J'ai eu aujourd'hui ma plus grosse journée, sept heures d'enseignement. L'an dernier, c'était le jeudi. Je ne m'en plains pas. La concentration des cours permet de libérer des plages horaires que je peux consacrer à d'autres activités. Sauf que c'est un peu crevant. Et une fois par mois, je devrais ce même jour animer le ciné philo ! Peu importe, j'aime ça.
Ce matin et cet après-midi, avec mes Scientifiques, nous avons travaillé en demi-groupes. C'est l'occasion pour les faire participer, favoriser leur expression orale. Ça s'est plutôt bien passé, surtout pour une première fois. Nous avons essayé ensemble de trouver quelques idées à partir du sujet : Le bonheur doit-il être le but de notre vie ? Il y a eu un bon feeling entre nous. Du moins l'ai-je, moi, ressenti comme ça. C'est bien, parce que les Scientifiques, souvent, se foutent de la philo : peu d'heures, faible coefficient au bac, matière associée à tort au monde littéraire, perçue donc comme pas très scientifique. Il m'est cependant arrivé d'avoir d'excellentes classes de S en philosophie.
Je me dis ce soir que la participation orale, c'est quand même l'idéal. L'élève se sent concerné, impliqué, reconnu dans ce qu'il dit, par conséquent motivé. Mais il faut que tous prennent la parole, que ce ne soit pas les quelques mêmes qui s'imposent au reste de la classe. Pousser les timides à s'exprimer, ce n'est pas facile et c'est pourtant indispensable. C'est tout un art, ça demande beaucoup de doigté.
Il ne faut pas donner l'impression de forcer, sinon l'élève va se refermer comme une huître. Je ne peux pas non plus laisser chacun libre de se taire, car certains ne diront alors jamais rien de toute l'année (ça m'est arrivé !). Quoi de plus beau qu'un élève qui a surmonté son appréhension, qui a réussi à présenter son idée devant ses camarades, qui s'est fait sa place dans le monde de la philosophie ?
Autant mes cours magistraux sont à mon goût très réussis (et je crois que mes élèves les apprécient), autant j'ai du mal à gérer l'oral. Je crains que je ne foute la trouille à certains, que je ne "casse" quelques interventions téméraires, ce qui dissuade la plupart d'y revenir ou de tenter. Si j'avais professionnellement des progrès à faire, ce serait de ce côté-là : mieux susciter la participation orale des élèves.
Certes, mes cours ne sont pas "magistraux" au sens traditionnel. C'est vivant, j'interpelle mes classes, ce sont plus des exercices que des leçons. Il n'empêche que les élèves ne sont guère encouragés à lever la main et à parler. C'est un défaut. Depuis le premier jour de rentrée, je leur fais un cours sur la méthode de la dissertation de philo. C'est utile, indispensable, concret, mais ça reste un exposé très théorique, où ils écoutent, notent, de façon très passive, interrompant par moments avec quelques rares questions.
Je me demande, pour les prochaines années, si je ne devrais pas laisser tomber ce cours inaugural, certes pratique, méthodologique mais en même temps assez abstrait et solennel. Pourquoi ne pas jeter les élèves tout de suite dans le bain de la philosophie, en leur soumettant dès la première heure un sujet de dissertation, en leur apprenant bien sûr à nager une fois qu'ils auraient plongé ? J'y songerai ...
lundi 7 septembre 2009
dimanche 6 septembre 2009
Au boulot !
Tout mon boulot des prochains jours, c'est de faire comprendre aux élèves qu'ils sont là pour le boulot. "Faire comprendre" est encore inexact : ils n'ont pas le choix. Ils ne sont même pas là pour la philo : leur finalité, c'est le boulot (parce que la philo peut être aussi un loisir, un divertissement, sauf à l'école où c'est un travail).
Le problème, c'est qu'en philo vous ne trouvez pas ces petits exercices hebdomadaires ou quotidiens de certaines disciplines. Quoique je pourrais en imaginer, mais je préfère demeurer dans le cadre canonique de l'épreuve du bac : dissertation et commentaire de texte. Un devoir par mois, c'est suffisant. Quand on travaille avec soin, il n'y a pas besoin de plus. Sinon c'est lourd. Pour certaines élèves, c'est très léger, parce qu'ils ne bossent pas, bâclent la veille un sujet donné trois semaines auparavant, me torchent un truc innommable.
