samedi 31 janvier 2009

Copains d'avant.

Je suis inscrit sur le site internet "Copains d'avant", à la recherche de mes anciens camarades de classe. J'ai déjà eu un premier contact, il y a un peu plus de deux ans, avec Jocelyne Malinaud, comme moi en classe de Terminale A (aujourd'hui L, Littéraire). C'était en 1978-1979. J'ai gardé la photo, autour du prof... de philo. Celui-là, j'aimerais bien le revoir, s'il est encore de ce monde. Il s'appelait Joseph Comets (il me semble), et son petit nom parmi les élèves, "Jo" bien évidemment. J'ai renoué aussi avec l'infirmière du lycée (l'infirmerie, un lieu important, d'échanges, de contacts, de refuge, dans un établissement scolaire).

Sinon rien, depuis quelques années sur "Copains d'avant", des appels certes, mais des anciens du lycée que je n'ai pas connus, qui n'étaient pas dans ma classe. Rien notamment de mes camarades internes, car l'internat, lui aussi, est un monde à part dans un établissement. Et puis cette semaine, un signal, comme une étoile qui file vers vous dans cet univers infini et un peu désespérant qu'est le Net: Sylvie Cazaux. Le nom me dit quelque chose mais pas quelqu'un, je ne lui attribue aucun visage. Sa photo d'aujourd'hui ne m'en apprend pas plus. Je réponds tout de même, et oui, confirmation est faite que nous avons été ensemble dans la même classe il y a trente ans exactement.

Elle ne se souvient pas de moi, je ne me rappelle pas d'elle. Avec un autre mystère: je lui envoie la fameuse photo de classe, elle me dit qu'elle n'y figure pas... mais que c'est bien sa classe. Saurons-nous jamais ce qui s'est passé ce jour-là, il y a trente ans? Sa mémoire, comparée à la mienne, est prodigieuse. Elle me cite plusieurs noms que j'avais complètement oubliés (sur 17 élèves, il lui en manque seulement trois!). Il faut quand même préciser que je n'étais pas de la région (Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées), que je ne suis resté que deux ans dans le lycée. Mais quelles années!

Je voudrais, pour terminer, dresser un petit mémorial, mais en direction de l'avenir, citer chaque nom connu des élèves de cette Terminale A, 1978-1979, lycée d'Argelès-Gazost, Hautes-Pyrénées, lancer à mon tour quelques signaux dans cette immense nuit du Net pourtant illuminée d'innombrables étoiles. Peut-être qu'à mon tour on me répondra. Les voilà, et merci à Sylvie de les avoir fait revivre: Eric Houerie, Corinne Abadie, Marc Goursault, Jef Wargnier, Anne-Marie Toulouzet, Alain Palustran, Christine Soler, Isabelle Camboni, Danièle Linières, Jocelyne Malinaud, Mireille Groc, Elisabeth Mendiondo, Sylvie Dussert, Isabelle Torres.

A trente ans de distance, devenu professeur, je me suis permis, en égrenant ces noms, de faire moi aussi un paradoxal appel, comme j'en fait depuis maintenant quinze ans au début de chaque cours. Mes élèves d'aujourd'hui connaîtront aussi un jour ce singulier plaisir de se souvenir de sa classe d'il y a trente ans.

vendredi 30 janvier 2009

Un regard de défi.

10h00, ce matin, fin du cours. Je reste à mon bureau, attendant que la salle de classe se vide, comme à chaque fois. Le professeur doit entrer le premier et sortir le dernier. Une élève s'arrête devant moi. C'est rare, mais ça existe. Les élèves ont autre chose à faire qu'à discuter avec leur prof, sauf pour une question pratique, une formalité administrative, quelquefois une demande pédagogique. Là, ce n'est ni l'un, ni l'autre. Alors quoi?

Dans les yeux de l'élève, je sens une sorte de défi, quand elle me dit: "L'orgueil, ce n'est pas une vertu, c'est un des sept péchés capitaux". Je m'apprête à lui répondre, elle est déjà partie, terminant sa réplique par un "au revoir monsieur" qui ne me laisse pas le temps de réagir. Il y a ainsi des formes de résistance qui se développent chez les élèves, des révoltes enfouies, qui s'expriment comme elles peuvent, la voie directe étant interdite.

Il faut que je vous explique. Nous sommes en train de terminer l'étude du Prologue du Zarathoustra, chapitre X très exactement, avec au centre l'image étonnante de l'aigle et du serpent devenus amis, allégorie du dépassement du grand homme (l'aigle) et du dernier homme (le serpent). Je vous épargne les commentaires philosophiques, j'en viens tout de suite à l'objet du litige: le grand homme dépeint par Nietzsche, c'est l'homme fier, orgueilleux, porté à faire de grandes choses.

