mardi 30 septembre 2008

Fin de mois.

Un mois aujourd'hui que la rentrée a eu lieu: quel bilan je fais de ce début d'année scolaire 2008-2009? D'abord prudence, ce n'est qu'un début, ce ne sont encore que les premières semaines. Rien n'est jamais acquis dans l'enseignement, les classes peuvent encore se révéler, pour le meilleur ou pour le pire. Mais j'ai quand même quelques impressions, je vois se dessiner le profil des classes. Les Littéraires sont sages mais la participation est moyenne. Les ES, Economique et Social, interviennent volontiers, parfois trop spontanément. Les Scientifiques sont à encadrer, le poids moins important de la philo dans leur cursus les rend globalement un peu moins attentifs.

Bref, pas trop de problèmes. L'angoisse de l'enseignant, c'est la classe incontrôlable, qu'on va devoir péniblement affronter jusqu'à la fin de l'année, ou bien les élèves qui se révèlent indisciplinés. Rien de tel, des classes plutôt tranquilles. Certes, je commence à repérer quelques élèves qui se sont manifestés à mon attention de façon négative, parfois à répétition. Pas bon pour eux. Mais pas de grosses difficultés. Les premières années, je n'en aurais pas dit autant. J'ai acquis un certain savoir faire, je dissuade assez vite les récalcitrants., je les remets dans le rang. Cependant, je sais que les choses changeront à la première évaluation, d'ici quelques jours. Une note, c'est une appréciation. Et là, les comportements peuvent se modifier, en bien ou en mal.

Côté programme, notions, où en sommes-nous? Le bon rythme, du moins avec les Littéraires, c'est trois notions par mois. Nous avons vu "le bonheur" et "le désir", nous en sommes à "autrui". A-t-on le devoir d'aimer les autres? Premier sujet de dissertation, très provocateur, comme souvent les sujets de dissertation, car s'interroger ainsi, c'est remettre en question le fondement de la morale.

Le plus intéressant dans les réponses qu'on apportera, ce sera de montrer qu'on n'a pas nécessairement le devoir d'aimer l'autre. D'abord parce que l'autre peut m'être inconnu, et l'aimer ne sert alors à rien, parce que l'autre peut être un salaud, et l'aimer est alors injuste. Car l'amour est sans doute plus un mérite, une récompense, qu'un dû. Et puis, le sentiment se commande difficilement. Ma conclusion: aimer les hommes n'est pas nécessaire, mais aimer en chaque homme l'humanité qui l'élève, oui.

Deuxième sujet de dissert: la présence d'autrui nous évite-t-elle la solitude? A première vue, autrui m'empêche d'être seul. Mais le sentiment de solitude existe, et terriblement, quand parfois l'autre est là. Au milieu de la foule, pourtant très entouré par mes semblables, je me sens seul. Et puis, si nous sommes rarement seuls parce que l'homme est un être sociable, il y a des moments d'irréductible solitude, où l'autre ne peut rien pour moi: quand je souffre, quand je dois choisir, quand je suis face à la mort.

Je terminerai le cours sur autrui par un très beau texte de Jean-Jacques Rousseau, dans l'Essai sur l'origine des langues, chapitre 9, Flammarion, collection GF, 1993, pp. 83-85, où il est expliqué que le rejet de l'autre est le produit conjugué de l'ignorance de soi et de l'amour pour ses proches. On aime d'autant plus ses semblables, père, fils, frère, qu'on déteste ceux qui passent pour différents, étranger, bête ou monstre. Bref, il faut se méfier de ses sentiments et il faut plutôt se confier à sa raison.

lundi 29 septembre 2008

Fautif.

Ramassage des copies de dissertation dans ma Terminale scientifique. Un élève a oublié son devoir. J'avais prévenu, ce n'est pas acceptable. Il a l'air de bonne foi. Mais qu'en sais-je vraiment? En revanche, ce dont je suis certain, c'est que ce comportement donne le mauvais exemple. Si je laisse faire, j'encourage n'importe quel élève à faire de même. Les parents auront donc droit à mon coup de fil, et l'élève à mon jugement négatif. Jusqu'à ce qu'il se rachète, montre que j'ai eu tort de m'inquiéter. Mais sa négligence est coupable, et donc répréhensible.

Je vous laisse, j'ai mes trois paquets de copies qui montent la garde sur ma table, près de 90 disserts à corriger.

dimanche 28 septembre 2008

Génération MSN.

La presse locale a consacré cette semaine un reportage à l'internat de mon établissement, ce monde à part parmi d'autres mondes à part dans le lycée. A Henri-Martin, il y a 161 internes dont 116 filles, 20% de l'ensemble des élèves. En son temps, les années 70, j'ai été, moi aussi, interne, loin de chez moi. On disait plutôt "pensionnaire". Je restais tout le trimestre, dans de vastes dortoirs séparés seulement par des demi-cloisons. Quatre ans, de la Troisième à la Terminale: ce n'était pas toujours marrant. J'ai fait ainsi La Bourboule, Arcachon, Argeles-Gazost.

Rien à voir, je crois, avec les internes d'aujourd'hui, qui me semblent volontaires et heureux. Ils ont des libertés et un confort que nous n'avions pas, quatre par chambre au maximum et la douche à l'intérieur au dernier étage. Dix surveillantes s'occupent de tout ce petit monde, qui doit être rentré pour 17 heures. Le lever a lieu entre 6h30 et 7h00, le coucher à 21h45, sauf pour les Terminales, qui ont droit à un délai supplémentaire... pour travailler. Les mardi ou mercredi, il y a une soirée détente. Ce n'est pas l'armée, mais ce n'est pas chez soi.

Pensionnaire, mon rêve, c'était de pouvoir accéder à la télé, regarder les infos et le film de la soirée. Il y avait aussi un ciné-club. Tout ça a reculé ou a disparu. Le petit écran a perdu de sa magie depuis que les écrans se sont multipliés. La génération d'aujourd'hui est MSN et SMS. Elle veut un ordi, pas une télé.

samedi 27 septembre 2008

Week-end.

Ce week-end sera pour moi chargé. Tout à l'heure, à Laon, j'organise et anime une rencontre-débat dans le cadre de la Fête du Livre de Merlieux. Thème: Sommes-nous tous des philosophes? Mes invités: Bernard Defrance, un prof de philo original, iconoclaste (allez sur son site!), un pédagogue de la philo, un analyste critique de l'institution scolaire, qui a beaucoup réfléchi à la question de la règle et de l'autorité dans les classes; Gunter Gohran, animateur du premier café-philo créé en France, en 1992, par Marc Sautet, au Café des Phares, place de la Bastille à Paris. La philo est à la mode depuis une quinzaine d'années, elle s'est popularisée, que faut-il en penser? Dénaturation de cette belle discipline, démagogie de ses promoteurs, ou bien salutaire démocratisation, retour aux sources d'une pensée vivante?

Demain, je retourne à la Fête du Livre, à Merlieux cette fois, avec une débat qui fera à coup sûr l'événement. Son sujet: Mai 68, stop ou encore? Ce sont les 40 ans qui continuent, avec un invité illustre, Alain Krivine. Si ce n'est pas Cohn-Bendit, ça ne peut être que lui... On ne fera pas d'histoire, mais une réflexion sur aujourd'hui: 1968, ses combats, ses valeurs ont-ils encore un sens, une actualité en 2008?

J'ai appelé cet après-midi une élève, absente hier, le jour de rendre la première dissertation. Personne, je laisse un message sur le répondeur. J' y tiens, j'avais prévenu: rendre à l'heure les devoirs, c'est primordial. S'il y a un problème quelconque, il faut me le dire. Avant, pas après. Comment? Facile, mon numéro est dans l'annuaire, un petit coup de fil d'explication suffit. Sinon, je doute de la bonne foi de l'élève.

J'ai reçu hier un sms d'une ancienne élève, de l'an dernier. Elle me demande si elle peut assister à l'un de mes cours. Pas de problème. Mais quel courage!

vendredi 26 septembre 2008

Feu, disserts et bizuts.

A 9h35, la sonnerie a inhabituellement retenti dans tout le lycée. C'était le traditionnel exercice incendie, qui ravit toujours les élèves, trop heureux de cette interruption des cours. 15 minutes, c'est toujours ça de pris. Ma classe quitte la salle et rejoint la cour qui redevient presque comme à la récréation. Le proviseur-adjoint passe consciencieusement de groupe en groupe, d'enseignant à enseignant, pour noter les effectifs. La présence de Monsieur le Proviseur est la preuve vivante que le moment est important. Mais les flammes virtuelles n'ont rien détruit. Elèves et professeurs, nous retournons travailler.

J'ai ramassé les premières dissertations, lentement, avec solennité, prenant soin de vérifier pour chacune si le nombre de pages demandé, 6 à 8 minimum, a été respecté. Chez mes Littéraires, deux élèves ont fait à peine 4 pages. INACCEPTABLE! Philosopher, en Terminale, c'est rédiger. S'ils ne le font pas maintenant, ils ne le feront jamais, et sûrement pas au moment du bac. Je le leur dis, sans délicatesse. Je ne suis pas là pour ça. Je rentre chez moi avec le précieux chargement, deux bons gros paquets de copies, que je mets sur ma table, pour les regarder, avant de me jeter dessus.

