mardi 14 avril 2009

Philosopher en Terminale.

Quelles étaient les erreurs les plus fréquentes dans les deux sujets de dissertation que j'ai corrigés ce week-end?

Pourquoi l'homme peut-il être inhumain? Il fallait prendre l'inhumain en son sens le plus rigoureux, le plus précis, et donc aussi le plus problématique: l'atroce, le cruel, bref l'anti-humain présent en nous. D'où l'intérêt philosophique de la question: qu'est-ce qui pousse l'homme a contredire, à renier sa propre nature?

Certains élèves ont trop élargi le concept, désignant plus généralement tout comportement contraire à la morale: or, voler et mentir n'ont rien d'inhumain... bien au contraire. D'autres élèves, à l'inverse, ont rangé l'inhumain dans l'exceptionnel, le pathologique, genre serial killer. Non, il fallait ramener l'inhumanité à ce qu'il y a de plus ordinaire en l'homme, quand par exemple les enfants font souffrir les animaux.

Croire, est-ce une force ou une faiblesse? Là, beaucoup d'élèves sont tombés dans ce que j'appelle "l'effet catalogue", qui consiste à décliner toute une série de croyances particulières afin de se poser la question: croire en l'amour, croire en la justice, croire en la science, etc. Le défaut, c'est qu'il n'y a aucun raison d'arrêter cette liste à un moment précis. Et puis, dans ce type de démarche, on réfléchit moins à l'acte de croire, à sa nature, à ses caractéristiques qu'à l'objet de la croyance. Du coup, la pensée ne porte plus sur la croyance mais sur l'amour, la science, la justice, etc.

Ce qui était en revanche admissible, c'était de ranger la croyance en grandes catégories universelles: croyances religieuses (la foi), croyances morales (le devoir), croyances politiques (les convictions). Admissible aussi de confronter croyance en soi, croyance en l'autre, croyance en une idée. A condition de ne pas oublier l'essentiel: s'interroger à chaque fois sur la force et la faiblesse et donner des réponses argumentées.

Pour terminer, je vous donne quatre extraits de copies, que j'ai trouvés particulièrement succulents, d'abord à propos du sujet: Pourquoi l'homme est-il inhumain?

"Le sexe fait perdre la tête à l'homme, il en deviendrait même inhumain. Quand l'homme a envie de sexe, il devient bestial, il ne pense qu'à ça et à rien d'autres, il ne peut plus réfléchir tant son esprit est occupé par son envie de plaisir. L'homme a le comportement d'une bête quand il a envie de sexe."

"Après tout, si agir inhumainement satisfait et comble l'homme, où est le mal? Si sa liberté lui permet d'être humain, elle peut lui accorder le fait d'être inhumain. C'est bien le principe de la liberté: elle accorde chaque type de comportement à partir de l'instant où l'individu agit de son propre gré, sans aucune soumission".

"Parfois, l'homme qui se montre inhumain a raison. L'homme se désacralise de son statut d'humain, du concept de l'homme, par la volonté de changer les choses. L'homme peut faire le mal pour éviter un plus grand mal. L'homme peut tuer, par exemple, pour éviter les suites d'un grande catastrophe. Il peut choisir de donner la mort à quelqu'un pour sauver la vie de plusieurs personne".

Quant au sujet: Croire, est-ce une force ou une faiblesse?

"Croire que, comme Clark Kent, on peut être un petit journaliste le jour et être Superman la nuit, c'est un fait. Mais croire que comme Superman on peut voler dans le ciel et plier un bus en deux, ça c'est autre chose. L'imagination est débordante. Mais il vaut mieux ne pas faire appel à elle dans le domaine de la croyance".

Ainsi philosophe-t-on dans nos classes de Terminales...

16 commentaires:

Cantien (thefrench01@hotmail.fr) a dit…

(J'aurai aimé adresser ce courriel à votre adresse électronique, mais celle-ci étant introuvable, je le fais par l'enregistrement d'un commentaire)