De ce point de vue, l'orgueil est une vertu, celle des forts, de ceux qui croient en eux-mêmes, qui n'ont nul besoin de la reconnaissance des autres. Vertu au sens de la virtu des Grecs, la capacité, comme on parle aussi des vertus, des qualités d'une plante. Mais cette conception est antique, païenne. Pour le christianisme, l'orgueil est un défaut, plus précisément un "péché capital".

Voilà ce sur quoi l'élève s'est appuyée, voilà l'origine de son regard de défi, de la malice qui s'est répandue sur tout son visage, de sa fuite pour me laisser désemparé. En vérité, je ne le suis pas, je viens de vous l'expliquer. Mais j'aime que des élèves me résistent, me contrent, me lancent des piques, pourvu que ce soit intelligent, intelligible. Ce qui ne pardonne pas en philosophie, ce qui est rédhibitoire, c'est la bêtise.

jeudi 29 janvier 2009

Jour de grève.

Jeudi est ma plus grosse journée, sept heures de cours. Je n'ai pas aujourd'hui travaillé, j'ai fait grève, comme beaucoup de collègues. Mais je suis quand même allé au lycée, en fin d'après-midi. J'avais rendez-vous avec un parent d'élève, qui n'a pas pu me rencontrer à la réunion parents-profs, la file d'attente devant ma salle étant trop importante. Ce père est enseignant, donc collègue, mais pas dans mon établissement. Ce n'est pas gênant, mais c'est singulier.

Sa fille est une très bonne élève... sauf en philosophie, où ses résultats ne sont que moyens. Là aussi, c'est singulier: quand on est bon en français, on est souvent bon en philo (c'était mon cas quand j'étais lycéen). Ce n'est pas non plus automatique. Pourquoi cette déficience? Je n'en sais rien. C'est un grand mystère de savoir pourquoi certains élèves sont bons et d'autres moins bons. A la limite, peu importe le diagnostic, ce qui compte, ce sont les remèdes.

Sauf que je n'en ai pas trop à proposer, sinon bien suivre, bien noter, bien relire les cours (ce que l'élève sérieuse fait), consulter les copies des meilleurs, demander éventuellement des devoirs supplémentaires. Ou bien, peut-être, avoir la sagesse d'accepter qu'on ne peut pas être bon partout, que chaque individu a des limites qu'il connaît d'ailleurs mal, et qu'il faut faire avec.

J'arrête là ce billet. Après tout, en vertu du préavis de grève déposé par les syndicats, je ne reprends le travail que demain matin.

mercredi 28 janvier 2009

Les étudiants de Cambrai.

Ce matin, alors que nous finissions la dissertation "Désobéir peut-il être un devoir?", je l'ai vu à un mètre de moi, au premier rang, cet élève qui dormait. Vous auriez fait quoi? Au début, il n'était pas là, mais tout au fond. Mais personne aux trois places du premier rang! Et je n'aime pas ça, avoir des chaises vides devant mon bureau, comme si la classe glissait, me fuyait.

Alors, j'applique à ma façon, et dans l'ordre inverse, le précepte évangélique: les derniers deviennent les premiers, sans qu'ils s'en réjouissent vraiment. Voilà comment mon dormeur s'est retrouvé très exposé, succombant malgré tout sous la chape de plomb de son sommeil. Je l'observais depuis un certain temps, il ne faisait pas grand-chose, l'oeil n'était guère vif, et surtout, le stylo ne prenait pas beaucoup de notes.

Qu'est-ce que j'ai fait, une fois l'élève sous l'emprise de Morphée? D'abord j'ai pris la classe à témoin, sur le ton de la plaisanterie, et elle me l'a bien rendu. Pendant une minute au moins, l'élève n'a pas réagi, au milieu des rires. Dormir, c'est plus fort que tout. Et quand il s'est réveillé, son visage était plein de traces de sommeil et de marques de la manche de son pull-over. Je n'aime pas interrompre quelqu'un qui dort et qui a peut-être des raisons pour ça. Mais je lui ai proposé, puisqu'il était manifestement fatigué, de rejoindre l'infirmerie. Tant qu'à dormir, autant être allongé. Il a bien sûr décliné mon offre...

Au moins, il y en a qui n'ont pas dormi, aujourd'hui, ce sont mes "étudiants" de Cambrai, à qui j'ai rendu une deuxième visite, trois semaines après la première. Ça s'est à nouveau très bien passé. Ils sont vifs, curieux, ils participent volontiers et je fais tout pour qu'ils participent, leur donnant l'autorisation de m'interrompre pendant ma conférence.

Nous avons parlé de quoi? De l'allégorie de la Caverne chez Platon, que j'ai exposée devant l'IUTA de Laon il n'y a pas si longtemps. Même miracle, celui de la vie. Car l'enjeu est celui-ci: comment rendre vivant, comment donner le souffle de la vie à un texte ancien, complexe? Il faut prendre cet écrit à bras le corps, le questionner, le faire parler. Ça marche. Nous avons lu, nous avons réfléchi, nous avons ri. 2 400 ans plus tard, Platon a ressuscité à travers le commentaire de son écriture. Il faut aimer pour comprendre, il faut comprendre pour aimer. C'est ce que nous avons fait.

mardi 27 janvier 2009

La canalyse de soi.