Je croise devant la cantine (on dit le self, moi je dis toujours la cantine) trois grands élèves... la tête peinte en bleu, s'amusant à terrifier des 6èmes qui fuient devant eux comme des moineaux mais qui ne sont pas si terrifiés que ça. Il doit s'agir d'étudiants de la prépa ou du BTS soumis à une sorte de bizutage. A ce propos, ce qui s'est passé à Amiens, en fac de médecine (où vont certains Saint-Quentinois), m'horrifie. Je suis abasourdi devant la persistance de pratiques primitives, inutiles, débiles et barbares. A Saint-Quentin, au lycée, on s'amuse. Là-bas, j'ai l'impression, sauf erreur de ma part, qu'on humilie. Il faut radicalement interdire le bizutage.

jeudi 25 septembre 2008

Petits incidents.

Un élève me demande si la classe, qui doit rendre son premier devoir de philo lundi, peut le reporter quelques jours plus tard. Inacceptable! Il ne donne, en plus, aucune raison sérieuse et valable. Je ne discute même pas, je ne veux pas savoir. D'autant que l'élève chargé de la demande n'a rien d'un modèle d'attention en classe. Trois semaines après la rentrée, je commence à percevoir ces choses-là, les élèves inattentifs, ceux qui bavardent. Tout devoir doit être rendu au jour et à l'heure. Si je cède pour le premier, c'est fini, il n'y aura plus jamais d'exactitude pour le reste de l'année.

Deux élèves, dans une même classe, dorment pendant le cours, ou plutôt sommeillent, les yeux parfois s'ouvrant quand même. Ce ne sont pas de mauvais élèves, l'une réussit même le prodige d'intervenir malgré sa torpeur. Nous sommes le matin, première heure. Ce ne sont pas des fainéants, des paresseux, préoccupés par la douce chaleur du radiateur. En fait, ils rattrapent des heures de sommeil qu'ils ont dû perdre. Mais le faire en classe, c'est malvenu.

En même temps, je l'ai expérimenté quand j'étais étudiant, le sommeil contre lequel on lutte se transforme en torture. Donc je peux comprendre. Dans l'idéal, il faudrait les inviter à rejoindre l'infirmerie, à se reposer. Mais je sais que leur assoupissement est passager, qu'il referont vite surface. Je laisse donc faire, mais c'est un petit dilemme pour moi.

Le test du couloir: une classe attend devant la porte, pourtant ouverte, alors que la sonnerie d'entrée a déjà sonné. Je gueule, les élèves ne doivent pas stationner sans raison, sans rien faire, donner l'impression qu'ils volent de précieuses minutes à l'enseignement. Ils doivent entrer spontanément sans que j'ai besoin d'aller les chercher ou de leur faire signe. Au lycée, nous ne sommes pas en collège, où l'enseignant prend ses élèves dans la cour et les conduit dans la salle de classe.

Difficulté des élèves à prendre la parole après avoir levé la main et attendu patiemment que je leur donne le droit de s'exprimer. La spontanéité est souvent chez eux la plus forte. Je suis intransigeant là-dessus, sinon c'est le bordel. Pour travailler utilement, il faut un ordre préalable, un cadre assez serré, que l'enseignant doit constituer, du moins dans ses grandes orientations.

Une élève s'étonne que je puisse conseiller de se poser des questions dans l'introduction d'une dissertation. Impossible! J'ai passé deux heures, en début d'année, à expliquer l'exercice de la dissertation, et j'ai dit, à coup sûr, que l'esprit critique était une pratique fondamentale en philosophie. Mais l'oubli s'installe vite. C'est mon métier de répéter.

mercredi 24 septembre 2008

L'échec scolaire.

C'était aujourd'hui la première "journée du refus de l'échec scolaire". Pourquoi pas, mais c'est toute l'année qu'il faut refuser l'échec scolaire. L'école n'a de raison d'être que si elle recherche la réussite scolaire de ses élèves. Une journée spécifiquement chargée de le rappeler (comme si on l'avait oublié), ça me fait un peu bizarre.

150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Ils ne le quittent pas sans bagage, mais sans diplôme, et c'est un vrai problème. Après le constat, les propositions, axées autour des liens entre famille et école, à resserrer: des associations suggèrent d'ouvrir dans chaque école une salle d'accueil des familles. Philippe Meirieu, pédagogue bien connu, va plus loin: une fois par an, les parents pourraient passer une journée dans la classe de leur enfant.

Je ne sais pas si cette dernière idée est matériellement concevable, mais j'ai toujours songé pouvoir ouvrir mes classes aux parents, pour voir ce qui s'y fait en matière d'enseignement, au lieu de laisser la rumeur s'en emparer et les élèves demeurer les uniques témoins, un peu partiaux tout de même, de mes cours. Dans mes instants de rêverie, j'imagine une classe sans murs, avec un déambulatoire autour, où les familles et le public viendraient s'enquérir de ce qui se déroule, un peu comme les séances d'un conseil municipal sont ouvertes à tous. L'enseignement et la politique sont des activités publiques où il ne devrait y avoir rien à cacher. C'est pourquoi d'ailleurs je tiens ce blog, et un autre.

De toute façon, pas d'illusion, pas de crainte non plus: un cours est un travail, ce n'est pas un spectacle. Les premiers jours, la curiosité aidant, le public serait nombreux, puis rare. Mais la vie de classe serait montrée dans sa vérité, dépouillée de tout fantasme ou de tout mensonge. Ma suggestion n'est cependant qu'une rêverie...

Gabriel Cohn-Bendit, le frère de Dany, est parrain de cette "journée de refus de l'échec scolaire". Il est encore plus iconoclaste que Meirieu, puisqu'il demande carrément de trouver un autre métier à 70% des enseignants! Là, il provoque, il cherche... Mais on ne s'appelle pas Cohn-Bendit pour rien.

Cette "journée" a été accompagnée de statistiques, que je livre en vous laissant le soin de les commenter:

- 30% des élèves ne participent pas en classe, dont 56% par peur de se tromper ou d'ignorer les réponses.

- Un tiers des élèves s'ennuient à l'école.

- 42% ne prennent pas ou rarement un petit déjeuner.

- 20% se couchent après 22h00.

mardi 23 septembre 2008

Avoir l'oeil.

Trois semaines que la rentrée a eu lieu. Les classes prennent forme, des visages émergent, c'est la période dangereuse. Les premiers jours, ce n'est rien, on découvre. Trois semaines après, c'est terminé, chacun sait à peu près à quoi s'attendre. C'est parti pour neuf mois. Les failles commencent à apparaître. J'arrive à repérer les élèves distraits, ceux qui bavardent, ceux qui notent très peu. L'indulgence s'estompe, l'oeil est aguerri, l'évaluation des uns et des autres est en marche. Malheur à l'élève qui ne l'a pas compris, qui se croit encore en début d'année. J'ai prévenu, personne ne sera pris par surprise. Mais la nature humaine est incrédule. Quand elle se souvient, c'est trop tard.

L'appel est un bon test. Ce n'est pas une formalité administrative, un protocole superficiel. L'énumération à haute voix des noms pour pointer les absents fait partie du cours, je l'ai dit. Quelques-uns ont déjà oublié. C'est une expérience intéressante pour mesurer leur mémoire. Pendant l'appel, l'élève doit être attentif. Deux erreurs se sont produites, j'ai mis absents des présents qui ne se sont pas suffisamment manifestés à mon attention à l'appel de leur nom. Surtout, il y a ces élèves qui parlent pendant l'appel, même à voix basse, gênant mon travail, distrayant leurs camarades et ne faisant pas ce que j'ai demandé de faire pendant chaque appel: relire les notes de la séance précédente. J'ai l'oeil, je vois, je n'oublie pas.

Une fois la porte de la classe fermée, c'est le signe que le cours a débuté. Inutile de frapper, d'entrer, de déranger, il faut immédiatement aller chercher un billet d'entrée à la Vie scolaire. Je l'ai dit, j'ai lourdement insisté: un élève ne l'a pas respecté, est entré alors que la porte était fermée. Je l'ai renvoyé. Seul un comportement exemplaire pourra le racheter.

Un autre élève m'interpelle sur ma messagerie. Il lit ce blog et a retenu que le premier devoir était pour la fin du mois. Il me demande à quelle date, il hésite entre plusieurs, car il n'était pas là le jour où je l'ai annoncée. Bouffonnerie! J'ai insisté, dès le premier cours de l'année, sur l'extrême rigueur que j'exigeais dans la remise des copies, en temps et en heure. Un élève absent doit s'informer auprès de ces camarades du contenu du cours, afin de le rattraper, et se tenir au courant de ce qui s'est dit, en l'occurrence la date précise de remise des premiers travaux. Celui-ci manifestement ne l'a pas fait, alors que c'est son devoir, sa responsabilité. Ou bien alors il feinte, ce qui est pire, il prétexte une formule de mon blog ("la fin du mois") pour se plaindre de son imprécision. Ce n'est pourtant pas sur ce blog que je fais cours. Bouffonnerie!

