vendredi 31 octobre 2008

Les surdoués n'existent pas.

Le quotidien "Aujourd'hui" du 24 octobre a consacré un article aux surdoués (page 11), intitulé "A l'école des enfants surdoués". J'apprends ainsi que près de 400 000 enfants sont dans cette situation. Quelques écoles spécialisées les accueillent. La directrice de l'une d'entre elles tient ces propos, assez surprenants, au sujet des surdoués: "Ils ont une structure mentale qui fait d'eux des inadaptés scolaires. La plupart du temps, ils sont considérés comme de mauvais élèves". Incroyable, non?

Le chapeau de l'article était dans la même veine: "Etre surdoué n'est pas un gage de réussite scolaire. Beaucoup deviennent même des cancres". La légende dorée du surdoué semble ainsi s'écrouler. A vrai dire, je n'y ai personnellement jamais cru. Avez-vous connaissance d'un adulte surdoué? Moi pas. Le mot est appliqué seulement aux enfants. Mais à quoi sert-il d'être surdoué si on cesse de l'être en devenant adulte?

C'est pourquoi le terme d' "enfants précoces" me paraît mieux adapté, plus juste. Il y a des enfants qui sont mentalement, psychologiquement en avance sur d'autres, mais les surdoués, au sens rigoureux, n'existent pas (je ne sais même pas si un "enfant doué" signifie quoi que ce soit!). Je connais de bons élèves, des sujets brillants, des enfants cultivés, des personnalités vives, des esprits intelligents, mais le surdoué, c'est une chimère.

Bien sûr, il existe un instrument de mesure, un critère qui se veut scientifique: le QI, quotient intellectuel. Je n'y crois pas plus qu'au concept de surdoué. Les grands savants, écrivains et artistes, avaient-ils des QI très élevés? Il ne me semble pas. Pourquoi donc le surdoué est-il une figure à la mode, dont on parle, qui suscite la curiosité, jusqu'à rechercher chez nos propres enfants s'il n'y aurait pas, par hasard, un... surdoué?

C'est l'époque et la société qui nourrissent cette illusion: jamais l'enfant n'a été autant roi, il fallait bien qu'il soit aussi un peu plus que cela, c'est-à-dire un génie. Le narcissisme des parents est comblé, ravis qu'ils sont de voir le fruit de leurs entrailles accéder à cette supériorité, à ce privilège. En démocratie, les titres de noblesse ont disparu, l'excellence héréditaire aussi. Il fallait bien tenter de les remplacer par autre chose. De plus, le surdoué est une image contemporaine exemplaire: à la fois dominateur et victime. On le plaint et on l'admire. Qui dit mieux?

jeudi 30 octobre 2008

Acireph.

Connaissez-vous l'Acireph? Non, ce n'est pas une divinité égyptienne, c'est un sigle, qui désigne l'Association pour la Création des Instituts de Recherche sur l'Enseignement de la Philosophie. J'y suis adhérent depuis plusieurs années. C'est un regroupement de profs de philo qui veulent faire bouger la discipline. Chaque matière enseignée a son association de collègue, sorte de corporation qui défend les intérêts matériels et moraux des enseignants en question. Mais l'Acireph se refuse au corporatisme, à la défense de la philosophie telle qu'elle existe sans se demander ce qu'elle devrait être.

Or l'école, les élèves, la société ont changé. Pourquoi l'enseignement de la philosophie devrait, lui, demeurer éternel? Que la philosophie soit immuable et traverse, imperturbable, les siècles, c'est un fait d'Histoire. Mais sa transmission, sa pédagogie doivent nécessairement s'adapter, comme toute bonne pédagogie. C'est pourquoi l'Acireph avance quelques propositions iconoclastes, par exemple commencer la philo en classe de Première ou l'étendre aux lycées professionnels. Ses principes sont au nombre de 10, je vous les décline:

1- La philosophie est une discipline scolaire, et pas un art de la pensée.
2- Enseigner la philosophie est un métier, pas une vocation, un sacerdoce ou une géniale inspiration.
3- Cet enseignement doit être diversifié pour être démocratisé.
4- La philosophie ne sert pas seulement à philosopher, mais est utile dans toute situation de réflexion.
5- La philosophie doit être redéfinie dans ce qu'elle a d'élémentaire.
6- La philosophie et les savoirs doivent être articulés.
7- De même, il est nécessaire d'articuler la philosophie et l'oral, les usages de la langue.
8- La philosophie est une matière vivante, pas une langue morte, une curiosité de musée, un savoir académique.
9- Il faut sortir la philo de la Terminale, son ghetto scolaire.
10- La formation et les concours doivent être remodelés.

mardi 28 octobre 2008

Un nouveau lycée.

On parle de la réforme du lycée depuis plusieurs semaines et je ne l'ai pas encore abordée. Peut-être parce que j'ai toujours entendu parler de réforme du lycée et que ça ne s'est jamais fait, ou si peu! Là, j'ai l'impression que c'est du sérieux.

De quoi s'agit-il? D'objectifs qu'à première vue je partage: en finir avec le lycée napoléonien, la trop grande spécialisation, la hiérarchie discriminatoire des voies (générale, technique et professionnelle) et des séries (scientifique, économique et littéraire). D'accord, mais pour faire quoi? Un lycée qui favorise l'autonomie et la polyvalence des élèves, l'individualisation de l'enseignement. Très bien, mais on fait comment? Je retiens deux principes: la fin de la classe ( remplacée par des modules), la fin des trimestres (remplacés par deux semestres) et la réduction des heures de travail (30 heures, contre les 35 heures maxi aujourd'hui). Une révolution, quand même!

Voilà les grandes lignes du projet ministériel, applicable en Seconde à la rentrée 2009:

Les 30 heures hebdomadaires se déclinent en 21 heures d'enseignements généraux, tronc commun obligatoire, constitué de français, maths, histoire-géo, sciences, langues et sport. A quoi s'ajoutent 6 heures de modules: humanités, sciences, sciences de la société, technologie, et 3 heures pour l'accompagnement, le soutien.

Sur le papier, c'est séduisant. Mais dans la réalité? Et tout n'est pas arrêté: il faut fixer les horaires des disciplines dans le tronc commun, et rien n'est encore décidé pour la Première et la Terminale. Que devient la philo dans tout ça? Et vous, qu'en pensez-vous?

lundi 27 octobre 2008

Lectures de vacances.

Le temps des vacances, c'est pour moi le temps de la lecture. En dehors, je lis, mais trop peu, faute de temps. J'ai adopté récemment un principe: au bout de 30 pages, si je n'accroche pas, je laisse tomber. Avant, je me forçais à aller jusqu'au bout. J'ai abandonné ce scrupule. Au pire, je feuillette, mais je ne perds pas mon précieux temps à m'ennuyer au dessus des pages. Ainsi, je sélectionne rapidement, et c'est beaucoup plus profitable.

Vendredi dernier, avant de quitter le lycée, j'ai fait un tour au CDI, Centre de Documentation et d'Information, que je ne me résigne pas à appeler autrement que "la bibliothèque". Mais il est rare que je sois une journée au lycée sans y passer. Cette fois, je voulais faire le plein pour les vacances. Le CDI, que je fréquente depuis que je suis ici, c'est-à-dire 14 ans, ne me lasse jamais. J'y trouve toujours mon bonheur, même si la grande majorité des ouvrages n'ont pas changé.

J'ai pris 5 titres pour ces vacances de Toussaint, je vous les confie:

- "Loin de moi", de Clément Rosset, philosophe, paru en 1999, aux Editions de Minuit. C'est une réflexion sur l'identité personnelle qui fait mentir le socratique "Connais-toi toi même".

- "L'aîné des Ferchaux", de Georges Simenon, en poche, Folio. Il n'y a pas de bonnes vacances sans un bon Simenon. Celui-là est en plus un grand Simenon, avec la particularité exceptionnelle chez cet auteur de faire 433 pages.

- "La Diabolique de Caluire", de Pierre Péan, au Livre de Poche, 1999. J'aime les biographies. Une vie, n'importe laquelle, ça fait toujours réfléchir, surtout quand c'est celle de Lydie Bastien, la maîtresse de René Hardy, grand résistant passant pour celui qui a donné Jean Moulin. L'histoire d'une aventurière.

- "Saint-Germain ou la négociation", de Francis Walder, Folio. Le téléfilm sur France 3 en juillet, avec Jean Rochefort, m'avait époustouflé. Ce récit du traité de paix de 1570 entre catholiques et protestants est un petit bijou, une réflexion sur la diplomatie qui a valu à Walder le prix Goncourt en 1958.

- "Socrate dans la nuit", de Patrick Declerck, roman paru en 2008 chez Gallimard, à la NRF. Ce prof de philo raconte une histoire vraie, celle de sa maladie qui le condamne à brève échéance. D'où le titre.

Cinq ouvrages, donc, mais combien survivront à la règle des 30 pages? Réponse à la fin des vacances.

dimanche 26 octobre 2008

L'école agressée.

