mardi 30 juin 2009

128.

Hier, je ne suis pas allé à la réunion d'harmonisation, qui est pourtant réglementaire. Motif : je n'avais pas terminé de corriger mes deux paquets. Mais je ne suis pas le seul. Le mouvement est général et il a aussi un motif protestataire : d'années en années, les profs de philo voient leur délai de correction se réduire comme peau de chagrin. Au début, nous avions trois semaines, maintenant douze jours.

Faites le calcul : 128 copies en douze jours, ça fait en moyenne 10 copies par jour. Cinq le matin, cinq l'après-midi. Pourquoi pas après tout, me direz-vous. Sauf qu'il ne faut pas raisonner en mathématicien. Si on veut prendre son temps, corriger soigneusement, relire éventuellement les copies, 128 en douze jours, c'est beaucoup, c'est trop. Et puisqu'il faut harmoniser nos résultats le lundi, c'est neuf jours en réalité qui nous sont impartis !

Bref, pas mal de profs de philo ont décidé de rester chez eux pour corriger, en n'assistant pas à la commission d'harmonisation. J'ai envoyé un courriel à mon inspecteur pour lui expliquer mon absence. Dans l'académie voisine de Lille, le mouvement a été plus radical puisque les profs de philo ont carrément fait la grève de la correction des copies. Je ne serai tout de même pas allé jusque là.

Il me reste jusqu'à jeudi 8h00 du matin pour entrer mes résultats sur le serveur du rectorat. J'ai fait le plus gros. Un petit paquet est encore à finir. Autant vous avouer que je transpire. D'abord parce qu'il fait très chaud. Ensuite parce que 128 copies ne se liquident pas très vite. Enfin et surtout parce que la série technique n'est pas la plus simple à corriger.

Ce n'est pas que les copies soient très longues à lire. En moyenne, elles font trois pages, c'est vite réglé. Ce qui l'est beaucoup moins, ce qui représente un vrai casse-tête, c'est l'évaluation : quelle note attribuer quand beaucoup de devoirs se ressemblent, ni bon ni mauvais. Le risque naturelle, c'est de concentrer la plupart des notes autour de 08-09. Ce n'est pas ce que demande notre hiérarchie : au contraire, il faut savoir étaler les notes, utiliser toute la gamme, pousser les bonnes copies vers le haut.

Pour compliquer la tâche, énormément de candidats ont choisi le commentaire de texte. C'est classique : dans ce genre de série, où la philo ne compte pas beaucoup, les élèves vont à la facilité. Un texte, ça les rassure, d'autant que ce texte est accompagné de questions. La dissertation, il faut se mouiller, se jeter à l'eau, prendre des risques. On ne peut pas tricher. Avec un texte, si. Il suffit de reprendre les idées, de répéter, paraphraser, broder, délayer tout ça. Ça donne généralement un brouet philosophiquement peu consommable, mais le candidat est satisfait, il a fait ses pages, et avec un peu de chance il peut s'en tirer avec une note pas trop catastrophique.

Ces commentaires de texte sont donc peu agréables à corriger. Ils se ressemblent tous. Au moins, dans une dissert, on trouve quelques idées personnelles. Le pire, c'est au moment d'évaluer, comme je le faisais remarquer : ce sont des copies mi-chèvre mi-chou, pas évidentes à noter. Alors, pour départager les candidats et pour favoriser les notes correctes ou bonnes, il faut forcer les qualités, ne rien négliger, valoriser tout ce qui peut l'être : le travail effectué, la clarté d'expression, l'organisation des idées, le recours à une référence ... Même quand tout ça est maladroit, incomplet, ça compte pour la note. C'est pourquoi je dis toujours à mes élèves, dès le début de l'année, qu'il ne faut oublier aucun détail dans la rédaction d'un devoir de philosophie.

Allez, j'y retourne, il n'y a pas une minute à perdre jusqu'à jeudi matin.

lundi 29 juin 2009

Best off.

Le diplôme que reçoit chaque élève sélectionné.


Stéphanie Richet et Pauline Faria, de TES2.

Marie Laucagne et Camille Roche, de TL2.


William Boucenna et Alexis François, de TSMP.
Cet après-midi, à partir de 16h00 s'est déroulée dans mon lycée une petite cérémonie que d'aucun pourrait trouver désuète, qui a été instaurée il y a quelques années : une remise de diplômes et de prix (des livres, des albums) aux deux meilleurs élèves de chaque classe de l'établissement. Le collège est associé. C'est dans le hall d'entrée de la Cour d'Honneur que la distribution a lieu, après le discours de Monsieur le Proviseur. Il fallait ce cadre solennel pour une initiative qui ne l'est pas moins. Il fait très chaud, élèves et parents sont nombreux, serrés, bruyants, on n'entend pas très bien.
J'ai immortalisé à mon tour les meilleurs élèves de mes trois classes en les photographiant. Voilà à quoi ça ressemble, de bons élèves ! A leur côté, hilare et cravaté, c'est le Conseiller Principal d'Education, et derrière, chemisette blanche et cravate sombre, Monsieur le Proviseur, encadré par ses deux adjoints, à sa gauche (au micro) celui du lycée, à sa droite celui du collège. C'est une sympathique cérémonie, tout le monde se prend sans prétention au jeu. Et pendant ce temps-là, que font les mauvais élèves ? Ils méditent ce qu'il faut faire pour devenir bons !



dimanche 28 juin 2009

Chaud devant.




L'après-midi d'hier a commencé par ma conférence sur la pensée de Charles Darwin, dans le cadre du bicentenaire de sa naissance. Nous avions choisi une formule originale, une conférence à deux voix, le docteur Huguet pour la dimension scientifique et ma pomme pour la dimension philosophique. Vous me voyez là en train de conclure, en sueur (il faisait très très chaud dans la Maison de l'Environnement), brandissant le dernier numéro de Sciences et Vie consacré au grand biologiste.
J'ai en effet terminé ma partie par quelques références d'accès facile. L'ouvrage devant moi, c'est bien sûr "L'origine des espèces", et l'indispensable montre de tout bon conférencier. A la fin, un participant est venu me voir pour me dire que j'étais darwinien puisque j'avais mis de la passion dans mon exposé et que la sélection naturelle avait conduit chez l'homme à privilégier la passion. Si ça pouvait être vrai ! En tout cas, merci bien ...
Une heure de route plus tard, je me retrouve au café philo de Soissons, devenant à mon tour spectateur. Et ça fait du bien, c'est reposant ! J'interviens quand même deux fois, pas plus. Je ne veux pas gêner le travail de Jean-Hugues, que vous voyez au micro lançant le débat sur "C'était mieux avant ?" A ma gauche, Colette s'apprête comme chaque fois à prendre des notes. C'est la greffière du café philo. Tout au fond, derrière la carte des boissons, c'est Jean-Pierre, un fidèle de mes activités philo, qui n'hésite pas à se déplacer d'un bout à l'autre du département pour y assister.
Il a hérité d'un surnom, "Lacan", à cause de ses nombreuses interventions d'inspiration freudo-lacanienne. A gauche, en train de se désaltérer (il continue de faire très très chaud), c'est Jean-Louis, notre prof d'histoire-géo, toujours utile en philo quand il s'agit de remettre la question dans sa perspective historique. Et là, le sujet s'y prêtait. La journée s'est achevée tranquillement chez Colette et Jean-Hugues, autour d'un repas, dans la nuit. C'est là où il a enfin commencé à faire moins chaud.

samedi 27 juin 2009

Philo et philia.

Café philo hier soir à Tergnier, et pour une fois, je n'anime pas. Ouf, les vacances qui approchent. C'est très différent de Saint-Quentin et de Soissons : on est une vingtaine autour de tables disposées en carré, il y a une assez longue introduction qui ressemble à une mini-conférence (c'est Viviane qui s'y est collée) et un meneur de jeu qui répartit la parole (Marco en l'occurrence), mais comme il n'y a pas de micro, chacun parle un peu comme il veut. La discussion roule librement et harmonieusement. Le thème de cette séance : le pardon.

Le monde philosophique est petit : je rencontre la mère d'une collège, Ghislaine, qui exerce à Méru, ainsi que Nicole, une habituée du Café des Phares qui connaît bien Gunter Gohran (elle était présente à la création du premier café philo au monde, a discuté avec son fondateur aujourd'hui disparu Marc Sautet). Le public de ce café philo est sensiblement différent du mien. Je crois y déceler la présence d'artistes (c'est le cas de Viviane et Nicole), de personnels de l'Education Nationale (mais pas de profs à part moi !) et de personnes âgées profil catho.

Cette dernière séance de l'année scolaire s'est terminée dans un restau, autour d'un couscous. Sympa. Je ne connais ces personnes que depuis peu mais l'amitié passe très vite. Philo, c'est aussi philia, l'amitié, qui est au coeur de la démarche philosophique dans l'Antiquité. Elodie, qui est à l'origine du café philo de Tergnier (je vous en ai parlé il y a quelques jours, à propos de notre dernière séance à Saint-Quentin), a enseigné la philo mais, n'étant pas titulaire, elle se retrouve aujourd'hui à travailler dans l'intendance de son lycée. Son parcours est original et intéressant.

Je sens dans ses yeux quelque chose qui doit se trouver aussi dans mes yeux, cette volonté et ce plaisir de répandre la philosophie hors les murs de l'école. Je découvre, en discutant, qu'elle va comme moi dans les prisons. Je me dis même qu'elle pourrait me suppléer à Château-Thierry. On reverra tout ça à la rentrée, mais en sympathisant avec elle, je crois m'être fait une alliée. Les personnes qui acceptent de monter ou de participer à des initiatives bénévolement, c'est tellement rare. Et celles qui ont le feu sacré en elles, c'est encore plus rare.

Puisqu'il est question de philo et de philia, après ma conférence sur Darwin cet après-midi avec le docteur Huguet, je file sur Soissons pour là aussi le dernier café philo de la saison, sur le thème : C'était mieux avant ? ( ça ne vous rappelle rien ?) L'animation sera assurée par Jean-Hugues, et nous poursuivrons chez Colette, autour d'un pique-nique. Philo philia, ça va ensemble !

Hier soir, Marco, qui s'occupe aussi du café philo d'Amiens, m'a proposé d'assurer une animation. Pourquoi pas. Et de fil en aiguille, on se dit qu'à Laon il faudrait vraiment faire quelque chose ! Plus de café philo là-bas alors que nous avons une petite base de sympathisants sur lesquels nous pouvons probablement compter. Et puis, cette ville de classes moyennes, préfecture du département, se prête à ce genre d'activité. Que de choses à faire, que de succès à espérer ! Il faudrait, pour rationaliser tout ça, fonder une coordination picarde des cafés philo. J'y penserai.

vendredi 26 juin 2009

L'amitié au lycée.

Etymologiquement, une amicale est une association qui cultive l'amitié entre ses membres. Hier en fin d'après-midi, j'étais convié à l'assemblée générale de l'amicale du personnel des lycée et collège Henri-Martin. L'ordre du jour tenait en un mot, assez abrupt, peu compatible avec la douceur de l'amitié : DISSOLUTION .