Dernière faiblesse coupable: les classes, c'est arrivé deux fois, qui traînent dans le couloir alors que la salle est ouverte, alors que j'ai demandé, en début d'année, aux élèves de rentrer et de se mettre au travail, même si je ne suis pas immédiatement là. L'élève, c'est dans sa nature, cherche à voler quelques minutes de liberté. C'est dans ma fonction de le ramener à la dure réalité du travail et de ses contraintes. Je leur ai dit, les élèves le savent: je ne suis pas un marrant, je ne suis pas là pour ça.

J'ai donc à l'oeil toutes ces petites faiblesses qui se font jour, par une sorte de relâchement spontané, en cette fin de premier mois, les élèves s'habituant, s'enhardissant. Mais j'ai aussi à l'oeil les petites forces, les vertus, comme cette élève qui rend sa dissertation avant tout le monde, tout simplement parce qu'elle l'a terminée. Ca ne préjuge pas du résultat, qui peut être très mauvais, mais ça m'apprend quelque chose sur l'organisation de son travail, sa capacité d'anticipation. Un enseignant, c'est d'abord un oeil. Il doit tout voir, tout regarder, tout apprécier, le bien comme le mal.

lundi 22 septembre 2008

De Valence au Japon.

"Prof Story" fait sa petite place dans la blogosphère. Quelques élèves me lisent et apportent des commentaires, la presse locale en a un peu parlé, les consultations sont nombreuses. J'ai quelques retours surprenants, dont je veux vous parler, parce qu'ils me font rêver:

Un ami, prof de philo à Valence, en Espagne, me lit régulièrement et conseille "Prof Story" à ses élèves francophones. Je les invite bien sûr, eux et lui, à laisser des commentaires sur l'enseignement de la philosophie au-delà des Pyrénées. Je me permets de citer un extrait du courrier électronique qu'il m'a adressé il y a quelques jours:

"La façon dont on enseigne la philo en France, malgré les défaillances dues à ses excessives ambitions, reste sans aucun doute la meilleure et la plus exemplaire, tant par la place octroyée à la réflexion que par la priorité donnée à l'écriture. Bien que nécessaire, la lecture n'a de sens que si elle débouche sur la production objective. Et c'est cela apprendre à philosopher. Ici [en Espagne] malgré les exercices de la dissertation, c'est le programme avec ses contenus, ses schématismes et ses rigidités qui prend le dessus."

Autre surprise électronique ces derniers jours: un ancien élève, mais pas si ancien que ça, qui me dit ne rater aucun épisode de "Prof Story", poursuit ses études... au Japon. Ca fait quand même drôle de savoir qu'on est lu au pays du soleil levant! Il m'écrit ceci:

"Après avoir baigné toute la journée dans un monde qui reste encore à découvrir, ça fait du bien le soir en rentrant de se rattacher à quelque chose de connu."

Une bien belle pensée qui m'encourage à poursuivre la rédaction de ce blog. C'était ce qu'on appelle un excellent élève: 19 sur 20 en philo au bac, vous vous rendez compte! Avec "Prof Story", je vais au bout du monde. Le rêve...

dimanche 21 septembre 2008

Ma semaine philo.

J'enseigne la philo au lycée, en tant que professeur, préparant mes élèves au baccalauréat, mais je suis aussi un militant de "l'éducation populaire", c'est-à-dire de la diffusion de ma discipline en dehors du lycée, pour tout public. De ce point de vue, la semaine qui s'achève a été assez chargée.

Lundi, le Ciné-Philo de Saint-Quentin a repris, avec une belle affluence, 90 spectateurs. On passe un film et puis on y réfléchit. Ce soir-là, c'était "Gomorra", de Matteo Garrone, Grand Prix au Festival de Cannes 2008. Pour une fois au cinéma, on y montre la Mafia sans rien de romanesque ou de romantique. Mais les intervenants n'ont pas été très convaincus. J'ai tenté une réflexion sur l'avenir mafieux de nos économies modernes.

Jeudi, c'était au tour du Café-Philo, toujours très fréquenté, de faire sa rentrée, autour de la question: quand allons-nous cesser de nous plaindre? Quelques-uns de mes élèves étaient présents. Eux au moins ne se plaignent pas de me revoir en dehors des cours! Des prépas aussi étaient là, du lycée Henri-Martin, osant intervenir. C'est bien. La plainte est-elle l'expression légitime d'une souffrance réelle ou bien un gémissement narcissique? La réflexion a tourné autour de ça et de quelques verres.

Vendredi, je suis allé à Wassigny, dans son collège, pour une animation philo sur le thème: peut-on échapper à la dépendance? L'infirmière de l'établissement est la mère d'un élève que j'ai eu il y a deux ans et qui poursuit des études de philo afin de devenir prof. Le monde est petit! Avec les collégiens, la réflexion n'est pas facile, ça bouge, ça vit, mais quelque part c'est bien. J'ai dû demander cinq fois à une élève de s'asseoir correctement sur sa chaise. La position de son corps était en soi un signe de refus d'être là. Sinon, les deux classes ont participé, parlé, interrogé, et c'est l'essentiel. Le pire aurait été un silence de mort, le mutisme de l'abrutissement ou de l'indifférence. La philo, c'est la vie. Elle est capable de supporter le bruit, pourvu que l'enseignant sache y mettre bon ordre.

Le soir, je suis retourné à Wassigny, même thème, cette fois avec les adultes, en mairie. Eh oui, le Café-Philo se veut conquérant, après les villes de l'Aisne pénétrer les campagnes. C'était réussi. Une bonne vingtaine de participants, des échanges intéressants et beaucoup de plaisir à se retrouver ensemble. Que vouloir de plus? Quelques questions iconoclastes ont été posées: l'amour n'est-il pas la pire des dépendances? Ne peut-on pas vouloir librement et rationnellement être dépendant? La dépendance, pourtant condamnée, n'est-elle pas l'état premier, naturel et permanent de l'être humain?

Samedi, à Guise, au Café-Philo dans le Centre social, c'était moins réussi: peu de monde, mais un temps magnifique qui incitait plus à se promener qu'à philosopher. Et puis, le sujet était un peu dépassé, quoique toujours d'actualité: faut-il supprimer les Jeux Olympiques? J'avais préparé une petite réflexion sur les valeurs fort contestables de l'olympisme. Tant pis, nous contesterons une autre fois.

samedi 20 septembre 2008

Mort d'un prof.

Hier, j'étais au collège de Wassigny, pour un débat-philo sur le thème: "Peut-on échapper à la dépendance?" A la même heure, 40 kms plus loin, à Saint-Michel, un professeur était retrouvé mort, pendu chez lui. La veille, Jean-Luc Bubert, c'est son nom, 38 ans, prof de sciences physiques au collège César-Savart, avait été mis en garde à vue. Des parents avaient porté plainte, l'accusant d'avoir frappé leur enfant d'un coup de poing pour être arrivé en retard en classe.

Ces faits sont graves, mais il n'y a aucun témoin. Le professeur était bien noté et expérimenté. Il n'a visiblement pas supporté d'être ainsi accablé. La vérité dans cette tragédie, personne ne la connaît, la police et la justice doivent faire leur travail. Mais un homme est mort, et c'est irréparable. Depuis plusieurs années, le corps professoral est livré, dans quelques affaires, à la rumeur et parfois à la vindicte publique, alors que la vérité n'a pas été tranchée. C'est injuste, dangereux, dramatique, quelquefois criminel, quand on salit des innocents.

Songe-t-on à la grande misère de certains collèges de France et de leurs enseignants? Ils se sentent isolés, mal formés, déconsidérés, en difficulté devant des classes difficiles, des élèves imprévisibles. Parfois, ils craquent, s'égarent. Je ne cherche pas à les excuser. Un homme est mort, le temps est au recueillement. Attendons que la lumière soit faite. Mais profitons-en aussi pour réfléchir: un enseignant qui, un bon matin, se retrouve dans une gendarmerie et à la une des journaux, comment réagit-il? Notre société médiatique et judiciarisante est devenue impitoyable aux individus, alors même qu'ils sont peut-être innocents (et même s'ils étaient coupables, il serait inacceptable de se comporter ainsi). Prenons garde à cette terrible dérive, dont les bons sentiments ne justifient rien. Un enfant aussi peut mentir.

Corinne Vibes, secrétaire départementale du syndicat enseignant SE-UNSA, a eu ce mot juste: "Si, dans le passé, l'opinion publique en général avait une tendance absurde à donner systématiquement raison aux professeurs, maintenant c'est plutôt l'inverse". C'est exact et c'est dramatique.

vendredi 19 septembre 2008

D'une notion l'autre.

En philosophie, nous avons une vingtaine de notions à étudier dans l'année. J'insiste auprès de mes élèves: ce ne sont pas des têtes de chapitres étrangères les unes aux autres. Tout est dans tout en philo, les notions s'interpénètrent, unies par une même démarche: celle de la réflexion personnelle.

Avec les Littéraires, en cette fin de 3ème semaine de l'année scolaire, nous en avons terminé avec notre première notion, "le bonheur". Mais ce n'est qu'une façon de parler, trompeuse si je ne préviens pas les élèves: le bonheur, nous le retrouverons, régulièrement, jusqu'au terme de l'année. Aborder l'art ou la religion par exemple, c'est aussi évoquer le bonheur (en l'espèce, la beauté et la béatitude).