Pézenas, dans l'Hérault, jeudi après-midi: une institutrice se fait agresser par une mère d'élève, qui lui reproche de ne pas avoir laissé sa fille aller aux toilettes. L'enseignante est tirée par les cheveux, jetée à terre et frappée. L'agresseur n'est pas interpellé.

Athis-Mons, dans l'Essonne, vendredi après-midi: le proviseur du lycée Marcel-Pagnol est agressé, lors de la cérémonie de remise des diplômes du bac, par le petit ami d'une ancienne élève. Il reçoit un coup de poing à l'oeil, le conseiller principal d'éducation est touché à la mâchoire.

Saint-Quentin, dans l'Aisne, chez moi, ce matin: un gros titre barre la une du Courrier Picard: "Un enseignant accusé d'être violent et raciste". C'est fort, c'est accablant. J'achète bien sûr le journal. L'histoire, c'est une mère d'élève de la maternelle Camille-Desmoulins qui porte plainte parce qu'un enseignant l'aurait bousculée et injuriée. La vérité? "L'affaire est délicate, faite de suspicions, de témoignages, mais à ce jour d'aucune certitude". C'est la première phrase de l'article. Mais ce que les lecteurs retiendront, ce qui les marquera, ce n'est pas cette prudence élémentaire, c'est la manchette du quotidien. L'enquête est en cours. Les représentants des parents d'élèves soutiennent l'instituteur.

Ces trois incidents ne sont pas des faits divers mais des signes préoccupants et récurrents d'une époque: d'un côté l'école est célébrée, de l'autre elle est agressée. On déplore souvent la crise de l'autorité, on critique le manque de respect de la jeunesse, mais les adultes eux-mêmes donnent le mauvais exemple. La mort de Jean-Luc Bubert n'aurait-elle donc servi à rien?

samedi 25 octobre 2008

Jean-Luc Bubert.

Vous souvenez-vous de Jean-Luc Bubert? C'était il y a un peu plus d'un mois, ce professeur de physique-chimie au collège Savart à Saint-Michel dans l'Aisne se donnait la mort, quelques heures après avoir été accusé de violence par un élève. Reportez-vous à mon billet du 20 septembre, "Un prof est mort". Depuis, la justice a fait son travail, qui prend toujours du temps. La conclusion? L'élève a menti, le professeur était entièrement innocent.

Quelles leçons devons-nous tirer de cette tragédie? D'abord qu'il faut cesser de placer la parole de l'enfant ou du jeune au dessus de tout. Elle n'est pas parole d'évangile. Elle mérite l'attention et le respect, pas plus, pas moins. Elle vaut la parole de l'adulte. Qu'ensuite le certificat de complaisance (un faux) délivré par le médecin est un scandale qui ne doit pas rester sans suite. Qu'enfin il est anormal qu'un enseignant soit retenu 7h30 dans les locaux de la gendarmerie pour un coup de poing qu'il n'a jamais donné et une dent qui était d'avance cassée.

Même si l'enseignant avait fauté (nul n'est parfait ou infaillible), le problème devait d'abord être traité au sein de l'établissement, et en dernier recours seulement devant la justice. Qu'est-ce qu'une société qui fait arrêter ses enseignants par des gendarmes sur la foi d'un gamin? Qu'est-ce qu'un monde où un professeur est placé en garde à vue, comme n'importe quel individu menaçant la société? Cette société-là est sûrement malade. Si elle aime ses enseignants, comme elle le proclame souvent, elle ne les traite pas comme ça.

vendredi 24 octobre 2008

Bonnes vacances.

A 13h00 s'est terminé mon dernier cours avant les vacances de Toussaint, comme on les appelle. Vacances pour les élèves, pas nécessairement pour les enseignants. Trois paquets de copies m'attendent, le deuxième devoir depuis le début de l'année, un travail dans les conditions du bac, samedi dernier, au lycée. J'ai souhaité de bonnes vacances à mes élèves, mais aussi bon travail, car eux aussi ne devront pas chômer: je leur ai donné au choix trois sujets, à me rendre pour le jour de la rentrée. Il ne faut pas qu'ils perdent la main.

Avec ces vacances se termine le début de l'année. Désormais, je connais mes classes et je peux faire un premier bilan. Non pas en termes de résultats, c'est encore trop tôt, mais du point de vue de leur état d'esprit, de leur discipline. C'est important, c'est essentiel même, le cadre dans lequel un groupe travaille. En gros, je suis satisfait.

Aucune de mes trois classes ne pose de réelles difficultés. C'est un soulagement. A la rentrée, un professeur n'est sûr de rien. Il redoute par dessus tout la classe incontrôlable, les éléments perturbateurs, les situations dans lesquelles on ne peut guère travailler. En début de carrière, j'étais confronté à ce genre de problème. Maintenant c'est fini. Mais je reste vigilant. Moi aussi, je ne dois pas perdre la main.

A mes élèves et à mes lecteurs, je livre, en ce début de vacances, ces deux extraits d'un ouvrage dont je vous donnerai après le titre et les références:

"Les philosophies ne sont pas des points de vue, mais des points de vie, des terres grasses où fleurissent, même tige, le dogme et le doute, et la question n'est pas tant de savoir si elles disent vrai, que si elles chantent juste" (p.90).

"Tout philosophe est un innocent de haute lutte, un résistant, un homme du soleil qui persiste à tenir pour énigmatique l'univers qui va de soi (...) La philosophie n'est ni un combat de concepts, ni un arsenal d'injonctions, ni même une méthode pour mieux vivre. La philosophie conquiert le monde en le laissant intact, la philosophie, c'est un jeu d'enfant" (p.92).

J'aime bien, c'est tiré de "La philosophie - un jeu d'enfant", Fayard, 2007, signé Raphaël Enthoven. Pour l'anecdote, ce prof de philo a été le mari de Carla Bruni.

Bonnes et studieuses vacances (mais ce blog restera ouvert).

jeudi 23 octobre 2008

Jean-Jacques, de 17 à 18.

C'est demain les vacances, les premières de l'année scolaire. Cela se sent un peu chez les élèves.

17h00-18h00: mon heure de philo avec les TES2. Un créneau pas facile, où tout le monde est plus ou moins fatigué, moi le premier, car c'est ma 7ème heure d'enseignement de la journée. Nous terminons cependant un très beau texte de Rousseau afin d'illustrer la notion "autrui". Je vous donne les références: Essai sur l'origine des langues, chap.9, Ed. Flammarion, coll. GF, 1993, pp.83-85.

Jean-Jacques traite dans cet extrait du rejet de l'autre. Il l'explique par l'ignorance et la haine de la différence, qui va de pair avec l'amour du semblable. Le philosophe illustre sa thèse par l'exemple des premiers hommes, sauvages et barbares. Je reproduis ces quelques lignes, magnifiques:

"N'ayant jamais rien vu que ce qui était autour d'eux, cela même ils ne le connaissaient pas; ils ne se connaissaient pas eux-mêmes. Ils avaient l'idée d'un père, d'un fils, d'un frère, et non pas d'un homme. Leur cabane contenait tous leurs semblables; un étranger, une bête, un monstre étaient pour eux la même chose: hors eux et leur famille, l'univers entier ne leur était rien. De là les contradiction apparentes qu'on voit entre les pères des nations: tant de naturel et tant d'inhumanité, des moeurs si féroces et des coeurs si tendres, tant d'amour pour leur famille et d'aversion pour leur espèce."

mercredi 22 octobre 2008

Amour de l'école.

Ce matin, en commençant mon cours, à 8h00, j'ai pensé à François, le prof de lettres du film "Entre les murs". J'ai pensé à lui, mais pour penser à moi, la grande chance que j'ai d'enseigner en Terminale, au lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin, la grande chance d'avoir des élèves à peu près calmes, qui ne se battent pas entre eux au beau milieu de la classe, qui ne m'interpellent pas en cours. Bien sûr, mon métier a ses difficultés, mais tout de même beaucoup moins grandes que celles auxquelles s'affronte François.

Ce film, sur lequel je veux revenir, est-il pessimiste, comme le croient certains? Certes, la violence règne, l'enseignement semble inutile, impossible. En apparence, la déprime et l'échec l'emportent. En apparence seulement. Car je vois de l'espoir, et même de la joie dans ce beau film. D'abord, les élèves parlent, mal, brutalement, parfois stupidement, mais ils parlent, ils échangent. Pour un prof de lettres, c'est l'essentiel, non? Le pire, et il m'est arrivé de le vivre, c'est le silence, l'absence, l'indifférence, la mort de la classe. Dans "Entre les murs", nous sommes du côté de la vie. C'est énorme, c'est formidable.

François abat un gigantesque travail pour capter et captiver sa classe. Et il n'y parvient pas si mal! Il se donne, moralement, physiquement. Et il obtient. Il sème et récolte. Quoi? Un sourire, une attention, un regard, et au bout du compte, du travail. Et ça prend, ça marche. Modestement bien sûr, mais réellement. Il réussit quelque chose de très beau: redonner de la fierté aux élèves. C'est ça, je crois, l'école républicaine. Car ses élèves sont des enfants d'exclus, de pauvres, d'immigrés. Allez vous étonner qu'ils n'adhèrent pas au système, comme le font sans se poser de questions les fils et les filles de bourgeois.