En entrant dans mon établissement, j'ai eu l'impression, en cette fin d'année, qu'il était plus pâle et plus vide que les autres fins d'année. Le vide de la cour de récréation, habituellement si agitée, si bruyante, était frappant. Puis le vide de la salle des professeurs, où l'on s'attend presque à croiser des fantômes. Six d'ailleurs étaient là, dans un coin, occupant des fauteuils, discutant d'histoires de fantômes. Je me suis joint à eux, puisque moi aussi, manifestement, hier soir, j'étais passé dans l'autre monde.

Vous avez compris : les sept formaient l'assemblée générale de l'amicale, qui aura si mal porté son nom en la circonstance. Quatre retraités, trois actifs dont la présidente, prof d'histoire-géo : la messe était dite, ou plutôt l'enterrement. Mais nous avons fait ça sérieusement, dans les règles de l'art et du droit. En nous posant cette question : qu'est-ce qui fait qu'une amicale du personnel, qui devrait normalement bien fonctionner, être vivante, finit-elle par mourir ? Car personne ne l'a tuée, la présidente et la trésorière ont fait leur boulot. A moins, comme dans "Le crime de l'Orient-Express", que nous soyons tous, personnel d'Henri-Martin, coupables ?

Reprenons les faits. L'amicale existe depuis très longtemps, j'y ai adhéré dès le départ, automatiquement, comme on adhère à un syndicat, sans me poser de questions, sans soupeser le pour et le contre, les avantages et les inconvénients. Le montant de la cotisation est de 22 euros par an, ce n'est pas la mer à boire. Avec les personnels administratifs et ouvriers, nous sommes plus de 200 à travailler dans cette cité scolaire. Combien d'adhérents à l'amicale ? Une petite quarantaine cette année.

Les membres, progressivement, se réduisent comme peau de chagrin. Surtout, les activités proposées par l'amicale (galette des rois, sortie au restaurant, spectacle) attirent de moins en moins ... même quand c'est gratuit. Le problème n'est donc pas l'argent. La cérémonie de fin d'année, elle aussi, a perdu de son éclat. Les retraités sont de plus en plus nombreux, les actifs de moins en moins. Surtout, la présidente ne trouve personne pour la remplacer. Or une association sans président, c'est comme un canard sans tête, ça ne va pas très loin.

L'amitié aurait-elle déserté le lycée ? Non, mais la société et son individualisme s'y sont engouffrés. Désormais, quand il y a une naissance, un mariage, un départ en retraite ou un quelconque événement heureux (parfois malheureux), donne qui veut, sans obligation. L'amitié continue de s'exercer, mais d'une autre façon, sans passer par la structure collective de l'amicale. J'en suis un peu attristé : avec l'amicale, c'est la valeur de solidarité qui primait, chacun versait égalitairement un petit quelque chose pour tout le monde. Maintenant, on choisit et on met ce qu'on veut.

Hier soir, avant de se quitter, les sept fantômes ont éclusé la dernière bouteille de champagne qui restait sur le compte de la défunte association. Un bien bel et un bien triste enterrement !

jeudi 25 juin 2009

Bonheur à Bohain.


C'était il y a un peu moins d'une heure, devant le Centre social de Bohain, à l'issue d'un café philo consacré au bonheur. Je ne sais pas si c'est le thème mais nous avons tous l'air joyeux, et moi je suis même hilare, ce qui est plutôt rare. Le pire (ou le meilleur ?), c'est que je me demande pourquoi je ris autant. Mais c'est peut-être ça le bonheur : rire sans savoir pourquoi ...
Le bonheur ... C'est un grand classique des cafés philo, un thème qui marche toujours très bien. Dans un café philo de ce type, ponctuel, les participants n'ont pas trop l'habitude, on reste surtout dans le descriptif. Une dame a tout de même tenté de donner trois règles au bonheur : ne pas avoir peur, ne pas être jaloux, prendre les autres comme ils sont. Pas mal, pour une éthique du bonheur. Il faudrait presque rédiger une Déclaration des Droits et des Devoirs de l'Homme Heureux ou ses Dix Commandements !
Pendant que nous devisions, les personnes du Centre social nous préparaient des gaufres au sucre, chocolat, confiture ou miel d'érable. Miam miam, la nourriture, il n'y a que ça de vrai et d'heureux ! Quand j'ai demandé quel était l'animal le plus heureux au monde, on aurait pu me répondre : le paresseux. Mais non, c'était encore mieux : le hibou, parce que sa femme est chouette ... C'est nul, c'est marrant. Et si c'était aussi ça le bonheur ? Etre léger, insouciant, superficiel, taquin, y compris à l'égard de la philosophie ?

mercredi 24 juin 2009

Perle du bac.

Dans mes corrections des copies du bac, après avoir traité le sujet "peut-on être sûr d'avoir raison ?", je suis passé à celui-ci, très minoritairement choisi : "Le développement de la technique transforme-t-il les hommes ?" On trouve parfois des perles dans les devoirs. En voici une, que j'ai pêchée ce matin, et dont j'essaie le plus fidèlement possible de vous restituer le raisonnement :

L'invention du préservatif prouve que le développement de la technique transforme les hommes. En effet, le port du préservatif empêche la reproduction, ce qui conduit donc à la fin de l'humanité. La transformation est ici une négation, très préjudiciable à l'espèce humaine. En même temps, le préservatif protège l'homme de maladies mortelles. Il a donc un apport positif. Conclusion : le développement de la technique transforme les hommes, en bien comme en mal.

Il fallait y penser ! Je me demande parfois si la réflexion philosophique que nous dispensons à nos élèves ne produit pas dans leur tête ce genre de dialectique. Platon ne disait-il pas qu'il était inutile et dangereux de vouloir administrer la philosophie à des esprits trop jeunes pour la recevoir ?

mardi 23 juin 2009

S'entendre.

Si quelqu'un, hier dans l'après-midi, avait déposé une bombe au CRDP (Centre régional de documentation pédagogique), rue Saint-Leu à Amiens, la fine fleur de la philosophie picarde (dont moi) aurait été exterminée. C'est que nous avions notre commission d'entente du baccalauréat, qui consiste à réunir tous les profs de philo de l'académie pour discuter des critères de correction des copies, à partir de devoirs-tests dont nous comparons les évaluations.

Un prof de philo, c'est déjà, en soi, un phénomène. Une petite centaine de profs de philo réunis au même endroit, c'est un spectacle. Il faut savoir que les profs de philo sont très différents les uns des autres, que notre culture commune n'a pas élimé nos différences, qu'elle les a au contraire exacerbées. On dit : ressemblant comme deux gouttes d'eau. On devrait dire aussi : différent comme deux profs de philo. Quand un d'entre nous en rencontre un autre, c'est le plus souvent sur le mode du désaccord.

Ça fait incontestablement le charme de cette drôle de corporation qui n'en est pas une (pensez : on se retrouve seulement une fois par an de façon collective, au moment du bac ; le reste de l'année, c'est chacun dans son lycée et ses bouquins). Sauf que pour corriger les copies, arriver à un minimum de consensus, établir des critères communs, c'est coton. La commission d'entente, c'est pourtant fait pour ça, et c'est pas triste.

Je retrouve les collègues de Saint-Quentin, Agnès, Bernard, ceux que je connais depuis longtemps, Philippe, ceux même avec qui j'ai passé mes années d'étudiant il y a vingt ans, Emmanuelle. On se salue, on se dit quelques mots, pas plus, jusqu'à l'an prochain, comme si on se voyait chaque jour, comme si on n'avait pas besoin d'en dire plus. C'est bien. Un prof de philo est bavard devant sa classe. Ailleurs il a plutôt tendance à se taire. Mais je connais aussi quelques notables exceptions.

Hier, nous étions réunis dans une immense salle avec gradins, où l'on se tourne le dos et où l'on entend très mal quand quelqu'un parle. Pas les conditions idéales de travail. Mais un prof de philo se fait à tout, pourvu qu'il ait son cerveau avec lui ... et ses copies-tests en l'occurrence. Parmi nous, celui qui porte une cravate fait intrus. Il n'y en a qu'un, c'est l'inspecteur, qui nous est supérieur, qui supervise nos travaux, mais qui est comme nous prof de philo. Il n'exerce certes plus, mais prof de philo, c'est comme prêtre : c'est pour la vie, même quand on a arrêté. J'aime bien cet inspecteur, le même depuis environ dix ans : il est sympa, serviable, bienveillant et ... bavard.

Vouloir faire s'entendre deux profs de philo, c'est une gageure, un défi. Vouloir en faire s'entendre cent, c'est une folie. Je me demande même si un prof de philo est capable de s'entendre avec lui-même. Toujours est-il que des profs de philo qui s'entendent, c'est comme de vieux amis qui se fâchent, c'est plutôt rare. A propos des six copies-tests, chacun a donné sa note et son commentaire, sans vraiment écouter les commentaires des autres. On parle en même temps, on se coupe, on se répète, on ne se comprend pas, chacun veut avoir raison, c'est vite le brouhaha.

Mais que peut-il sortir de tout cela ? Vous ne me croirez pas et c'est pourtant vrai : du désordre surgit l'ordre, de la cacophonie s'élève une symphonie, l'incroyable se produit, l'entente s'opère. Vous n'aurez pas un prof de philo par les bons sentiments mais par les bons arguments. Or dans cette philosophique assemblée, les bons arguments finissent par l'emporter. On s'entend parce que l'entendement, vieux mot pour désigner la raison, est toujours victorieux. Après tout, c'est la marque de fabrique des profs de philo. Comment pourraient-ils l'oublier ? Chacun d'entre nous est donc reparti confiant, rassuré, avec quelques enseignements qui lui permettront d'affronter les 130 copies en moyenne qui nous attendent sur la table de notre cuisine. Rendez-vous même jour, même heure, même lieu dans une semaine, pour la commission d'harmonisation.

lundi 22 juin 2009

Photo de famille.


C'est un peu une photo de famille que vous voyez ici, la famille café philo de Saint-Quentin, prise jeudi dernier, à la sortie de notre repaire philosophique, le bar Le Manoir, où nous avons devisé autour de la question : c'était mieux avant ? Et le café philo, était-ce mieux avant, quand je l'ai créé, il y a onze ans ? Sûrement pas ! De cette époque préhistorique, il reste deux témoins, deux survivants, qui sont sur cette photo : Laurent à droite, veste sous le bras, et Maurice juste derrière moi, reconnaissable à sa cravate. Ce sont deux fidèles et irremplaçables intervenants, régulièrement présents depuis 1998. Onze ans de constance, vous vous rendez compte !
Je veux vous signaler aussi, derrière la jeune femme à la gauche de Christophe, crâne rasé et veste de jean, une autre jeune femme, Elodie, animatrice du café philo de Tergnier, venue nous dire bonjour en voisine. Cette photo est à l'image du café philo : d'une grande diversité. Pendant deux mois, je vais me reposer, pour mieux reprendre en septembre.
Samedi, fait rarissime, j'ai participé à un café philo qui n'était pas animé par moi mais par mon collègue Jean-Paul, de Guise. C'était, vous l'avez sans doute reconnu, le café philo de Lise au Pat Mag. Le thème : la propriété, c'est le vol ? Jean-Paul a une façon très différente de moi d'animer : il parle beaucoup plus, propose des références philosophiques qu'il développe. C'est très bien fait, d'une grande qualité, mais pas toujours évident pour qui n'a jamais fait de philosophie. En tout cas, il faut faire l'effort de suivre. Mes animations sont plus du côté du divertissement, intelligent certes, mais divertissement quand même. Je provoque, je questionne, je cite assez peu. Mais chacun son style, il faut de tout pour faire un monde et surtout pour faire un café philo.

dimanche 21 juin 2009

Mes amis les prisonniers.