Là est le problème. Pour les élèves superficiels et paresseux, en philo y'a pas à travailler. Alors que c'est tout le contraire : cette discipline complètement nouvelle pour eux exige beaucoup d'efforts. Pour que cette évidence rentre dans les têtes, il ne faut pas tarder : dès le deuxième jour, j'ai donné à mes Littéraires une dissertation à rendre pour le 24 septembre : Tout le monde peut-il être heureux ? Eux avec moi, je ne sais pas trop ...
Le problème, c'est qu'en philo vous ne trouvez pas ces petits exercices hebdomadaires ou quotidiens de certaines disciplines. Quoique je pourrais en imaginer, mais je préfère demeurer dans le cadre canonique de l'épreuve du bac : dissertation et commentaire de texte. Un devoir par mois, c'est suffisant. Quand on travaille avec soin, il n'y a pas besoin de plus. Sinon c'est lourd. Pour certaines élèves, c'est très léger, parce qu'ils ne bossent pas, bâclent la veille un sujet donné trois semaines auparavant, me torchent un truc innommable.
Là est le problème. Pour les élèves superficiels et paresseux, en philo y'a pas à travailler. Alors que c'est tout le contraire : cette discipline complètement nouvelle pour eux exige beaucoup d'efforts. Pour que cette évidence rentre dans les têtes, il ne faut pas tarder : dès le deuxième jour, j'ai donné à mes Littéraires une dissertation à rendre pour le 24 septembre : Tout le monde peut-il être heureux ? Eux avec moi, je ne sais pas trop ...
samedi 5 septembre 2009
La philo aux petits pois.
C'était il y a quelques années, à Laon, dans la brasserie Le Rétro, pas très loin de la gare, au rond-point du commissariat de police. J'étais au comptoir avec un ami, parlant de philosophie, expliquant le plaisir du métier, la joie que provoquaient aussi mes activités périphériques, café philo, ciné philo, etc. A quelques mètres, une dame âgée, très coquette, genre bourgeoise, était en train de manger un poulet à la crème, aux champignons et petits pois (c'était l'heure du déjeuner). Longtemps après, je me souviens encore de tous ces détails et de ce qui va suivre. Ils ne me quitteront sans doute pas jusqu'à la fin de ma vie.
La dame était trop polie pour écouter aux portes, mais comme il n'y a pas de portes dans une brasserie notre conversation lui est naturellement venue aux oreilles, et tout aussi naturellement, très tranquillement, sa voix à la fois faible et assurée s'est élevée dans ma direction et j'ai entendu, comme l'assistance alentours : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie". Et je la revois plonger sa fourchette dans la crème, en sortir un morceau de poulet pour se régaler. Fin de l'incident, début de l"histoire.
Il y a des philosophes (et des mystiques) qui ont vécu une révélation, Descartes et Pascal par exemple. Une vérité leur a été donnée dans des conditions mystérieuses, surnaturelles ou, si on veut rester rationnel, inexpliquées. C'est un peu ce qui m'est arrivé, à mon modeste niveau, et au détriment de la philosophie : j'ai compris, autant en écoutant qu'en regardant cette dame dont je ne connaîtrai jamais le nom, qui n'est peut-être plus de ce monde aujourd'hui, que la philosophie n'a rien d'essentielle, de fondamentale, contrairement à ce que je croyais avant et depuis longtemps.
Nous avons tous ce défaut, ce péché mignon de croire que ce que nous faisons, quoi que ce soit, surtout si nous sommes passionnés, est l'activité la plus importante au monde, que les autres ne peuvent que partager avec nous. L'enseignant que je suis a eu cette prétention, cette vanité professionnelle. Je pensais que mes élèves ne pouvaient qu'aimer et admirer la philo, d'autant que je leur en expliquais les raisons : réfléchir sur sa vie, rechercher des réponses aux grandes questions existentielles, élargir son esprit, prendre plaisir à lire des chefs-d'oeuvre de l'humanité, etc.