C'est pourquoi je ne comprends pas la critique de Nicole Aurigny, ancienne prof de lettres au lycée La Ramée, qui intitule son article dans le bulletin de Force Ouvrière: "Mépris de l'école, mépris des élèves". Je pense, je sens exactement le contraire en voyant ce film (je n'ai pas encore lu le livre): amour de l'école, amour des élèves. La fin aussi est belle: ce match de foot entre élèves et enseignants, pour terminer l'année, avec le principal comme goal... cravaté!

La communauté se ressoude dans le jeu, dans la joie. Ce n'est pas grand-chose là encore, mais c'est beaucoup. On attend trop de l'école de grandes choses, et l'on a raison. C'est faire honneur à l'institution. Mais on devrait apprendre à en apprécier les petites choses tellement précieuses, ses victoires ordinaires et banales qui font avancer les élèves, qui précisément les élèvent vers autre chose qu'eux-mêmes.

mardi 21 octobre 2008

Entre les murs.

Un bon Ciné-Philo ce soir: 160 personnes pour le film de Laurent Cantet, "Entre les murs", Palme d'Or à Cannes cette année. Une centaine sont restées pour débattre. J'ai beaucoup aimé ce film, même si je ne me suis pas reconnu dans la situation décrite, un collège de banlieue parisienne qu'on peut qualifier de "difficile". Mais c'est un bel hommage rendu à la profession d'enseignant, à la peine que nous avons de transmettre des connaissances et de former des élèves, et aussi à ses plaisirs, à ses satisfactions, à ses victoires. Car enseigner est un combat, jamais gagné d'avance, jamais complètement perdu, toujours à recommencer.

Les réactions après le débat m'ont fait comprendre, même si je le savais déjà, l'originalité du Ciné-Philo, qui ne fait qu'implanter au cinéma les méthodes du Café-Philo (du moins tel que je le pratique): une totale liberté dans une totale discipline. J'ai envie de dire: une totale liberté grâce à une totale discipline. Attendre son tour de parole, s'exprimer dans le micro, s'adresser à tout le monde, n'interrompre bien sûr personne. Les non habitués ont été surpris, ont parfois trouvé les échanges violents: mais c'est ça la liberté, quand on est dérangé par le ton et les idées d'autrui.

Quelques-uns se sont étonnés que je n'intervienne pas assez personnellement dans le débat. Mais non! J'en suis l'organisateur, pas l'intervenant, encore moins le conférencier. Je suis là pour susciter des réactions, pas pour expliquer le film, ni même donner mon point de vue. La mesure de ma réussite, c'est lorsque j'ai peu besoin de parler, lorsque les interventions de la salle sont nombreuses et très variées. C'était ce soir le cas. Voilà pourquoi c'était très réussi.

lundi 20 octobre 2008

Mon vieux militant.

Un week-end sans commentaires, parce que j'étais très pris par... l'Education Nationale. Samedi, réunion à Paris des présidents et secrétaires généraux de la Ligue de l'enseignement, un peu en état de crise: les subventions vont diminuer, il faut riposter. Les activités péri-scolaires, proposées par les associations d'éducation populaire, ce n'est pas rien, il faut se battre pour les garder.

Dimanche, journée de manif à Paris, contre les suppressions de postes dans les écoles, collèges et lycées: près de 100 000 durant le quinquennat, 1/10 des effectifs. Quelle entreprise ne réagirait pas en subissant une telle saignée? La baisse démographique n'explique pas tout. Dans le cortège, certains slogans, rares, ne me conviennent pas: "on va leur botter le cul à ces guignols", "pas de négociation". Les sages professeurs sont aussi parfois atteints par des poussées de radicalisation, une fièvre dans laquelle je ne me reconnais pas.

Mais manifester, est-ce que ça sert à quelque chose? Un vieux militant, dans le car qui nous ramenait à Saint-Quentin, a fort bien répondu: on ne sait pas si ça sert à quelque chose, mais si on ne fait rien, on sait qu'il ne se passera rien.

Ce matin, au lycée, j'apprends le taux de participation à l'élection des représentants du personnel au conseil d'administration: 43%, encore moins que l'an dernier, qui déjà affichait un résultat en baisse par rapport à l'année d'avant. J'ai repensé alors à mon vieux militant, qui avait passé son dimanche à Paris, par devoir, sans se poser de question: voter, ça ne sert peut-être pas à grand-chose, mais ne pas voter, ça ne sert strictement à rien. Que deviendra l'école lorsque tous les vieux militants auront disparu, quand une génération aura passé?

vendredi 17 octobre 2008

Une journée ordinaire.

9h00 ce matin: j'entre dans la salle de vote pour l'élection des représentants du personnel au conseil d'administration, côté lycée. Je jette un coup d'oeil côté collège: stupeur! Des tables vides de tout bulletin de vote, une urne tout aussi vide, des isoloirs sans personne. Qu'est-ce qui se passe? On m'explique: aucun liste syndicale, aucun enseignant candidat. C'est la première fois depuis 14 ans que j'exerce à Henri-Martin!

Je sais, les pouvoirs du CA sont limités, mais réels. La politique de la chaise vide n'est pas une politique. Je suis très inquiet: la démocratie représentative en prend un coup, le syndicalisme est affaibli, la radicalisation a de beaux jours devant elle. Elle pourra se développer en toute irresponsabilité, ne jamais rien proposer, ne pas négocier. Catastrophique...

10h00, en salle des profs: une collègue me parle de la confidence que lui ont faite deux élèves à propos de mes cours. "Monsieur Mousset ébranle nos certitudes", au sujet d'une réflexion de ma part sur le désir et sur l'amour. Est-ce cela un prof de philo, quelqu'un qui "ébranle les certitudes"? Sûrement mais pas seulement. C'est tout autant quelqu'un qui initie à des méthodes de pensée, au goût pour la rigueur, à la pratique de l'argumentation, à la recherche de la vérité. Et moi aussi, mes certitudes étaient ébranlées, quand une heure plus tôt je constatais le vide du bureau de vote du collège...

15h00: conférence de presse (on dit plutôt maintenant point-presse) au multiplexe de Saint-Quentin, en compagnie de sa directrice et du président du Festival international Ciné-Jeune. Objectif: présenter notre Ciné-Philo de mardi prochain consacré à la Palme d'Or de cette année, "Entre les murs", consacrée à la vie d'une classe dans un collège. Le film passionne et divise les enseignants. J'ai envoyé des invitations à tout ce que Saint-Quentin compte d'acteurs et de partenaires de l'Education Nationale. Je souhaite bien sûr un beau débat. On verra mardi.

18h30, Guise, au Centre social: je devais animer une rencontre dans le cadre de la Semaine des Parents, autour de la question: "Les parents d'aujourd'hui sont-ils heureux?" Mais aucun parent, donc pas débat. Deux élèves à moi étaient présentes. Sinon personne. Peut-être que la question est inutile, que les parents d'aujourd'hui sont évidemment heureux? Je n'en sais rien, je rentre à Saint-Quentin. La journée aura commencé par un vide, celui d'une procédure démocratique, elle se sera terminée sur une absence, celle d'un débat à prétention philosophique.

20h00, chez moi, devant mon ordinateur: Simon, un élève d'Henri-Martin (pas dans mes classes) qui représente l'UNL (Union Nationale Lycéenne), un syndicat lycéen, m'envoie un courriel très enthousiaste, très militant, qui se termine par cette phrase: "L'union fait la force, alors professeurs et élèves, mobilisons-nous pour défendre nos intérêts communs". Il a appris que je représentais dans l'établissement le SE-UNSA, syndicat enseignant, et s'adresse à moi à ce titre-là. Le vide atterrant de ce matin se remplit, l'espoir renaît un peu.

Sur mon répondeur téléphonique, un parent d'élève m'avertit que sa fille ne sera pas présente au devoir surveillé de demain, le premier de l'année, en quatre heures, dans les conditions du bac. La cause: son grand-père est décédé, elle va à l'enterrement dans le sud de la France. Le père me précise qu'elle sera en cours lundi. Sa prévenance n'était pas indispensable. J'aurai bien sûr compris. Mais il a suivi ce que j'ai demandé à sa fille, et à tous mes élèves: dès qu'il y a problème, prévenez-moi. Comme quoi l'autorité et le respect des profs ne se perdent pas.

jeudi 16 octobre 2008

Surprise, surprise.

Un élève de TL2 sera plusieurs jours absents, participant à un jury de festival de cinéma. Il a laissé dans le casier de chaque professeur un petit mot d'explication et d'excuses, après leur en avoir parlé oralement. Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer sa dernière phrase:

"Bien entendu, je rattraperais les cours, prendrais les devoirs et rendrais les devoirs-maisons avec autant de sérieux que si je n'étais pas absent".