J'ai commencé ce matin de corriger mes trois paquets de copies, en prenant d'abord les S. Cinq copies seulement, ce n'est pas beaucoup, mais c'est déjà ça de fait. Et la machine est lancée!

Le premier sujet, c'est "Qu'est-ce qu'être maître de soi?" Dans une dissertation j'ai trouvé un très joli néologisme: "La canalyse de soi". Ça veut dire quoi? Vous devinez peut-être... L'élève a voulu parler de l'aptitude à canaliser ses pensées, ses désirs, pour ne pas les laisser aller n'importe où, pour qu'ils ne débordent pas. Bonne idée, mais mal exprimée (c'est le problème de nombreux élèves).

La canalisation de soi aurait été plus correcte, mais l'expression est lourde, laborieuse, ça fait trop hydraulique. Et puis, dans "canalyse", il y a "analyse", qui renvoie à l'introspection, au retour sur soi, ce qui colle assez bien avec ce que l'élève a en tête. Finalement, c'est un joli terme, une belle trouvaille, la canalyse de soi. Pourrait-on trouver mieux? Alors j'ai laissé, je n'ai pas corrigé. D'ailleurs, il n'y a rien à corriger, pas de faute de français, puisque nous avons affaire à un néologisme.

En philo, au bac, ce qui compte, ce sont les idées, peu importe la façon, maladroite, incorrecte, inédite, dont on les exprime. Mais j'ajoute aussitôt qu'une écriture construite, classique, claire exprimera d'autant mieux les idées. Se laisser aller à la fantaisie de la canalyse de soi, ce n'est pas complètement satisfaisant. Mais j'ai laissé couler...

lundi 26 janvier 2009

Bonne année chinoise!

Ce matin, j'ai profité de la récréation (15 minutes) pour distribuer dans les casiers de mes collègues l'appel à la grève de jeudi prochain. J'en connais qui vont être heureux (les élèves bien sûr). Pendant ma distribution, j'ai vu apparaître un homme en bleu, bizarrement vêtu, mon collègue professeur de chinois, celui que j'avais invité au Ciné-Philo. Il est venu vers moi et m'a souhaité "bonne année". Je n'ai pas tout de suite compris, mais vous peut-être. Moi, il m'a fallu quelques longues secondes: nous sommes le Jour de l'An chinois, et mon collègue n'est pas déguisé en schtroumf mais porte un habit traditionnel.

Avec les L, nous poursuivons la lecture de Nietzsche. Je m'éclate. Ce Zarathoustra, quel souffle! Je l'étudie depuis plusieurs années, je suis toujours subjugué par la beauté et la force du texte. Le plus étonnant, c'est que je ne m'en lasse pas (ce n'est pas le cas de tous les textes de philosophie), c'est que je découvre toujours de nouveaux sens, de nouvelles interprétations à ce livre inépuisable.

A trois minutes de la fin, il me restait assez de temps pour engager la lecture du dernier chapitre, dont le commentaire sera pour mercredi prochain. Sauf que pour beaucoup d'élèves, trois minutes avant la fin, c'est déjà la fin. Drôle de conception du temps! J'en vois une qui a déjà rangé le livre dans son sac, je lui fais remarquer, elle le ressort de son cartable. Rien n'est plus agaçant que ce type d'attitude. Un cours doit être suivi jusqu'à la fin.

Dans l'après-midi, j'avais deux rendez-vous avec des parents d'élèves, un à 15h00, l'autre à 15h30. Comme chez le dentiste, les séances sont de 30 minutes, mais en beaucoup moins douloureux. Dans un cas, c'est le travail de l'élève qui faisait défaut, dans l'autre, c'est la philo qui laissait un peu à désirer, au milieu de bons résultats. La rencontre s'est faite dans une salle d'ordinateurs, le lycée n'ayant pas de lieu spécifique pour recevoir les parents. C'est un peu dommage, la confidentialité n'est pas complètement préservée.

Ce que je retiens de ces contacts avec les parents? D'abord le grand respect de ceux-ci envers les enseignants de leurs enfants: aucune critique, plainte ou reproche. C'est en soi formidable, par les temps qui courent. Enfin la grande liberté que les parents accordent aux enfants, qui font ce qu'ils veulent en matière d'études. Pas de contrainte, pas de pression. C'en est bien fini de l'époque où un fils réalisait l'ambition de son père, où un père se réalisait dans l'ambition de son fils. Et c'est très bien ainsi!

dimanche 25 janvier 2009

Trop facile.