Ce que je ne savais pas, c'est que tout ce que je viens d'énumérer là ne pèse pas lourd face à un poulet à la crème, accompagné de champignons et de petits pois. Vous avez beau exposer tous les arguments du monde, faire les démonstrations les plus impressionnantes, c'est le poulet qui gagnera. D'autant que la dame n'était pas une mégère ou un goujat, elle n'avait même pas d'hostilité envers la philosophie, elle avait trop d'éducation pour ne pas la respecter. Mais elle a prononcé devant moi cette phrase terrible, qui sonnait pour moi comme une condamnation : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie".
On dit souvent que la haine est préférable à l'indifférence. J'aurais préféré que cette dame manifestement intelligente attaque sottement et brutalement ma discipline. J'aurais pu rétorquer, me battre, me défendre, comme j'aime tellement le faire. Mais là, vous voulez dire quoi contre une certitude, une évidence ? Le comble, c'est que la dame avait raison, qu'elle énonçait très simplement une forte vérité : un être humain peut fort bien se passer de philosophie, cette pratique intellectuelle n'est pas nécessaire à la vie. En revanche, un poulet aux petits pois et champignons à la crème, c'est une autre affaire ...
Cette dame, en rejetant radicalement la philosophie pour lui préférer, c'était visible, le contenu de son assiette, avait paradoxalement une attitude de ... philosophe. N'est-ce pas une forme de sagesse que de préférer un morceau de poulet à une page de philosophie ? Cette petite histoire, je la dédie, en ce premier week-end de l'année scolaire, à tous mes collègues professeurs de philosophie qui ont dû cette semaine faire un beau cours introductif sur l'utilité, la grandeur, la noblesse, l'humanité, la génialité de la philosophie. Pas moi. Parce que j'ai en tête la vieille dame et son poulet aux petits pois. Je sais qu'en chaque élève il y a une dame et un poulet qui sommeillent, c'est à dire un individu qui s'en fout royalement de moi, de mes cours et de ma philo. Il vaut mieux en avoir conscience en début d'année, si on ne veut pas se heurter à de cruelles désillusions.
Tout ça est triste, décourageant, désespérant ? Non, tout ça est vrai, sage et stimulant. Car que me reste-t-il à faire, et je crois que c'est en quoi consiste mon métier d'enseignant ? A essayer à mon tour de proposer à mes élèves de la philosophie aux petits pois, avec de la crème et des champignons.
La dame était trop polie pour écouter aux portes, mais comme il n'y a pas de portes dans une brasserie notre conversation lui est naturellement venue aux oreilles, et tout aussi naturellement, très tranquillement, sa voix à la fois faible et assurée s'est élevée dans ma direction et j'ai entendu, comme l'assistance alentours : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie". Et je la revois plonger sa fourchette dans la crème, en sortir un morceau de poulet pour se régaler. Fin de l'incident, début de l"histoire.
Il y a des philosophes (et des mystiques) qui ont vécu une révélation, Descartes et Pascal par exemple. Une vérité leur a été donnée dans des conditions mystérieuses, surnaturelles ou, si on veut rester rationnel, inexpliquées. C'est un peu ce qui m'est arrivé, à mon modeste niveau, et au détriment de la philosophie : j'ai compris, autant en écoutant qu'en regardant cette dame dont je ne connaîtrai jamais le nom, qui n'est peut-être plus de ce monde aujourd'hui, que la philosophie n'a rien d'essentielle, de fondamentale, contrairement à ce que je croyais avant et depuis longtemps.
Nous avons tous ce défaut, ce péché mignon de croire que ce que nous faisons, quoi que ce soit, surtout si nous sommes passionnés, est l'activité la plus importante au monde, que les autres ne peuvent que partager avec nous. L'enseignant que je suis a eu cette prétention, cette vanité professionnelle. Je pensais que mes élèves ne pouvaient qu'aimer et admirer la philo, d'autant que je leur en expliquais les raisons : réfléchir sur sa vie, rechercher des réponses aux grandes questions existentielles, élargir son esprit, prendre plaisir à lire des chefs-d'oeuvre de l'humanité, etc.
Ce que je ne savais pas, c'est que tout ce que je viens d'énumérer là ne pèse pas lourd face à un poulet à la crème, accompagné de champignons et de petits pois. Vous avez beau exposer tous les arguments du monde, faire les démonstrations les plus impressionnantes, c'est le poulet qui gagnera. D'autant que la dame n'était pas une mégère ou un goujat, elle n'avait même pas d'hostilité envers la philosophie, elle avait trop d'éducation pour ne pas la respecter. Mais elle a prononcé devant moi cette phrase terrible, qui sonnait pour moi comme une condamnation : "Moi monsieur je me passe très bien de la philosophie".