Peut-on être heureux tout seul? Par ce dernier sujet sur le bonheur, nous nous sommes demandés si celui-ci pouvait être provoqué par la solitude, l'isolement, l'indépendance. Problème: comment y parvenir, puisqu'on n'est jamais seul? Réponses: le bonheur se pratique au moins à deux (amitié et amour), il est contagieux (la joie et le rire), il est un modèle qu'on va chercher chez autrui (le saint ou le sage). Conclusion: autrui est indispensable à mon bonheur, mais il n'est complet que si nous apprenons à être heureux tout seul.

Le bonheur achevé, nous sommes passés au désir, avec ce sujet: pourquoi désirer l'impossible? Puis nous avons travaillé le deuxième exercice du bac, le commentaire de texte. J'ai choisi un célèbre extrait des Pensées de Pascal, où l'on lit cette phrase renversante, sur laquelle j'essaie de faire réagir les élèves (réfléchir, c'est d'abord réagir): "On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités". C'est signé d'un penseur catholique, pessimiste et lucide.

jeudi 18 septembre 2008

La photo de classe.

Nous sommes allés cet après-midi, en début de cours, avec mes élèves, nous faire prendre en photo. La fameuse photo de classe! Ecole, collège, lycée, la tradition demeure et résiste aux années qui passent. Pourtant, elle aurait pu disparaître, comme d'autres traditions. Les élèves n'ont pas besoin d'elle pour se photographier, avec leurs téléphones portables. Et puis, cette photo de classe, elle est guindée, scolaire, ringarde. Du primaire au lycée, le style est immuable: les rangs d'oignons, assis sur un banc au devant, debout sur un autre banc derrière, une ardoise entre les jambes d'un élève pour indiquer la classe, le professeur sur le côté. L'ensemble donne un petit côté soviétique, politbureau, pas très agréable.

Je ne sais pas combien d'élèves finalement l'achète. Elle est précédée d'une série de photos individuelles, où les élèves attendent leur tour, dans une queue-leu-leu rangée dans l'ordre alphabétique des noms. Ca non plus, ce n'est pas très agréable pour eux, et j'ai l'impression qu'ils s'en passeraient bien. Le seul intérêt de cette séance de pose, c'est d'échapper à 15 minutes de cours, ce qui est toujours bon à prendre quand on est élève.

J'ai remarqué aussi que le professeur ne figure plus automatiquement sur la photo de classe, à la différence me semble-t-il d'autrefois. Le cliché s'adresse d'abord aux élèves, l'enseignant vient s'il veut, la plupart du temps sollicité par la classe. Mais je crois que c'est mieux: qu'est-ce qu'une classe sans son professeur? Un canard sans tête!

A vrai dire, mes souvenirs de photos de classe ne m'ont pas marqué. J'ai dû en conserver une ou deux de l'école primaire, mais après j'ai oublié, je ne me souviens même pas si je les achetais. Il me reste cependant celle de la dernière année, ma Terminale littéraire à Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées, en 1978-1979. Quand je la regarde aujourd'hui, que je me vois avec mon professeur de philosophie, bien loin d'imaginer à l'époque qu'un jour je deviendrai comme lui, je me dis que j'ai bien fait de la garder. Sur cette photo, il est assis au milieu des élèves, quelque chose qu'on ne verrait sûrement plus aujourd'hui. Devenu enseignant, j'ai peu acheté de photos de classe, à tort je crois. Ce sont de bons souvenirs, des témoins du temps passé. Mais la photo, vite prise, est vite oubliée, et on n'y pense plus au moment de l'acheter.

Lecteurs de Prof Story, je veux vous faire ce petit cadeau, la photo de ces années-là, où j'avais 18 ans et les cheveux flottants au vent. Demandez-la, si vous le souhaitez, à mon adresse personnelle: emmanuel.mousset@wanadoo.fr . La nostalgie n'a pas de prix.

mercredi 17 septembre 2008

Vive la maternelle!

Les propos du ministre de l'Education Nationale sur la maternelle ont provoqué remous, réactions et polémique toute la journée. Je rappelle les faits, c'est-à-dire son intervention au Sénat début juillet:

"Est-il vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l'Etat, que nous fassions passer des concours bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches? Je me pose la question."

La question, telle qu'elle est formulée par le ministre, semble frappée du coin du bon sens, à ce point qu'on devine aisément sa réponse: il ne faut plus recruter les enseignants de maternelle à ce niveau d'études. A mon tour, je me pose plusieurs questions:

1- L'activité de l'enseignant de maternelle est-elle essentiellement consacrée à l'organisation des siestes et au changement des couches? Non, mais à la lecture, écriture, calcul, socialisation, langage. C'est le programme.

2- Enseignant de Terminal en lycée, il m'est souvent arrivé de penser que mes collègues exerçant en maternelle avaient un rôle pédagogique, une fonction sociale plus précieux que moi. Pas besoin de lire Freud et les psychologues pour savoir que les premières années de la scolarisation sont fondamentales, que si l'enfant les rate, il rate tout. Les dernières années, de ce point de vue, sont moins déterminantes. Mes élèves de 17-18 ans sont déjà formés, largement autonomes, capables en partie de s'instruire par eux-mêmes. En maternelle, tout est à faire. Si j'étais parent, je serais peu préoccupé de savoir qui est le prof de philo de mon enfant, mais je serais extrêmement attentif à sa maîtresse de maternelle.

3- Pendant longtemps, la maternelle a eu une mauvaise image, celle d'une banale garderie, d'une simple crèche, où l'on dépose les enfants et où on les reprend, parce qu'on ne peut pas faire autrement. C'est l'image que véhicule Xavier Darcos, en parlant de siestes et de couches. Pourtant, la maternelle, ce n'est pas cela, c'est une école, l'école maternelle, et ça change tout: c'est un lieu où l'on apprend, où l'on s'éduque, pas un endroit où l'on se contente de dormir et d'être lavé après avoir fait ses besoins. L'enfant cesse d'y être un enfant, il devient un élève.

4- Les enseignants de maternelle sont des instituteurs et des professeurs des écoles, c'est-à-dire des enseignants à part entière, qui sont à ce titre mes collègues, dont je me sens totalement solidaire. Certes l'école maternelle est facultative, certes les enfants de 2 ans ne sont que 23,4% a y être scolarisés en 2006-2007. Mais cette école des tout petits fait partie intégrante de la grande école de la République, identiquement à l'école élémentaire, au collège, au lycée et à l'enseignement supérieur.

Cette grande et belle école de la République accueille des enfants, elle en fait des hommes. La maman qui conduit son fils de 2 ou 3 ans à la maternelle, qui pleure quand elle le quitte, songe-t-elle qu'elle le confie à une institution qu'il ne quittera qu'une bonne vingtaine d'années plus tard, quand il sera devenu un adulte doté d'un bagage universitaire ou professionnel? Ce qu'on appelle "système scolaire", c'est l'un des endroits où l'on reste le plus longtemps dans une existence. On n'y pense pas, on devrait pourtant. Le prof de fac devrait prendre conscience qu'il hérite d'une personne, l'étudiant, dont la formation a commencé il y a bien longtemps, sur les bancs de la maternelle. L'école de la République est une et indivisible, comme la République. Vive la maternelle!

mardi 16 septembre 2008

Heu-reux!

J'ai donné à mes élèves leur premier devoir à la maison: "Peut-on être heureux en faisant le mal?", à rendre pour la fin du mois. Car c'est par "le bonheur" que j'ai débuté l'étude des 25 notions au programme. Je n'allais tout de même pas les embêter avec "la démonstration" ou "théorie et expérience". Je réserve ces sujets peu sexy pour la fin de l'année.

La première dissertation travaillée en classe: qui peut me rendre heureux? Nous nous sommes entraînés à problématiser la question, à rechercher un maximum de réponses, à argumenter un peu chacune d'entre elles. Voilà ce que ça donne:


Introduction:

La question vise les personnes (qui?), pas les objets ou les activités (quoi?). C'est déjà une première délimitation du sujet. Le problème réside dans l'embarras du choix: l'humanité est si vaste, ses représentants si différents! Qui parmi eux va vraiment me rendre heureux?

Développement:

A- La famille me rend heureux, parce qu'il y a nécessité à connaître ses origines et à s'accorder avec elles.

B- Les amis me rendent heureux, parce que le bonheur est provoqué par la rencontre avec ceux qui me ressemblent.

C- Les amours me rendent heureux, parce que le bonheur, dans sa version la plus puissante, est provoqué par la rencontre avec celui ou celle qui est différent.

D- Moi seul peut me rendre heureux, en exerçant ma liberté, en pratiquant, pour mon plus grand plaisir, la transformation de soi.

E- Personne ne peut me rendre heureux, pas même moi, le bonheur étant chose difficile et peut-être inexistante.

F- Tout le monde peut me rendre heureux, car un homme comprend toujours son semblable, à travers une sympathie élémentaire à la portée de tous.

Conclusion:

Beaucoup me rendent heureux, mais pas au même degré, et dans des bonheurs de nature différente. Leur point commun, c'est que le bonheur n'existe que dans la réciprocité.


J'insiste auprès des élèves: trouver des idées, c'est bien, c'est un préalable, mais les argumenter (je n'ai fait ici que les mentionner), c'est mieux, c'est le but du jeu. Les trois premières parties de la dissertation partent d'exemples particuliers (famille, amis, amours) qu'on peut facilement repérer mais qui n'ont de valeur qu'une fois analysés, c'est-à-dire transformés en idées générales, qu'il est possible et recommandé de soumettre à la critique. Les trois dernières idées sont un peu moins attendues, un peu plus originales, donc plus délicates à traiter. J'encourage surtout les élèves à bien faire le tour de la question.