Les événements professionnels se précipitent en cette fin d'année scolaire et je n'ai pas toujours le temps de les évoquer au jour le jour. Je tenais tout de même à vous parler de ma dernière séance de café philo à la prison de Château-Thierry, mardi dernier. D'abord, pour cette troisième visite, j'ai eu l'étrange sentiment que les portes, les clés, les grilles, les gardiens, tout ce qui m'avait la première fois impressionné s'était effacé. Je suis entré assez facilement, les formalités m'ont semblé moins pesantes, le gardien a beaucoup moins surveillé la salle où nous débattions, j'ai quitté seul le quartier des détenus. Bref, je me suis déplacé dans ce lieu comme partout ailleurs, alors que l'endroit demeure exceptionnel. C'est la force de l'habitude. On retient les hommes, on oublie les murs.
La précédente séance m'avait un peu déçu, je m'étais mal placé, je n'apercevais pas tous les participants, peut-être aussi n'avais-je pas assez préparé le sujet. Là, j'ai fait très attention, j'avais devant moi une feuille avec une quarantaine de questions, je me suis assis de façon à ne tourner le dos à personne. Six détenus étaient présents, deux sont venus mais ne sont pas restés, j'ai tout de suite vu à leur visage qu'ils n'étaient pas intéressés. Leur départ m'a soulagé. Mobiliser l'attention de huit personnes, c'est difficile. Si deux sont dissipés, c'est tout le groupe qui n'est plus concentré.
Cette fois aussi, à la différence de l'autre, il y avait ... du café. C'est important quand on organise un ... café philo. C'est encore plus important pour un détenu. Pour nous, citoyens libres, prendre un café quelque part, c'est rien, c'est une banalité. Pour quelqu'un qui est enfermé dans une cellule, en sortir pour s'asseoir quelque part, discuter avec d'autres et une personne qui vient de l'extérieur, c'est un moment de bonheur. Un détenu a tout de suite compris le sujet du jour, qu'il a annoncé avant que j'en parle : la morale. Eh oui, il a eu suffisamment l'oeil pour détecter le papier qui sortait de la poche de ma chemise et sur lequel j'avais inscrit le thème.
Après le bonheur, après la violence, la morale a bien marché. Il faisait beau, nous avons ouvert les fenêtres. Ça aussi, c'est précieux, ce n'est pas banal, ouvrir les fenêtres dans une prison, même si les barreaux, eux, sont toujours là. Vous voulez que je vous dise ? Ces détenus, je commence à les aimer. La philo, ils pourraient s'en foutre. Et la sortie que leur donne l'occasion de ma venue n'explique pas tout. J'aurais bien voulu prendre une photo de notre petit groupe, je le fais de plus en plus souvent pour ce blog, vous l'avez remarqué. Mais on ne peut pas prendre de photo à l'intérieur de la prison. J'en ai donc pris une à l'extérieur. La fenêtre que vous voyez ouverte, c'est peut-être celle de notre pièce, mais je n'en suis pas sûr. Peu importe, ça vous donne une certaine idée des lieux. L'imagination et mon récit feront le reste.
L'un des détenus ne sera plus là quand je reviendrai la prochaine fois, probablement en septembre, mais pourquoi pas au milieu de l'été, si le coeur m'en dit. L'avantage avec une prison, c'est que c'est ouvert, si je puis dire, en permanence. Ce gars-là a donc obtenu sa libération anticipée, il ira travailler dans le nettoyage industriel et logera chez ses parents. Dans notre café philo, il intervenait souvent, il avait un rôle moteur, il incitait les autres à participer, tout comme dans un café philo à l'extérieur, où il faut de ces personnalités qui n'hésitent pas à parler, qui encouragent les autres à se lancer.
Je pense aussi à lui parce que j'ai un peu peur pour lui. Les prisonniers sont des gens fragiles, incomparablement plus que les élèves. Je n'ai jamais vu dans ma vie plus fragile qu'un prisonnier, ça se voit, ça se lit sur les visages, dans les yeux. C'est la peur, c'est la violence qui les fragilisent. Et à mon tour, donc, j'ai peur, parce que la prison, c'est du moins mon sentiment aujourd'hui, ça ne l'était pas au début, les enferme mais aussi les protège. Leur grande ennemie, la séductrice qui peut les faire replonger, c'est la société. Seuls avec eux-mêmes ou leurs semblables, dans le cadre pénitentiaire, les limites sont posées. Dans la société, c'est fini, c'est la liberté, et la possibilité de fauter, de faire le mal. En le quittant, ce gars dont je ne sais ni le nom ni le prénom, que je ne reverrai sans doute jamais, je lui ai dit, avant qu'il ne rejoigne sa cellule : bon courage, bonne chance, et peut-être à un de ces jours, dans un café philo ...
Dans la cour, j'ai fait un bilan de mes trois séances avec le conseiller d'insertion et de probation et la sous-directrice. Ils sont satisfaits de mes interventions, ils en redemandent. Mais moi ? Je ne suis jamais satisfait de rien, alors ... Je suis cependant content de ce qui s'est passé, qui n'était pas évident au départ. Je reviendrai ? Oui, bien sûr, j'ai envie. Mais Saint-Quentin-Château-Thierry, c'est loin quand on fait pas mal de choses, ça prend du temps. Et j'ai aussi la prison de Laon qui me réclame ... Pourquoi pas, il faut que j'y réfléchisse. Réfléchir, ça devrait être dans mes cordes, non ?

samedi 20 juin 2009

Tiers temps.

Ma surveillance du bac ne s'est pas limitée à l'épreuve de philosophie. On m'a demandé hier après-midi de surveiller un "tiers temps", c'est à dire une épreuve dont la durée est augmentée pour certains candidats. Ainsi, les arts plastiques, qui commencent à 14h00 et se terminent à 17h30, se prolongent jusqu'à 18h40 pour Ingrid, la seule candidate concernée par le "tiers temps". Ingrid, vous la connaissez si vous lisez régulièrement ce blog (elle est sur la photo de fin d'année que j'ai mise dans un récent billet). C'est mon élève de L, fortement handicapée puisqu'elle se déplace en fauteuil électrique.

Au début de l'année, c'est impressionnant (c'est la première fois en seize ans d'enseignement que j'étais confronté à cette situation). Et puis l'habitude prend le dessus, on n'y fait plus attention, Ingrid est devenue très rapidement une élève comme une autre. Sauf qu'elle peut difficilement écrire, qu'il lui faut donc la présence d'une AVS, assistante de vie scolaire, qui prend les notes à sa place, qui rédige aussi les devoirs pour elle, sous sa dictée. D'où la nécessité pour Ingrid du "tiers temps".

Je me suis donc retrouvé dans une petite pièce à l'infirmerie, en compagnie d'Ingrid, de son AVS et d'une collègue qui comme moi était chargée de la surveillance. Car que les candidats soient un seul ou trente, il faut réglementairement deux surveillants. D'autant qu'en la circonstance la candidate est mon élève de l'année ! Le baccalauréat est un monument de scrupules administratifs ! Ce qui fait tout de même drôle, c'est que nous sommes trois adultes pour une élève.

L'espace est étroit, il fait très chaud, nous devons rester près de cinq heures, je suis un peu fatigué, je sens mon pire ennemi se pointer : le sommeil ! J'ai prévu de quoi occuper le temps, lire et travailler. Finalement, ça se passe mieux que prévu, mes paupières ont tenu le coup. Et puis Ingrid a terminé son exercice un peu avant 17h00, ce qui signifie qu'elle n'a pas eu besoin d'utiliser son tiers temps.

J'évoquais les scrupules de l'administration : mon collègue CPE (conseiller principal d'éducation), me rendant une petite visite, souhaitait aussi me rendre un petit service, m'apporter les copies de bac que je dois corriger. Mais l'Education Nationale privilégie la règle à la bonne intention : les copies doivent être remises en main propre au correcteur et pas à un tiers. J'ai donc réceptionné dans le Bureau de la Vie Scolaire le précieux chargement, que j'ai mis sous mon bras et emmené chez moi. J'ai 128 copies à corriger jusqu'au 2 juillet midi.

J'ai ouvert mes deux paquets ce matin et découvert un problème : il n'y a pas les copies-test qui permettent aux enseignants de comparer leur évaluation et de s'entendre sur quelques critères de correction (c'est le but de la commission d'entente, qui aura lieu lundi après-midi à Amiens). Autre oubli : la feuille des sujets. Ce n'est pas grave pour la dissertation, les candidats rappelant la question au début de leur devoir, mais c'est embêtant pour le commentaire de texte, puisque l'extrait à étudier ne figure pas. J'ai envoyé immédiatement un courriel à mon inspecteur pour lui indiquer ces anomalies. Et j'ai commencé sans tarder la correction du premier sujet : peut-on être sûr d'avoir raison ?

vendredi 19 juin 2009

Salle 136.

Hier matin, quand je suis entré à 7h45 dans mon lycée pour surveiller l'épreuve de philosophie du baccalauréat, empruntant le trajet de chaque jour, l'établissement avait son ambiance ordinaire. Du moins en traversant la cour d'honneur, entre les BTS audio-visuels et les classes préparatoires littéraires. Mais en rejoignant la grande cour du lycée et collège, en regardant dans direction du portail d'entrée, en voyant la foule rassemblée, j'ai compris : c'est bien le début de l'examen dont les médias nous parlent depuis une semaine.

Je suis affecté à la surveillance de la salle 136, et qu'est-ce que je retrouve ? Ma classe de Scientifiques, celle avec laquelle nous avons pris les photos délirantes de fin d'année. Mais plus de délires cette fois ! Je suis en compagnie (nous sommes deux surveillants par salle) d'un collègue assez sympa. C'est important, quand on sait qu'on va rester quatre heures ensemble, de 8h00 à midi, qu'il y a un tas de vérifications à faire. Le proviseur nous rend visite, il fait sa petite tournée solennelle de salle en salle.

Avant que l'épreuve commence, au coup fatidique d'horloge de 8h00, nous procédons à plusieurs formalités : les sacs des élèves doivent être déposés près du mur, les pièces d'identité et la convocation doivent figurer, bien visibles, au coin des tables pour contrôle, les candidats doivent signer la feuille d'émargement et remplir la fiche qui atteste qu'ils ont pris connaissance des sanctions en cas de fraude (bizarre ...), compléter l'en-tête des feuilles de composition, un peu compliqué à renseigner (si c'était simple, ce ne serait pas l'Education Nationale ...) : il faut notamment reporter le repère de l'épreuve qui est inscrit sur les sujets (et qui répond chez les S à la douce formule de 9PHSCME1) et le numéro du candidat (à ne pas confondre, mais beaucoup d'élèves confondent, avec l'identifiant du lycée et le numéro du jury).

