son temps, où l'on s'ennuie, à la Poste, à la Sécu, là où il faut passer le temps : pourquoi pas en pensant ? C'est une occupation comme une autre, meilleure qu'une autre.

Pour mener à bien ce projet, il faudra prendre quelques précautions techniques : demander l'autorisation d'intervenir dans l'espace public, prévoir quelques chaises de jardin vite installées vite repliées, se munir de l'indispensable sonorisation mais légère, interpeller les passants en leur distribuant une feuille qui introduit au débat. L'été pourrait se prêter à cette activité. Pourquoi ne pas essayer ?

vendredi 8 mai 2009

Un projet et une porte.

Les élections européennes ne mobilisent guère l'attention. L'Europe est mal connue. D'un côté on la redoute, de l'autre on s'en désintéresse. C'est contradictoire. Le scrutin du 7 juin est important, comme tout scrutin. Il faut donc que les citoyens aillent voter. Après, leur choix, c'est leur affaire.

C'est le rôle d'un lycée de faire ce travail de civisme et de citoyenneté. Beaucoup de nos élèves sont majeurs, et ceux qui ne le sont pas vont le devenir bientôt, majeurs, citoyens, électeurs. C'est dès maintenant, au lycée, qu'il faut leur apprendre que c'est important. Pour les adultes (mais pas tous, loin de là !), voter paraît un geste naturel, simple, important. Ce n'est pas si évident pour les jeunes. Il faut donc faire de la pédagogie. Surtout quand il est question d'Europe.

C'est ce que je suis en train d'organiser dans mon établissement. J'ai fait appel à un ancien élève ... d'il y a longtemps, Dominique Fabre, professeur agrégé d'Histoire, conseiller auprès du ministère de l'Agriculture, haut fonctionnaire européen. La conférence-débat (plus débat que conférence) aura lieu le 28 mai, à 20h00, ouverte à tous, mais visant particulièrement nos élèves internes. Nous nous sommes fixés une participation de 50 personnes.

Lundi, je suis allé voir le proviseur-adjoint pour lui soumettre ce projet, dont je l'avais informé par courriel pendant les vacances. Porte close. Mercredi, je retourne à son bureau, je frappe, toujours pas là. Jeudi, même silence. Il n'est tout de même pas resté en vacances ! J'apprends en fin de journée qu'il a déménagé, changé de bureau, et qu'il est installé maintenant près de la salle des profs ...

jeudi 7 mai 2009

Lancement de la Quinzaine.

Mercredi soir, j'ai lancé à Soissons, dans l'école primaire Galilée, la Quinzaine de l'École Publique, organisée conjointement par la Ligue de l'enseignement et l'Education Nationale. De quoi s'agit-il? Après la Seconde guerre mondiale et ses destructions terribles, l'École avait besoin d'argent pour se reconstruire. Elle a fait appel notamment à la générosité publique : les enfants vendaient à leurs parents, familles, voisins et amis une vignette. Des générations ont été marquées par ce geste, que seuls les enfants adorent faire : vendre un petit bout de papier. C'était les Fédérations des Oeuvres Laïques qui se chargeaient de l'organisation de la collecte dans les départements.

Aujourd'hui, 60 ans après, l'opération continue mais l'argent est affecté à la solidarité internationale. Les pays pauvres ont besoin de notre aide : constructions d'écoles, achats de livres, envois de fournitures, etc. La Quinzaine, c'est aussi l'occasion d'une démarche pédagogique : inciter les élèves et leurs maîtres à faire un travail autour des valeurs de la solidarité. Car une simple quête, y compris pour la bonne cause, ne suffirait pas, serait même contestable. C'est pourquoi les enfants sont sollicités pour exercer leurs talents; l'École est faite pour ça, pas pour la charité.

A Galilée, nous avons été gâtés : la directrice est dynamique, l'équipe enseignante mobilisée. Ça se sent, dès qu'on franchit la porte. Les classes ont réalisé une belle exposition sur la récupération des déchets, ainsi qu'une présentation de leur jumelage avec une école du Sénégal. J'ai fait appel, pour agrémenter la cérémonie, à l'association pour le commerce équitable, qui a dressé un magnifique stand de leurs produits. Bref, ce lancement a été très vivant, très réussi. J'en ai connu, en quatre ans de présidence de la FOL, de beaucoup moins bons.