Le cours se termine par la dictée de l'introduction, que les élèves ont au préalable préparée chez eux. Il faut absolument leur montrer, dès le début de l'année, que la philo au bac, c'est de l'écrit, qu'il faut donc apprendre et s'exercer régulièrement à rédiger. Comme je le fais chaque jour en remplissant ce blog...

lundi 15 septembre 2008

Rappel au règlement.

Notre ministre va-t-il nous proposer une nouvelle idée par jour? Après les médailles aux bacheliers hier, Xavier Darcos suggère aujourd'hui un "Code de la paix scolaire nationale", titre impressionnant pour désigner les règles disciplinaires qui vaudraient dans tous les établissements de France. Un magistrat a été convié à réfléchir au projet. Quels sont ses objectifs?

1- Préciser la responsabilité civile en cas de dégradations ou de violences à l'école, notamment celle des parents.

2- Trouver une alternative à l'exclusion de l'élève fautif.

3- Créer une commission disciplinaire plus rapide et plus souple que le traditionnel conseil de discipline.

Le problème, c'est que les collèges et lycées ont déjà leurs règles disciplinaires, avec obligations des élèves et sanctions pour les contrevenants, édictées dans le règlement intérieur de chaque établissement. Je crains qu'il y ait un inutile doublon. Et puis, les établissements sont tellement différents qu'il est malaisé d'établir des règles qui valent sur tout le territoire. Sauf à en rester à des principes généraux qui relèvent de l'idéal, sans grand usage pratique.

Que la discipline soit un douloureux problème dans certains établissements, c'est une évidence, et il faut mettre en oeuvre des solutions. Mais le rappel constant au règlement n'est pas toujours une issue valable. C'est plutôt du côté de la formation des enseignants et des moyens matériels et humains accordés aux établissements que les situations difficiles pourront évoluer. L'autorité est nécessaire dans nos écoles, mais elle ne se laisse pas enfermer dans une inflation d'interdits. Elle procède naturellement d'un corps enseignant bien formé, politiquement soutenu, moralement armé et agissant collectivement.

dimanche 14 septembre 2008

Une drôle d'idée.

Notre ministre de l'Education Nationale vient de proposer une drôle d'idée ce matin dans le journal Le Parisien: donner des médailles aux bacheliers, selon leur mention, comme aux JO on monte sur le podium et on reçoit l'or, l'argent et le bronze. L'intention est louable, je n'en doute pas, mais l'application me semble périlleuse pour au moins six raisons:

1- Le baccalauréat, depuis toujours, est solennisé par la remise d'un diplôme. Pourquoi redoubler cette tradition par une médaille?

2-La remise d'une médaille prend tout son sens à travers une cérémonie publique. Or, début juillet, quand les résultats du bac sont connus, les lycéens sont démobilisés, les établissements sont désertés, certaines familles sont sur le point de partir en vacances. Je ne vois pas comment une cérémonie pourrait s'organiser et mobiliser élèves et parents dans de telles conditions.

3- Une médaille est une initiative intéressante si elle est efficace, en l'occurrence si elle pousse les élèves à mieux travailler et les encourage à réussir les épreuves du bac. Mais je n'en crois rien: les élèves ne se sentiront pas plus motivés parce qu'ils sauront qu'une médaille éventuellement les attend.

4- Xavier Darcos établit un parallèle séduisant mais erroné entre l'école et le sport, le bac et les JO: non, la performance sportive se joue à quelques centièmes de seconde, il n'y a pas ressemblance, sinon superficielle, avec le baccalauréat.

5- Cette idée est contraire à l'esprit du bac, qui est celui d'un examen (il faut atteindre la moyenne) et non d'un concours (il faut être parmi les meilleurs).

6- La bonne intention peut se transformer en initiative contestable: chez les adultes, les médailles sont aussi une foire aux vanités. N'habituons pas nos élèves à travailler pour des breloques mais pour eux-mêmes et pour des notes.

Au lycée Henri Martin, chaque fin d'année scolaire, nous remettons des prix aux meilleurs élèves des classes, sous forme de livres. C'est une bien belle cérémonie, qui rend hommage aux élèves méritants, et ce n'est que justice. Mais des médailles pour les bacheliers, non, je ne vois pas l'intérêt.

samedi 13 septembre 2008

Commentaire de texte.

Après la méthode de la dissertation, j'ai présenté aux élèves, cette semaine, la méthode du commentaire de texte, là encore avec le souci de faire tomber des préjugés et de leur donner quelques règles et conseils.

Les élèves croient souvent que ces deux exercices sont fondamentalement différents, ce qui les conduit à se demander s'ils sont plutôt dissert ou plutôt commentaire, un peu comme certains d'entre nous sont plutôt fromage et d'autres plutôt dessert, ou bien du matin et d'autres du soir. Non, en philo, ça ne se passe pas comme ça: les deux exercices réclament les mêmes compétences (esprit d'analyse, capacité d'argumentation, sens critique) et visent une même finalité (apprendre à réfléchir par soi-même). La différence, c'est le support: la dissertation part d'une question, le commentaire part d'un texte. Un bon élève est bon dans les deux.

Qu'est-ce qui va alors motiver le choix des élèves? Des préférences strictement personnelles. Je leur confie que moi, lycéen, je choisissais la dissert, parce que je n'aimais pas me soumettre à un texte et me sentir obligé d'expliquer les idées d'un autre! Je leur dis aussi qu'un texte de philo, même court, même soigneusement sélectionné, est toujours difficile à comprendre, mais que les mauvais candidats s'en contentent, se bornant à répéter le texte sans nullement l'étudier et y réfléchir. Car la paraphrase, c'est le tombeau du commentaire de texte!

Comme la dissertation, le commentaire est un exercice relativement libre, dans lequel c'est la réflexion personnelle qui sera évaluée, et non pas une restitution de connaissances. Car l'élève ne sait rien de l'auteur, du livre, de l'oeuvre: il doit interpréter de façon argumentée l'extrait qu'on lui soumet. Les approches ne seront pas nécessairement les mêmes d'un élève à l'autre. Il leur faut discuter, interroger, développer ce texte, défendre en quelque sorte les idées du philosophe à sa place, comme un avocat défendrait son client, éventuellement se faire procureur quand le texte s'expose à la critique (mais ne pas tomber dans une sotte récusation).

En tant qu'enseignant, je prends plaisir à corriger des dissertations (plaisir qui n'est pas partagé par tous mes collègues!), car je suis toujours intéressé par ce qu'un élève va me dire en réponse à la question que je lui pose. En revanche, je suis souvent à la peine avec les commentaires de texte, reproduisant sans surprise les propos évidemment bien meilleurs du philosophe, ou bien s'égarant dans des explications compliquant le texte plus qu'elles ne l'éclairent.

vendredi 12 septembre 2008

Le jockey et le vendangeur.

A la fin d'un cours, des élèves viennent parfois me voir, s'entretenir avec moi. Ce n'est pas fréquent. C'est souvent utilitaire, administratif, parfois aussi pédagogique, un point du cours qui n'a pas été bien compris. Dans ce dernier cas, je préfère que l'élève repose la question devant la classe, car elle concerne tout le monde, et sa réponse doit être profitable à tous.

Et puis, il y a les confidences plus personnelles, qui n'ont cependant rien de secrètes (sinon je n'en parlerais pas!). Ce matin, un élève m'annonce qu'il sera absent dans les quinze prochains jours, parce qu'il va faire les vendanges. On oublie que certains lycéens sont largement indépendants et ont besoin de gagner leur vie. Le syndrome Tanguy n'est pas général. Je suis embêté, et lui autant que moi: il va rater les premiers exercices de dissertation et de commentaire de texte, qui structurent tout mon enseignement, il ne pourra pas me rendre le premier devoir prévu pour la fin du mois. On s'arrangera, avec un peu de volonté et beaucoup d'organisation.

Après lui, une élève m'apprend à son tour qu'elle sera absente, la semaine prochaine, mais pour une toute autre raison: elle va passer un concours d'équitation de haut niveau en Autriche. On lui scannera les cours pour là-bas! Je me mets à rêver: mon enseignement va se retrouver, d'ici quelques jours, dans le cadre bucolique d'un chalet autrichien... Plus sérieusement, je médite sur cette école publique, laïque, qui a réussi à mélanger les classes sociales, le jockey et le vendangeur.

J'ai aussi des élèves qui sont atteints de sévères handicaps, et qui sont là, parmi nous, comme si de rien n'était. Il a fallu du temps à l'école publique pour s'ouvrir et s'adapter à eux, mais elle y est parvenue, même s'il reste encore beaucoup d'efforts à faire. Qu'elle est belle, cette école-là!

jeudi 11 septembre 2008

Première gueulante.

