C'est toujours pareil une veille de vacances de Noël : des lycéens s'affublent fièrement d'un ridicule bonnet de Père Noël, écrasé sur leur tête avec le pompon qui pendouille lamentablement. Ce n'est même pas joli. Quel plaisir ont-ils donc à se montrer ainsi ? De mon temps, ça n'existait pas ce quasi rituel, autant que je m'en souvienne.
Les filles surtout se coiffent de cette façon. Les garçons, eux, ont une manie tout aussi idiote : dès qu'il y a un peu de neige au sol, ils ne peuvent pas s'empêcher de la rouler en boules et de se les projeter. Que voulez-vous : la neige rend fous les adultes et cons les jeunes. C'est sans doute le côté exceptionnel du phénomène atmosphérique qui provoque ces comportements irrationnels. Et dire que certains appellent ça la magie de Noël et s'en émerveillent !
Encore avons-nous cette année, dans mon lycée, échappé au pire : un Père Noël en plastique suspendu au mur de l'internat, qui me fait irrésistiblement penser à un désespéré qui vient de se pendre ou à un alpiniste égaré en robe de chambre. Autre rituel de fin d'année : le goûter dans la salle de classe, comme en maternelle. Très peu pour moi, mais des collègues apprécient (voir vignette de la salle que j'ai occupée hier).
Les dernières heures, les élèves sont énervés comme des puces. Ils sentent la fin de l'année, l'approche imminente des vacances, comme des bêtes qui reniflent autour d'elle. L'instinct lycéen reprend le dessus. J'ai tout de même fait cours, jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute, stoïquement. Mais avec les moments de délire et de rigolade qui caractérisent mon enseignement. In vino veritas mais plutôt in delirium veritas. Comment croyez-vous qu'un enseignant, surtout en philosophie, pourrait tenir sans ces moments-là ?
Moment d'émotion aussi, tout à la fin, à 18h00, avec les S, quand nous nous sommes quittés en nous souhaitant réciproquement de bonnes vacances et un joyeux Noël : après avoir ri, Mélissa dans le couloir s'est mise à pleurer. C'est qu'elle nous quitte, elle ira à la rentrée dans un autre établissement. Mais jusqu'à la fin, elle aura fait des efforts pour participer, comme si de rien n'était, comme si tout continuait. Mélissa m'a même demandé si elle pouvait m'envoyer sa dissertation, qui était à rendre mais qui s'est égarée dans son déménagement (si j'ai bien compris). Bien sûr que oui !
Je ne sais pas pourquoi, mais une fois les élèves partis, je suis resté quelques minutes, dans l'obscurité, au milieu de ma classe vide. A cette heure-là, le vendredi soir, dans la 380, au troisième étage, il n'y a pas plus personne, c'est complètement désert. J'ai sans doute voulu me concentrer, prendre conscience que se terminait pour moi l'an 2010 de ma vie de professeur. J'étais dans une sorte de prière à un dieu inconnu, celui du savoir, de l'intelligence peut-être.
Et puis quelqu'un a ouvert la porte, a stoppé ma méditation : un agent de nettoyage (je l'appelle comme ça mais il a sûrement un autre titre administratif), qui lui aussi, le vendredi soir, est complètement seul au troisième étage du lycée. On a un peu causé et il m'a fait un aveu : quand il balaie le couloir, il lui arrive de s'arrêter devant la porte de ma classe et d'écouter ce que je dis.
J'ai trouvé ça très beau, presque un conte de Noël : ainsi donc la philosophie peut captiver non seulement une classe, qui elle n'a pas le choix, mais aussi quelqu'un qui passe et qui s'immobilise pour suivre ce que je dis ! Et dire que certains pensent qu'il n'est pas beau d'écouter aux portes ! En philo, c'est très beau. J'en aurais presque pleuré, comme Mélissa.