Un petit hic tout de même : notre partenaire, l'Education Nationale, était absent. Ce n'est pas une première, hélas. Les années précédentes, cette défaillance chagrinait mes camarades. Avec une nouvelle Inspectrice d'Académie, j'espérais mieux. Mais le sort s'est mis de la partie : l'IA, comme on l'appelle, était retenue au Ministère. Elle avait pris soin de m'appeler, le matin, pour me dire qu'elle ferait tout pour être parmi nous. Mais une manif parisienne l'en a empêché. De coeur, elle était avec nous. Je crois en sa sincérité, je suis certain que l'an prochain elle lancera avec moi cette Quinzaine de l'École Publique.

mardi 5 mai 2009

Des cours très particuliers.

Dans L'Aisne Nouvelle du 28 avril dernier, je lis un article de Damien Le-Thanh au titre évocateur : "A l'approche du baccalauréat, les cours privés font le plein". A Saint-Quentin, ville de près de 60 000 habitants, quatre sociétés proposent des cours particuliers : ABC+, Atout-Math, Cours Ado et Acadomia. Cette dernière est la plus importante, elle emploie 210 "professeurs". Je mets des guillemets, puisque rien ne garantit la qualité de ce personnel. La moitié serait des étudiants, l'autre moitié des professeurs en titre.

C'est tout de même surprenant : des parents acceptent de payer, de 30 à 40 euros l'heure, sans s'assurer de la formation de ceux qui vont enseigner à leurs enfants. Surprenant aussi que des professeurs acceptent de participer à ce genre d'entreprises. Car leur existence, qu'on le veuille ou non, est une façon de remettre en question, de contester l'École Publique. On va chercher ailleurs ce qu'on croit ne pas trouver pas chez soi. Et si l'objectif est d'arrondir les fins de mois, ce n'est pas plus glorieux !

Il y aurait plus de 300 élèves à Saint-Quentin qui seraient inscrits dans ces cours très particuliers que rien, absolument rien, ne justifie, sinon l'air du temps, l'obsession de la compétition, le culte mal compris de la performance. Un élève qui travaille correctement, même s'il n'est pas bon, n'a pas besoin de cours particuliers. Avec le soutien de ses professeurs, il aura son bac. Bien sûr, les cours particuliers ont toujours existé, pour des élèves eux-mêmes très particuliers, rencontrant des difficultés particulières. Moi-même, certaines années, je donne quelques heures, parce qu'on me le demande. Mais jamais cette aide ne devrait se transformer en système, jamais l'éducation ne devrait être un "marché". Sinon, l'illusion n'est pas loin, et au bout la désillusion.

Dernière preuve s'il en était : l'article annonce les sujets probables du bac général 2009, et en philosophie la liberté, la justice, l'art, la vérité. Là, on passe de l'illusion à l'imposture. Surtout en philo, on ne peut pas anticiper ce qui va tomber. Et puis, quels que soient les sujets, il faut tout réviser, car tout est lié, et on ne peut traiter de la liberté, la justice, l'art, la vérité qu'en les reliant à toutes les autres notions. Mais je comprends la ruse : laisser croire aux élèves qu'on pourrait faire une économie de travail en connaissant à peu près les questions à l'avance. Moralement et pédagogiquement, c'est inacceptable.

lundi 4 mai 2009

La dernière rentrée.

Oui, c'était ce matin la dernière rentrée de l'année scolaire 2008-2009. Ça s'est passé comment ? Comme une dernière rentrée ... L'impression qu'une page se tourne, que la fin approche, que le bac est imminent, que les dés sont jetés. Ce sentiment est évidemment faux. L'examen est dans un mois et demi, ce n'est tout de même pas demain. Et puis, il faut travailler, d'arrache-pieds, dans les semaines qui viennent, jusqu'à la fin. Les révisions contribueront beaucoup à la réussite, sont indispensables. Rien n'est joué, en fin de compte. D'autant qu'un examen, comme une élection, se gagnent parfois à quelques points près.

