jeudi 30 avril 2009

La force du préjugé.

A mes élèves, j'avais dit et prévenu : si un sujet tombe sur la justice, faites gaffe aux préjugés, aux clichés, très nombreux en ce qui concerne l'institution judiciaire. N'allez pas me dire, par exemple, que "la justice n'est pas juste", car c'est une contradiction dans les termes. Imparfaite, faillible, humaine, oui je veux bien, mais injuste non : par principe, la loi établit la justice. Si la justice n'est pas juste, cela revient à prétendre qu'il n'y a pas de justice. Pourquoi pas, mais argumentez, ne véhiculez pas un sentiment populaire philosophiquement infondé. Marx et bien d'autres pensaient que la justice était le reflet de la société, donc un pouvoir de classe. C'est une thèse acceptable, puisque ce n'est pas un cliché d'opinion.

J'étais même allé jusqu'à dire aux élèves que ma dénonciation du préjugé n'empêcherait pas celui-ci d'apparaître dans leurs copies. Une façon comme une autre de les mettre en garde, de leur éviter les idées préconçues. Que croyez-vous qu'il arriva ? Pour le sujet "Qu'est ce qui est injuste ?", alors qu'en matière d'injustices les exemples ne manquent pas, beaucoup d'élèves ont soutenu que ce qui était injuste, c'était, je vous le donne en mille : la justice ! De quoi faire douter de la puissance de l'enseignement, de quoi s'avouer vaincu devant la force du préjugé. Pour étayer ma démonstration, je vous livre quelques extraits de copies :

"La loi elle-même peut être injuste. Le gouvernement instaure des lois qui excluent un certain type de personnes et par ces lois rend les individus racistes ou discriminants [...] Interdire aux fumeurs de fumer dans les lieux publics. Ainsi, ces personnes sont exclus car elles ne se rendent plus dans les bars ou autres et ne communiquent plus".

Pour l'élève, la justice est injuste parce qu'elle sanctionne, elle ne laisse pas chacun faire comme il veut. Pour moi, c'est parce que la loi sanctionne qu'elle est juste, sinon ce ne serait qu'une idée, une opinion sans conséquence (en la matière, la loi anti-tabac protège la liberté des non fumeurs).

"En Arabie Saoudite, pays musulman, dans leur système, on coupe les mains si on vole alors que par exemple en France l'individu prend une amende ou au pire il va en prison. Ce sont ces différences de systèmes, de lois qui peuvent paraître injustes".

Pour l'élève, la justice est injuste parce que les lois ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Pour moi, il est juste que chaque pays, culture, tradition aient leurs lois spécifiques (ce qui ne me conduit pas à approuver les mains coupés, exemple évidemment extrême et peu probant).

"La justice n'est pas si équitable qu'il y paraît dans certains cas. Certains délits ou certains crimes ne sont pas assez punis et des criminels sont en liberté malgré leurs crimes, ce qui est injuste. Enfin, l'égalité n'est pas véritable. S'il y avait une égalité parfaite dans le monde, la pauvreté et les discriminations n'existeraient pas".

C'est le vieux préjugé sur la mansuétude coupable, le laxisme de la justice, évidemment faux. Quant à l'égalité imparfaite, l'élève ne distingue pas égalité juridique, qui est un principe dans un Etat de Droit, et égalité totale, peut-être nécessaire mais largement utopique.

Mais j'aurais beau le dire, le redire et le re-redire, le préjugé sera plus fort que tout et des élèves continueront à "penser" (en vérité, ce n'est pas une "pensée") que "la justice est injuste". Bonjour la citoyenneté !

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