On dit souvent que la haine est préférable à l'indifférence. J'aurais préféré que cette dame manifestement intelligente attaque sottement et brutalement ma discipline. J'aurais pu rétorquer, me battre, me défendre, comme j'aime tellement le faire. Mais là, vous voulez dire quoi contre une certitude, une évidence ? Le comble, c'est que la dame avait raison, qu'elle énonçait très simplement une forte vérité : un être humain peut fort bien se passer de philosophie, cette pratique intellectuelle n'est pas nécessaire à la vie. En revanche, un poulet aux petits pois et champignons à la crème, c'est une autre affaire ...
Cette dame, en rejetant radicalement la philosophie pour lui préférer, c'était visible, le contenu de son assiette, avait paradoxalement une attitude de ... philosophe. N'est-ce pas une forme de sagesse que de préférer un morceau de poulet à une page de philosophie ? Cette petite histoire, je la dédie, en ce premier week-end de l'année scolaire, à tous mes collègues professeurs de philosophie qui ont dû cette semaine faire un beau cours introductif sur l'utilité, la grandeur, la noblesse, l'humanité, la génialité de la philosophie. Pas moi. Parce que j'ai en tête la vieille dame et son poulet aux petits pois. Je sais qu'en chaque élève il y a une dame et un poulet qui sommeillent, c'est à dire un individu qui s'en fout royalement de moi, de mes cours et de ma philo. Il vaut mieux en avoir conscience en début d'année, si on ne veut pas se heurter à de cruelles désillusions.
Tout ça est triste, décourageant, désespérant ? Non, tout ça est vrai, sage et stimulant. Car que me reste-t-il à faire, et je crois que c'est en quoi consiste mon métier d'enseignant ? A essayer à mon tour de proposer à mes élèves de la philosophie aux petits pois, avec de la crème et des champignons.
vendredi 4 septembre 2009
Premiers incidents.
Ça n'a pas tardé, deux jours ont suffi pour qu'apparaissent les premiers incidents. J'exagère bien sûr, ce n'est pas grand-chose, des broutilles. Mais un enseignant doit veiller au grain et étouffer dans l'oeuf, couper à la racine les premières velléités d'indiscipline. C'était ce matin, avec mes TES2, ma deuxième heure seulement avec eux, et déjà trois incidents :
J'explique comment on rédige une dissertation de philosophie (je commence toujours l'année par ça, c'est le b-a ba). Je repère deux élèves, bras croisés, cahiers fermés, qui me regardent et m'écoutent mais ne notent rien. Est-ce que je fais cours pour les mouches ? J'avais dit hier qu'une classe était là pour bosser, pas pour bâiller. Gueulante et tout rentre dans l'ordre.
Je me dis qu'il faudrait que j'enseigne du fond de la classe, les élèves me tournant le dos, se contentant d'utiliser leurs oreilles et leurs mains pour gratter, sans se servir de leur yeux. Une classe de taupes, voilà l'idéal. Un cours, ce n'est pas la messe ou le cirque, ce n'est ni une cérémonie ni un spectacle.
Incident suivant : deux élèves (pas les mêmes !) discutent cette fois entre elles, discrètement il est vrai. Sauf qu'il n'y a pas de discrétion possible dans cet espace public qu'est une classe. Un murmure perturbe très vite, des signes se remarquent assez facilement. J'interromps le cours, je leur demande ce qui se passe. L'une me dit que ça n'a rien à voir avec ce que je dis, l'autre dit le contraire. Sa copine veut répéter ce qu'elle lui a dit et que celle-ci n'ose pas me redire.
C'est bien gentil tout ça, je peux comprendre la timidité qui inhibe, mais ces simagrées et tergiversations nous font perdre de précieuses minutes et déconcentrent l'ensemble de la classe. Tout ça parce qu'une élève voulait savoir s'il fallait introduire des références dans une dissert de philo et qu'elle craignait de m'interroger. Résultat : une belle perte de temps et des turbulences dans mon plan de vol ! je lui réponds correctement mais brutalement. Il faut qu'elle s'habitue à mon style.