"Avec autant de sérieux que si je n'étais pas absent": c'est joli, non?

En ECJS, avec les 1L1, j'ai abordé les partis politiques, toujours dans le cadre de notre réflexion sur la Vème République, en préparation de la venue de Jean-Louis Debré en novembre. Pas facile, parce que 15 jours séparent deux cours. La dernière fois, ça ne s'était pas très bien passé, je ne les sentais pas motivés. Aujourd'hui, ça allait.

J'ai expliqué le fonctionnement des partis, le rôle des adhérents, la droite, la gauche, les extrêmes. Finalement, les élèves connaissent pas mal de choses. Mais Cohn-Bendit, ça ne leur disait rien! Sur 11 élèves, une seule va bientôt pouvoir voter, aux prochaines européennes. J'ai laissé chacun s'exprimer sur ses convictions politiques.

O surprise, là où je m'attendais à un rejet de la politique, un refus de se positionner, un manque d'intérêt pour la chose publique, j'ai entendu des élèves concernés, avec des points de vue très arrêtés, capable de choisir entre la gauche, la droite et leurs différents partis. Sur 11 élèves (nous travaillons en demi-groupe, il n'y a que des filles), 2 seules ont manifesté leur indifférence à l'égard de la politique et se sont montrées dans l'incapacité de faire un choix.

Bien sûr, ce n'est pas très élaboré, rarement abouti, on sent l'influence familiale. Mais la détermination est là, et je crois que c'est l'essentiel. A la fin, une élève m'a demandé quelles étaient mes opinions politiques. J'ai répondu que mon devoir d'enseignant, dans une école laïque, était de rester neutre, de ne faire apparaître aucune préférence, de n'exercer aucune influence. Les élèves, en revanche, ne sont nullement tenus à cette réserve, à condition de ne pas verser dans le prosélytisme.

Une autre élève, après le cours, la salle s'étant vidée, est venue près de moi et m'a dit, avec un sourire de malice: "Je connais vos idées: vous êtes... communiste!" Je n'ai pas commenté, en vertu de ce principe de neutralité. Mais c'est bien la preuve que quand on croit savoir, on ne sait pas nécessairement.

mercredi 15 octobre 2008

La philo à l'hôpital.

Comme l'an dernier, j'ai été sollicité par l'IFSI, Institut de formation en soins infirmiers, pour une conférence à l'hôpital de Saint-Quentin, devant les élèves infirmiers et infirmières de deuxième année. 150 participants, un public pas facile, très étudiant, certains se fichant pas mal de ce que je pouvais dire. Ils sont là pour la médecine, pas pour la philo. Mais justement, la philo est nécessaire et conduit à la médecine!

Dès le début, j'ai dû annoncer la couleur, serrer les boulons, ce qui n'a pas été sans créer quelques remous. Incroyable tout de même, ces gens qui sont quelque part, n'écoutent pas et emmerdent tout le monde. Je déteste ça. J'ai maintenu la pression, 1h20 durant, le temps de la conférence, mais j'ai bien senti qu'à la fin, la salle m'échappait, que le brouhaha montait.

Qu'importe, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette intervention, qui portait sur "Folie et raison", à la demande des organisateurs. Pour moi, l'objectif était de montrer que ces deux termes, qu'on oppose traditionnellement, ne sont pas si éloignés que ça. J'ai structuré mon exposé de la façon suivante:

1- La folie dans le langage ordinaire: que nous apprennent les expressions chargées de la désigner? Avoir un grain, être dérangé, ne pas être net, dérailler, péter les plombs.

2- La folie à travers le corps: des mouvements saccadés, un regard perçant, un rire inquiétant, une souffrance intense sont des signes ou des effets de la folie.

3- L'amour fou: sans raison véritable, embellissant la réalité, s'aliénant à autrui, l'amour rend fou.

4- Dans la tête ne règne pas uniquement la raison, source de cohérence et d'intelligibilité, mais aussi l'imagination, cette "folle du logis" comme l'appelait Pascal, source de toutes nos folies.

5- Tous fous? C'est ce vers quoi je veux aller, avec la folie collective, la panique de groupe (un bel exemple avec la crise financière mondiale!). Au Moyen Age, cette folie était organisée: c'était le Carnaval.

J'ai conclu avec 6 portraits de fous qui passent généralement pour des sages ou des saints: l'homme de pouvoir, le religieux, l'artiste, le savant, l'homme de bien, le philosophe (j'ai terminé par un clin d'oeil, suggérant que j'étais peut-être fou...).

Dans l'assistance, j'ai reconnu et discuté avec une ancienne élève, d'il y a deux ans. Et au retour, un coup de fil de l'Université libre de Cambrai me proposait de faire 4 cours de deux heures chaque trimestre. Je vais réfléchir, mais je vais certainement accepter. A vrai dire j'adore.

mardi 14 octobre 2008

Démocratie lycéenne.

J'ai accompagné mes élèves voter pour les candidats au CVL, Conseil de Vie Lycéenne. C'est une instance installée à l'époque d'Allègre, paritaire, moitié élèves, moitié adultes, chargée de délibérer sur la vie du lycée (hors cours). J'y siège depuis le début, c'est intéressant. Au Conseil d'administration, les élèves sont représentés, mais en minorité, et n'osent donc pas trop s'exprimer, d'autant les sujets sont parfois ardus. Le CVL, ils se sentent plus libres, même si le proviseur préside, et l'ordre du jour est très concret.

Petite innovation cette année: les candidats sont élus sur professions de foi, affichées dans le foyer des lycéens. Du coup, l'élection a pris une allure très électorale, qui m'a bien plu. Je suis aller jeter un coup d'oeil, je n'ai pas été déçu. Certains candidats se sont pris très sérieusement au jeu, avec photos type "homme politique" et textes dans le même style. D'autres se sont montrés plus fantaisistes, plus lycéens.

J'ai noté quelques slogans: un très sarkozyste "Tout est envisageable", un autre plutôt soixante-huitard, "Lutte acharnée pour une salle de musique". On navigue de l'austère au ludique. Je vous donne quelques revendications glanées ici et là:

- Développement de l'aide aux élèves, du tutorat.
- Possibilités de sorties (ciné, etc).
- Non aux journées de 9h (de cours).
- Droit de sortie des internes jusqu'à 18h00 (actuellement 17h00).
- Des poubelles dans le lycée et les abords.
- Un "mur des pensées" (sorte de dazibaos à la chinoise, je suppose).
- "Bal de promo" pour le départ des Terminales.
- Journée déguisée (carnaval, si je comprends bien).
- Distribution de préservatifs.
- Organisation de débats.
- "Lycée vert": tri des déchets, panneaux solaires, mousseurs d'eau.

Un seul candidat fait référence à un syndicat lycéen, l'UNL, Union nationale lycéenne, en demandant la diffusion de son journal dans l'établissement.

Avec toutes ces revendications, vous avez une image assez fidèle des aspirations d'un lycéen d'aujourd'hui.

lundi 13 octobre 2008

Un tour de cochon.

Hier soir, après avoir corrigé les copies de mes TSMP, grosse surprise et petite angoisse: il me manque une dissertation. Je cherche chez moi, je ne trouve pas. J'essaie de comprendre, je ne comprends pas. Mais ce matin, c'est fait, j'ai pigé: l'élève manquant était absent le jour de remise des devoirs, j'ai oublié, il n'a rien dit, et il me répond tout tranquillement qu'il n'a rien fait. INACCEPTABLE! Pour qui me prend-t-il? Pour qui prend-t-il ses camarades? Eux bossent, et lui se donne le droit de ne rien faire. Malhonnête avec ça! Et j'avais prévenu: en cas de problème, m'avertir tout de suite. Lui n'a rien dit, idiotement, puisque sa faute finirait par se savoir.

Je ne l'accepte plus en classe, tant que le travail n'aura pas été fait et rendu. Ce matin, je l'ai conduit illico en permanence, et je ne suis pas près d'oublier le bonhomme et son tour de cochon. J'en ferai état à qui de droit le moment venu. Hier, j'ai appelé sa mère, mais oui, un dimanche soir: je voulais savoir. Pas de réponse et pas de répondeur. Je recommencerai. Enseigner, c'est sanctionner quand il faut, mais toujours expliquer, aux élèves et pourquoi pas aux parents, quand c'est possible. Pas de décision arbitraire, jamais.

Sinon, j'ai débuté comme convenu la dictée, qui prendra probablement près de trois heures. Il leur faut ça, les élèves ont besoin de s'imprégner d'une dissert toute faite, pour voir, sentir, éprouver ce que c'est, ce qu'on leur demande. Et le plus efficace, c'est d'écrire, s'approprier le corrigé en le notant, phrase après phrase, tout au long des 19 pages. C'est un peu pénible, c'est du boulot, bref c'est l'école. Mais c'est efficace. Un corrigé qu'on se contente de lire n'a pas le même effet. Quand on recopie, c'est comme si on était un peu l'auteur.