Après avoir satisfait à ces obligations administratives, qui sont presque aussi difficiles que l'épreuve de philosophie elle-même, le candidat est prêt à disserter. Il ne lui manque que les sujets, qu'un surveillant apporte dans des enveloppes plastifiées qui sont aussi pénibles à ouvrir qu'un paquet de gruyère : je commence à les déchirer avec mes mains, elles me résistent, de précieuses secondes s'écoulent (il est 8h00 passé), mon acharnement devient un spectacle pour la salle, je crains d'être si efficace que je vais finir par déchirer les feuilles à l'intérieur. Bref je renonce et demande au surveillant une paire de ciseaux. En quatre heures, ce sera le seul incident notable.

On distribue à chaque candidat une petite bouteille d'eau minérale. Je crois que c'est une nouveauté (avant, chacun arrivait avec sa provision d'eau). Il fait très chaud, très lourd dans la salle. Les corps et les cerveaux transpirent. C'est beau à regarder. Silence presque total, on croit voir des idées passer au-dessus des têtes. Je distribue les feuilles de brouillon, de couleur saumonnée ou jaune citron. Quand un candidat veut aller aux toilettes, il faut qu'un homme accompagne les garçons et une femme les filles (c'est fou ce que notre Education Nationale est puritaine. Mais qu'est-ce qu'on va imaginer ! ).

Mon collègue s'est installé au bureau, face aux candidats, moi je me suis mis au fond de la salle, à la table d'un absent. J'ai ainsi l'impression de concourir (je rédige d'ailleurs les corrigés pour le blog). Surtout, je peux surveiller discrètement les candidats. Mais pourquoi ? Tricher en philo, ça n'a pas de sens. Par la fenêtre, j'aperçois le musée Antoine Lécuyer, le lycée privé Saint-Jean et la basilique de Saint-Quentin. Un trop beau décor pour les élèves déconcentrés.

Il y a le moment de la relève, où je pars quelques minutes boire un café. Les candidats ont le droit de partir une heure après le début de l'épreuve. Personne ne quitte la salle, c'est bien. La plupart vont rester presque jusqu'à la fin. Parfait, c'est ce que je leur ai demandé. A midi, il faut classer les copies. Je laisse faire mon collègue. Généralement, quand il faut ranger, compter et recompter, je me plante.

Les quatre heures de l'épreuve, comme toujours, sont passées très vite. Mais pour les candidats ? Je sais que des élèves doivent sûrement attendre devant le lycée, faire des commentaires, échanger leurs impressions. Je pourrais aller les rejoindre, donner mon point de vue sur les sujets. Je préfère discrètement m'éclipser par où je suis entré quatre heures auparavant, c'est à dire par la petite porte de la cour d'honneur. Pourquoi cette discrétion ? Parce que je veux le plus rapidement possible mettre les corrigés sur le blog, surtout parce que je crois qu'il ne sert à rien de répondre aux interrogations des élèves sur leur propre travail, sinon à créer des illusions, bonnes ou mauvaises. Quand c'est fini c'est fini, il faut se préparer à ce qui suit, l'épreuve littéraire de l'après-midi.

jeudi 18 juin 2009

S, 2ème sujet.

Y a-t-il des questions auxquelles aucune science ne répond ?


C'est à nouveau un sujet d'épistémologie, donc délicat à traiter. On demande en introduction si la science est omnisciente, si elle a ou non réponse à tout. D'emblée, on a envie de dire non. En même temps, la science ne cessant de progresser, ne finira-t-elle pas par avoir réponse à tout ? Ou bien se heurte -t-elle à des limites, et lesquelles ?


Dans une première partie, je montre que la science ne répond pas à la question du bien et du mal, que se réserve la morale.


Dans une deuxième partie, j'explique que la science ne répond pas à la question de la transcendance, qu'aborde la religion.

Dans une troisième partie, je soutiens que la science ne répond pas à la question politique du bien commun, dont délibèrent les citoyens, pas les savants.

En conclusion, j'affirme que la science n'a pas réponse à tout mais qu'elle peut et doit tout questionner, y compris la morale, la religion et la politique.

S, 1er sujet.

Est-il absurde de désirer l'impossible ?


Dans l'introduction, je note que la réponse affirmative s'impose d'abord, mais en même temps je constate que les désirs impossibles existent. Sont-ils donc si absurdes que ça ? N'y a-t-il pas des causes ou des raisons cachées à désirer l'impossible ?


Dans une première partie, je soutiens que tout désir, au départ, désire l'impossible dans l'immédiat. Car quelque chose qu'on obtient tout de suite n'a pas besoin d'être désiré. Par exemple, à son origine, tout amour semble impossible, ce qui n'empêche nullement de désirer.


Dans une deuxième partie, je note que le possible est du domaine du réel, et même du réalisme, alors que le désir relève de l'imaginaire. Impossible est ici synonyme d'irréel. Le désir d'éternité, de perfection, d'utopie sont des désirs de l'impossible mais ils ne sont pas absurdes.

Dans une troisième partie, je constate que moins l'objet du désir est possible, plus l'élan pour l'acquérir est puissant. Ce qui est tout à fait cohérent. C'est l'exemple de l'ambition.

Dans une quatrième partie, je remarque que désirer l'impossible, c'est s'en rapprocher, c'est le réaliser progressivement, le rendre donc possible. C'est l'exemple de l'idéal. Impossible ne veut pas dire ici inaccessible.

En conclusion, l'absurdité serait de désirer ce qui est possible, car il suffit de le souhaiter ou le vouloir.

ES, 2ème sujet.

Le développement technique transforme-t-il les hommes ?

Dans l'introduction, je rappelle que la technique est toute puissante, qu'elle transforme en profondeur les sociétés et notre environnement quotidien. Mais sa puissance va-t-elle jusqu'à transformer la nature humaine ?

Dans une première partie, je réponds que moralement non, les hommes ne sont pas rendus meilleurs aujourd'hui qu'autrefois par le développement technique. Le mal, la guerre par exemple sont toujours là, le développement de la technique les a même intensifiés. S'il y a transformation, c'est au sens négatif.

Dans une deuxième partie, je réponds que physiquement oui. Manipulations génétiques, clonage, eugénisme, le développement technique conduit à une nouvelle humanité, pour le meilleur ou pour le pire. J'évoque alors les problèmes que se pose la bio-éthique.

Dans une troisième partie, je réponds que matériellement oui. Grâce au développement technique, les conditions de vie sont plus confortables, ce qui ne peut qu'avoir des effets positifs sur l'existence humaine.

En conclusion, je choisis de retenir que le développement technique transforme les hommes, mais avec des limites. Car quand le développement technique se montre le plus efficace et le plus révolutionnaire dans sa transformation des hommes, c'est la nature humaine qui est remise en cause et qui est menacée de dénaturation et même de disparition.

ES, 1er sujet.

Que gagne-t-on à échanger ?

De tous les sujets de la voie générale, celui-ci me semble le plus difficile. On ne voit pas a priori ce qu'on pourrait répondre, et comment en faire toute une dissertation. Nous allons tout de même essayer. Dans l'introduction, je remarque que la question concerne l'ordre économique et marchand (c'est pourquoi on l'a posée dans cette série, Economique et Social). Mais ne peut-on pas élargir cette question, et l'échange, avec ses éventuels gains ou pertes, ne touche-t-il pas d'autres domaines ? (c'est une façon de rendre un peu plus originale et philosophique la question, de ne pas l'enfermer dans une réflexion strictement économique).

Dans une première partie, je note qu'échanger, c'est d'abord perdre quelque chose, la chose dont on va se débarrasser pour en obtenir une autre.

Dans une deuxième partie, j'analyse la notion de gain, au sens de la plus-value, et je soutiens qu'elle n'existe pas vraiment dans l'échange puisque c'est une relation de donnant-donnant, une opération blanche en quelque sorte, sans profit réel.

Dans une troisième partie, j'explique qu'on ne gagne que par l'achat, c'est à dire par l'intermédiaire de la monnaie, alors que l'échange relève du troc.

Dans une quatrième partie, je donne à l'échange un sens différent : permuter, échanger des places pour que l'un et l'autre se trouvent mieux placés, par exemple. Dans ce cas, nous avons affaire à un échange gagnant, qui consiste à rétablir un ordre imparfait ou inexistant. Echanger revient alors à changer, pour le bien de tous.

Dans une cinquième partie, je fais appel à Marx et à sa distinction entre valeur d'usage et valeur d'échange, éventuellement en faisant un détour par sa théorie de la plus-value.

En conclusion, je soutiens que dans l'ordre marchand l'échange est primitif et finalement négatif (pas de gain réel) alors que dans l'ordre éthique l'échange peut être gagnant. Par exemple, on parle d'échange de bons procédés, qui renvoie à la politesse, à la réciprocité, à la sociabilité.

L, 2ème sujet.

Le langage trahit-il la pensée ?

C'est le sujet que j'aurais personnellement choisi, qui colle bien avec ce que nous avons travaillé en cours. Dans l'introduction, je souligne le lien étroit entre langage et pensée. Je me concentre surtout sur le terme "trahir", qui est problématique puisqu'il signifie à la fois dévoiler et tromper (mais dans la question, c'est essentiellement le premier sens qui est sollicité). Se demander si le langage trahit la pensée, c'est supposer que la pensée se cache, volontairement ou non, et que le langage pourrait éventuellement la mettre à nue. Mais si l'un et l'autre sont en correspondance intime, comment le premier ne dévoilerait-il pas la seconde ?

Dans une première partie, je remarque que le langage est imparfait, trompeur, inapte à exprimer fidèlement la pensée. Il y a donc ici trahison, au sens le plus péjoratif.

Dans une deuxième partie, j'aborde le mensonge, qui est une ruse du langage cachant la pensée véritable, la pensée inavouable. Mais le mensonge est circonstancié. Le menteur, à force de parler, ne finit-il pas par trahir sa pensée ?

Dans une troisième partie, je démontre que le langage ne trahit pas la pensée rationnelle mais qu'il la traduit, car cette pensée cherche à se montrer à travers les mots.

Dans une quatrième partie, je soutiens que le langage trahit surtout ma pensée intime, mes sentiments, émotions, passions, qui sont trop puissants pour être dissimulés par les mots.

Dans une cinquième partie, je me réfère à Freud, sa théorie du lapsus qui trahit, qui révèle la pensée inconsciente.

En conclusion, je réponds que le langage trahit la pensée, mais pas n'importe laquelle et pas n'importe comment.

L, 1er sujet.

L'objectivité de l'histoire suppose-t-elle l'impartialité de l'historien ?

C'est un sujet d'épistémologie, donc pas facile. Dans l'introduction, j'explique qu'on est tenté de répondre oui à la question puisque l'histoire est une science, qu'elle réclame donc objectivité et impartialité. Le problème, c'est que l'histoire est une science humaine, où l'historien est impliqué en tant qu'homme, avec sa sensibilité, son éducation, ses préférences ... Dans ces circonstances, la supposition d'impartialité, pourtant recommandable, est-elle toujours tenable ?

Dans une première partie, je commence par constater que l'histoire concerne le passé, dans lequel l'historien n'est pas, ce qui introduit nécessairement une distance, un recul qui sont des gages d'impartialité. L'objectivité de l'histoire et l'impartialité de l'historien sont sauvées par la durée, généralement la longue durée.