Dernier incident, immédiatement après le précédent (comme si une connerie en appelait une autre) : je rappelle aux élèves qu'ils peuvent me poser toutes les questions qu'ils veulent, qu'aucune ne me dérangera, qu'il vaut mieux s'exprimer que garder ça pour soi. Une main se lève alors et un élève me demande ... s'il peut aller aux toilettes. A quinze minutes de la fin du cours ! Je lui demande à mon tour s'il peut se retenir, il me répond que oui. Fin du troisième incident.
Ce n'est pas bien méchant, mais comprenez-vous que quelque chose ne va pas ? C'est rarissime que des élèves aient besoin d'aller faire pipi. Nous sommes au lycée, pas en maternelle. Ils y vont avant ou après, pas pendant. Qu'un élève se permette, en début d'année, de faire la demande, c'est de la graine de bouffonnerie, et quelqu'un qu'il faudra avoir à l'oeil.
Il y a incontestablement un lien avec l'incident précédent, qui a libéré une certaine indiscipline produisant du n'importe quoi, vouloir pisser à un quart d'heure de la fin. Si l'envie avait été vraiment pressante, l'élève me l'aurait dit quand je lui ai demandé s'il pouvait différer sa visite aux WC. Est-ce une façon de me tester, prenant au mot mon propos sur les questions que peuvent librement me poser les élèves ? Peut-être. Toujours est-il que celui-là aura perdu une belle occasion de se taire. Il ne lui reste plus maintenant que deux issues : se faire oublier ou se faire magistralement remarquer. L'une est cependant plus facile que l'autre.
Dans cette classe, j'ai six élèves de l'an dernier. Ça ne va pas être facile pour eux, me subir une année de plus, retrouver des cours qui seront à peu près les mêmes. Il y a Anthony, que j'avais reçu chez moi en début juillet, pour le préparer à passer l'oral, qu'il a cependant raté. Il y a surtout Laëtitia, que je ne m'attendais vraiment pas à revoir et qui avait été l'objet d'un billet le 10 juin (La dernière élève). Ironie du sort.
J'explique comment on rédige une dissertation de philosophie (je commence toujours l'année par ça, c'est le b-a ba). Je repère deux élèves, bras croisés, cahiers fermés, qui me regardent et m'écoutent mais ne notent rien. Est-ce que je fais cours pour les mouches ? J'avais dit hier qu'une classe était là pour bosser, pas pour bâiller. Gueulante et tout rentre dans l'ordre.
Je me dis qu'il faudrait que j'enseigne du fond de la classe, les élèves me tournant le dos, se contentant d'utiliser leurs oreilles et leurs mains pour gratter, sans se servir de leur yeux. Une classe de taupes, voilà l'idéal. Un cours, ce n'est pas la messe ou le cirque, ce n'est ni une cérémonie ni un spectacle.
Incident suivant : deux élèves (pas les mêmes !) discutent cette fois entre elles, discrètement il est vrai. Sauf qu'il n'y a pas de discrétion possible dans cet espace public qu'est une classe. Un murmure perturbe très vite, des signes se remarquent assez facilement. J'interromps le cours, je leur demande ce qui se passe. L'une me dit que ça n'a rien à voir avec ce que je dis, l'autre dit le contraire. Sa copine veut répéter ce qu'elle lui a dit et que celle-ci n'ose pas me redire.
C'est bien gentil tout ça, je peux comprendre la timidité qui inhibe, mais ces simagrées et tergiversations nous font perdre de précieuses minutes et déconcentrent l'ensemble de la classe. Tout ça parce qu'une élève voulait savoir s'il fallait introduire des références dans une dissert de philo et qu'elle craignait de m'interroger. Résultat : une belle perte de temps et des turbulences dans mon plan de vol ! je lui réponds correctement mais brutalement. Il faut qu'elle s'habitue à mon style.
Dernier incident, immédiatement après le précédent (comme si une connerie en appelait une autre) : je rappelle aux élèves qu'ils peuvent me poser toutes les questions qu'ils veulent, qu'aucune ne me dérangera, qu'il vaut mieux s'exprimer que garder ça pour soi. Une main se lève alors et un élève me demande ... s'il peut aller aux toilettes. A quinze minutes de la fin du cours ! Je lui demande à mon tour s'il peut se retenir, il me répond que oui. Fin du troisième incident.