Il fallait que ça arrive. Nous sommes dans la période des premières fois. J'ai donc eu cet après-midi mon premier coup de colère, et ce ne sera pas le dernier! Un élève m'explique que je l'ai précédemment inscrit absent alors qu'il était présent. Le début de l'heure n'est déjà pas clair. Mais le pire est à venir: je surprends l'élève en question le regard dans le vague, avec aux lèvres l'énigmatique sourire de celui qui se demande pourquoi il est là et qui a décidé de s'en foutre. Ai-je raison, ai-je tort? Je n'en sais rien, mais les apparences sont là, contre l'élève. Que des apparences, me direz-vous. Je vous réponds: qui ne trompent pas, qui expriment un je m'en foutisme que l'enseignant ne peut tolérer. D'autant que j'ai prévenu les élèves dès la première heure: il connaisse mes exigences, pas de mauvaises surprises.

Pas question pour moi d'accepter cette attitude, la pire que je connaisse. Le "mauvais élève", le voilà, non pas intellectuellement, car je comprends parfaitement les difficultés que rencontrent les élèves en philosophie, et qui me trouveront toujours à leur côté pour défendre leur travail, leurs efforts, quel qu'en soit le résultat. Mais c'est moralement que l'élève peut être, au sens littéral, "mauvais", ne respectant pas l'accord tacite entre l'enseignant et lui, ignorant complètement les conséquences de ses inepties. Celui-là, dans l'année, je ne le rate pas. Il est un anti-modèle, un contre-exemple.

Je rappelle aux élèves la loi de l'école: ils sont ici pour travailler, je veux voir tout le monde travailler, singulièrement dans le dernier rang au fond de la classe, qui attire toujours mes soupçons. Prendre des notes, voilà ce que je veux voir constamment faire. Sinon, c'est le coup de gueule!

mercredi 10 septembre 2008

Ordre et ordre.

Jour après jour, petit à petit, les classes apparaissent, prennent un profil, surgissent du brouillard de la rentrée. Des figures s'imposent à ma vue, des personnes s'inscrivent dans ma mémoire. Ce sont d'abord les élèves qui osent prendre la parole. Ils sont quelques-uns, très peu, qui osent, et qui ainsi se font remarquer, pas toujours en bien. Et puis, il y a ceux qui font des conneries, malgré mes avertissements: cette fille, qui a rangé son stylo et ses feuilles alors qu'il reste encore deux minutes de cours. Cette autre élève qui consulte son téléphone portable sous sa table: elle me répond qu'elle l'éteint. Deux minutes avant la fin du cours? Bizarre, bizarre.

Il y a aussi ces élèves qui interviennent sans avoir levé la main, ou qui répondent à la place d'un autre que je suis en train d'interroger. Le désordre couve à tout instant dans une classe. Il faut le réprimer très vite, si on ne veut pas se faire déborder. Les élèves oublient toujours une chose: à la place qui est la mienne, professeur, assis sur ma petite estrade, je suis en position de surplomb, je vois tout ce qui se passe. Difficile donc pour l'élève de dissimuler quelque chose ou de faire semblant.

J'ai entendu à la radio que la question de l'uniforme était de retour. Certains lycées professionnels interdiraient le port du jean et des baskets. Je ne suis pas trop d'accord avec ça. Les arguments invoqués, la décence, l'égalité, n'entraînent pas ma conviction. Je crois plus simplement que nous assistons à un retour de l'ordre moral, qui s'exprime notamment de cette façon-là. Mais qu'est-ce que ça change fondamentalement? Mes élèves peuvent s'habiller ou se coiffer comme ils le veulent, ça ne me choque pas. Le respect de la discipline ne passe pas par la longueur des cheveux ou la coupe des tissus, mais par l'intégration d'un certain nombre de valeurs et de règles.

mardi 9 septembre 2008

Précieux détails.

Je sais que mes élèves, les premiers mois et même jusqu'à la fin de l'année scolaire, ne vont pas me rendre des devoirs géniaux. Ce n'est pas en neuf mois d'apprentissage de la philo qu'on maîtrise la matière. Le contenu leur sera toujours difficile. C'est pourquoi, à défaut d'un fond parfait, je les invite à soigner la forme, afin qu'ils mettent toutes les chances de leur côté. Je leur demande donc de veiller aux détails, allant jusqu'à prendre le risque, assez léger, d'apparaître pour un pinailleur. Voilà quelques-unes de mes recommandations:

- Ecrire à l'encre noir, plus lisible sur fond de papier blanc, plus agréable à suivre.

- Utiliser des feuilles doubles à grands carreaux, et les numéroter. Les feuilles volantes... s'envolent et se perdent, les petits carreaux écrasent l'écriture.

- Consacrer entre une demi et une page à l'introduction, même chose pour la conclusion. En dessous, l'espace manque pour problématiser (intro) et pour solutionner (conclu).

- Le total de la dissertation doit faire entre 6 (TES et TS) et 8 pages (TL). Plus on écrit, plus on s'exerce, plus le prof peut tomber sur de bons passages.

- Sauter 3 à 4 lignes pour bien distinguer l'intro et la conclu du développement. Le professeur ne doit pas avoir à les rechercher.

- Faire des paragraphes pour les idées, séparés de 1 à 2 lignes, et des alinéas à l'intérieur des paragraphes (aller à la ligne et faire un retrait de 3 carreaux) pour les arguments.

- Une dissertation doit être belle, harmonieuse, élégante, je dois prendre plaisir à la regarder, elle doit être propre, visuellement, graphiquement construite, claire, aérée.

lundi 8 septembre 2008

9 idées fausses.

En début d'année scolaire, et j'ai commencé ce matin la deuxième semaine, il faut chasser les idées fausses que portent les élèves sur la philosophie. Sinon les préjugés s'installent et il devient impossible de les combattre plus tard. J'en repère quelques-uns, au moins neuf, que je m'empresse de dénoncer:

1- La philo, c'est facile, il suffit de donner son opinion.

Faux, la philo, c'est difficile, rigoureux, méthodique, complexe. Il faut rechercher des vérités, faire des hypothèses, développer des raisonnements, et pas simplement donner son point de vue.

2- La note dépend de l'opinion du prof, selon qu'il est ou non d'accord avec ce qu'écrit l'élève.

Faux, le prof n'a pas à juger une copie d'après ses opinions personnelles (qu'il ne doit pas d'ailleurs révéler aux élèves), mais d'après les qualités et le travail de l'élève.

3- En philo, c'est l'inspiration qui compte.

Faux, c'est la transpiration, la réflexion, l'effort intellectuel. L'inspiration, ça ne veut rien dire (sauf pour les artistes, mais un philosophe n'est pas un artiste), c'est le prétexte d'échec de ceux qui ont de mauvaises notes.

4- Il faut annoncer son plan dans l'introduction de la dissertation.

Faux, ça ne sert à rien. Le plan, on le voit en lisant le développement. Pas besoin d'en parler avant.

5- Il faut faire le plan de la dissertation en oui/non ou bien thèse/antithèse/synthèse.

Faux, le premier plan est celui de l'âne, qui ne sait que braire hi-han, oui-non. Pas très intelligent. Ni de diviser en trois parties. En vérité, il faut faire autant de parties qu'il y a d'idées.

5- Il faut terminer la conclusion de la dissert par une question.

Faux, car vous ne concluez pas, vous ne répondez pas à la question, puisque vous repartez sur une nouvelle question, sans raison.

6- Les profs de philo ne sont jamais d'accord entre eux sur la méthode d'un devoir de philo.

Faux, ils ont les mêmes exigences, les mêmes finalités, qui peuvent passer cependant par des méthodes différentes. Mais ça n'a aucune importance, l'essentiel étant d'adopter une méthode, peu importe laquelle.

7- Les notes en philo sont données au petit bonheur la chance. C'est très aléatoire d'un prof à l'autre.

Faux, les notes que mes élèves obtiennent au bac correspondent en gros à celles qu'ils ont obtenues dans l'année. Mais il y a toujours des accidents, parce que c'est un examen et pas un contrôle continu.

8- Le commentaire de texte est plus facile que la dissertation.

Faux, un texte de philo est plus difficile à comprendre qu'une question. Mais le paresseux choisit le texte afin de se contenter de le répéter.

9- Un élève a eu 19 à une dissert au bac sur "Qu'est-ce que l'audace?", en rendant une copie blanche.

Faux, c'est une rumeur complètement absurde, qui existe depuis 50 ans. Aucun sujet de philo au bac ne porte sur cette question, et un élève qui rend copie blanche a zéro.

dimanche 7 septembre 2008

Question de méthode.

Meta odos, à travers le chemin: Descartes le savait fort bien, la philosophie est une forêt épaisse où l'on s'égare aisément. Il faut donc un chemin, une méthode, surtout quand on est lycéen. La dissertation se divise en trois parties, que les élèves doivent parfaitement maîtriser s'ils veulent réussir l'épreuve:

L'introduction: c'est le début, et en toute chose, le commencement est difficile. On ne sait pas par quel bout prendre le sujet. Je réponds: il faut le problématiser, transformer la question qu'on vous pose en problème. Pas de problème, pas de question philosophique, pas de réflexion, pas de dissertation. Tout est là: trouver dans le sujet le problème, la difficulté qui fait qu'on a affaire à une interrogation philosophique, et pas à n'importe quelle question à laquelle on pourrait répondre très rapidement. Problématiser n'est pas simple, il faut beaucoup d'entraînement, mais je montre à mes élèves, durant toute l'année, lors de chaque cours, comment il faut faire.