D'où me vient alors ce désabusement, que je n'ai pas éprouvé lors des rentrées de novembre, janvier et mars ? D'abord de cette évidence que le temps va filer très vite. Mais surtout de ce constat qu'un élève qui n'a pas, qui a peu ou mal travaillé jusqu'à maintenant n'a guère de chance de se relever. Huit mois de philo et ne pas en avoir intégré les règles, pourquoi voulez-vous que ça change ? Je ne crois pas aux miracles pédagogiques, je ne compte que sur le travail des élèves.

C'est pourquoi, en S, quand un élève, qui ne m'a pas rendu son devoir avant les vacances, m'annonce qu'il l'a oublié chez lui aujourd'hui, je n'ai rien dit, alors que les rentrées précédentes, j'aurais gueulé, je lui aurais imposé d'aller en permanence pour me faire illico le boulot. Pourquoi ce silence de ma part ? Parce qu'un prof ne doit pas gueuler pour le plaisir mais pour l'efficacité. Le cas en question est isolé, je sais que la classe ne se laissera pas, arrivée en mai, contaminer par son indolence ou sa malhonnêteté.

Même réaction en L, quand un élève me dit que sa mère a posté sa dissert pendant les vacances. Je n'en crois rien, puisque je n'ai rien reçu. Mais je m'en fous. A l'heure qu'il est, ces élèves, heureusement très minoritaires, se condamnent eux-mêmes. Un professeur, aussi bon soit-il, ne sera jamais entièrement responsable de ce que font tous ses élèves, de leur échec comme de leur réussite. Hélas, car j'aimerais disposer de cette puissance, de ce pouvoir.

J'ai donné ce matin les corrigés des devoirs. Je ne sais pas si j'ai été bon ou mauvais. Il n'y a que les élèves qui peuvent le dire. Ce sont eux les seuls juges. Donner le corrigé, c'est montrer ce qu'il fallait faire, ce qu'on pouvait faire. C'est proposer un idéal (certes imparfait), un modèle (qui n'est pas unique). Cela doit être compris, pour que l'élève s'en rapproche, progresse. Mais tous les élèves comprennent-ils ? Saisissent-ils où je veux qu'ils aillent, vers quel point je souhaite qu'ils s'élèvent ? Voilà une question bien angoissante, en ce début de mai, où tout semble bouclé, décidé.

J'ai préparé hier matin ces corrigés que j'ai commencés aujourd'hui. Chez soi, à l'écrit, dans ma tête, c'est parfait. Mais tout change quand je suis devant les élèves, que c'est la parole qui l'emporte. Sur le papier, un cours peut être excellent, c'est assez facile. Mais rien n'est fait, rien n'est joué. C'est devant la classe, à l'oral, que tout se décide, que ça passe ou ça casse. Je réclame alors l'assentiment des élèves, je sollicite leurs regards, j'attends une approbation ou une incompréhension. Mais la plupart des regards sont prudemment vides ou fuyants. La question la plus idiote qu'un enseignant puisse poser, que j'ai posée mille fois et encore ce matin : avez-vous compris ce que j'ai dit ? N'importe quel élève répondra toujours oui.

En L, sept élèves, oui sept, étaient absents. Ça fait beaucoup pour une rentrée. Mon impression de délitement et de fatalité en a sans doute été renforcée. Comme ces copies que j'ai distribuées, dont un petit tiers était mauvais. C'est beaucoup, ça aussi. Mais c'est pour moi un appel à me battre, jusqu'au bout, jusqu'à ce début juillet où je sais qu'il me faudra en deux jours préparer certains candidats à l'oral de rattrapage, et qui gagneront, et qui auront en fin de compte le bac. Se battre, c'est la loi de l'école, c'est la loi de la vie. C'est ce que me suggère ma dernière rentrée.

dimanche 3 mai 2009

La dictée.

J'ai entendu ce dimanche soir un bruit dans mon couloir. Il n'y a pas aujourd'hui de facteur, ça ne peut donc pas être une lettre. Peut-être un prospectus, une publicité, ou bien un tract politique ? Rien de tout cela, mais une dissert de philo, d'un Scientifique, absent avant les vacances. Il rend in extremis (je donne les corrigés demain matin, après plus question de me donner des copies). Mais il rend, c'est l'essentiel.