Quand des élèves sortent d'un devoir surveillé, comme il y a une semaine, deux phrases, qui sont aussi des formules rituelles, ne sont pas à prononcer devant moi, sinon au prix de mon irritation, d'autant que j'ai prévenu, en condamnant dès le début de l'année scolaire ces types de réactions, évidemment coupables. Pourtant, elles semblent anodines, et même légitimes. Elles en sont donc encore plus dangereuses.

La première, "Les sujets étaient durs", n'a d'abord pas de sens. Un sujet de philo qui ne serait pas "dur" mais simple, fastoche, ne serait pas un sujet de philo. A quoi bon suer sang et eau huit heures par semaine pour les L si le travail demandé est facile, c'est-à-dire si ce n'est pas un travail? D'autre part, tel sujet n'est pas plus "dur" qu'un autre. Les questions de dissertation ou les commentaires de texte sont d'égale difficulté.

Il n'y a pas de hiérarchie, sinon apparente, donc trompeuse: un texte peut paraître clair alors qu'il est complexe, une question peut sembler accessible alors que ses réponses le sont beaucoup moins. En philosophie, il faut se méfier comme de la peste de la fausse facilité, qui est la cause de nombreux échecs. A l'inverse, des sujets d'un abord ardu trompent moins leur monde, font moins céder à l'illusion. On aura beau chercher, on ne pourra esquiver cette réalité: philosopher, c'est se casser la tête.

La deuxième réaction, "Je n'ai pas été inspiré", m'est encore plus insupportable que la première, qui a pour elle une pseudo-objectivité, tandis que celle-là se rabat sur la pure subjectivité (qui n'a pas sa place dans cette discipline rationnelle qu'est la philosophie). La philo, c'est du boulot, pas de l'inspiration. Le philosophe est un travailleur, un raisonneur, ce n'est pas un mystique ou un artiste attendant l'opération de je ne sais quel Saint Esprit.

Bien sûr, un sujet peut intéresser plus qu'un autre, sa matière nous être plus ou moins familière, ses réponses nous venir plus ou moins aisément. Mais ce n'est en aucun cas assimilable à ce qu'on appelle l'inspiration, sans doute nécessaire à l'écrivain, mais pas au penseur. J'irais même plus loin: si inspiration il y avait, je m'en méfierais, car le fond de ce comportement, être inspiré, ne me paraît pas très rationnel, plutôt surnaturel.

Mais le pire que je puisse ressentir dans ces deux formules, c'est éventuellement leur hypocrisie. Trop facile de se plaindre que "les sujets sont durs", trop facile de regretter qu' "on n'a pas été inspiré". On se prépare alors à excuser, à prétexter, à justifier un échec, une mauvaise note. Quand des élèves reproduisent des propos que j'ai régulièrement demandé de bannir de leur vocabulaire et de leur tête, c'est que leur résistance à la philo est plus forte que tout, c'est que la volonté de contourner le travail qui est exigé balaie les objections sur lesquelles j'ai pourtant insisté.

samedi 24 janvier 2009

Une question d'organisation.

J'ai trois semaines pour corriger les devoirs surveillés (DS) de mes trois classes. Non, plutôt quinze jours, car il faudra réserver quelques heures pour rendre les copies et proposer des corrigés. Car après, la semaine qui précède les vacances de février, ce sera la période importante du bac blanc. A la rentrée, les élèves me rendront un devoir à la maison (DM). Et je leur ai distribué un devoir supplémentaire et volontaire, pour les courageux qui voudront bien s'entraîner et améliorer leur moyenne trimestrielle.

A ma grande surprise, ils ont été nombreux à prendre la feuille des sujets, du moins en L (c'est normal) et en ES (c'est moins évident). Les S ont été peu attirés (leur coefficient 3 au bac ne rend pas la philo attractive!). Il va donc falloir que je m'organise, mais pas plus qu'à un autre moment de l'année. Il faut veiller à ce que les paquets de copies à corriger ne se bousculent pas, ne s'entrechoquent pas. Les premières années, j'avais un peu de mal, je ne maîtrisais pas très bien, je me retrouvais avec des tonnes de feuilles et de beaux embouteillages. C'est fini, je gère, comme on dit.

Même souci d'organisation pour les cours: nous sommes en janvier, il faut dès maintenant penser à juin, c'est-à-dire à la fin. Sur ma pochette bleue usée qui contient mes cours, j'ai collé la liste des notions au programme: 23 pour les L, 18 pour les ES, 13 pour les S. Je dois jongler avec ça, veiller à ne pas être trop en avance (l'inquiétude du premier trimestre) ou à ne pas être trop en retard (l'inquiétude du deuxième trimestre).

Bien sûr, en philosophie, le programme n'a pas le même sens qu'en histoire-géographie, par exemple. Il n'y a pas vraiment à le "boucler", parce que la libre réflexion, qui n'est pas une somme de connaissances, ne se boucle pas. Mais je tiens à respecter la lettre des textes officiels: toutes les notions seront abordées d'ici la fin de l'année. Ce qui oblige à m'organiser.