Dans une deuxième partie, je remarque que l'historien en tant que témoin et observateur de l'événement en est partie prenante, ce qui rend difficile l'impartialité mais ce qui n'empêche nullement l'objectivité.

Dans une troisième partie, j'évoque l'historien militant, par exemple Michelet, dont l'histoire est imprégnée de républicanisme comme d'autres de marxisme, ce qui n'enlève rien à la valeur scientifique de leurs travaux.

Dans une quatrième partie, je souligne la particularité de l'histoire, qui est d'être une science interprétative, où un même événement peut susciter des analyses fort différentes, donc une partialité qui ne porte pas ombrage à l'objectivité. La multiplication des interprétations permet sans doute même de mieux cerner l'événement.

En conclusion, je réponds non à la question, car objectivité et impartialité ne se recouvrent pas. D'ailleurs, demande-t-on à un physicien ou à un chimiste d'être impartial ? Non, mais seulement objectif. La solution à notre problème de départ, c'est que l'objectivité est une catégorie scientifique alors que l'impartialité est une catégorie morale, qu'on peut par conséquent les dissocier.

mercredi 17 juin 2009

A mes élèves.

Mes cher(e)s élèves,

C'est demain le grand jour, celui qui justifie notre travail collectif de l'année. Un grand jour qui sera suivi d'autres grands jours. Je crois vous l'avoir dit : aujourd'hui, ce soir, ne faites pas de philo, ne vous précipitez pas sur vos notes et sur mes cours. Amusez-vous, détentez-vous, promenez-vous, faites tout sauf de la philo ! C'est trop tard. Demain, c'est toute l'année qu'il fallait le préparer. Pour la plupart, je sais que vous l'avez fait.

Ne vous couchez pas trop tard bien sûr, mais pas non plus trop tôt, vous risqueriez un réveil prématuré dans la nuit qui pourrait entraîner une insomnie : demain, il ne suffira pas d'être intellectuellement prêt, il faudra être physiquement en forme. Faites comme moi, allez chercher un dvd dans votre magasin de vidéo (il n'y a rien de très intéressant ce soir à la télé), prenez un bon film d'action qui vide la tête et fait tout oublier, car demain matin, il faudra que vous ayez une tête bien pleine et bien faite.

Quelques ultimes rappels :

- utilisez les quatre heures de l'épreuve, ne partez pas à dix heures
- travaillez au brouillon 45 minutes, une heure maxi, pas plus
- problématisez bien le sujet (question ou texte) dans l'introduction
- ordonnez vos idées dans le développement, faites des parties très visibles, développez suffisamment vos idées par des arguments
- ne négligez surtout pas la conclusion, ne la bâclez pas

Mais je me rends compte, à l'instant où je vous écris, que je me contredis : je vous demande de ne pas penser à la philo ... et c'est moi qui vous en parle ! Je vais vous dire pourquoi, je vais vous faire un aveu : c'est que je suis aussi stressé que vous ! Comme si, demain, moi aussi, j'allais passer le baccalauréat ... Pourquoi ? Parce que votre réussite sera ma réussite, et votre échec mon échec.

Je ne le dis pas pour vous rassurer mais demain, pour celles et ceux qui ont honnêtement travaillé dans l'année, tout devrait à peu près bien se passer. Combien de fois, ensemble, n'avons-nous fait de dissertations et de commentaires de textes ! Nous n'avons pas cessé. J'ai voulu vous rendre l'épreuve de philosophie, qui au départ vous paraissait redoutable, familière. C'est pourquoi vous pouvez demain matin, à 8h00, entrer dans la salle d'examen avec la plus grande tranquillité (et beaucoup de détermination).

D'ailleurs, vous me verrez peut-être, puisque je serai de surveillance. Si nos regards se croisent, je vous ferai un petit signe discret de connivence et d'encouragement. Ce soir, s'ils vous restent un dernier doute, une ultime question, vous pouvez toujours m'interpeller. Mais croyez-moi : privilégiez la détente ...

Demain, de retour chez moi, à partir de midi, je vous ferai part sur ce blog de mes réactions sur les sujets de philosophie. Ce ne seront pas des corrigés-type, puisqu'il n'y a pas, vous le savez bien, de modèle absolu et unique de devoir dans notre matière. Mais je vous expliquerai tout de même comment j'aurai personnellement traité les sujets.

Je vous laisse, pour que vous ayez le temps d'aller dans votre magasin de vidéo.

Bonne soirée, bon courage, bonne chance.

A demain.

mardi 16 juin 2009

"I feel good".





C'était hier le dernier ciné philo de la saison, séance un peu exceptionnelle puisque programmée dans l'après-midi et non en soirée, pour que les résidents des maisons de retraite puissent participer. Le film, "I feel good", de Stephen Walker, portait sur le grand âge et ses difficultés, à travers l'histoire vraie d'une chorale de seniors interprétant des chansons rock et punk en tournée mondiale ! Exceptionnelle aussi parce que nous avions décidé, pour l'occasion, d'organiser une rencontre "intergénérationnelle", formule très prisée dans l'Education Nationale ces dernières années.
Les jeunes étaient au rendez-vous ... pas tellement les anciens. Mais si j'étais vieux, est-ce que j'aimerais aller voir un film sur des vieux ? Les enfants, eux, sont bon public, on peut leur montrer n'importe quoi, ils adhèrent assez vite, ils s'enthousiasment ... Il a quand même fallu que je les surveille et que j'intervienne parfois, d'autant que ce film de chansons et musiques incite les corps à bouger. Et puis, un enfant reste difficilement assis longtemps. Là, certains se levaient, s'appuyaient sur le fauteuil de devant, position qui incite à parler avec le voisin ...
Au moment des questions, ils ne leur restaient plus beaucoup de temps, mais ils ont été merveilleux comme le sont toujours les enfants quand il s'agit de participer. Ils ont réagi avec leurs mots à eux, beaucoup de leurs remarques étaient très bien senties. Ce ciné philo n'était pas très loin d'un goûter philo !
Avant la projection, les élèves ont interprété plusieurs chansons dans la salle de cinéma, façon d'anticiper aussi la prochaine Fête de la Musique. La première photo montre l'école Theillier-Desjardins, la seconde l'école Lyon-Jumentier, la dernière les trois classes réunies dans le hall du multiplexe.
Le débat entre adultes a montré une fois de plus combien les points de vue peuvent être différents (mais c'est ça qui est intéressant !), même si au départ l'unanimité semble de mise. Les personnes âgées sont-elles mieux traitées aujourd'hui qu'autrefois ? La vieillesse favorise-t-elle la sagesse ou au contraire l'acrimonie ? Faut-il montrer le grand âge dans toute sa crudité comme le fait ce film (très anglo-saxon de ce point de vue) ou bien faire preuve de retenue, de pudeur et même de coquetterie, à la française ? Toujours est-il qu'une société qui, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, fait cohabiter en son sein quatre générations mérite réflexion.

lundi 15 juin 2009

Délires Scientifiques.



Chaque classe a ses particularités, même en ce qui concerne la fin de l'année. Les Littéraires ont été très sérieux, une poignée de rescapés studieux, les Economiques ont déserté, une seule étant présente à l'appel. Les Scientifiques ont choisi le mode délirant, et je me suis pris à leur jeu. C'est surtout les garçons, déguisés en je ne sais quoi, qui ont mis l'ambiance, les filles restant plus raisonnables.
Tout a commencé lors de mon arrivée devant la salle de classe, où une haie (d'honneur ?) m'attendait, accompagnée d'une tonitruante Marseillaise. Je ne sais pas si mes élèves sont devenus soudainement patriotes, mais je crois avoir compris quand leur chant a insisté sur le "contre nous de la tyrannie".
Une fois entré, j'ai vite compris que ces deux dernières heures de l'année seraient leurs heures et pas vraiment les miennes. Mais quoi faire quand on a plus envie de rien faire, et surtout pas de la philosophie ? J'ai demandé ce qu'ils voulaient. Et savez-vous ce qu'ils ont répondu ? Que je leur raconte ma vie ! Rien que ça ... C'est normal et même banal : les élèves subissent un prof pendant un an, ils sont curieux de connaître la personne. C'est humain.
Je me suis plié à leur demande, d'autant plus volontiers que cette confession, malgré les apparences, a pris des allures d'enseignement, a eu en tout cas une valeur pédagogique. Ainsi, jusqu'au bout, même dans un divertissement quelque peu délirant de fin d'année, j'aurais tenu mon rôle, j'aurais exercé ma fonction. Pourquoi ? Parce que ma vie professionnelle (je ne suis tout de même pas allé au-delà !) peut se résumer ainsi :
1979-1980 : baccalauréat à Tarbes puis fac de Vincennes, en sciences-politiques, ma période soixante-huitarde.
1980-1983 : ma période de chômage dans mon Berry natal.
1983 : manutentionnaire en librairie, à Angers.
1984 : vendeur d'espaces publicitaires dans des revues pour cadres.
1985 : à la Poste, facteur, télégraphiste et guichetier.
1986-1988 : gardien de jour au Parc de la Villette, échec au concours de bibliothécaire.
1988-1993 : gardien de nuit au groupe d'assurances GPA, près de la Tour Montparnasse. Parallèlement, reprise d'études, en philo, à Tolbiac puis La Sorbonne.
1993 : réussite au CAPES, à la deuxième tentative; année de stage à Reims, au lycée Colbert.
1994 : première affectation, lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin. Quinze ans après, je suis toujours là.
Quel message ai-je voulu faire passer à mes élèves, en cette fin d'année pas si délirante que ça ? Qu'il faut du temps pour faire le bon choix, que les échecs préparent les réussites, que le destin n'existe pas, que nous sommes relativement libres de forger notre existence. J'ai vu certains visages s'éclairer, de grands yeux devenir encore plus grands. Je crois que le message est passé.
Autre message, celui de ces deux photos : nous nous amusons, bien sûr. Des élèves sont arrivés avec lunettes noires, drapeaux du Portugal, de la Kabylie et de la Russie impériale ... et un pistolet en plastique ! Au moment de la photo, j'ai pris la pose de James Bond. Je tiens beaucoup à ces deux photos, qui ont pour moi un sens profond : montrer que le lycée et ses élèves ne sont pas ce qu'on en dit trop souvent quand on ne retient que les faits divers médiatisés. Entre élèves et profs, tout peut aussi très bien se passer, sans cette terrible violence dont je ne nie pas hélas l'existence mais dont j'affirme qu'elle est très minoritaire dans notre école publique, qu'elle n'en reflète pas, et heureusement, l'exacte réalité.
Ce pistolet qui est un jouet, c'est aussi ma réponse au film "La Journée de la Jupe", où Adjani campe une prof qui utilise une arme, une vraie celle-là, pour prendre en otage sa classe et faire cours sous la menace, retournant la violence contre les violents. Cette situation me paraît tellement outrancière, sa morale me semble tellement contestable que j'ai voulu répliquer, montrer une autre image de l'école, puisque le hasard de ce petit délire m'en donnait l'occasion. Là, c'est moi qui suis gentiment l'otage de ma classe ! Et ne croyez pas que les élèves que vous voyez sont des privilégiés dans un établissement bourgeois ! La plupart des enfants d'Henri-Martin sont issues des classes populaires et moyennes.
Le délire ne s'est pas arrêté là : de retour dans la salle de classe, après être allé chercher mon appareil-photo, tout avait été inversé ! Ce qui était en avant, le bureau, l'estrade, s'est retrouvé au fond, ce qui était au fond, carte, placard, s'est retrouvé en avant. Seul le tableau, fixé au mur, n'a pas pu être déplacé. Nous avons donc passé deux heures dans ce monde à l'envers, qui n'en avait pas moins sa cohérence. A la fin, deux élèves m'ont demandé de dédicacer leur tee-shirt. J'ai écrit au feutre : "Que la sagesse soit avec toi !" Le délire était fini. L'année aussi.