Hier matin, sur France-Culture, l'émission d'Histoire de Jean-Noël Jeanneney Concordance des temps portait sur "la dictée laïque". Fait-on encore des dictées à l'école primaire ? Pendant longtemps, cet exercice était considéré comme majeur, essentiel. Et puis, il a été très décrié, critiqué pour sa passivité, sa soumission à l'ordre orthographique. Dictée, dictature, même combat !

C'est injuste. La dictée, comme tout exercice, est active. L'élève prend l'initiative de traduire une parole en écriture. C'est incontestable un exercice d'intelligence, et pas une stupide reprise ou répétition d'un texte. Quant à la soumission à l'ordre de l'orthographe et de la grammaire, dont je reconnais qu'il est parfois arbitraire, il a son utilité. Car apprendre quoi que ce soit, c'est se soumettre à un ordre. L'intelligence est ordonnée, la bêtise est chaotique. Je parle d'expérience, je connais bien l'une et l'autre. Le fin du fin, le nec plus ultra, c'est quand on crée son propre ordre, qu'on l'invente. C'est le but de la pensée.

Écolier dans les années soixante, je faisais des dictées, j'en ai gardé un excellent souvenir. Le stylo n'était pas encore de rigueur, on écrivait à la plume, l'encre et le buvard, avec des pleins et des déliés. Alors, rédiger était un plaisir, une esthétique, quelque chose de précieux, presque sacré, qu'il ne fallait pas rater. Nathalie Sarraute, dans Enfance, paru en 1983, traduit fort bien ce sentiment, ce respect, cette joie qu'instaurait la dictée. Ce n'est pas chez moi de la nostalgie, je me fous du passé, seul compte l'avenir. Mais je restitue un souvenir et une vérité.

samedi 2 mai 2009

Le lycée de grand-papa.

En rentrant de mes quelques jours de vacances, un papier bloquait ma porte. Une dissertation d'un Littéraire ! Comme quoi certains élèves ont compris et respecté la règle ... Sinon, qu'ai-je fait de mes vacances, à part corriger des copies ? J'ai lu, bien sûr, et je veux vous citer un ouvrage, qui n'est pas récent, mais dont l'extrait que voici me semble utile à la réflexion que je mène sur ce blog :

"Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance pour cet enseignement public et les hommes que j'y rencontrai. Aujourd'hui certes, j'ai pris conscience de ses défauts : immobilisme, étouffement de la spontanéité et des facultés d'invention sous le poids d'un système étroitement magistral, enseignement de classe adapté surtout aux jeunes bourgeois et aux brillants élèves ; mais il m'importe : le lycée de mon adolescence était libéral. On y travaillait sans contrainte, les punitions étaient rares et bénignes, on "séchait" facilement. Les faibles, les paresseux pouvaient il est vrai en profiter, mais, grâce à lui, mes études sont liées à la joie [...] Je sais bien que tout change aujourd'hui et que cet enseignement libéral n'a plus cours avec tout ce qu'il représentait d'humanisme bourgeois, mais je lui reste redevable du peu de culture dont je puis me prévaloir".

Savez-vous quand ont été rédigées ces lignes extraordinaires ? En 1967, dans l'ouvrage La Foi d'un païen, paru au Seuil, pages 23-24, sous la plume d'un prêtre racontant son itinéraire, Jean-Claude Barreau. Ce qui est extraordinaire, c'est sa description d'un lycée d'après-guerre et la comparaison que nous pouvons faire avec le lycée d'aujourd'hui :

- Cet homme d'église a apprécié l'enseignement laïque, qui n'était nullement anti-religieux, comme on se plaît parfois à le laisser croire.

- Ce lycée avait déjà des défauts, dont certains ont demeuré jusqu'à nos jours. Comme quoi la nécessité d'une réforme est une idée ancienne.

- Contrairement au préjugé qu'on en a, le lycée d'autrefois était "libéral". Ceux qui réclament le retour à l'autorité et à la discipline en invoquant le bon vieux lycée de papa ou de grand-papa feraient bien d'y réfléchir à deux fois et de revoir leur Histoire, si la mémoire n'y suffit pas.