Le développement: c'est le corps principal de la dissertation, constitué d'autant de parties qu'il y a de réponses à la question posée. Une réponse, c'est une idée. Les idées sont rangées non arbitrairement, mais dans un ordre précis, délibéré, qui doit d'abord aller de l'idée la plus simple, évidente, banale, à l'idée la plus complexe, difficile, philosophique. L'ordre peut aussi être personnel, selon telle orientation qu'on a choisi de donner à la réflexion. Chaque idée sera développée, démontrée, analysée, en autant d'alinéas qu'il y aura d'arguments. Une idée=un paragraphe, un argument=un alinéa. Les idées doivent être reliées entre elles comme les maillons d'une chaîne (image que je reprends à Descartes). L'élève doit faire des transitions entre deux idées.

La conclusion: souvent négligée par les élèves ou les candidats au bac, il faut au contraire la soigner, afin que le correcteur quitte la dissertation sur une bonne impression. Une bonne conclusion se rédige en relisant l'introduction, en répondant à son problème. La conclusion apporte une solution, c'est-à-dire une réponse cette fois définitive à la question posée. Elle peut admettre une brève synthèse du développement, sans cependant tomber dans le résumé inutile, car purement répétitif.

Voilà pour la méthode générale de la dissertation, à laquelle il faut ajouter une foule de petits détails très utiles pour peaufiner le devoir. Je vous en reparlerai.

samedi 6 septembre 2008

Terrible dissertation.

Après un premier cours consacré à présenter l'année scolaire, mon deuxième aborde le difficile et redoutable exercice de la dissertation de philosophie. Les élèves connaissent la dissertation dans d'autres matières, le français ou l'histoire, mais la philosophie a ses spécificités. La dissert de philo, c'est l'épreuve-reine de la discipline. On vous pose une question en apparence assez simple, vous devez en sortir toute une réflexion sur plusieurs pages. C'est ce qui inquiètent les élèves, c'est donc par là que je dois commencer mon année.

Je leur donne d'abord les trois principes généraux qui concourent à la bonne organisation d'une dissertation de philosophie:

1- Ne répondre qu'à la question posée. Ca semble évident, banal, c'est en réalité très dur. L'élève a tendance à s'éloigner de ce qu'on lui demande, à faire ce qu'on appelle classiquement du hors-sujet.

2- Les réponses doivent être nombreuses, diverses et même contradictoires. Elles forment autant d'hypothèses qui font la richesse de la dissertation, contrairement à une question de la vie ordinaire, à laquelle correspond généralement une seule et unique réponse.

3- Chaque réponse doit être argumentée, là aussi contrairement à la vie courante, où l'on ne se casse pas trop la tête (c'est le cas de le dire!), où une réponse se justifie par elle-même, sans avoir besoin de démonstrations. Pas en philo.

Voilà pour l'approche très globale de l'exercice, dont je décline ensuite la présentation détaillée en m'attardant sur ses trois parties: l'introduction, le développement, la conclusion. Tout cela pour rendre moins terrible, aux yeux des élèves, la fameuse dissertation.

vendredi 5 septembre 2008

Mon règlement intérieur.

Une année scolaire, c'est comme une histoire d'amour: les premiers temps sont les meilleurs, ils passent vite, profitons-en. Cette semaine de rentrée s'est pour moi fort bien passée, mais c'est le même constat chaque fois. Les élèves ne me connaissent pas, je ne les connais pas, personne n'a encore eu l'occasion de se détester, le temps n'est pas suffisant pour être déçu. La philo, les classes la découvrent, l'effet nouveauté joue à plein, il sera vite dissipé. Dans combien de jours, de semaines? Je ne sais pas, vous l'apprendrez avec moi en lisant ce blog.

Ce que je sais, c'est que rien n'est jamais acquis devant des élèves. J'ai vu de bonnes classes basculer dans de mauvais comportements plusieurs mois après la rentrée, alors qu'on pouvait penser que le climat du groupe était stabilisé. Je sais aussi que la remise de la première note, début octobre, conditionnera fortement l'atmosphère. Pour l'instant, les élèves sont à égalité, dans leur virginité philosophique. Mais les prises de parole, les remises de travaux vont établir des distinctions, creuser des différences. C'est là, comme dans toute petite société, que les classes deviennent plus difficilement gouvernables.

Pour le moment, je construis le cadre qui me permettra, quand elles arriveront, d'affronter et de surmonter les difficultés. L'établissement a son règlement intérieur, mais j'ai aussi le mien, qui vaut dès que les élèves ont franchi le seuil de la porte, et que je m'efforce de bien leur faire comprendre, et de leur expliquer, car mon autorité n'est pas gratuite, mais justifiée, rationnelle. J'insiste sur trois points:

1- Quand la porte de la classe est fermée, inutile de frapper pour entrer, c'est que le cours est commencé. L'élève doit se rendre à la Vie scolaire chercher un billet d'entrée.

2- L'élève est en classe pour travailler, et pas seulement pour écouter. Je ne suis pas un conférencier qu'on vient aimablement écouter, je suis un professeur qui fait travailler les élèves. Le signe concret de ce travail, c'est la prise de notes, au demeurant excellent exercice d'écriture, fort utile puisque que la philo au bac, c'est de l'écrit (sauf au "rattrapage"). Je préviens: les cahiers seront de temps en temps ramassés, mon jugement sur l'élève ne dépendra pas seulement des travaux effectués mais du soin qu'il mettra dans sa prise de notes.

3- Les devoirs doivent être rendus au jour et à l'heure convenus. Tout retard m'est insupportable, tout retard rompt l'engagement de l'élève à l'égard de son professeur, tout retard détruit l'égalité entre les élèves, tout retard est une faute extrêmement grave (sauf raison valable), avant même l'inattention en classe. Je dois me battre contre l'approximation de certains élèves (aujourd'hui ou demain, ils n'en font pas un drame, moi si), qui est l'approximation hélas de bien des adultes.

jeudi 4 septembre 2008

La force de la discipline.

Discipline: c'est ce qu'on enseigne à l'école, philo, maths, histoire-géo, etc. Mais, en un autre sens, c'est l'organisation de l'obéissance. Les deux sont nécessaires à l'enseignant et aux élèves. Elles sont d'ailleurs indissociables. Toute discipline (matière d'enseignement) a sa rigueur, ses contraires, ses lois à respecter. On dit que la discipline fait la force des armées. Elle fait aussi celle des écoles. C'est pourquoi je commence toujours mon premier cours par là, prévenir les élèves, fixer les règles, être réglo avec eux, pour qu'ils n'aient pas ensuite de mauvaises surprises. C'est une discipline souriante, ouverte, bienveillante, pas celle du sergent-chef, mais une discipline quand même.

La discipline ne se proclame pas, elle se pratique. Je vous donne quatre exemples ces deux premiers jours de l'année scolaire:

1- Une élève de TL2 a raté le jour de la rentrée. Le lendemain, je lui demande de venir me voir, en fin de cours, pour me remplir sa fiche de présentation (voir mon précédent billet "TL2"). Elle me dit oui, et à la fin de la séance, part sans passer par mon bureau. Le surlendemain, je ne la rate pas. Elle m'explique qu'elle avait cours juste après, qu'il fallait donc partir vite, qu'elle n'a pu me rencontrer. Certes, mais il fallait me le dire le moment voulu. Je hausse le ton, je lui fais comprendre que l'incident n'est pas anodin, qu'elle n'a pas intérêt à recommencer.

2- Une élève de TES2, après que j'ai demandé s'il y avait des questions sur la discipline, m'interroge sur... les chewing-gums: peut-on en mâchouiller en classe? La discipline a aussi ses limites, sinon elle se transforme en tyrannie. Mais les limites ne sont pas les mêmes selon les profs. Moi, les chewing-gums, ça ne me pose pas de problème, je ne me suis même jamais posé la question de savoir s'il fallait les interdire ou pas. Curieusement, la même demande m'a été faite en TSMP. Comme quoi les élèves ne sont pas certains de la réponse, ce qui tend à prouver que certains collègues interdisent le chewing-gum en classe, probablement irrités par une mâchoire qui rumine devant eux. Ca ne me dérange pas.

3- Un élève, toujours en TES2, me demande s'il peut quitter la classe à 12h15 (nous avons cours jusqu'à 12h30 le mercredi et il a un bus à prendre). L'autorisation ne dépend pas de moi mais de l'administration, à laquelle il n'a rien dit. Pas question de le laisser partir comme ça. Nous allons ensemble à la Vie scolaire (les surveillants), qui accepte exceptionnellement qu'il quitte l'établissement. Mais ses parents devront envoyer un courrier au proviseur-adjoint, qui tranchera. La discipline, c'est faire comprendre aux élèves où sont les responsabilités.

4- Pendant que j'accompagnais l'élève, la classe a été livrée à elle-même. Exercice pas redoutable mais un peu périlleux. Je n'ai pas été absent longtemps, mais suffisamment pour qu'à mon retour je surprenne un élève rangeant rapidement son téléphone portable. Je lui ai dit que c'était la première et la dernière fois. Les portables utilisés en classe, même quand le cours est provisoirement suspendu, c'est non!

mercredi 3 septembre 2008

La première heure.

