vendredi 22 mai 2009

La joie de voter.

Il faut serrer ces temps-ci les élèves de près, ne rien laisser passer, comme dans les premières semaines de l'année scolaire, qui ressemblent de ce point de vue aux dernières : il faut bien commencer, il faut bien terminer. Un professeur est semblable à un artiste : il ne faut pas rater son entrée sur scène, il faut réussir sa sortie. Je déteste ces fins d'années qui s'effilochent, ne ressemblent à rien. Il faut savoir se quitter dans les règles, avec force et dignité. Nous avons tout de même vécu neuf mois ensemble ! Certains j'en suis sûr s'en souviendront longtemps. Je me rappelle encore de cette année 1979 qui était celle de ma Terminale.

Aujourd'hui, je craignais les absences, avec ce fichu "pont", cette stupide invention française qui croit bon de décréter férié un jour normalement ouvré mais qui a la particularité de se glisser entre deux jours non ouvrés. D'autant que l'Education Nationale a pris une décision qui ne lui ressemble pas mais qui est bien française là aussi, et très contemporaine : laisser chacun faire comme il veut pour ne mécontenter personne ! Du coup, un tiers des lycées ce matin étaient fermés. Tout le monde demande à ce que l'Education reste Nationale, on se méfie beaucoup de l'autonomie accordée aux établissements et on n'a pas complètement tort, mais quand il s'agit de savoir si on "fait le pont"ou non, personne ne s'offusque que la décision soit locale et pas générale.

Toujours est-il que j'avais ce matin, dans mes deux heures de cours, neuf élèves absents sur 32. Je m'attendais à pire, et très nettement. Dès l'appel, il a fallu que je remette de l'ordre : cette formalité est non seulement réglementaire mais elle fait partie du cours, les élèves doivent donc se taire, attendre que leur nom soit prononcé, sortir leurs affaires, se préparer à écouter et à noter, relire le cours précédent. Je déteste que des élèves s'entretiennent entre eux, même discrètement, pendant cet appel, qui devrait être en quelque sorte la minute de silence d'avant le cours proprement dit, dédiée à je ne sais quelle divinité, celle de la philosophie par exemple.

C'est un peu austère ? Oui, je l'assume, je le revendique. Et plus j'avance dans les années d'enseignement, plus j'accentue cette austérité, qui va de pair avec un certain dépouillement : être clair, strict, vif, tout cela va ensemble, tout cela nous prépare utilement aux deux heures de cours que nous allons passer ensemble. Jusqu'à la fin de l'année, jusqu'à la dernière heure, jusqu'à mon dernier souffle, je resterai sur cette ligne, qui est précisément ce que doit être une ligne : fine, droite, inflexible, tendue dans une direction, qui n'en déroge pas. Pas marrant pour les élèves ? On ne va pas à l'école pour se marrer.

Après le cours, en fin de matinée, j'ai organisé une conférence de presse dans le foyer des lycéens, au milieu d'une exposition sur l'Europe. J'étais en compagnie de mon proviseur-adjoint et du conseiller principal d'éducation. L'objectif ? Annoncer une conférence-débat qui aura lieu le jeudi 28 mai dans les murs de l'établissement sur "L'Europe et les institutions européennes", avec pour intervenant Monsieur Dominique Fabre, professeur agrégé d'histoire, haut fonctionnaire européen et ... ancien élève du lycée Henri-Martin. C'est ce retour aux sources qui l'a convaincu de répondre à mon invitation.

Cette réunion débutera à 20h00, en salle Jamet, trente minutes d'exposé, une heure de débat. Les lycéens seront bien sûr les premiers concernés, soit parce qu'ils seront pour certains électeurs le 7 juin, soit parce que l'Europe est à leur programme. Mais nous avons aussi ouvert cette rencontre à tout public, car l'ignorance en matière européenne, la fréquence des préjugés et l'indifférence que manifestent ostensiblement beaucoup de citoyens à l'égard de cette élection sont consternantes et inexcusables.

J'ai choisi mon lycée (alors que la réunion pouvait se tenir dans n'importe quelle salle public) parce que ce cadre n'est pas partisan. Il s'agit d'informer, pas de s'engager, d'expliquer, pas de convaincre. Si l'Ecole de la République n'incite pas à aller voter, qui va le faire ? Je ne vois personne d'autre s'en charger aussi efficacement. J'ai terminé la conférence de presse par une anecdote personnelle : la première fois de ma vie où je suis allé voter, c'était en 1979, lors des toutes premières élections européennes, à une époque où l'on parlait moins d'Europe qu'aujourd'hui, où les institutions européennes avaient moins de pouvoir que maintenant. Je suis allé voter sans me poser de questions tellement ce geste, que je n'avais pourtant jamais fait, me semblait naturel. Je l'ai fait avec plaisir et fierté. J'aimerais transmettre, trente ans après, ce plaisir et cette fierté, qui ne m'ont jamais quitté depuis, lorsque vient une élection, lorsqu'il faut aller voter. Un devoir ? Ne me dites jamais ça! Une joie.

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