Cette idée de dictée, qui fait penser à l'école primaire, elle n'est pas de moi. C'est à la fac qu'elle m'est venue à l'esprit, en première année de philo, à Jussieu: le prof, l'althussérien Macherey, avec qui on étudiait L'Ethique de Spinoza, livre IV, nous avait donné comme premier sujet de dissert "A quoi sert la philosophie?" et nous en avait dicté le corrigé. Il voulait même, à moitié en riant, nous le faire apprendre par coeur! Les althussériens, c'est ça, beaucoup de rigueur, un poil d'austérité. J'aimais beaucoup, je m'en suis souvenu, je m'en sers encore aujourd'hui.

dimanche 12 octobre 2008

Heureux dans le mal.

Est-ce parce que j'ai regardé l'excellent "Miami Vice" de Michael Mann qui m'a fait coucher à minuit? Toujours est-il qu'à 03h15, je me suis réveillé, et impossible de me rendormir! Dans ce genre de situation, une seule solution: le travail. J'ai pris mon stylo, un bon paquet de feuilles, et j'ai rédigé le corrigé de la dissertation que je vais dicter demain à mes élèves.

Le sujet, le premier de l'année, vous le connaissez: est-on heureux en faisant le mal? A 7h00, et avec deux cafés très noirs, j'avais terminé. 19 pages en tout, que les classes devront ingurgiter: c'est bon pour les élèves, il faut leur montrer ce qu'est une dissert de philo. Quoi de mieux que de leur en dicter une, de A jusqu'à Z, faite maison, et au beau milieu de la nuit, s'il vous plaît! La préparation au brouillon m'a pris une petite heure, bref cinq heures de travail en tout.

Voilà comment j'ai structuré ma réflexion:

En introduction, je pose le problème: si on est heureux en faisant le mal, c'est tout l'édifice de la morale qui est remis en cause. Et puis, si tout le monde fait du mal à tout le monde afin d'être heureux, n'y a-t-il pas là une impossibilité logique, le mal généralisé interdisant tout espoir de bonheur? A partir de là, je me donne une orientation: montrer que, contrairement à ce qu'on croit spontanément, il y a une forme de bonheur dans le mal, au grand scandale de la morale.

J'attaque mon développement en évoquant l'égoïsme, unanimement condamné par la morale, et pourtant tellement plaisant: être heureux, n'est-ce pas d'abord penser à soi? Puis j'en viens au désir, dont la satisfaction est aussi une définition du bonheur. Et parmi tous mes désirs, certains m'inclinent inévitablement au mal.

Après quoi je passe au bonheur en tant que liberté, qui là aussi implique la liberté de faire le mal, et de m'en réjouir. Plus fondamentalement, on se distingue aux yeux d'autrui, on attire son regard en faisant le mal. Ainsi peut se construire, dans l'obscurité du mal, une identité. Mais ce n'est pas tout: à l'égard d'autrui, il y a un bonheur de la confrontation, de la violence, qui commence dans la cour de récréation, quand les enfants aiment à se bagarrer. Les adultes suivent, dans un jeu autrement plus tragique, mais qui doit plaire puisque l'Histoire ne s'en débarrasse pas: la guerre.

Moins tragique, mais tout aussi jouissif: la rage de détruire, de brûler, de casser, pour manifester sa puissance, pour prouver qu'on existe. Vient ensuite le mal ordinaire, mais cruel, faire souffrir les êtres vivants, sous l'apparence pourtant débonnaire du pêcheur et du chasseur. Par rapport à autrui, encore, qui ne trouve pas agréable de lui mentir, et parfois de le voler? C'est sans doute peu de choses comparés à la haine et à son quasi orgasme.

Le catholicisme nous prévient, en dénonçant les sept péchés capitaux, dont chacun est une délectation, paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère et envie. Mais le mal n'est pas qu'en acte, il est en parole: c'est la médisance, le commérage, la rumeur, quand il est tellement bon de dire du mal des absents. L'amour, le plus grand bien, n'est pas non plus exempt de mal, tant il est vrai qu'on fait aussi souffrir quand on aime.

Le rire, bonheur profond et facile, en apparence inoffensif, tourne vite à la moquerie: on se gausse des malheurs d'autrui. Il y a aussi le mal qu'on fait à soi, croyant se faire du bien, par l'usage excessif de l'alcool et du tabac. Il y a enfin le mal qu'on fait à la société, dans le plaisir de transgresser ses lois.

En conclusion, je nuance fortement mes dires: le bonheur dans le mal est souvent inconscient. Volontairement, on ne le ferait pas, on est donc prêt à y renoncer. Ce contentement dans le mal est aussi temporaire, ses conséquences à long terme sont plus fâcheuses qu'heureuses. Sa fonction est cathartique: on fait le mal pour éprouver le plaisir de s'en débarrasser.

J'espère que demain les élèves auront prévu encre, papier et force dans le poignet, parce que j'ai tout ça à leur dicter.

samedi 11 octobre 2008

Promis juré!

Nous poursuivons avec les TL2 la liberté. Mais en a-t-on jamais fini avec elle, en philosophie? Cette fois, le sujet de dissertation est moins conventionnel que le précédent: promettre, est-ce renoncer à sa liberté? Un bien beau sujet, et ce n'est pas le cas de tous ceux posés au baccalauréat... Mais promettre, n'est-ce pas nécessairement renoncer à sa liberté? On s'engage, on ne peut pas reculer, on tient parole parce qu'on est "tenu" par sa parole. Si nous n'étions pas en philo, la question serait vite réglée, comme vous le constatez.

Mais en philo, ça ne se passe pas comme ça, aussi facilement. Il faut prendre au sérieux la question, l'analyser et la problématiser. De la façon suivante: promettre relève de la moralité, c'est un acte admirable. Cependant, la liberté est un état non moins admirable, le propre et la grandeur de l'homme. Comment est-il concevable de promettre et, ce faisant, de nier notre liberté? "Y a quéqu'chos' qui cloch' là-d'dans, j'y retourne immédiat'ment", chantait Serge Reggiani en reprenant Boris Vian. En philo, c'est pareil.

En discutant avec les élèves, nous trouvons cinq idées:

1- Promettre n'interdit pas de trahir sa promesse. Nous gardons cette possibilité, et certains ne s'en privent pas. Mais cette liberté n'existe que par le mal, ce qui est tout de même embêtant.

2- Ne pas tenir une promesse n'est pas nécessairement un mal. Promettre, c'est s'engager par rapport à un futur, proche ou lointain, qu'on ne connaît pas vraiment. Alors, il est toujours possible que la situation change, que les circonstances évoluent, que la promesse ne "tienne" plus alors qu'on serait prêt à la tenir. Une promesse devenue inutile, désuète, il est sage, intelligent, moral de ne pas la tenir.

3- Promettre, c'est renoncer à une liberté, celle de faire autre chose que ce que j'ai promis, ce n'est pas renoncer à toute sa liberté.

4- Personne ne nous oblige à promettre, sinon ce serait un ordre, et quand c'est la conscience qui nous presse, on a affaire à un devoir. Au départ, la promesse relève d'un choix, elle exprime donc notre liberté.

5- Promettre, c'est s'adresser à l'autre, établir une relation positive avec, lui apporter quelque chose, l'objet de la promesse, et en ce sens, quoi qu'on promette, on augmente sa liberté, en sacrifiant une petite part de la nôtre.

En conclusion, nous soutenons que loin de renoncer à la liberté, la promesse l'intensifie. De plus, promettre nous libère de la plus grande des prisons, le temps (une notion au programme). Car en anticipant l'avenir, la promesse le rend présent. De ce point de vue, elle abolit le temps.


PS: je salue mon ancien élève, Antoine, qui a laissé un commentaire à la suite du billet "Nostalgie lycée". Je lui précise que Lucas a peut-être été intéressé par le bouddhisme non seulement à cause du cours sur la religion mais de la petite conférence que j'avais donnée au CDI et où il était présent, attentif et notant tout, comme à son habitude (c'est ainsi qu'on fait les bons élèves!). Antoine peut bien sûr assister à mes cours, et je lui souhaite bon courage et réussite dans ses études d'histoire à Lille.

vendredi 10 octobre 2008

Furax.

Remise des copies ce matin à mes TES2. Comme pour les L, j'ai noté "large", comme on dit. C'est leur première dissert! Mais les résultats, s'en être franchement mauvais, sont moins bons. Bien sûr, dans leur filière, la philo regroupe moins d'heures et affiche un coefficient moins fort au bac. Ce n'est pas une raison pour négliger cette discipline. Les points sont bons à prendre partout, et ce qui est perdu d'un côté doit être rattrapé de l'autre.

Mes ES ont travaillé, ce n'est pas ça qui est en cause. 5, 6, 7 pages et parfois beaucoup plus, comme je le leur avais demandées, pour s'exercer à rédiger, c'est fait, c'est bien. Non, le problème est ailleurs. Vous vous souvenez, le deuxième cours de l'année a été consacré aux méthodes de la dissertation. J'ai alors donné de nombreux conseils, des recommandations précises, parfois pinailleuses (j'ai l'amour du détail), non par maniaquerie, abus d'autorité ou pour embêter mon monde, mais par souci de voir réussir mes élèves dans une épreuve, la philo au bac, dont je sais combien elle est difficile.