La vraie rentrée, le commencement des cours, c'était aujourd'hui, où j'ai découvert, après la TL2 hier, ma TES2 (Terminale économique et sociale). En philo, pas facile de démarrer. Les élèves découvrent la matière, la connaissent mal ou s'en font des idées fausses. Pour beaucoup, la philo, c'est compliqué et rebutant. Que faire la première heure?

Au début de ma carrière, je cherchais à séduire, en essayant de montrer que la philosophie, c'est très intéressant, c'est même passionnant. Je m'efforçais de transmettre le plaisir que je prends à la réflexion, je démontrais, comme je sais le faire, que la philo, c'est la chose la plus importante au monde, parce qu'elle rend libre, autonome. C'était un très beau premier cours, plein de vérités, mais complètement inefficace. Les élèves ne sont pas là pour les beaux yeux de la philosophie, et chercher à les séduire, projeter en eux le désir de philo qu'éprouve le prof, c'est une grave erreur.

Ensuite, au bout de quelques années, j'ai adopté une autre méthode de départ, une stratégie différente mais tout aussi inopérante. J'ai tenté d'expliquer, lors de ce premier cours, quel était l'intérêt pour eux de la philosophie, dans une optique très utilitaire, pragmatique (après mes débuts idéalistes!): la philo, ça peut servir dans la vie, quand on doit argumenter une idée, défendre une opinion, se montrer critique, se poser les bonnes questions, comprendre une situation, analyser un propos, etc. Bref, j'agissais par ruse, en laissant entendre que la philo était utile en dehors de la philo. Mais les élèves ne sont pas dupes, ils n'y croyaient pas trop, le baratin avec eux ne marche pas.

Alors qu'est-ce que je fais maintenant, qu'est-ce que j'ai fait ce matin? Quelque chose de très scolaire, qui ne cherche nullement à justifier le plaisir (ma première période) ni l'utilité de la philosophie (ma deuxième période). Non, car se justifier, c'est déjà saper son autorité. Je rappelle simplement non pas pourquoi moi, je suis là, mais pourquoi eux, les élèves, sont là devant moi. Et la réponse tient en un mot: travailler. Je trace donc le cadre dans lequel va s'exercer leur travail, en cinq points, qui constituent la trame de mon premier cours:

1- La discipline: c'est le commencement de tout à l'école, il faut respecter certaines règles, par exemple prendre constamment des notes, rendre les devoirs à l'heure.

2- Le programme: certains élèves croient que la philo, c'est de la parlote, des opinions en l'air. Je leur apprends qu'il y a un programme officiel, précis, une vingtaine de notions à étudier, un (en ES et S) ou deux (en L) ouvrages à étudier.

3- Les exercices: la philo en Terminale passe par deux épreuves qui sont au coeur de mon enseignement, la dissertation et le commentaire de texte. Faire de la philo au lycée, ce n'est pas philosopher (je ne cherche pas à faire des petits Descartes), c'est savoir faire des disserts et des commentaires de texte.

4- Le bac: je décris les épreuves, je donne leur coefficient, je souligne que la finalité de l'année, c'est celle-là, qu'il n'y en a pas d'autres: réussir au bac. Je ne cherche pas à intéresser mes élèves à la philo en tant que telle (ça, c'est perso, ils feront ce qu'ils voudront), je les accompagne pendant neuf mois sur les chemins escarpés qui conduisent au baccalauréat.

5- Les cours: je présente ma méthode, le déroulement des cours, durant lesquels, à chaque fois, je montre aux élèves comment il faut faire pour réussir une dissertation ou un commentaire de texte. Neuf mois, ce n'est pas trop pour ces deux exercices très difficiles.

Bref, durant le premier cours, il ne faut pas vraiment faire cours, transmettre des connaissances. C'est un peu tôt, les élèves ne sont pas encore prêts à recevoir ce que vous avez à leur dire. Non, les premières heures seront consacrées à construire une autorité, car après, très vite, quelques jours plus tard, ce sera trop tard. Quand on est face à une bonne trentaine de lascars et de nanas qui sont très gentils mais ne s'en laissent pas compter, on a plutôt intérêt à fixer les limites, imposer les règles, montrer qui on est et ce qu'on veut dès la première heure. Construire son autorité les premiers jours, et la défendre toute l'année, jusqu'à la dernière heure, c'est ça enseigner. C'est pourquoi le boulot n'est pas évident et qu'il vaut mieux y réfléchir à deux fois au moins avant de vouloir devenir prof.

mardi 2 septembre 2008

TL2.

La rentrée administrative, c'est la rencontre entre le prof principal et sa classe, en l'occurrence pour moi la TL2 (Terminale littéraire). Je vérifie la liste des élèves, leur qualité d'externe, interne ou demi-pensionnaire, leurs options (ils en ont en moyenne trois ou quatre), je distribue divers documents (assurance scolaire, guide de l'académie, carnet de liaison...) et je termine par ce que les élèves attendent le plus et qui, sur ce point, les fait ressembler à leurs professeurs: l'emploi du temps! L'école, ce sont d'abord des heures qui organisent des jours et toute une semaine.

Le proviseur m'a fait l'honneur de venir dans la classe pour présenter l'année scolaire et les perspectives d'orientation. La première fois en 14 ans! Une initiative plutôt bonne, qui donne un peu de solennité à cette rentrée. Et il a prononcé plein de choses gentilles sur moi, à me faire rosir...

J'ai demandé aux élèves de remplir la petite feuille de présentation qui me permet de mieux les connaître:
Nom:
Prénom:
Adresse postale et électronique:
Téléphone fixe et portable:
Age:
Profession des parents ou tuteurs:
Redoublant ou pas:
Situation l'an dernier:
Notes au bac de Français:
Note de philo pour les redoublants:
Emploi éventuel:
Centres d'intérêt:
Problèmes particuliers:

C'est une fiche qui peut paraître un peu indiscrète, voire inquisitoriale. J'explique aux élèves que ces informations sont purement utilitaires, d'ordre professionnel, et je les laisse libre de ne pas me les communiquer s'ils ne le souhaitent pas. Après cette formalité, je me présente à mon tour, pour leur montrer qu'il y a réciprocité.

Mais j'ai commis ma première erreur de l'année (il y en aura beaucoup d'autres!) en oubliant de leur faire mentionner leurs voeux d'études pour l'an prochain et la profession envisagée. Au début dans le métier, je demandais aux élèves de me donner une photo d'identité, pour que je mette un visage sur les noms. Mais c'était un peu compliqué pour eux, et surtout, le lycée met à disposition des trombinoscopes où l'on peut repérer utilement les élèves.

Quelle est ma première impression sur cette classe de TL2, avec laquelle je vais travailler huit heures par semaine pendant neuf mois? Aucune. A la première rencontre, une classe n'est qu'une masse informe. Il faudra attendre quelques jours pour que des visages, des voix, des attitudes lui donnent sa forme. La première heure, on ne sait rien, on n'apprend rien. Il faut faire le job, c'est tout, montrer aux élèves qu'ils sont ici pour travailler et pour rien d'autre. L'autorité, c'est maintenant qu'on l'exerce, ou jamais.

Deux exemples: pendant l'intervention du proviseur, une élève, une seule, a rempli son carnet de correspondance au lieu d'écouter. J'ai exigé qu'elle ne recommence plus jamais. Une autre élève a rempli sa fiche de présentation dans le mauvais sens, horizontal, alors que j'avais expressément demandé de respecter le sens vertical (pour la commodité à ranger ensuite les fiches). Des détails? Du pinaillage? Sans doute, mais c'est ainsi, d'emblée, qu'on pose son autorité : en ne laissant rien passer.

lundi 1 septembre 2008

Prérentrée.

La prérentrée d'aujourd'hui est une fausse rentrée. On reste deux heures, on écoute le proviseur, on prend avec empressement son emploi du temps... et on s'en va. Demain ne sera pas non plus la vraie rentrée: les profs principaux accueilleront administrativement les élèves. Les choses sérieuses, c'est-à-dire le début des cours, ce sera pour mercredi.

Ce matin, les nouveaux collègues ont été présentés aux anciens, sous leurs applaudissements, et dans un brouhaha qui a duré pendant toute la réunion, pourtant aux allures de cérémonie. Une assemblée de profs, c'est plus indiscipliné qu'une classe d'élèves! Le proviseur nous a ensuite donné les effectifs, 1200 élèves en tout, collège et lycée, puis les résultats au bac, 85,2% de réussite (87,7 au niveau national). L'intendant s'est chargé des questions matérielles, et le proviseur a repris la parole pour exposer la politique du rectorat.

C'est à peu près ainsi que se déroule chaque année la prérentrée, officielle, un peu solennelle, indispensable et pour certains collègues ennuyeuse. Le proviseur, en fin stratège, réserve le meilleur pour la fin: désignation des profs principaux et surtout distribution des emplois du temps, vers lesquels chacun se précipite. Après le brouhaha, la cohue. Mais c'est normal: pour un prof, l'emploi du temps, jamais le même d'une année sur l'autre, est ce qui va structurer tout son travail. Il a donc envie et besoin de savoir.

En fin de réunion, le proviseur a distribué à chaque enseignant un marque-page de l'académie d'Amiens, un peu comme un prêtre donnant la sainte communion. Et puis, nous sommes tous allés à la réception, où autour d'un verre on fait mieux connaissance avec les petits nouveaux.