Où en suis-je? Les L ont étudié 9 notions, les ES et les S en ont étudié 7. A quoi il faut ajouter, autre paramètre, un ouvrage à travailler en ES et S, et deux en L (nous avons commencé et nous allons bientôt finir le Zarathoustra de Nietzsche). Faites les comptes, rappelez-vous que les L ont 8 heures de philo par semaine, les ES 4 heures et les S 3 heures, enlevez les vacances (février et Pâques) et soustrayez le temps de remise et de corrigé des copies, vous saurez approximativement le temps qu'il reste et combien nous consacrerons à chaque notion. Si le calcul vous embête, sachez que nous ne sommes ni en avance, ni en retard, même si, avec les L, j'aurais aimé avancer un peu plus rapidement dans l'étude des notions.

vendredi 23 janvier 2009

Au doigt et à l'oeil.

Pendant qu'avec les L, nous commençons à entrevoir un peu la fin du Zarathoustra (nous en sommes à l'avant-dernier chapitre), avec les S et les ES j'ai entamé "le devoir", c'est-à-dire la philosophie morale. Et pour ne pas déroger à ma règle pédagogique, nous avons ouvert le feu avec un sujet de dissertation provocateur comme je les aime (l'esprit ne réfléchit que s'il est provoqué; sinon il s'endort dans ses préjugés): désobéir peut-il être un devoir?

J'attends à ce que les élèves, en janvier, parviennent d'eux-mêmes à problématiser le sujet. Sinon, quand le feront-ils? C'est facile, c'est accessible: il suffit de remarquer que le devoir, c'est-à-dire la morale, a pour fondement l'obéissance. On ne discute pas de savoir s'il faut mentir, voler et ne pas respecter son prochain, on s'en abstient. Comment alors la désobéissance pourrait-elle être à la base d'une morale, comment pourrait-elle s'inscrire dans ses commandements?

Après, il faut trouver des idées, des réponses possibles, les ordonner et les développer. Vous séchez? Mais non voyons! La technique: décortiquer les mots comme on décortique un crabe. Désobéir à quoi? Si c'est à une mesure est elle-même immorale, nous sommes fondés à lui désobéir. Désobéir à qui? Hormis les autorités reconnues et qualifiées, je ne suis nullement tenu d'obéir au tout venant. Désobéir comment? Par la non violence, en assumant les conséquence, sans jamais prétendre à l'exemplarité, c'est concevable. Voilà quelques pistes, juste pour vous mettre l'eau à la bouche, ou plutôt au cerveau.

La morale, comme bien d'autres notions, a pour les élèves ses difficultés. Ils l'identifient trop souvent à la religion ou à la justice, qui sont des notions distinctes. En réfléchissant sur la morale, ils prennent le risque de se comporter en moraliste, et non plus en philosophe. Avec l'art, ils tombaient dans la subjectivité. Avec la morale, ils tombent dans le préjugé. A moi de leur montrer qu'on peut, qu'on doit les éviter. Mais pour cela, ils ont le devoir de m'obéir...

jeudi 22 janvier 2009

Nietzsche et le pendu.

Trois heures ce matin à décortiquer avec les L le Zarathoustra de Nietzsche, Prologue, partie V, le discours sur "le dernier homme". C'est pas de la tarte! Ce dernier homme, c'est l'homme moderne, celui d'aujourd'hui, celui du temps de Nietzsche, un homme qui ne croit plus en rien (sauf en lui), qui se moque de tout, qui se croit le plus malin, qui est obsédé par la santé, le confort et son petit bonheur. Nietzsche, dans cet extrait, se fait prophète!

Le dernier homme, c'est l'opposé du grand homme, l'homme d'autrefois, adepte de la grandeur, religieuse, philosophique, guerrière, politique, scientifique, ... J'ai fait mon possible pour actualiser ce texte, montrer sa force de prédiction. Le grand homme, le dernier homme, et puis? Bien sûr le surhomme, cette étape ultérieure de l'évolution de l'humanité, si mal comprise, tant manipulée. Le surhomme, c'est quoi? L'humain plus qu'humain, accédant à l'autonomie, à la volonté, à la sensibilité. C'est Zarathoustra, c'est Nietzsche.

Au bout des trois heures, je surprends deux filles à jouer au pendu et au morpion. Pas de chance, l'une d'entre elles, je dois rencontrer ses parents ce soir. Elle intervient beaucoup en classe, c'est bien. Mais ce pendu, c'est sa grosse gaffe. Il me faudra du temps pour que son image redevienne positive. Qu'elle ne s'inquiète pas, ça viendra.