- "Tout change aujourd'hui": eh oui, en 1967 aussi, comme en 2009, le monde n'était plus ce qu'il avait été et le lycée non plus. Imaginez un peu ce qu'il en sera avec Mai 68 et ses suites !

Avant de juger péremptoirement notre système scolaire, nous devrions prendre ce recul indispensable que nous apporte l'Histoire. Nous n'en serons que plus pertinents et peut-être moins injustes dans nos jugements.

vendredi 1 mai 2009

Irritations.

C'est fait, j'ai bouclé aujourd'hui mes trois paquets de copies. Avec quelques irritations pour finir. D'abord ce devoir qui s'intitule ainsi, en haut de page : "Dissert° de philo". J'ai respecté la graphie. L'élève est-il pressé pour écrire ainsi ? Ce qui signifie qu'il bâcle son travail, rédigé peut-être dans la précipitation. A moins que l'usage de diminutifs ne trahisse une insouciance, une négligence de la pensée. Quoi qu'il en soit, ça fait très mauvais effet, surtout en tête d'une dissertation. D'autant qu'en début d'année, j'ai prévenu : il faut écrire les mots en entier, renoncer aux abréviations. C'est une question de clarté et de politesse.

Certains lecteurs me répondront sans doute que je n'ai qu'à faire de même, qu'à appliquer la règle que je recommande, en appelant désormais mon blog "Professeur Story". Je suis en réalité bien bon de vous suggérer une objection. Mais c'est parce qu'elle est sans fondement. On ne compare pas une dissertation de philosophie, c'est à dire un exercice scolaire, avec le billet d'un blog, qui relève plutôt de l'exercice journalistique. En littérature aussi, les mots incomplets sont permis, parce que ce sont des effets de style qui ont un sens précis. Si je dis "prof", j'introduis une familiarité qui est celle de ce blog, puisque j'y décris la vie ordinaire d'un enseignant. En revanche, "professeur" suggère une dignité, un titre, une connotation que je n'ai pas voulu donner à mes billets quotidiens.

La deuxième irritation est provoquée par la ponctuation inadaptée que je découvre dans une copie. L'élève utilise énormément de points d'exclamation. Où est la faute ? Une dissertation de philosophie (j'ai failli écrire "une dissert de philo", mais je me suis repris, ne voulant pas vous troubler ou vous provoquer) ne s'exclame pas, elle s'interroge et elle ponctue. Le point d'exclamation, là aussi dénoncé en début d'année scolaire, est une faute de goût en philosophie. S'exclamer, c'est imposer une évidence ou un préjugé, qui n'ont pas ici leur place. C'est renoncer à penser, c'est se laisser emporter par la passion, l'indignation. Bref, c'est ne pas être sage. Autre ponctuation à proscrire, dont j'ai déjà parlé dans un précédent billet : les points de suspension, qui introduisent un sous-entendu, un élément implicite, alors que la philosophie fait la clarté, n'oublie rien, ne suggère rien mais expose tout, dans la pleine lumière de la raison.

Dernier objet d'irritation: un élève fait une référence à l'émission de télévision "Les Guignols de l'Info". Non, ce n'est pas acceptable. Les "Guignols" se moquent, ils ne peuvent en aucun cas être un critère de vérité, une base pour la réflexion... sauf si le sujet de dissertation portait sur la dérision. Mais ce n'est pas le cas. Des références oui, si possible philosophiques, pourquoi pas littéraires, cinématographiques, artistiques, mais pour le reste, par prudence, mieux vaut laisser tomber, et écarter systématiquement ce qui est récent, actuel. Une bonne référence, quel qu'en soit le domaine, a été éprouvée par le temps, est quasiment éternelle. Si dans trois siècles on fait appel à l'émission de Canal+, ce sera devenu une référence. Pas avant. En attendant cette date, parlons d'autres choses.

Allez, je vous donne pour terminer ce que certains lecteurs attendent avec impatience, l'échelle des notes des TL2. Là aussi, je suis irrité, parce qu'un tiers de la classe a de mauvais résultats. Voyez un peu :

4 : 2
5 : 4
6 : 4
7 : 2
8 : 2
9 : 2
10 : 3
11 : 2
12 : 1
13 : 3
15 : 2
16 : 1
18 : 1