Anges ou démons ?



Vous vous souvenez de la sortie à Paris, le 17 mai dernier, avec mes étudiantes de l'IUTA de Laon. Le matin, nous étions allés au Café des Phares, place de la Bastille, où a été créé le premier café philo, que j'ai eu ce dimanche-là l'honneur d'animer. L'une d'entre elle, Marie-France, m'a envoyé quelques photos prises sur le vif, dont les deux ci-dessus, que je trouve intéressantes à commenter :
Sur la première, on comprend assez bien qu'un café philo parisien est beaucoup plus fréquenté qu'un café philo axonais ! Nous devions être 70-80 participants, l'animateur ne peut pas voir tout le monde. On a même du mal à circuler dans la salle. Je suis au fond à droite (c'est à dire près de l'entrée), chemise blanche et micro en main, en pleine action. Pas très loin de moi, à ma droite, chemise sombre, c'est Daniel Ramirez, l'un des animateurs du Café des Phares, animateur également d'un ciné philo à Paris.
Sur la deuxième, qui est ma préférée, Gunter Gorhan et moi, dans un halo de lumière, surplombons une foule de visages tournés vers nous. Gunter surtout, avec sa crinière blanche, donne l'impression d'un saint et son auréole. Mais sommes-nous anges ou démons de la philosophie ?
Pour la petite histoire et l'anecdote amusante, je suis tombé vendredi après-midi, par pur et heureux hasard, dans la station de métro Gare de Lyon, sur Gérard Tissier, autre animateur du Café des Phares. Les grands esprits se rencontrent, pas seulement dans les cafés mais aussi le métro ...

dimanche 14 juin 2009

A demain.

Pas de billets ce week-end, pour cause d'éloignement de mon ordinateur. J'étais à l'assemblée générale de la Ligue de l'enseignement, à l'autre bout de la France. Je vous raconterai, on se retrouve demain.

vendredi 12 juin 2009

L'année est terminée.

C'était ce matin mes deux dernières heures de cours de l'année scolaire 2008-2009. Si j'étais superstitieux, je dirais que la fin résume ce qu'a été toute l'année. Peut-être, après tout ... En tout cas, c'est un moment très particulier, comme vous pouvez facilement l'imaginer. Quelque chose s'achève, qui ne reprendra, avec des élèves différents, qu'au début septembre. Un grand vide va donc s'installer, de plus de deux mois et demi. C'est évidemment faux, et vous verrez en lisant ce blog dans les semaines qui viennent combien le temps sera largement occupé.

Mais avec mes Littéraires, c'était bel et bien ce matin la fin. Qu'est-ce qu'on peut bien faire durant les deux dernières heures de cours de l'année ? J'ai commencé, avec autant de solennité que pour les deux premières heures de l'année, par faire l'appel, dans un grand silence puisque huit élèves seulement étaient présents (ce qui n'est pas si mal pour la fin des fins). J'ai donc noirci mon billet d'absence de plein de noms. A peine si je pouvais ajouter ma signature ...

Et puis après ? Une élève, Julie, avait insisté il y a quinze jours pour que nous terminions par un goûter. J'étais sceptique : une petite fête au jus d'orange et biscuits dans une salle de classe, ça ne le fait pas, comme on dit aujourd'hui. Mais pourquoi pas, si les élèves le souhaitent. Je leur dois bien ça, en quelque sorte : ils m'ont subi neuf mois, huit heures par semaine, ça mérite une petite récompense. Sauf que ce matin, pas de Julie, pas de biscuits, pas de jus d'orange. Jusqu'à la fin, j'ai cru que la porte allait s'ouvrir et le goûter arriver ! En vain ...

Malgré tout, je voulais offrir ces deux dernières heures aux élèves, les laisser faire ce qu'ils voulaient. Que voulaient-ils ? Rien de particulier (c'est le drame de l'enseignant : les élèves ne veulent jamais rien de particulier !). La moitié révisait autre chose que la philo, l'autre attendait. Finalement, une proposition est venue : reprendre les deux ouvrages étudiés dans l'année, de Nietzsche et d'Epicure. Je me suis exécuté. Il restait à la fin encore une petite demi-heure à combler. J'ai pris dans les Annales du Bac quelques sujets de dissertation.

Bref, pour en revenir à ma superstition du début, je dirais que l'année s'est terminée comme elle a commencé et évolué, dans une ambiance studieuse. Encore une fois, les élèves étaient libres de faire tout autre chose, ils sont restés fidèles à la philosophie et à mes exercices. Qui sont ses derniers élèves qui m'auront suivi jusqu'au bout ? On pourrait croire que ce sont les meilleurs élèves, vaguement fayots sur les bords ... Non, d'abord parce que les "fayots", je n'en vois guère parmi les élèves, c'est une espèce en voie de disparition, et surtout parce que fayoter les deux dernières heures, ça ne sert strictement à rien. Parmi ces huit élèves, il n'y en avait aucun de très bons (ceux-là savent qu'ils réussiront, ils n'ont plus besoin de moi). Une seule n'est pas mauvaise du tout, pour avoir bien progressé au troisième trimestre, deux sont moyens, les cinq autres n'ont pas eu de très bons résultats, certains ont même manqué d'assiduité pendant l'année.

Terminer l'année avec une poignée de rescapés constitués en partie d'élèves à qui j'ai donné des notes médiocres ou mauvaises, ça fait réfléchir ... Ils auraient de bonnes raisons de faire comme les autres, comme les meilleurs, de ne pas revenir. Ils savent qu'ils ne risquent guère de sanction, au point où nous en sommes arrivés. Viennent-ils alors réviser, sachant qu'ils en ont plus besoin que n'importe qui ? L'hypothèse se défend mais je n'y crois pas. Les dés sont jetés, les révisions sont une formalité, on ne va pas rattraper en deux heures ce qu'on n'a pas fait dans l'année.

Est-ce un lien particulier qui les relie à moi, qui les attache à ma personne ? Peut-être aussi ... Toujours est-il que cette dernière séance s'est déroulée jusqu'au bout comme n'importe quelle autre séance. A tel point qu'au fond de moi, presque gêné par une telle situation, j'en suis venu à souhaiter qu'il arrive quelque chose d'exceptionnel, pour ne pas que nous terminions dans la banalité. Hier par exemple, avec cette même classe, j'ai eu droit, venant de l'extérieur, à deux pétards qui ont, à trente minutes d'intervalle, éclaté devant ma porte. Un mini-attentat, si vous préférez, venant probablement d'un élève cherchant à se venger de ses mauvaises notes (je plaisante, je n'en sais rien). Ça ne m'était jamais arrivé, l'explosion a été assez forte. Mais aujourd'hui, rien, même pas ça ! C'en était presque angoissant.

Il a bien fallu quand même se quitter. Je n'ai même pas eu le courage de leur souhaiter bonne chance pour le bac ou bien bonnes vacances tellement j'étais assommé par la banalité de la situation, qui semblait encore plus banale qu'à l'ordinaire. Et je ne voulais pas y remédier artificiellement par des propos convenus. Les élèves ont quitté la salle, me saluant ou pas, comme les autres fois, comme si on allait se revoir la semaine prochaine. Je suis resté dans la salle de classe, vide, silencieuse, les tables un peu en désordre, quelques papiers au sol. C'est là que je me suis rendu compte : l'année scolaire est terminée.

jeudi 11 juin 2009

Fin de saison.


Dernier café philo de l'année scolaire hier soir à Bernot, dans la joie et la bonne humeur. Un dernier n'est jamais tout à fait comme les autres, et vous pouvez le constater sur la photo : dans ma main droite, je porte la célèbre tasse de café, le symbole, le fétiche, la mascotte du café philo de Bernot, suspendue par un fil au plafond, dominant nos débats. Sauf qu'hier, à la fin, j'ai dû couper le fil et faire descendre dans ma main la tasse, pour bien signifier que le café philo s'arrêtait cette année. Mais nous reprendrons en septembre, et la tasse retrouvera alors sa position de majesté.

Dans la main gauche, je tiens un paquet rouge. C'est un cadeau qui m'a été offert pour mes bons et loyaux services. Quoi donc ? Mon péché mignon, un coffret de chocolats "Mon Chéri" ! La dame à ma gauche, qui a reçu, elle, des fleurs, s'occupe du café et celle à ma droite, qui tient également une belle rose rouge, est la présidente du Foyer Rural, qui héberge le café philo. Vous remarquez qu'elle a une enveloppe : chaque participant a reçu la sienne, avec à l'intérieur une photo des membres du café philo.

Le sujet de la séance pouvait sembler peu philosophique : "Bon voisin, bon citoyen ?" Mine de rien, la réflexion sur le voisinage et ses problèmes conduit à une profondeur insoupçonnée. Car le voisin, c'est mon prochain le plus proche, celui avec lequel j'exerce les liens de sociabilité les plus élémentaires. Sans voisins, on reste entre soi, dans la famille ou la tribu. Le voisinage, c'est de ce point de vue le début de la civilisation : à côté de moi vit quelqu'un de très différent de moi, un mur nous sépare et paradoxalement nous unit, c'est le dilemme du voisinage.

Le rapport aux voisins révèle un mode de société. Dans ma rue bourgeoise, on se salue mais on se connaît assez peu, chacun vacant à ses nombreuses et riches occupations, n'ayant guère besoin les uns des autres. Dans un milieu populaire, le rapport aux voisins est beaucoup plus dense, beaucoup plus nécessaire. Une solidarité naturelle s'exerce. La rue s'anime, les enfants circulent, on aime savoir ce que fait le voisin, on en parle, ça jase. Le regard du voisin peut être de jalousie, d'envie, parfois tyrannique, inquisiteur.

Les problèmes de voisinage sont devenus un véritable phénomène de société, dont s'emparent la télévision (l'émission "La guerre des voisins") et les pouvoirs publics (l'organisation de la "Fête des Voisins" depuis quelques années en mai). Deux thèses, pas si contradictoires que ça, s'opposent : la convivialité s'est détériorée, les gens ne savent plus se parler, le problème est moral. Ou bien : l'individu s'est replié sur son chez soi où désormais il peut tout trouver, du coup nous sommes devenus très sensibles à ce qui peut nuire à notre intimité, musique du voisin, aboiement d'un chien, parfois chant d'un coq ; le problème est culturel.

Bernot, ce n'est pas complètement fini pour cette année : j'y reviendrai le 14 juillet, pour un café philo sauvage, improvisé dans les rues du village à l'occasion de la fête nationale, une expérience que je me suis promis depuis longtemps de faire.

mercredi 10 juin 2009

La dernière élève.