Quatrième heure, en ECJS, où nous préparons avec les 1er L la journée contre le racisme et les discriminations, le 20 mars (officiellement le 21, mais c'est un samedi). Je leur suggère un sondage dans les rues de Saint-Quentin. Nous préparons les questions, et nous irons la prochaine fois les poser aux passants. Le thème choisi: l'homophobie. Ambiance décontractée, rigolade malgré le sérieux du sujet, et à la fin de l'heure, nous les tenons, nos dix questions!

L'après-midi est plutôt difficile pour moi, deux heures avec les S après mes quatre de ce matin (il faut enseigner pour savoir ce qu'est la fatigue de l'enseignement), et très difficile pour eux, surtout en dernière heure, 17h00-18h00, avec les ES. La classe est calme, c'est déjà ça, mais eux aussi sont fatigués. Et je termine la journée avec mon rendez-vous, sachant que deux autres m'attendent lundi après-midi. C'est la conséquence de ma longue réunion parents-profs de vendredi: certains ont préféré une rencontre dans la semaine.

mercredi 21 janvier 2009

Hors des murs.

Malgré toute l'admiration que j'ai pour le film de Laurent Cantet et le livre de François Bégaudeau "Entre les murs", je pense que l'enseignement se passe aussi, se prolonge en dehors des murs de l'école. J'en ai trois exemples, en ce qui me concerne, cette semaine:

Lundi, au Ciné-Philo, j'ai diffusé le film de Wang Xiaoshuai, "Une famille chinoise", une histoire de couple qui veut un enfant pour sauver un autre enfant mais qui ne peut pas. Je passe sur les détails, sachez seulement qu'il est question de vie et de mort sur fond de Chine contemporaine. J'avais invité Nicolas, prof de chinois dans mon établissement, qui nous a parlé de ce pays qu'il connaît bien et que nous connaissons mal. Un bel exemple d'éducation populaire! Et 51 personnes pour un film qui n'est pas grand-public, ce n'est pas mal. Dont une dizaine d'internes de mon lycée, ce qui est encore mieux!

Mardi, dans la petite ville de Guise, l'activité était tout autre, puisqu'il s'agissait de la remise des lots aux gagnants de la souscription volontaire de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne, que je préside. Du monde dans la salle des fêtes, et Monsieur le Maire, comme il se doit. Ce n'est pas une banale distribution de récompenses, malgré la Twingo qui couronne le tout. C'est l'occasion, pour les uns et les autres, de rappeler l'importance de l'Ecole Publique et des valeurs laïques, de ses difficultés aussi. Les familles ne sont pas là pour ça, elles attendent leurs cadeaux, mais en attendant, elles écoutent, et quelque chose d'essentiel passe. Si chacun procédait ainsi, la société n'en serait-elle meilleure?

Mercredi, aujourd'hui, j'ai animé un Café-Philo à la Maison du Sophora, un établissement pour traumatisés crâniens. Le sujet: la liberté. Dans ce milieu, ce n'est pas d'emblée évident de philosopher. Le dommage mental laisse penser que rien n'en ressortira. C'est faux, tout s'est très bien passé, et nous n'étions pas si loin d'un Café-Philo ordinaire. Ce ne sont certes pas des malades mentaux, mais l'atteinte cérébrale est là. Cependant, le débat s'est normalement instauré, les arguments ont été échangés, la rationalité en quelque sorte circulait, les mots et les phrases avaient du sens. Il est beau de voir cette puissance universelle de la raison, de la philosophie, que rien ne peut finalement affecté. Enfants, pauvres, traumatisés crâniens, tous ceux que la philosophie a traditionnellement exclu de ses pratiques, tous ceux -là peuvent pourtant s'en nourrir, en tirer profit.

Du coup, j'ai pensé à cette phrase de Zarathoustra de Nietzsche, dans ce Prologue que j'étudie en ce moment avec mes L, partie I: "J'aimerais prodiguer et distribuer, jusqu'à ce que les sages parmi les hommes, à nouveau, se réjouissent de leur folie et que les pauvres soient heureux de leur richesse". Mais il faut sortir des murs pour comprendre ça.

lundi 19 janvier 2009

L'art et la manière.

Ce matin, avec les S, nous abordons le thème de l'art, à partir de cette question: L'art doit-il s'intéresser à la laideur? Je commence, comme toujours, par problématiser le sujet, en expliquant que la finalité de l'art étant la beauté, il est paradoxal d'envisager de rapprocher l'art de la laideur. Je vois une élève faire la grimace. Je lui demande pourquoi. Elle me répond qu'elle ne comprend pas: pour elle, l'art n'a pas pour objectif la beauté. Un autre élève lève la main et va aussi dans ce sens.