Bonjour,

Je me présente : je suis un élève de seconde dans un lycée de Nogent-sur-Marne (94). Il y a quelques semaines déjà, un samedi, notre professeur de français nous a conseillé le Café-philo des Phares. Le lendemain, à 11 heures tapantes, j’avais réussi à recruter 3 des mes camarades pour une expédition initiatique et me retrouvait assis près de l’entrée du café. C’était le dimanche 29 mars, jour où vous et votre classe aviez fait le déplacement. Peut-être nous avez-vous remarqué, nous étions quatre jeunes un peu paumés, et l’un de nous a pris la parole quant à la conscience que peut avoir un enfant de la mort (il s’est d’ailleurs lamentablement planté, d’après ce que j’ai compris). Enfin bref, passons les détails inutiles.
J’ai accédé à votre blog par le biais du site du café-philo des Phares.
A vrai dire, je ne parviens à cerner la motivation qui m’a poussé à rédiger ce courriel. Peut-être vous prends-je pour un psy ? Après réflexion, je ne pense pas. J’imagine que je cherche plutôt des réponses. A quel sujet ? me direz-vous. Je n’en suis moi-même pas sûr. Orientation, conseils de lectures, conseils tout court ?
Je suis conscient que vous ne lirez sûrement pas ce qui va suivre, aussi, je vous conseille d’arrêter là si vous avez mieux à faire (notamment corriger un bon vieux petit paquet de copies bien chaudes).
Tout d’abord, et afin de clarifier tout de suite l’une de mes « demandes » (je suis conscient que vous ne voudrez sûrement pas prêter attention à mon cas personnel, qui n’est pas de votre ressort), je souhaite vous informer que j’ai lu sur votre blog (oui, j’ai pris le temps d’en lire une bonne partie ; je ne vous ai pas écrit ce courriel sur un coup de tête, enfin pas totalement) que vous êtes contre les lectures philosophiques (du moins dans certains cas). Sachant, que, ne nous voilons pas la face, bon nombre de professeurs de philosophie sont médiocres voire inquiétants (cas d’alcoolisme l’année dernière au sein de mon établissement), je pense être en droit de craindre un enseignement de mauvaise qualité (surtout si je m’engage sur la voie scientifique). Je souhaite donc savoir s’il était possible que vous me communiquiez des titres afin d’acquérir de manière solitaire des méthodes d’approche de la philosophie.
Outre cela, je sollicite votre avis quant à mon orientation. Si je fais appel à vous, c’est que, d’après ce que j’ai lu, vous semblez avoir une approche impartiale et qui correspond à mes principes. Je vais tenter de résumer mon profil scolaire de manière objective (complexant de manière permanente sur un risque de vantardise, c’est assez difficile). J’ai toujours été bon élève, même excellent si je puis dire. Cependant, ayant d’ailleurs toujours trouvé le système scolaire français inadapté aux caractéristiques individuelles (dans les deux sens ; difficultés et facilités), je me suis toujours ennuyé face à l’absence d’approche assez philosophique de l’enseignement. Cette année de seconde a pour moi été une véritable révélation. Je bénéficie en français de l’enseignement d’un professeur particulièrement (je ne sais quel terme employer, un professeur n’étant pas une marchandise) … efficace ? Elle mène son cours de manière interactive et, surtout, nous abreuve de détails et d’anecdotes « croustillantes ». Bref, se rajoutant à l’approche artistique que m’avait enseigné mon professeur d’arts plastiques de troisième (deux succès, deux femmes … un signe de la supériorité féminine sur la pédagogie et l’enseignement en général ?), cette année de français a réellement changé ma vie et ma manière de voir les choses. D’ailleurs, je ne vois pour ainsi dire presque plus ; j’analyse.
Trêve de bavardages, ne sachant sur quelle voie m’engager (sûrement la communication, la publicité, le marketing … il me semble d’ailleurs que vous avez travaillé dans ce secteur), je pensais plutôt m’orienter vers la série scientifique, les élèves étant de toute façon, et quoiqu’on en dise, meilleurs ; l’ambiance de travail en bénéficie donc.
Mais la lecture de votre blog m’a plongé dans le doute. La série S ne me cantonnera-t-elle qu’à « l’initiation à la philosophie » ? Faut il que je privilégie mon développement personnel à mon avenir professionnel ? Je commence de plus en plus à me poser la question, fait renforcé par mon intérêt pour l’histoire de Christopher McCandless (Into The Wild, livre et film). Vivre pour se découvrir, n’est-ce pas préférable à vivre pour sa carrière ?
Dans le plus grand désespoir, et dans l’attente de réponses de votre part,

Cantien

(Veuillez excuser les fautes d'orthographes ou de grammaire, la rédaction de ce message en pleine nuit n'a pas arrangé les choses)

Anonyme a dit…

Pavé, César!

Emmanuel Mousset a dit…

Cher Cantien,

Dans votre long commentaire, dont je vous remercie, je repère deux questions, qui m'amèneront à des réponses plus brèves:

1- Sur la méthodologie philosophique, vous pouvez lire "Le bac de philo pour les Nuls", de Godin (n'y voyez aucune ironie de ma part). Il y a aussi, sur le net, le site d'un prof de philo qui conseille de bonnes méthodes: Bernard Defrance.

2- Sur votre orientation, il faut choisir la filière de votre choix, sans préjuger des réputations: La L est bonne pour ceux qui ont envie d'un parcours littéraire et philosophique. Il faut aller en S uniquement pour des questions de goûts, d'intérêts, pas pour l'image d'excellence de la série. De l'excellence, on en trouve partout, pourvu qu'on ait envie et qu'on travaille.

