samedi 16 mai 2009

Une poignée de mains.

Demain, ce sera un grand honneur pour moi, et un peu de crainte : Gunter Gorhan, qui est venu à Saint-Quentin animer mon café philo, m'a demandé d'animer celui du Café des Phares, place de la Bastille, à Paris, le premier café philo créé au monde. Là-bas, c'est à chaque séance trois fois plus de monde qu'à Saint-Quentin, deux heures de débat et surtout une autre organisation : le sujet n'est pas connu d'avance mais choisi parmi les propositions des participants. Il faut donc improviser. Inhabituel pour moi, et pas facile. D'autant que j'apprécie par dessus tout ce qui est préparé, prémédité. Certes je me prépare, mais psychologiquement !

Je ne serai pas seul, puisque j'accompagnerai un groupe de mes étudiants de l'IUTA de Laon, je devrais plutôt dire étudiantes puisque ce sont toutes des femmes, une dizaine, à qui je ferai visiter, après le café philo, le cimetière du Père Lachaise, avec textes et chansons. Hier après-midi, j'ai donné une conférence à l'IUTA, sur le prologue du Zarathoustra de Nietzsche, qui avait très bien marché à Cambrai, qui a de nouveau très bien marché à Laon. Même si j'ai dû demander à une dame devant moi sa bouteille d'eau minérale, prétextant que la lecture de Nietzsche donnait inévitablement soif !

A la fin, un vieux monsieur, au corps complètement recroquevillé à tel point qu'il ne peut pas me regarder en me parlant, me félicite pour mon intervention et pour la précédente (sur l'allégorie de la Caverne chez Platon). Il a tenu à me serrer la main. Quelqu'un doit quasiment le porter jusqu'à moi, puis le remettre sur sa chaise roulante. Cette poignée de mains aveugle, toute en esprit, est assez émouvante. J'avais remarqué, depuis le début de mon cycle de conférences, ce vieux monsieur tellement replié physiquement sur lui même qu'il semblait absent. Son visage qu'on voit à peine laisse croire qu'il est endormi. Non, il est là, bien là, à m'écouter, à suivre Nietzsche, Platon et tous les autres. Cet homme lourdement handicapé pourrait rester chez lui. Mais dans ce corps meurtri, il y a l'essentiel, très actif : un esprit. Ma vie est alors justifiée, par lui, rien que par lui. Il n'a rien à attendre de moi, je n'ai rien à attendre de lui, nous ne nous connaissons pas. Et pourtant, cette poignée de mains nous unit plus que n'importe qui.

Mardi, ce sera, après l'animation du Café des Phares, une autre première pour moi, et aussi peu facile : un café philo en prison ! Le projet, je le traînais depuis plus d'un an, sans parvenir à le concrétiser. C'est fait ! La prison de Château-Thierry m'accueillera. Je n'ai pas proposé de sujet précis, je m'adapterai à la dizaine de détenus qui constitueront l'atelier. Je discutais hier au téléphone avec le responsable. Il m'expliquait que l'invitation a été lancée et que l'initiative suscitait déjà pas mal de curiosité et d'interrogations parmi les prisonniers. Ça aussi, ça justifie ma vie.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je croyais qu’en philo, ce qui comptait c’était la capacité de réflexion et non le thème abordé ! Alors pourquoi un esprit habitué à réfléchir aurait peur d’un thème inconnu à l’avance certes, mais sûrement déjà évoqué à plusieurs reprises dans d’autres occasions ?
De plus dans l’enseignement, ce qui est aussi intéressant c’est de pouvoir rebondir par rapport aux réactions des élèves, qui ne sont pas toujours prévisibles. Il est aussi bon de se laisser porter par l’inconnu et donc par l’improvisation ! Si on devait suivre nos préparations sans s’autoriser le moindre écart, ce serait plus qu'ennuyant à la longue !

Emmanuel Mousset a dit…

Les sujets du Café des Phares ne sont pas conventionnels. Par exemple, l'an dernier, c'était : "Prendre le train en marche." Animer deux heures de discussion autour de ça, c'est pas évident.

L'improvisation en classe, oui, à condition que le cadre soit rigoureusement préparé. Sinon c'est n'importe quoi, de la facilité intellectuelle.

Anonyme a dit…

Je suis d'accord sur le fait qu'en classe, il y a une trame à préparer. Sinon, les clichés sur les enseignants ne seraient plus des clichés... Mais parfois on n'a pas d'autre choix que de suivre les réactions des élèves! Et là ce n'est pas de la "facilité intellectuelle", bien au contraire!

Emmanuel Mousset a dit…

Attention : la trame du cours n'est pas sa récitation (si le cliché est celui-là !). Il faut, bien sûr, à l'intérieur de cette trame, répondre aux réactions des élèves. C'est de "l'agilité intellectuelle".