C'est évidemment gênant. Pour moi, le lien entre l'art et la beauté est une quasi évidence. Je cite d'ailleurs l'expression significative "les beaux-arts", pour désigner les matières esthétiques. J'écoute bien sûr les deux élèves, j'avoue ne pas les comprendre. Et puis, finalement, je comprends, et c'est une difficulté générale quand on parle d'art avec une classe: pas mal d'élèves ramènent la beauté à un phénomène, un jugement purement subjectifs. C'est pour eux une pure question de goût personnel. Vouloir essayer de définir objectivement la beauté (et la philosophie est là pour ça), ils ne l'acceptent pas. Le beau relève à leurs yeux de l'intime. C'est une sorte de viol, selon eux, de l'investir théoriquement.

C'est ce qui explique que l'art ne leur semble pas avoir pour finalité la beauté. Sinon, il y aurait des règles, des canons de la beauté. Et je pense, quant à moi, qu'il y en a! Sinon, tout est beau, pourvu qu'on l'apprécie comme tel. Cette réaction est propre à notre époque, et il est normal que les élèves soient marqués par ce préjugé: la survalorisation des sentiments ("si tu trouves ça beau, c'est que c'est beau") et de l'individualisme ("on ne discute pas des goûts et des couleurs de chacun"). Sauf que la philosophie, elle, estime qu'on peut discuter de tout!

Je vous donne le lien pour voir l'émission sur le Café-Philo (voir le billet de samedi): http://jt.france3.fr/regions/popup.php?id=c80a_1920

Cliquer sur samedi 17 janvier.

Début: 6 minutes et 53 secondes
Fin: 12 minutes et 21 secondes

dimanche 18 janvier 2009

Parents-Profs.

Vendredi soir, c'était la traditionnelle réunion annuelle parents-profs. Quelques chiffres d'abord: j'ai reçu 12 parents (j'ai 89 élèves). La moitié étaient accompagnés de leur enfant. L'entretien le plus long a été de 45 minutes, le plus court de 15 minutes. Aucun n'a été conflictuel ou désagréable. Les derniers parents ont attendu 3 heures avant de pouvoir me rencontrer. Mais j'avais prévenu les élèves: l'attente sera longue, car je prends tout mon temps pour discuter avec les parents, ou plutôt je leur laisse tout le temps qu'il faut pour qu'ils discutent avec moi. Et puis, j'ai proposé des rendez-vous hors réunion parents-profs pour ceux qui, comme moi, ont horreur d'attendre ou ont autre chose à faire.

Je me suis installé dans ma salle à 17h30, je l'ai quittée à 22h00. Le lycée était vide, les couloirs obscurs, mes collègues partis depuis longtemps. Chaque année, j'éprouve le plaisir un peu stupide de partir le dernier et de battre mon record précédent. Est-ce qu'un jour, ou plutôt une nuit, je finirai par arrêter vers minuit? Vendredi, à 21h45, une surveillante s'est inquiétée de voir encore de la lumière. Elle allait tout fermer! J'aurai pu me trouver prisonnier dans le lycée, avec les parents, jusqu'au matin! Là, record définitivement battu...

Qu'est-ce que j'ai appris? Plein de choses, souvent plus psychologiques que pédagogiques. Une mère est préoccupée: sa fille n'a que 16 ans, est-ce bien un âge raisonnable pour philosopher? Je réponds bien sûr que oui, qu'on peut philosopher à 9 ans et ne pas philosopher à 80 ans. Une autre souligne la solitude de son fils et me fait remarquer qu'il n'a "pas encore de copine". Ce n'est heureusement pas contradictoire avec la philosophie! Je lui conseille la fréquentation des cafés-philo, où des rencontres sont possibles, entre deux échanges de concepts.

Il y a des demandes pratiques: un élève n'intègre pas la méthodologie, que je répète pourtant régulièrement. Je lui rédigerai une fiche. Une élève, malade, sera absente une semaine, je me propose d'en trouver une autre pour lui transmettre les notes. Une troisième, avec d'excellents résultats, veut entrer en fac au lieu d'intégrer une prépa, à laquelle elle est pourtant tout naturellement destinée. Je me charge de la convaincre. Eh oui, c'est ça aussi une réunion parents-profs: agir, trouver des solutions concrètes.

Et puis, il y a les étonnements, les surprises: ces parents qui m'apprennent que leur fils veut devenir ambassadeur, et que c'est du sérieux (l'élève est en effet très sérieux). D'autres qui me décrivent la phobie scolaire de leur enfant, heureusement en voie de guérison (je ne savais même pas que ça pouvait exister, des troubles pathologiques dès qu'on franchit la porte du lycée). Enfin cette mère d'origine maghrébine, au décolleté impressionnant, parfaitement intégrée (la preuve par le décolleté!) et dont le fils veut devenir médecin. Elle a eu dix enfants. Quel mérite, quel exemple pour l'Ecole de la République!