Et je veux qu'ils commencent par le commencement, une bonne présentation, une écriture claire, une rédaction aérée, une réflexion graphiquement structurée. Je le leur ai dit, j'ai insisté lourdement, c'était il y a un mois, beaucoup ne l'ont pas fait. Ont-ils mal noté, pas compris, pas relu? J'avais pourtant prévenu: vous serez d'abord jugé là-dessus, la présentation, et quelques points de méthode. Parce que sur le contenu, la force des idées, la profondeur de la pensée, je me dois d'être indulgent. Beaucoup manifestement n'ont pas écouté ou pas entendu.

Quelques exemples pour illustrer les raisons de ma fureur: la fin de l'introduction et le début du développement doivent être clairement espacés, pour éviter toute confusion, laisser croire que l'intro continue alors que le développement est commencé. Même remarque pour la fin du développement et le début de la conclusion. Eh bien, j'ai eu droit souvent à une simple ligne d'écart, autrement dire rien.

A l'intérieur du développement, j'ai demandé à ce que chaque idée soit développée dans un paragraphe, de longueur variable (tout dépend l'importance qu'on accorde à l'idée), et à l'intérieur de chaque paragraphe, que chaque argument (des points de vue différents qu'on porte sur une même idée) soit contenu dans un alinéa d'au moins une douzaine de lignes (sinon la réflexion est squelettique). Eh bien, j'ai eu droit à des paragraphes sans alinéas, des alinéas sans paragraphes, ou bien des paragraphes minces comme un filet d'eau, signe d'une pensée hachée, décousue.

La conclusion, c'est important. L'élève donne sa solution au problème de départ, tire les leçons de sa réflexion. Une bonne demi-page, c'est le minimum décent. Eh bien, certaines conclusions sont bâclées en 5 ou 6 lignes! Les exemples illustrant les idées, ils ne doivent pas être particuliers mais universels. C'est très simple, je l'ai dit aux élèves: quand un exemple ne vaut que pour une minorité d'êtres humains, il n'est pas bon car il n'est pas significatif. Quand un exemple concerne la majorité, c'est mieux, car on peut en tirer une réflexion valable. Quand un exemple s'applique à tout être humain, c'est parfait, car c'est l'homme en général qui est concerné.

En ce qui concerne le premier sujet de dissertation de l'année (est-on heureux en faisant le mal?), de nombreux élèves sont allés puiser leurs exemples dans des cas marginaux ou pathologiques: le criminel, le violeur, le braqueur de banque, le sadique, le masochiste, et j'en passe. Mais qu'est-ce que ces situations extrêmes nous apprennent de l'humanité en général? Pas grand-chose. Ce n'est pas l'exception qui peut éclairer la règle, puisque l'une et l'autre sont absolument différentes.

J'étais ce matin furax, mais je les aime bien, mes TES2. Un professeur doit d'ailleurs aimer ses élèves, c'est un devoir sacré du métier. J'ai constaté qu'ils avaient travaillé, je sais donc qu'ils peuvent progresser. Et je suis là pour les y aider. Sur ma table de séjour, il me reste un dernier paquet, les TSMP. C'est pour mon week-end. Et sans Doliprane cette fois-ci.

jeudi 9 octobre 2008

ECJS.

C'est un sigle barbare, comme les aime l'Education Nationale: ECJS, Education Civique, Juridique et Sociale. C'est enseigné au lycée, et c'est ce qu'on appelait autrefois l'instruction civique. Il y a bien sûr un programme, mais l'enseignement est très libre, et non validé au baccalauréat. Il y a aussi une volonté interdisciplinaire. A Henri-Martin, ce sont les profs d'histoire qui s'en chargent, mais ça peut être aussi les profs de philo. Cette année, j'enseigne aux Premières Littéraires, les 1L1.

Avec mes Terminales, je sens la différence. Pourtant, il n'y a qu'un an d'écart. Mais les évolutions sont fortes à cette âge-là. Après, ils ne se passent plus grand-chose, il faut attendre l'épreuve du vieillissement. Mes Premières ont un côté un peu gamin, très spontané, riant parfois sans raison. On dirait des enfants. Nous n'avons que deux heures d'ECJS dans le mois, en demi-groupe. C'est très peu, presque rien. Nous travaillons à tout ce qui a trait à la citoyenneté.

Ce début d'année est un peu particulier. Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, sera à Saint-Quentin le 20 novembre, pour fêter les 50 ans de la Cinquième République. Les élèves le rencontreront. Je dois donc les briefer sur le sujet. On parle institutions, élections, vie politique. C'est un croisement d'histoire, de philo, de droit constitutionnel, de sciences po, bref c'est l'ECJS!

Tout ça mené très librement, pas dans un cours traditionnel (on n'a pas le temps et ce n'est pas le but) mais dans une libre discussion avec les élèves. Les connaissances, ils les ont, plus ou moins, acquises les années précédentes, ou bien glanées dans l'actualité. A moins de les préciser, compléter, de leur donner forme, de les rendre vivantes. L'idée de l'ECJS, ce n'est pas de faire des élèves, c'est de faire des citoyens.

mercredi 8 octobre 2008

Liberté chérie.

Bonheur, désir, autrui, nous voici arrivés avec les élèves à la liberté. On avance, c'est bien. Il ne faut pas traîner, pas ennuyer. Je commence par un sujet apparemment simple (ce sont en philosophie les plus compliqués, et surtout les plus trompeurs): La liberté est-elle notre plus grand bien?

La problématisation, dans l'introduction, est la suivante: que la liberté soit un bien, nous en convenons. Mais est-elle "le plus grand"? C'est tout le problème de cette question. Car d'autres biens peuvent revendiquer, eux aussi, la première place: le bonheur, l'égalité, la justice, par exemple.

Je vous donne mes réponses, mes idées, en un plan succinct:

1- Le bien désigne une valeur morale. Or, la liberté est un fait, un constat, une réalité, notre capacité d'agir. Ce n'est ni un bien, ni un mal, ce ne peut donc pas être "notre plus grand bien".

2- La liberté est un moyen, mais pas une fin en soi. En ce sens, elle peut se mettre autant au service du bien que du mal, y compris du plus grand mal!

3- La liberté, c'est faire ce qu'on veut, sans dire quoi. Elle est donc vide de sens moral, au-delà du bien et du mal.

4- Il y a un bien "plus grand"que la liberté: c'est le bonheur, qui inclut d'ailleurs la liberté.

5- La liberté n'est pas "notre" plus grand bien, car si chacun exprime sa liberté, il en résulte le désordre collectif, qui est un mal.

6- La liberté, loin d'être "notre plus grand bien", est plutôt notre plus grand mal, parce qu'elle n'a pas de limites, est infinie, et en ce sens elle englobe aussi le mal.

En conclusion, j'explique que la liberté est un idéal, de ce point de vue incomparable à d'autres biens, en quelque sorte au-dessus de tout, un absolu, une perfection, dont on essaie de se rapprocher sans jamais l'atteindre.

mardi 7 octobre 2008

Nostalgie lycée.

Les élèves tiennent à leur lycée... surtout quand ils l'ont quitté. Fac, prépa, BTS, IUT, c'est un autre monde, ce n'est plus le lycée. En tout cas, ceux d'Henri-Martin aiment revenir à Henri-Martin. Il y a, je crois, une nostalgie du lycée. Je ne l'ai éprouvée, personnellement, qu'assez tard, il y a quelques années. Devenir à mon tour enseignant, après avoir été enseigné, y est sans doute pour quelque chose. Toujours est-il que je rêve de revenir à ces années 1977-1979, au lycée d'Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées, près de Lourdes. J'ai l'impression d'avoir laissé une part de moi-même là-bas, que j'ai maintenant envie de retrouver.

Mes élèves, c'est différent, c'est un sentiment d'une autre nature: ils ressentent le besoin de revenir au lycée, peu de mois après leur bac. Pas tous bien sûr. Mais regardez l'incroyable succès du site "Copains d'avant" (j'y suis inscrit moi aussi!). C'est le signe d'un attachement, d'une nostalgie. Morgane, l'an dernier en TES2, préparant l'école de police, est venue dans ma classe de... TES2. Elle s'est assise, elle a écouté mon cours, elle a pris des notes, comme il y a à peine quelques mois. Elle n'est certes restée que deux heures, mais tout de même! Je suis étonné.