Elle s'appelle Laëtitia Lassale. C'était ce matin, en Terminale ES, ma dernière élève. Le couloir était presque vide. Quelques Scientifiques bizarrement déguisés fêtaient la fin de l'année. Et devant la salle 131, une seule élève, là où j'étais habitué à en voir trente-quatre en rangs serrés. C'est traditionnel : les derniers jours, les élèves craquent, ils sèchent, le bac approchant. Ça ne me choque pas complètement, mais il faut limiter les dégâts, c'est à dire réduire ce temps de vacance que certains utilisent à autre chose qu'à leurs révisions. Au début dans la profession, j'avais du mal, les désertions commençaient quinze jours avant la libération officielle. Maintenant, je maîtrise assez bien : seuls les derniers jours sont touchés, grâce à la pression que j'exerce sur les élèves et qui les fait venir presque jusqu'à la fin.

La fin, nous y sommes, c'est après-demain. En Littéraire, ce matin, ils étaient huit. Mais demain ? En ES, je me suis donc retrouvé avec Laëtitia, et un petit moment de doute : je fais quoi ? Je ne fais pas cours, je la laisse faire ce qu'elle veut, aller travailler en permanence ou au CDI ? J'aurais pu, après tout. D'autant qu'un petit intérêt personnel m'y poussait, une invitation à déjeuner à Paris. En à peine une heure et demi, par le train, j'y étais. Sauf que Laëtitia était là, que je suis fonctionnaire, censé faire cours aux ES de 10h00 à 12h30 jusqu'à la fin officielle de l'année. Petit problème de déontologie professionnelle vite tranché : j'ai demandé à l'élève ce qu'elle souhaitait, puisque ma présence n'a de sens que pour elle. Avec en tête ce rappel : tout élève a droit à l'enseignement du professeur, même s'il est seul dans la classe. Elle m'a dit qu'elle voulait que je fasse cours, je me suis exécuté.

Laëtitia n'a pas eu de bons résultats cette année en philo. C'est d'autant plus courageux pour elle et un peu émouvant pour moi de la voir participer à mon dernier cours. C'est le genre d'élève qui ne se font pas remarquer, discrète, effacée, n'osant pas intervenir, mais travaillant beaucoup, profondément honnête, souffrant peut-être de ne pas parvenir malgré les efforts à de bonnes notes. Qui sait si sa présence ce matin n'était pas une forme de défi ? Pour me prouver et se prouver à elle-même que la philosophie était malgré tout à ses yeux quelque chose d'important. L'audace qui lui aura manqué dans l'année et dont elle rêvait en secret, elle me l'aura signifiée ce dernier jour, ce dernier cours, en étant présente alors que tous les autres sont absents. Qui sait si ce n'était pas pour elle l'ultime recours pour ne pas être oubliée, pour montrer qu'elle avait le droit d'exister dans ma mémoire ? A vrai dire, je n'en sais strictement rien, j'imagine, j'extrapole. Toujours est-il qu'à travers ce billet dont elle est le personnage, mais qu'elle ne lira peut-être jamais, elle gagne une présence, une reconnaissance que l'année scolaire n'a pas su lui donner.

Un autre petit problème déontologique m'est venu à l'esprit quand je suis entré avec Laëtitia dans la salle 131 : est-il permis à un professeur de faire cours à une élève seule ? J'ai toujours entendu dire que ce n'était pas possible, sauf à laisser la porte de la classe ouverte. Je ne sais pas si c'est vrai, je ne suis jamais allé chercher dans les textes réglementaires. Ce qui est certain, c'est que j'ai fermé ce matin la porte derrière nous, comme je le fais chaque matin. Cette soi-disant règle me semble être une pure rumeur. Car ce serait donner du professeur une piètre image que de croire qu'il serait capable de prodiguer à son élève autre chose que son enseignement. Cette porte ouverte aurait un aspect offensant et ridicule. Et pourquoi une élève ? Pourquoi pas deux ? Si j'avais un peu de temps à perdre, j'irais rechercher l'origine de cette rumeur scolaire comme il en existe beaucoup d'autres (il me faudra un jour y consacrer un billet spécifique).

Donc, porte normalement fermée, nous avons philosophé. En première heure, j'ai évoqué la dernière notion du programme, "la matière et l'esprit", et en deuxième heure j'ai proposé à Laëtitia des sujets de dissertation pris au hasard dans les Annales du Bac, que nous avons problématisé et un peu développé. A la fin de la séance, elle est partie en me disant "au revoir monsieur". Je crois cette fois-ci que je ne la reverrai plus jamais.

mardi 9 juin 2009

Philo mômes.


Goûter philo cet après-midi dans le domaine de Beauregard, à Belleu, près de Soissons, dans le château de la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne : nous sommes installés dans le salon, devant la grande fenêtre. Beaucoup de lumière entre, alors que le ciel est gris et le temps pluvieux. Bon endroit, confortable, pour un goûter philo. Attention, on ne mange pas, il est trop tôt. Ce qu'on goûte, c'est la philo, et rien d'autre.
Je suis avec les enfants de l'école d'Homblières, divisés en deux groupes pour discuter plus facilement. Ils sont à Beauregard pour un séjour éducatif de trois jours. Ce matin, ils ont fait du raku (une technique de cuisson de poterie). Après la pratique, quoi de mieux que la théorie ? Le goûter philo avait pour thème l'art.
La philo avec des enfants, ça marche. Pas comme avec des adolescents, mais ça marche quand même. Ce qui est chouette, c'est leur spontanéité, leur curiosité, que je ne retrouve pas chez mes lycéens. Bien sûr, cette ardeur a ses limites : parfois, les interventions sont mécaniques. On a l'impression que les enfants parlent pour parler, sans profondeur, avec une naïveté qui a peu de rapport avec la sincérité. Mais quelque chose passe quand je les questionne et qu'ils me répondent.
Parfois, leurs propos sont étonnants, profonds, plus profonds que ceux des adultes. Mais je crains qu'ils oublient très vite, qu'ils passent à autre chose, qu'ils ne retiennent pas grand-chose. Ce ne sont après tout que des enfants ! Dans l'instant où nous conversons, c'est cependant un grand bonheur, pour moi en tout cas. Car un enfant pense, comme une grande personne. C'est différent, mais c'est de la pensée.
Je dois les surveiller en permanence. Les corps s'agitent très vite, ont du mal à tenir en place, la chaise est manifestement pour eux un instrument de torture, certains remuent comme des vers coupés ! J'élève la voix, je fixe du regard, je veux qu'ils écoutent, qu'ils suivent. J'y parviens, mais de haute lutte. Leur maîtresse filme au caméscope nos échanges.
Avez-vous remarqué ce détail sur les photos ? Les enfants sont en chaussettes ou chaussons. Ils sortent probablement d'une activité sportive, ils se sont changés (les chambres sont au dessus du salon). J'ai commencé en me présentant et en expliquant ce qu'était la philo. J'ai terminé en disant que je les verrai peut-être dans quelques années en Terminale, dans mon lycée. Dans 8-10 ans, ce n'est pas si loin ! En attendant, puisque leur village d'Homblières est proche de Saint-Quentin, je leur propose de nous retrouver dans leur école pour un nouveau goûter philo.

lundi 8 juin 2009

L'IGA parmi nous.

Mon lycée a depuis le début de la semaine un IGA dans ses murs. Qu'est-ce ? Un Inspecteur Général de l'Administration. Mais encore ? Un fonctionnaire chargé de faire des sortes d'audits des établissements scolaires. Il va un peu partout, observe, questionne, cherche à tout savoir sur la vie du lycée, ses personnels, son fonctionnement, ses résultats. On connaît bien les inspecteurs de notre discipline, qui viennent nous évaluer. On ne connaît pas l'existence de ces IGA. Sans doute parce qu'on n'a rien, en tant qu'enseignant, à en redouter ... ou à en espérer.

J'ai rencontré l'IGA cet après-midi, dans le cadre d'une réunion du Conseil Pédagogique (l'instance qui réunit les responsables des "pôles" disciplinaires : moi, je suis chargé des "sciences humaines"). Comme souvent dans l'Education Nationale, les intitulés impressionnants cachent des réalités plus simples et plus modestes. C'est le cas avec ce Conseil Pédagogique. Mais l'IGA a tenu à s'entretenir avec nous de la vie pédagogique de l'établissement.

C'est un monsieur plutôt sympa, avec le ruban rouge de la Légion d'Honneur au revers de son veston. C'est donc un homme important (c'est fou comment un minuscule morceau de tissu pose un individu). Il fait très "inspecteur", semble à l'écoute et en même temps très déterminé dans ses analyses et ses objectifs. Très organisé aussi : il prend des notes pendant toute la réunion (moi aussi), il a mis sa montre devant lui pour veiller au temps qui passe. C'est bien, j'aime ça.

De quoi avons-nous discuté ? D'un peu de tout, mais surtout de l'accueil des élèves de Seconde, qui viennent pour la plupart de collèges ruraux et qui se retrouvent désorientés en entrant dans un lycée de centre ville. Leurs notes, bonnes jusque là, peuvent alors baisser considérablement et renforcer leur désarroi. Voilà quel a été l'objet essentiel de notre débat, qui m'a beaucoup intéressé. Mais je suis plutôt bon public : j'aime ces interventions extérieures qui bousculent un peu nos habitudes.

Sauf que demain, j'ai un conseil de classe, celui de mes Littéraires, que c'est moi qui préside puisque je suis leur professeur principal : et devinez qui sera présent pour observer tout ce qui se passera ? L'IGA bien entendu ! Le dernier conseil de classe de l'année scolaire est délicat : on y attribue les avis pour le bac, qui sont au nombre de quatre : doit faire ses preuves (quand on pense que l'élève n'aura pas le bac), assez favorable (quand l'élève est méritant et qu'il peut réussir l'examen à l'oral), favorable (quand il sera admis à l'écrit), très favorable (quand l'élève aura une mention).

Bref, demain, j'ai intérêt à faire gaffe, à bien me préparer et à ne pas me planter. Je n'irais pas jusqu'à dire que je mets en jeu l'honneur de mon lycée, mais je m'amuse à penser que c'est tout comme... Pour corser le tout, j'anime demain après-midi deux goûters philo à Beauregard, près de Soissons ... à 70 km de mon établissement. Bref, il ne faudrait pas qu'il m'arrive un mauvais tour sur la route, genre panne automobile. Car là, je serais très mal. Mais peut-être faut-il se lancer ce type de petit défi pour avancer dans la vie ?

samedi 6 juin 2009

Les barreaux de Laon.

Je suis allé hier en prison. Encore ! Mais à Laon cette fois. L'établissement est complètement différent de Château-Thierry : à l'extérieur de la ville, très grand, 600 détenus, très moderne. C'est une prison comme on en voit dans les films. Les portes et grilles sont automatiques, il n'y a pas ce jeu sinistre avec les clés qui ouvrent et ferment. Les couloirs sont très longs. Une pelouse de foot occupe le centre. L'ensemble est spacieux, fonctionnel, bien organisé. Finalement, ça me semble plus agréable, plus supportable que la maison d'arrêt de Château, malgré le caractère "familial" de celle-ci.