Anonyme a dit…

la voie scientifique n'est pas synonyme d'excellence, au contraire, la démonstration que nous livre celle-ci ne nous permet pas de réflechir par nous même mais d'appliquer bêtement quelques connaissances que l'on apprend par coeur et que l 'on répète.
le génie n'est pas dans cette voie, le génie et l'ecellence sont synonyme de l'inttelecutalisation de l'esprit qui se traduit par une pensée personnelle et réflechéie.
voilà, l'excellence n'est pas là où l'état saura profiter de nous, car la science, les maths, dans ce monde ultra capitaliste, occupent une place prépondérante.
le littéraire, pense avec son propre cerveau, crée son propre génie, sa propre manière de voir le monde et les choses.
la philosophie permet aux littéraires d'être un médiateur entre eux et le monde.
elle engendre le bonheur et même l'ataraxie.
La philosophie est la meilleure école de la vie, c'est une belle découverte que j'ai pu faire cette année, en classe de terminale, avec vous.

Emmanuel Mousset a dit…

En vérité, je crois que l'excellence est partout, pourvu qu'on s'applique dans ce qu'on fait. Il y a de l'excellence à jardiner. Quant à philosopher, c'est l'une des écoles de la vie, mais je n'irais pas jusqu'à prétendre que c'est la meilleure.

Anonyme a dit…

je n'en ferai pas mon métier, mon gagne pain comme on dit, mais ça m'a ouvert l'esprit, ça m'a aidé à mieux comprendre certaines choses, la philo, je pensais que c'était un truc "chiant", un cours sur les courants philosophiques, je n'avais pas au début de l'année, l'image d'une philosophie vivante.
Mais j'ai été agréablement surprise, c'est pour ça, que c'est une bonne école de la vie, peut-être pas forcément la meilleure, mais elle permet de rendre la vie encore plus vivante, puisqu'on peut mieux la comprendre.

Emmanuel Mousset a dit…

"Rendre la vie plus vivante", oui, c'est une belle définition de la philosophie. Et j'ajouterais: plus vivable.

Ceci dit, un cours de philo, ça peut aussi très vite devenir très chiant. Et personne n'est à l'abri de ça!

Anonyme a dit…

qu'est ce qui vous a poussé à enseigner la philosophie?

Emmanuel Mousset a dit…

Quand on fait de la philosophie, je crois qu'on a envie de transmettre ce qu'on apprend, donc d'enseigner. Et puis, il fallait bien que j'ai un métier. Pourquoi pas celui-là!

Autre élément: la rencontre à la Sorbonne avec un prof, Olivier Chedin, qui m'a donné envie de passer le concours.

Anonyme a dit…

et au lycée, vous étiez bon élève en philosophie ?

vous aviez un enseignement plus "théorique" et classique ( sur les différents courants philosophiques ?) ou plutot un cours comme vous les faite aujourd'hui, en partant d'une question ?

Anonyme a dit…

un cliché, consiste à affirmer que les profs de philosophie vive dans leur monde, renfermé sur eux même, qu'est ce que vous en pensez?
pourquoi le philosophe est-il enfermé dans un cliché, alors qu'il fait de sa vie une lutte contre les clichés?

Emmanuel Mousset a dit…

- Je n'ai plus la mémoire exacte du lycéen que j'étais il y a 30 ans. En philo, je devais tourner autour de 12-13 de moyenne.

- L'enseignement de philosophie me semblait plus classique. En tout cas, on ne traitait pas de sujets de dissertation en classe.

- Comme tout milieu professionnel, les profs de philo vivent dans leur "monde". C'est vrai aussi chez les pharmaciens ou les avocats, même si on en parle moins. Mais il ne faut pas confondre le professeur de philosophie (un métier) et le philosophe (une activité de l'esprit).

- Le fait d'enseigner, de se retrouver dans une salle à l'abri des regards, devant des adolescents, renforcent ce sentiment d'enfermement sur soi.

- La philosophie elle-même, activité très intérieure, contribue à l'idée d'un "monde à part", qu'on ne retrouve pas chez les sportifs ou les militants politiques, plus ouverts sur l'extérieur.

- Si un cliché comporte sa part de vérité, il rencontre très vite des limites: la philosophie, en s'intéresant à tout, à la science, à la morale, à la politique, à l'art etc, est une discipline "généraliste" et donc très ouverte.

- Si la philo était un monde à part replié sur lui-même, tous les profs de philo se ressembleraient. Or nous sommes très différents les uns des autres.

Anonyme a dit…

Juste une petite question:
"il ne faut pas confondre le professeur de philosophie (un métier) et le philosophe (une activité de l'esprit)"
Considérez-vous donc que tous les profs de philosophie ne sont pas forcément philosophes?

Anonyme a dit…

Au fait: hilarants vos extraits!

Emmanuel Mousset a dit…

Hilarant peut-être, mais sérieux tout de même.

Emmanuel Mousset a dit…

La plupart des profs de philo, dont moi, ne sont pas des philosophes. Et ça ne me gêne pas du tout. Etre prof de philo, c'est déjà très bien! Pas besoin d'être en plus philosophe...