Justine, une élève elle aussi de l'an dernier, mais en TL, m'a laissé un gentil message sur ce blog (commentaire du 30 septembre). J'avais rencontré sa mère à Auchan, je lui ai donné l'adresse de Prof Story. Justine fait psycho à la fac. Mais elle pense encore philo au lycée. Lucas, dont je vous ai déjà parlé, un brillant élève d'il y a quelques années, gentil comme tout, poursuit ses études au Japon. Il me lit chaque soir, m'a-t-il dit. Un p'tit gars de Ribemont, passé par Henri-Martin, et qui se trouve à l'instant où j'écris à Kyoto. C'est pas formidable! Il vient à son tour d'ouvrir un blog, "Le pont d'où on observe la lune". Joli, n'est-ce pas? Il ne m'en voudra pas, j'espère, de vous donner son adresse électronique: http://lucaskyoto.canalblog.com . Allez voir, lisez, c'est très bien.

lundi 6 octobre 2008

Remise des notes.

J'ai donc remis ce matin leurs premières copies aux TL2. Désormais, rien ne sera plus comme avant entre nous. Ce n'est pas un drame, mais quand même... Jusqu'à ce jour, il y avait égalité entre tous les élèves, dans l'ignorance où j'étais des capacités des uns et des autres. C'est fini, je sais, ils savent, chacun d'eux correspond à une note, une hiérarchie s'est établie, il y a les mauvais, les moyens et les bons, un système de castes au sein de la classe, que je me dois à tout prix de casser.

Pourquoi? Parce que c'est mauvais. Chaque élève doit garder ses chances, jusqu'à la fin, d'avoir une note au moins correcte au bac. Je suis là pour que tout le monde progresse. Et puis parce c'est faux, trompeur. Un élève qui a un bon résultat aujourd'hui peut se planter demain, et inversement. Rien n'est jamais acquis ou définitif. La hiérarchie va bouger, c'est certain, parce que c'est mon travail de la faire bouger, d'amener l'ensemble à s'élever vers une égalité dans la qualité (je n'aime pas ce terme d'excellence, qu'on met à toutes les sauces, qui fait très joli mais qui est excessif).

J'ai rendu les copies comme je les ai prises, avec solennité. Une évaluation, c'est une sorte de consécration, qu'il faut à la fois relativiser et prendre au sérieux. J'ai d'abord expliqué que ces deux heures (oui, c'est le temps que j'ai mis) étaient un cours comme un autre, qui ne dispensait pas de l'attention ni de la prise de notes. J'ai précisé, parce que chaque année, beaucoup d'élèves prennent la remise des copies comme une sorte de formalité administrative, alors qu'il s'agit d'un enseignement à part entière, où je rappelle les conseils à suivre et les erreurs à ne plus commettre.

Des élèves, souvent, ne se sentent plus concernés quand je m'adresse individuellement à l'un d'entre eux pour faire des remarques sur sa copie. Pas de ça, pas avec moi! Dès que les élèves franchissent le seuil de la salle, ils se dépouillent de leur individualité, ils s'intègrent dans un groupe, ils doivent avoir des réactions collectives. Les comportements individualistes, c'est bon pour les couloirs, le foyer ou la cour de récréation. En classe, c'est la règle générale qui s'applique, tout ce qui est particulier est banni. Quand le professeur parle, même lorsqu'il s'adresse à un élève, ses propos valent pour tout le monde. Mon enseignement n'est pas une somme de cours particuliers.

J'ai présenté l'échelle des notes, pour que chacun s'y repère. Car une note seule ne veut rien dire. Chaque élève, pour savoir ce qu'il vaut, doit connaître sa position au sein du groupe. Ceci dit, je suis passé à la remise personnelle des copies, assortie de remarques tout aussi personnelles, généralement rugueuses. Car je ne suis pas là pour flatter les élèves. La note les encourage, les remarques orales les corrigent, à tous les sens du terme. Je commence dans l'ordre croissant des résultats, car ma priorité, ce sont les élèves en difficulté. Les meilleurs m'intéressent seulement s'ils peuvent entraîner les moins bons vers eux. Sinon, ils se débrouillent fort bien sans moi, c'est la définition même du bon élève.

Les élèves n'aiment pas trop cette petite cérémonie un peu cruelle. Elle est pourtant faite pour eux. Personnellement, je m'en passerais. Mais je sais qu'un groupe a besoin de rites pour exister. La remise des copies, telle que je la conçois, en est un, et il n'y en a pas tant que ça. A la sortie, certains élèves vont me détester, d'autres m'admirer. Ces réactions me laisseront parfaitement indifférent. Le seul sentiment que j'éprouverai, très discrètement, c'est celui de la satisfaction, quand je découvrirai leurs notes du bac, en début de juillet prochain.

dimanche 5 octobre 2008

Et d'un!

Ca y est, c'est fait, j'ai terminé en fin d'après-midi mes 32 copies de TL2, je le leur rendrai demain, une semaine après qu'ils me les aient remises. Pas mal! Et la grippe n'a pas eu le dessus. Les résultats? Pas mauvais du tout, un bon profil de classe, et ils ont bossé. A l'exception de trois copies qui n'ont pas suivi ma recommandation de rédiger au moins six pages, toutes les autres sont copieuses, jusqu'à... 17 pages. Je suis donc plutôt content, l'année avec eux s'annonce bonne. Mais il faut demeurer prudent: bon début ne se poursuit pas nécessairement. Tout groupe humain est fragile et peut décliner.

Comme je l'ai dit hier, je n'ai pas saqué. Ce serait contre-productif. 9 élèves seulement n'atteignent pas la moyenne. Pour eux, le résultat est mauvais, par manque de travail ou par un contenu trop insatisfaisant. Et je ne suis pourtant pas très exigeant, pour cette première dissert. 11 élèves obtiennent les notes de 10 et 11. Ce sont les moyens, qui ont fait honnêtement ce que j'ai demandé de faire, sans cependant réaliser une performance (ce qui est tout à fait normal, à ce moment de l'année). 12 élèves ont des notes intéressantes, bonnes ou très bonnes, puisque la plus élevée va jusqu'à 17. Un bon tiers de la classe est donc composé, du moins pour l'instant, d'élèves prometteurs. Ce sera mon levier pour faire progresser l'ensemble. Ce n'est pas chaque année que je peux en dire autant.

Comment j'ai trouvé les copies? Je vous rappelle le sujet: est-on heureux en faisant le mal? Les défauts les plus fréquents ont été les suivants: l'absence de problématisation (il était simple pourtant de constater que cette question remet en cause la morale la plus ordinaire, puisqu'elle suggère que le bonheur aurait sa source dans le mal). Puis certains élèves ont réduit le sujet à une contradiction entre bien et mal, alors qu'il s'agissait du bonheur et du mal. Enfin, certaines copies se sont égarées dans des considérations trop marginales, de nature pathologiques, en citant le sadisme et le sado-masochisme.

Je passe sur les erreurs de forme qui sont parfois commises, malgré mes mises en garde (par exemple le nécessaire et suffisant espace distinguant le développement de l'introduction et de la conclusion). Là-dessus, je ne les lâcherai pas jusqu'à la fin de l'année: la présentation des devoirs doit être impeccable. C'est une question de politesse, vis-à-vis de soi-même et de son correcteur.

Je vous ai parlé vendredi de l'élection des délégués de classe, la très bonne impression que j'en ai eue. Si je vous dis que la meilleure note a été attribuée à l'un des deux délégués, serez-vous surpris? Comme si la classe, d'expérience ou d'instinct, avait choisi les meilleurs pour les représenter. Ce qui est un gage de sérieux et d'efficacité.

Un paquet de fait, deux qui restent à faire: les TES2 et les TSMP. Je m'y remettrai demain après-midi. Le matin, j'ai cours, quatre heures. Et je suis toujours un peu grippé. Le Doliprane n'est pas tout puissant.

samedi 4 octobre 2008

Des copies et du Doliprane.

La table de mon séjour: à ma droite, le paquet de copies de mes TL2 qui baisse, à ma gauche, le tas des copies corrigées qui monte, entre les deux, un verre d'eau et une boîte de Doliprane, à mes côtés, un stylo, un crayon de papier et une gomme. Ca y est, j'y suis, en train d'affronter les premières corrections de l'année, qui pourraient être un plaisir si je n'avais pas une grippe carabinée.

Mais il faut que je m'y mette: dans 15 jours aura lieu le premier devoir surveillé, au lycée, un samedi matin, dans les conditions de l'examen. Il est bon de commencer cet exercice, même au deuxième mois de l'année. Si le pli n'est pas pris maintenant, il ne le sera jamais. C'est pourquoi je dois y préparer mes élèves, en leur rendant avant leur première dissertation "à la maison".

Or, j'ai trois classes, 89 élèves, 89 copies à corriger. J'ai plutôt intérêt à ne pas tarder. Maudite grippe! Combien de temps je consacre par copie? Je n'en sais rien, c'est très variable, tout dépend de la longueur, du contenu, du style, qui accélèrent ou freinent la lecture. Ce que je sais, c'est qu'il ne faut pas trop s'attarder sur une copie. Le bon prof de philo doit avoir le coup d'oeil, jauger rapidement ce qu'il a entre les mains, ce qui va, ce qui ne va pas. On voit très vite si c'est bon, moyen, mauvais, s'il y a du travail ou pas.