Côté administration, on se croirait dans les bureaux d'un lycée. Ce qui me frappe également, c'est le nombre de femmes en contact avec les prisonniers, sans que ça pose manifestement de problème. J'ai un contact sur place, si j'ose dire : c'est Estelle, une amie, qui est conseillère d'insertion et de probation. Elle me conduit sur les lieux du café philo. Et là, surprise : c'est une bibliothèque comme n'importe quelle bibliothèque, on ne se croirait pas du tout en prison. A Château, on ne pouvait pas oublier l'univers carcéral.

Surprise aussi en saluant les cinq détenus qui ont accepté de participer : deux parmi eux ont ces visages marqués par la vie, ces traits de violence et de souffrance que j'avais déjà remarqués à Château. Mais les trois autres, non, pas du tout : l'un ressemble à un gamin facétieux, l'autre à un jeune lycéen, le troisième à un monsieur très sérieux, à l'élocution impeccable. Ils ne font pas du tout voyous.

J'ai choisi de nous regrouper autour d'une table. C'est une bonne idée. Assis derrière une table, le corps se discipline, et l'esprit aussi. A Château, sur leur chaise, les détenus finissent par se lever, se déconcentrer. "Se retrouver autour d'une table", c'est un signe de paix, de discussion, en politique, en diplomatie. Un homme devant une table n'est jamais entièrement mauvais. La table est à la fois ce qui rassemble et ce qui éloigne, ce qui installe entre moi et l'autre un irréductible espace.

Les rayons de livres participent aussi au calme de l'endroit, à son atmosphère studieuse. J'ai choisi mon thème fétiche, que je sors quand je ne connais pas vraiment le public : le bonheur. Et la conversation roule très vite. A certains moments, je n'ai même plus besoin d'animer (là, c'est quand on devient très bon !). Le monsieur qui parle bien est de confession musulmane. Il est entre ces murs depuis pas mal de temps. L'Islam incontestablement lui a donné une raison de vivre derrière les barreaux. La religion, quoi qu'on en pense, a parfois cette capacité de structurer un individu.

Ce café philo a été plutôt réussi, contrairement à celui de Château, que je n'ai pas trop su maîtriser. Les idées ont circulé et se sont confrontées, c'est l'essentiel. Estelle m'apprend qu'il existe des cours en prison, mais rien qui soit comparable à mon café philo. D'où l'intérêt de l'expérience. J'ai déjà donné le prochain sujet, pour que les détenus y réfléchissent et en parlent autour d'eux : la violence.

vendredi 5 juin 2009

Ca ne s'oublie pas.


J'ai choisi de prendre ce matin, une semaine avant la date initialement envisagée, "ma" photo de classe avec les Littéraires. Nous avons passé neuf mois ensemble, huit heures par semaine. Ça ne s'oublie pas, tout de même ! Mais si, suis-je bête, ça s'oublie, et plus vite qu'on ne le croit. C'est pourquoi j'ai voulu immortaliser ce temps de ma vie et ce temps de leur vie par cette photo. Je ne l'ai pas du tout voulu classique, "officielle". Pourtant, au départ, les élèves m'ont rejoint autour du bureau (nul n'était obligé) et se sont tenus bien droits, en rangs d'oignons. Je leur ai dit de casser ça, de se rapprocher les uns des autres, et tous de moi, de se presser sur le bureau comme les rugbymen font leur mêlée. Et voilà ce que ça donne !

Toute la classe n'est pas présente. Ils sont normalement 32, il y avait 10 absents. C'est pourquoi j'ai pris la photo maintenant, avant que je ne me retrouve tout seul devant le bureau ! Immortaliser les visages, c'est bien, mais je crois qu'il me faut aussi immortaliser les noms. Je vais donc faire ce que je fais en début de cours chaque matin depuis neuf mois, l'appel (moins 10 élèves) :

Constance BAUDOUIN, Anthony BAZZOCHI, Adeline BENHARRAT, Anaïs BERGER-HAMED, Raphaël BLANCHARD, Jérémy BOUCLY, Quentin CHANCEREL, Marine DEFEVER, Mallory DUFOUR, Gaëlle FONTAINE, Ingrid FORMENTIN, Tracy FROMENT, Kévin HOLVECK, Jean-Baptiste JACOB, Marine JOURNAUX, Simon KURZAWA, Marie LAUCAGNE, Florian LEFEVRE, Céline MAHIEUX, Thomas MIDELET, Hélène MOREAU, Claire-Sophie ROI.

Chacun(e) a répondu ce matin PRESENT à l'appel de son nom et prénom. Bientôt pour la toute dernière fois.

jeudi 4 juin 2009

Compte à rebours.

Dans une semaine, l'année scolaire sera terminée. Mais il serait plus juste de dire : la fin des cours. Car les élèves et les professeurs seront pris jusqu'au 10 juillet, date du dernier jour d'oral du bac. En tout cas, je sens la fin arriver à grands pas. Aujourd'hui, en L, il y avait 9 absents ... et 26 en ES. C'est traditionnel. Certaines années, les défections sont même plus précoces et plus massives.

C'est embêtant. En ES, à 7 élèves, que voulez-vous faire ? La dynamique de groupe n'est plus là. Je me suis tout de même efforcé de traiter un sujet, mais le coeur n'y était pas. En L, j'ai trouvé une astuce qui s'est retournée finalement contre moi : instaurer une semaine de révisions pendant laquelle les élèves choisissent ce qu'ils veulent faire, revoir certains points du programme, s'entraîner avec des exercices ou même réviser autre chose que de la philo (normal, ils peuvent avoir d'autres priorités).

L'idée était excellence dans ma tête, mais dans ma tête seulement. En pratique, les élèves ont été tellement habitués à faire ce qu'on leur demande de faire qu'ils n'ont plus aucune initiative quand on leur laisse le choix (de ce point de vue, il y aurait beaucoup de choses à revoir dans l'Education Nationale). Du coup, ma "bonne" idée est un peu tombée à l'eau. Mais il y a pire : certains élèves, prétextant que le programme était terminé, m'ont dit qu'ils ne reviendraient pas ! C'est l'effet pervers, ou boomerang : je propose une semaine de révisions pour inciter les élèves à ne pas sécher ... et ma décision les encourage à sécher ! Que la vie est compliquée, que l'esprit humain est retors !

J'ai rendu aux S leurs dernières copies (il en manquait cinq à l'appel, là aussi c'est un signe des temps). Ce n'est pas trop mauvais, jugez-en avec l'échelle des notes :

6 : 1
8 : 2
9 : 2
10 : 1
11 : 2
12 : 4
13 : 1
14 : 1
15 : 2
16 : 1
17 : 1

A part ça, j'ai passé une grande partie de la journée d'hier à remplir les bulletins scolaires (notes et appréciations du troisième trimestre) et une grande partie de la journée d'aujourd'hui à remplir les livrets scolaires (pour les jurys du baccalauréat). Je continue demain. Et demain, je retourne en prison pour un café philo, mais cette fois à Laon, un établissement beaucoup plus imposant que celui de Château-Thierry ( 600 détenus dans l'un, 90 dans l'autre).

mercredi 3 juin 2009

Retour en prison.

Hier à Château-Thierry, je suis retourné à la maison d'arrêt pour animer une deuxième séance de café philo. Cette fois, je n'ai pas eu le choc de la première fois, d'il y a quinze jours, avec le ballet impressionnant des portes qui s'ouvrent et qui se ferment, la découverte des couloirs, des cellules, des détenus et des matons. Je me suis habitué à ces visages endurcis ou amollis par la vie.

Nous ne sommes pas allés dans la buanderie, pas très confortable, à l'écart, mais dans une salle tout près des cellules (je rappelle que les portes sont ouvertes, que les prisonniers, frappés par de courtes peines, peuvent déambuler dans les couloirs, mais leur univers est tout petit). "C'est leur salle", m'avait dit le CIP (conseiller d'insertion et de probation). Il y a deux fenêtres (avec évidemment les traditionnels barreaux), une jolie vue sur la ville, des sortes de fauteuil, une table, c'est un coin sympa, celui dans la prison qui ressemble le moins à la prison. Les détenus peuvent y fumer (c'est bien le seul lieu "public" et fermé, dans notre société, où l'on puisse encore fumer, la prison !), prendre un café ... et discuter. D'où l'idée d'y faire le café philo.

Sur le mur, un magnifique tag, peint par les détenus eux-mêmes, fait entrer un peu de couleurs dans ce monde aux teintes grises ou délavées. Cette fois, je suis seul avec mes huit gaillards, même si la porte reste ouverte et qu'un gardien grand jusqu'au plafond passe de temps en temps sa tête pour voir si je suis toujours en vie (je plaisante). Il n'empêche qu'avant d'entrer, le CIP m'a donné un talkie-walkie que j'ai accroché à ma ceinture : s'il y a un problème, vous jetez à terre le talkie, l'alarme se déclenchera automatiquement. J'ai beau ne pas avoir peur, cette prudence me rappelle que je ne me retrouve pas avec n'importe qui, mais avec des types qui peuvent éventuellement faire n'importe quoi.

Après le bonheur, j'ai choisi cette fois la violence comme sujet de réflexion. J'ai pensé que ça pouvait les intéresser, les faire réagir. Je ne me suis pas trompé. Nous avons passé en revue toutes les formes de violence, des plus condamnables au plus légitimes, y compris la violence de la prison. Pour tout vous dire, je n'ai pas encore trouvé mes marques. Je laisse rouler la conversation, je laisse faire les digressions, je n'impose rien, je suis très peu directif. Je n'ai même pas sous les yeux une feuille qui me permettrait de guider la réflexion, d'éventuellement l'orienter. Je veux être, avec eux, le moins prof possible, car je crois que ça ne passerait pas. Je tiens beaucoup à ce que nos rencontres soient totalement volontaires. Si ça ne leur plaît pas ou apporte rien, je ne reviens pas.

Est-ce que ça marche, est-ce que ma méthode est la bonne ? Je n'en sais rien. Je me dis parfois qu'il faudrait que je sois plus directif, qu'ils ont besoin et attendent peut-être ça, une orientation, des structures (sans pour autant qu'on tombe dans un cours classique). Pas facile, je ne me suis pas encore fait une opinion. J'étais mal placé géographiquement, je ne voyais pas tout le monde, tournant le dos aux fenêtres, à côté desquelles certains s'étaient installés. Mon style "conversation intelligente à bâtons rompus" est-il le bon ? Je ne sais pas. Il manque peut-être le travail de l'esprit.

Toujours est-il que j'ai eu une bonne accroche avec un prisonnier, plus âgé que les autres, qui m'a d'abord demandé si la philosophie et la psychologie, c'était la même chose ? J'ai répondu que non, que je n'étais pas ici pour les guérir de quoi que ce soit. Il m'a rétorqué : il y a tout de même un petit rapport ? J'ai bien dû reconnaître que oui ... En sortant, il m'a lancé malicieusement : pourquoi n'a-t-on pas fait de philo ? J'ai expliqué que c'était quand même un peu de la philo, mais que si c'en était complètement, personne ne viendrait. Il m'a dit qu'il me comprenait, que j'avais raison. Moi aussi, je l'ai compris.