Ce n'est pas bien méchant, mais comprenez-vous que quelque chose ne va pas ? C'est rarissime que des élèves aient besoin d'aller faire pipi. Nous sommes au lycée, pas en maternelle. Ils y vont avant ou après, pas pendant. Qu'un élève se permette, en début d'année, de faire la demande, c'est de la graine de bouffonnerie, et quelqu'un qu'il faudra avoir à l'oeil.
Il y a incontestablement un lien avec l'incident précédent, qui a libéré une certaine indiscipline produisant du n'importe quoi, vouloir pisser à un quart d'heure de la fin. Si l'envie avait été vraiment pressante, l'élève me l'aurait dit quand je lui ai demandé s'il pouvait différer sa visite aux WC. Est-ce une façon de me tester, prenant au mot mon propos sur les questions que peuvent librement me poser les élèves ? Peut-être. Toujours est-il que celui-là aura perdu une belle occasion de se taire. Il ne lui reste plus maintenant que deux issues : se faire oublier ou se faire magistralement remarquer. L'une est cependant plus facile que l'autre.
Dans cette classe, j'ai six élèves de l'an dernier. Ça ne va pas être facile pour eux, me subir une année de plus, retrouver des cours qui seront à peu près les mêmes. Il y a Anthony, que j'avais reçu chez moi en début juillet, pour le préparer à passer l'oral, qu'il a cependant raté. Il y a surtout Laëtitia, que je ne m'attendais vraiment pas à revoir et qui avait été l'objet d'un billet le 10 juin (La dernière élève). Ironie du sort.
jeudi 3 septembre 2009
Le meilleur des mondes.


Les parents s'extasient souvent sur leur très jeune enfant : qu'est-ce qu'il est mignon, gentil à cet âge-là, il faudrait qu'il ne change pas, qu'il soit tout le temps comme ça ! C'est bien sûr un rêve de parents : l'enfant va changer, grandir, acquérir son indépendance, se forger une personnalité, devenir moins amusant, parfois teigneux. Le gentil bébé va se transformer en gamin hargneux, puis en adolescent en crise. C'est à ce moment où les parents commencent à déchanter, que le plus dur de l'éducation se fait sentir.
Une classe pour un enseignant, c'est pareil, comme moi ce matin avec mes Scientifiques, que je rencontrais pour la première fois. Tout nouveau tout beau. Ils sont gentils, disciplinés, ne parlent pas, ne protestent pas, écoutent et notent tout ce que je dis. Bref la classe idéale pour un prof ! Leurs visages me sont indifférenciés, comme le sont entre eux les bébés, dans une stricte et parfaite égalité. Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, c'est merveilleux, c'est le meilleur des mondes possibles.
Mais comme l'enfant est condamné à changer, la classe aussi. Elle va s'émanciper, prendre ses aises, résister à mon enseignement au fil des jours, assez rapidement, et c'est là où le vrai boulot pour moi va commencer. Les élèves font se distinguer, des visages vont émerger, des personnalités vont se mettre à exister, des clans vont se former, une hiérarchie va s'instaurer, mes notes vont établir un ordre douloureux, bref une micro-société va s'organiser, que je vais devoir gérer douloureusement.
Il faut, élèves et enseignants, que nous sachions savourer ces premières heures, ces premières jours, que plus jamais ensuite nous retrouverons, qui sont également comparables aux premiers temps de l'amour, avant que la routine et les nuages ne s'installent. Nous vivons, en chaque début d'année, une sorte de paradis scolaire, où l'harmonie domine à peu près entre nous, où la curiosité est encore intacte pour quelques temps, où l'enthousiasme n'a pas été érodé par de mauvaises notes ou des cours inévitablement pesants. Apprécions cette courte période de bonheur, ce miracle qui n'aura lieu qu'une seule fois, que je ne connaîtrai à nouveau que l'an prochain à la rentrée.
En photos les informations distribuées hier aux élèves par les professeurs principaux à propos de la grippe A.
mercredi 2 septembre 2009
Le plus beau métier du monde.