J'ai commencé le boulot hier (7 copies), je l'ai poursuivi cet après-midi (9 copies). Pas mal pour un malade. J'ai fait la moitié du paquet. Si je terminais demain, ce serait bien. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on fatigue, passé la cinquième correction. Il faut se concentrer, faire l'effort de comprendre ce que l'élève a voulu dire, relire si besoin est, mettre une note provisoire (d'où la présence à mes côtés du crayon de papier et de la gomme). Et quand on a la grippe...

Ma méthode: je feuillette d'abord la copie, je vérifie le nombre de pages, je vise la présentation, qui me donnent de premières indications. Puis j'attaque le contenu. Je suis extrêmement vigilant sur les recommandations données en classe, dont j'attends qu'elles soient respectées et appliquées. Je suis exigeant quant à la forme et conciliant sur le fond. Mes élèves font de la philo depuis trois semaines, je ne peux pas leur demander l'impossible.

Bref, je ne saque pas. La preuve: sur les 16 copies corrigées, 10 ont la moyenne (jusqu'à 15), 6 ne l'ont pas (mais pas plus bas que 7). Certains collègues, par pédagogie, notent sévèrement au début et se montrent plus souples ensuite. Par pédagogie, je fais l'inverse. Il faut encourager au départ, si l'on veut des progrès ultérieurs. Une bête à qui on a cassé les pattes va difficilement se relever. Après, au bout de quelques mois, je monte la barre, je suis plus exigeant. Mais peu importe la pédagogie, l'essentiel est que les élèves soient prévenus: je ne note pas leur première copie comme je noterai la dernière, je ne corrige pas dans l'année comme je corrige au baccalauréat.

Tiens, je reprendrai bien un cachet de Doliprane.

vendredi 3 octobre 2008

Election des délégués.

J'ai parlé hier de l'élection des représentants des enseignants, je parle aujourd'hui de l'élection des délégués de classe, que j'ai organisée ce matin avec mes Terminales littéraires, dont je suis le prof principal. Ce n'est pas une formalité administrative, c'est même pour moi une épreuve scolaire, une façon de juger mes élèves, leur capacité à exister collectivement, leur esprit de sérieux, leur sens des responsabilités. L'élection des délégués de classe devrait être évaluée, car on apprend beaucoup, à cette occasion, sur la classe.

Généralement, les élèves font n'importe quoi. Ils profitent d'une heure de cours en moins. Les candidatures sont nombreuses, sans grande signification. Les votes sont totalement dispersés, certains se portant sur des non candidats, ce qui prouve le degré de bouffonnerie. La majorité absolue n'est pas atteinte, il faut procéder à un second tour. Je ne parle même pas des votes nuls, à tous les sens de terme, où l'on découvre au moment du dépouillement les noms de Batman ou de Mousset! Certains s'amusent à former des couples qui n'ont rien de scolaires. Bref, des gamineries, que j'apprécie peu.

Avec mes TL2, ce matin, j'ai eu l'agréable et rare surprise d'un tout autre comportement. Cinq candidats seulement, un seul vote fantaisiste (quand même!), l'élection dès le premier tour de Camille et Quentin. Je n'en revenais pas, je me demande si ce n'est pas la première fois. Après le vote, les heureux élus se sont levés, un peu timidement, pour remercier la classe et prononcer le plus sérieusement du monde quelques mots. Le tout a été réglé en un bonne demi-heure. Incroyable! L'exercice de la citoyenneté, la force de la démocratie, la souveraineté d'un groupe dans toute leur splendeur.

Je ne sais pas ce que donnera cette classe, j'ai commencé aujourd'hui la correction de leur premier devoir. Individuellement, on verra, mais collectivement, j'ai été positivement impressionné. Une forte conscience du groupe, son homogénéité sont essentielles à la réussite de tous. J'enseigne à des classes, pas à des élèves. Depuis ce matin, je ne suis plus face à une masse informe ou à des réclamations individuelles. J'ai désormais des interlocuteurs officiels, représentatifs, avec lesquels je pourrai discuter. Encore une fois, ce ne sont pas des formalités, mais la vie même du lycée, de l'école.

jeudi 2 octobre 2008

Un monde s'en va.

Dans quinze jours aura lieu l'élection des représentants du personnel au conseil d'administration du lycée Henri-Martin, où je siège depuis une douzaine d'années, au titre du syndicat enseignant SE-UNSA. Au départ, il y avait deux grosses sections syndicales, FO et SNALC, animées par des personnages, des mémoires vivantes de l'établissement. Le SNES, bien que syndicat majoritaire partout ailleurs, vivotait ici sur ses acquis. Et moi, j'essayais de me glisser entre les deux mastodontes, avec des succès divers.

J'ai vécu longtemps le syndicalisme enseignant dans la passion, puis je me suis assagi, parce que la situation elle-même s'est assagie. Les assemblées générales n'avaient de générales que le nom, les candidats à l'élection étaient de plus en plus difficiles à dénicher, les deux leaders historiques sont partis à la retraite. Il y a deux ans, SNALC, SNES et UNSA, devant la désaffection des collègues, ont décidé de faire une liste commune. Finis les clivages idéologiques! La dure réalité, c'est que les comportements sont de plus en plus individualistes, l'informatique renseigne mieux et plus vite que les syndicats, ceux-ci sont désormais considérés comme les derniers recours et non plus les premiers interlocuteurs.

Cette année, les camarades du SNES seront pris. Nathalie, du SNALC, qui poursuit le militantisme de son père, et moi avons déposé un appel à candidature dans chaque casier. Le cercle des militants se rétrécit. Qu'en sera-t-il dans une ou deux générations? En déposant mes papiers, j'ai discuté avec Françoise, une collègue présidente de l'amicale du personnel d'Henri-Martin. Même constat impitoyable: ça n'intéresse plus personne. Plus de 200 adultes travaillent au lycée et collège, 40 seulement adhèrent à l'amicale et 20 participent régulièrement aux activités proposées. C'est dérisoire. Un monde s'en va, c'est certain. Par quoi sera-t-il remplacé? Je n'en sais rien.

mercredi 1 octobre 2008

Dieu en philo.

Pourquoi désirer l'impossible? A ce sujet de dissertation travaillé avec les élèves, parmi les réponses envisageables, nous avons parlé de Dieu, de la religion, qui promettent de satisfaire notre désir impossible d'immortalité, en nous annonçant l'existence d'un autre monde, éternel. A propos de la première notion étudiée dans l'année, "le bonheur", comment ne pas songer au Paradis, à l'extase mystique? Et concernant la troisième notion que nous sommes en train d'aborder, "autrui", à la question la présence d'autrui m'évite-t-elle la solitude? comment ne pas penser à cet Autre, ce tout Autre qu'est Dieu, à la fois présent (avec lui, pas de solitude) et invisible (nous doutons quand même de son existence)?

Pourtant, avec les élèves, quand j'introduis Dieu en cours de philosophie, surtout en début d'année, je prends beaucoup de précaution, parce que je crains le malentendu et la facilité. Malentendu car les élèves peuvent croire que nous sommes passés de la philo au caté, ce qui n'est bien sûr pas le cas, d'autant que je suis un scrupuleux laïque et un adversaire intransigeant du mélange des genres. Quand je parle de Dieu, c'est en tant que concept, jamais en tant que croyance, qui relève de l'intimité de chacun, pas de mon enseignement. Facilité parce que je redoute que les élèves, qui sont naturellement portés au mimétisme, ne me mettent Dieu à toutes les sauces, en farcissent leurs copies, me le refourguent à chaque occasion. Le personnage est tellement intéressant qu'on peut se laisser aller à en abuser...

Ces précautions prises, Dieu est une idée comme une autre, que les élèves peuvent parfaitement utiliser, pourvu que leur démarche demeure rationnelle. La plupart des philosophes se servent de ce concept, qui alors n'a plus rien à voir avec un être surnaturel telle que la religion nous le décrit. Pour Aristote, Dieu est le "premier moteur", le principe qui justifie l'existence du monde. Pour Spinoza, Dieu, c'est la totalité de l'univers. Même Nietzsche, le pourfendeur des religions, nous parle de Dieu, ne serait-ce que pour nous annoncer sa "mort"! Un prof de philo ne doit donc pas supprimer ce mot de son vocabulaire, d'autant que "la religion" est une notion au programme.

Mais pour les élèves, son usage est délicat et devient périlleux quand il est incompris. Combien de fois ai-je vu, dans des devoirs, des élèves faire appel à Dieu comme si son existence était une donnée factuelle, une évidence? Là, ça ne va pas, il n'y a plus le recul critique indispensable à l'exercice philosophique. J'accepte les démonstrations, pas les actes de foi. Ou alors, il faut que ceux-ci soient analysés en tant que tels, et n'apparaissent pas comme des vérités révélées, qui ont leur place dans la sphère privée mais pas dans la réflexion philosophique. Bref, à mes élèves, je redis prudence, prudence, restez philosophes en toutes circonstances, surtout lorsque vous invitez Dieu à la table de vos méditations.