samedi 18 avril 2009

Les yeux de Magali.

Café philo en fin d'après-midi à Guise, proposé par Manuel et son Entente du Gué de l'Oise. Mais cette fois, la première depuis six ans, nous ne sommes pas au Centre social, nous allons au PatMag, le café-restaurant à l'entrée de la ville, en haut de la rue Charles de Gaulle. PatMag, c'est Patrice et Magali, les sympathiques patrons, qui fréquentent le café philo et ont proposé à leur tour de l'héberger.

Notre sujet: la philosophie rend-elle moins belle? Et pour cette première, nous passons au préalable un film, le documentaire tourné par les élèves du BTS audiovisuel de mon lycée sur le phénomène café philo. J'étais sceptique quant à la fréquentation: changer d'endroit, déranger les habitudes, le temps bruineux et puis le thème choisi, tout cela me faisait douter de l'affluence. Pour preuve, je n'avais fait que dix photocopies de ma petite introduction. Surprise: nous étions seize. Pas mal, non? Seize personnes, un samedi après-midi, qui se retrouvent dans Guise pour parler philosophie, il y a cinquante ans, c'aurait été inconcevable!

Au début pourtant, un problème technique fait craindre que le reportage ne démarre sans le son. Embêtant mais vite réparé: c'est notre technicien maison qui avait oublié d'appuyer sur le bon bouton! Après la diffusion, très vite, le débat s'est installé, avec un nouveau problème (mais la vie n'est-elle pas une suite ininterrompue de problèmes?): l'absence de micro. C'est là où l'on comprend la nécessité de l'instrument. Sans lui, les gens s'écoutent moins bien et la parole devient anarchique. J'ai géré, tout s'est finalement bien passé.

Le PatMag est un restau plus qu'un bistrot. Nous étions donc autour d'une grande table familiale. Ça aussi, c'est inhabituel. Normalement, il est bon de disperser le public. Mais ce n'était pas aujourd"hui un inconvénient. J'ai été pas mal questionné sur la philo, son enseignement. Les réflexions ont tourné autour des questions suivantes:

- La bêtise est-elle l'ennemie de la philosophie?
- Quelle sorte d'intelligence cultive la philosophie?
- La philosophie peut-elle être à son tour stupide?
- La philosophie peut-elle se passer des profs de philo?
- Y a-t-il un âge pour philosopher?
etc.

Nous avons bien sûr discuté des cafés philo, de l'engouement qu'ils provoquent depuis quinze ans (y compris au coeur de la Thiérache!), de la contestation qu'ils entraînent parfois de la part des... professeurs de philosophie, voulant garder jalousement la propriété de leur discipline. Tout ça dans la joie, la bonne humeur, d'autant que Magali a apporté deux magnifiques tartes au beau milieu de la table qui ont soulevé l'enthousiasme. On pense mieux avec la panse remplie...

Je n'oublie pas l'alcool: in vino veritas. Chez les Grecs, on philosophait pendant les banquets (lisez celui de Platon) et on buvait beaucoup. Pour ma part, j'ai commandé une Leffe, neuf degrés, qui a surpris Magali. Dans quelle société vivons-nous?! Ce n'est pas parce qu'il me reste 23 km à faire pour rejoindre Saint-Quentin que je dois me priver d'une bière forte! Philosopher, c'est aussi contester! Et puis, c'est le premier jour de mes vacances, que diable! Santé à tous!

Pendant le débat, j'ai été pris d'un irrésistible fou rire, que j'ai eu beaucoup de mal à calmer. Pas très sérieux, pour un prof de philo. Justement, ne me fallait-il pas montrer que la philosophie peut sortir du sérieux, des conventions, de l'académique? Ce qui m'a fait partir, c'est qu'une dame, en mangeant sa tarte, a fait tomber un morceau sur sa robe, et que le morceau est resté tranquillement sur sa poitrine quelques secondes avant qu'elle s'en aperçoive. C'est idiot mais j'étais plié. C'est l'histoire de Pascal et du prêtre qui provoque les rires à cause d'un rien malencontreux. Mais qu'est-ce ça fait du bien! Autant que de penser!

A la fin, je suis allé voir Magali. C'est une brave femme, pas du tout le profil philo intello. Et pourtant, ses yeux brillaient, je vous jure, d'avoir assisté à cette séance et d'y avoir un peu participé. Je crois même qu'elle était fière d'avoir abrité, dans son café de routiers plus que de penseurs, un café philo. Elle m'a dit, émerveillée, avant que je ne la quitte: "La philosophie, c'est infini". Pour cette phrase-là, pour ces yeux-là, ma mission sur cette terre, dans cette vie, est justifiée, accomplie, satisfaite. Le reste, les diplômes élevés, les cours magistraux, les colloques savants, la reconnaissance intellectuelle, deviennent secondaires. Je peux même ce soir mourir. Mais je vais quand même attendre si possible quelques dizaines d'années.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Monsieur Mousset, avoir des fou rire, je demande à voir.
je croyais jusqu'à aujourd'hui, que c'était aussi impossible que puisse l'être le fait que le Surhomme existe.

Anonyme a dit…

Article assez émouvant..

grandourscharmant a dit…

Pourquoi attendre,
vous ne ferez jamais mieux.

Emmanuel Mousset a dit…

Si vous parlez du Surhomme de Nietzsche, il existe, du moins il est possible, selon le philosophe. De même mon fou rire, peut-être invraisemblable mais bien réel.

C'est ce qu'on appelle un comique de situation (la dame, le morceau de gâteau, l'influence de la Leffe sur mon esprit). Or je ne me retrouve pas si souvent dans ce genre de situation, surtout au lycée.

Ne demandez donc pas à voir, ne jouez pas les saint Thomas. Il vous suffit de croire.

Anonyme a dit…

Mais je suis sceptique.

Manuel Caré a dit…

Très content Emmanuel de tes appréciations, d'autant que j'étais à l'origine du déplacement du Café philo au Patmag. C'est un risque que j'ai voulu courir. Lise m'a suivi sans réserve. Ton animation était sans faille avec ce qu'il faut d'ironie et de sérieux. Merci encore. Manuel