9h00, ce matin, le proviseur-adjoint est aux portes du lycée, derrière lesquelles s'entassent les élèves. C'est la rentrée des Terminales. Son visage est sombre, je lui demande ce qui se passe. J'apprends qu'une élève, de TL2, est décédée accidentellement hier. Cette rentrée se fera donc à l'ombre d'un drame. Une communauté scolaire, c'est un lieu de vie qui rencontre parfois la mort. La jeunesse est rarement préparée à cet événement auquel nul n'échappe, mais généralement longtemps après avoir vécu. Le proviseur-adjoint est venu dans ma classe, la TL1 (où l'élève disparue avait quelques camarades) pour expliquer qu'une cellule de soutien psychologique était à la disposition de tous.
Et puis la vie a repris son cours, parce qu'il faut bien, parce que la vie est plus forte que tout. J'ai procédé aux formalités administratives, j'ai demandé aux élèves de remplir la fiche d'informations qui me permettra de mieux les connaître et j'ai tenu, dès cette première heure, à mettre les choses au clair, c'est à dire à souligner les trois règles disciplinaires qui sont les miennes, auxquelles je tiens par dessus tout et dont ils ne pourront déroger sans s'attirer de graves ennuis :
- Quand la porte de la classe est fermée, c'est que le cours est commencé et que rien n'autorise à le déranger, comme à l'opéra ou à la messe. Seule l'administration a ce droit. Inutile donc pour l'élève de frapper. Il doit se rendre directement à la Vie Scolaire qui lui délivrera un billet d'entrée. Mais je ne ferme pas la porte trop tôt, j'attends que l'appel soit fait, ce qui laisse une petite marge à l'élève. Une fois le cours commencé, c'est terminé, l'accès est interdit. Un cours, c'est sacré, ça ne s'interrompt pas.
- Les élèves sont en classe pour écouter, noter, participer. Toute activité ou comportement qui ne relèvent pas de ces trois catégories sont formellement interdits. Ce qui veut dire, en clair, qu'ils sont là pour bosser et pas pour causer avec les copains copines. Certes, je n'ignore pas qu'au bout de trente minutes d'attention, la concentration s'émousse, l'esprit se fatigue, surtout quand on fait de la philosophie. Mais l'effort doit être là, continu, soutenu. Je fais tout pour rendre le cours supportable. A l'élève de ne pas se rendre insupportable. Qu'au moins, en cas de fatigue, il ait la courtoisie de ne pas gêner autrui.
- Je demande aux élèves de me rendre un travail par mois, qui est noté. C'est peu par rapport aux exercices hebdomadaires qu'exigent certains disciplines, mais c'est beaucoup quand on mesure la difficulté de bien faire une dissertation de philosophie ou un commentaire de texte. Les élèves ont trois semaines pour me préparer ça. Ce qui signifie qu'un devoir doit être ABSOLUMENT rendu au jour et à l'heure indiqués. En cas de problème, l'élève doit me contacter le plus rapidement possible AVANT, et jamais pendant ou après ce jour et cette heure. Sinon c'est la guerre, qu'il perdra, que je gagnerai, car j'ai le pouvoir, lui pas.
Durant cette première heure de l'année scolaire 2009-2010, je me suis retrouvé, j'ai rendossé cette identité de prof qui me colle assez bien à la peau. J'aime le rythme assez vif que j'imprime à un cours, ma présence physique dans la classe, au milieu des élèves, et par dessus tout cette fine pellicule de sueur qui se répand très vite sur moi, le signe flagrant que je suis complètement dans ce que je fais, dans ce que je suis à ce moment-là, et que j'aime ça. Le plus beau métier du monde, comme le dit mon collègue CPE Vincent Savelli dans le LHM-Flash de rentrée que j'ai reproduit en photo ? Sûrement pas, mais le plus beau métier pour moi, oui.
mardi 1 septembre 2009
Pluvieuse et heureuse.

C'est fait. C'était ce matin, de 10h00 à 12h30, sous la pluie et le ciel gris. On appelle ça pré-rentrée ou rentrée des enseignants. C'est tout simplement la fin des vacances. Rentrée pluvieuse, rentrée heureuse ? Espérons-le. C'était ma 15ème rentrée dans le même lycée. "J'y suis, j'y reste", c'est sûrement ce qui a dû trotter dans ma tête ces quinze dernières années. Surtout parce que je m'y plais, que je m'y sens bien, que je dois aussi y trouver les élèves sympa.
Alors cette rentrée, c'était comment ? Comme une rentrée... Quoi de neuf ? Beaucoup de vieux... Ah si : on fêtera cette année le bicentenaire de celui qui a donné son nom à l'établissement, Henri Martin, un historien républicain du XIXème siècle. Je m'attendais à ce que le virus H1N1 ait la vedette. Non, le proviseur-adjoint l'a évoqué, mais raisonnablement.
Alors cette rentrée, c'était comment ? Comme une rentrée... Quoi de neuf ? Beaucoup de vieux... Ah si : on fêtera cette année le bicentenaire de celui qui a donné son nom à l'établissement, Henri Martin, un historien républicain du XIXème siècle. Je m'attendais à ce que le virus H1N1 ait la vedette. Non, le proviseur-adjoint l'a évoqué, mais raisonnablement.
Une pré-rentrée, ce sont de multiples séquences. La séquence émotion : le proviseur annonce ce que tout le monde savait déjà, c'est sa dernière année, il est arrivé un an avant moi. Des applaudissements ambigus ont suivi cette annonce. La séquence découverte : les nouveaux collègues se présentent devant tout le monde au micro (j'ai un nouveau collègue de philo, Olivier). La séquence rigolade : nous allons recevoir en janvier un jeune Texan de 16 ans, le proviseur lance un appel pour qu'une famille l'héberge, assorti de deux conditions : pas de tabac, pas de chat, notre petit cowboy est allergique ! La séquence distribution des fonctions, où j'apprends que je suis prof principal de la TL1 et coordinateur (ou coordonnateur, les deux se disputent dans les documents officiels) de ma discipline ; comme on est deux profs de philo, la coordination (là il n'y a qu'un seul mot possible) n'est pas trop difficile). La séquence convivialité : c'est le pot de fin de matinée où l'on va vers les anciens et les nouveaux, un verre de champagne à la main.
A la fin, on nous remet une pochette avec l'emploi du temps (enfin !), les listes d'élèves (et merde, j'ai ceux de l'an dernier, les 1er L1, avec lesquels je commence demain ; pour ceux qui ne comprennent pas ma réaction, lire le billet du 25 août) et quelques recommandations, notamment à propos de la fameuse grippe (là, il faut lire le billet du 30 août). Comme c'est le début de l'année scolaire, le temps est aux bonnes résolutions : je promets de remplir le cahier de texte électronique et d'y faire figurer les notes de mes élèves, ce que je n'ai pas fait l'an dernier, malgré l'obligation administrative de le faire. Voilà, c'est dit, c'est avoué, je sais que mon proviseur-adjoint consulte ce blog, maintenant il sait.
J'ai une pensée, en ce jour de rentrée, pour mes élèves de l'an dernier : qu'ils ne m'oublient pas comme moi je ne les oublie pas. Une pensée pour mes futurs élèves, ceux que je vais dans les prochains jours rencontrer : que tout se passe bien entre nous, car nous allons commencer neuf mois de vie commune. La suite, vous la lirez chaque jour dans Prof Story.
A la fin, on nous remet une pochette avec l'emploi du temps (enfin !), les listes d'élèves (et merde, j'ai ceux de l'an dernier, les 1er L1, avec lesquels je commence demain ; pour ceux qui ne comprennent pas ma réaction, lire le billet du 25 août) et quelques recommandations, notamment à propos de la fameuse grippe (là, il faut lire le billet du 30 août). Comme c'est le début de l'année scolaire, le temps est aux bonnes résolutions : je promets de remplir le cahier de texte électronique et d'y faire figurer les notes de mes élèves, ce que je n'ai pas fait l'an dernier, malgré l'obligation administrative de le faire. Voilà, c'est dit, c'est avoué, je sais que mon proviseur-adjoint consulte ce blog, maintenant il sait.
J'ai une pensée, en ce jour de rentrée, pour mes élèves de l'an dernier : qu'ils ne m'oublient pas comme moi je ne les oublie pas. Une pensée pour mes futurs élèves, ceux que je vais dans les prochains jours rencontrer : que tout se passe bien entre nous, car nous allons commencer neuf mois de vie commune. La suite, vous la lirez chaque jour dans Prof Story.
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