Ce qui m'amuse, c'est l'argument, entendu à plusieurs reprises, du perfectionnisme pour justifier les médiocres résultats. Comme si à vouloir trop en faire, on finissait par ne plus en faire assez! Ce qui m'amuse aussi, ce sont les parents à qui je n'ai rien à dire puisque leurs enfants ont d'excellentes notes. Mais puisqu'ils sont là, autant être utile à quelque chose: je vais donc chercher les défauts, les limites dans la perfection. Et quand on cherche bien, on finit toujours par trouver! Vivement l'an prochain que la réunion parents-profs recommence...

samedi 17 janvier 2009

Vu à la télé.

Samedi férié? Si vous voulez, mais j'ai consacré pas mal de mon temps à l'Education Nationale et à la philosophie. De façon non conventionnelle, non professorale, j'en conviens. Ce matin, j'ai distribué des tracts, en compagnie de mes collègues syndicalistes, pour dire non aux suppressions d'emplois. Normal, non? Une boutique ne peut pas marcher si vous réduisez massivement son personnel. Marrant: parmi les passants, j'ai retrouvé des parents d'élèves rencontrés hier à la réunion parents/profs (dont je vous parlerai demain).

Après, je me suis rendu dans mon lycée, fermé aux cours le samedi matin, mais ouvert pour les devoirs surveillés. Des surveillants sont présents, bien sûr, mais il est bon qu'un prof surveille un peu aussi, jette un coup d'oeil, montre qu'il est là. Surtout en fin d'épreuve, qui dure quatre heures, comme au bac. Pourquoi? Parce que beaucoup d'élèves partent avant la fin, malgré mes recommandations. Certains se barrent à la moitié. C'est inacceptable. Je viens donc vérifier, à une demi-heure de la fin, qui est resté, qui est parti. Je me fais comme ça ma petite idée. Ce matin, ça allait à peu près, pas mal de L était encore dans la salle.

En fin d'après-midi, je me suis rendu à Amiens, au siège de France 3 Picardie, invité au journal de 19h00 pour commenter les dix ans du Café-Philo. Si on m'avait dit, en fin 1998, que ça durerait sans discontinuer une décennie! Il y a dix ans, les caméras de la télévision régionale étaient venues. Ce soir, la chaîne a repassé le reportage. Un sacré coup de vieux! A l'époque, pas de micro, donc le gros bazar. Et des fumeurs qui s'en donnaient à coeur joie. Presque un autre monde. Rendez-vous dans dix ans, où le monde à nouveau sera autre. Et moi encore plus vieux, et j'espère encore de ce monde!

vendredi 16 janvier 2009

Que du bonheur.

A l'IUTA de Laon, cet après-midi, je me suis retrouvé devant une salle d'une cinquantaine de personnes, grand public cultivé qui fait mon bonheur. Le sujet pourtant risquait d'être austère. Habituellement, j'entame dans ce genre de conférence des sujets philosophiquement affriolants, des questions provocatrices. Là, c'est un texte que j'avais choisi de commenter, l'allégorie de la Caverne chez Platon, dans son ouvrage La République, au début du chapitre VII.

C'est la première fois que je tentais cet exercice. J'ai bien sûr distribué, avant de commencer, le texte, qu'on peut faire tenir dans une page. Je laisse les auditeurs libres de m'interpeller ou de réagir pendant mon exposé, j'essaie, pas facile, de rendre cette rencontre interactive. Aujourd'hui, j'ai parfaitement réussi. Questions, remarques, rires, le public a joué le jeu et j'ai réussi à l'entraîner.

La Caverne, c'est notre monde sensible, ce monde des apparences que condamne Platon, au bénéfice du monde intelligible, de l'esprit, le monde de la vérité. Les prisonniers de l'un peuvent rejoindre l'autre, par leur volonté propre et une démarche progressive (attention à ne pas regarder immédiatement le soleil, car nous serions éblouis et moins bien servis que dans la Caverne.

Une fois atteint la vérité absolue, qu'en faire? Ce qui n'a pas été fait: quitter l'évidence et la certitude pour retourner dans la Caverne de l'ignorance! Parce que le philosophe, selon Platon, n'est pas un pur méditatif, c'est aussi un homme d'action. C'est pourquoi il va rejoindre ses frères esclaves pour leur transmettre la Vérité, sous la forme de l'éducation et de la politique.

jeudi 15 janvier 2009

L'appétit en philosophant.

Trois heures de Zarathoustra ce matin: c'est le temps que je passe avec mes L le jeudi. Il faut du souffle (à eux, moi c'est mon métier). Nous avons étudié les deux premiers chapitres du Prologue. Il me restait quinze minutes pour attaquer le troisième. Mais j'ai arrêté les frais. Il ne faut pas non plus leur bourrer la tête de philosophie. Le chapitre trois, ce sera pour demain matin. A chaque jour suffit sa peine.

Dans l'après-midi, en ECJS, avec les Premières, j'ai tenté un débat d'actualité, à propos de l'intervention israélienne dans la bande de Gaza. Les élèves ne savent pas grand-chose du conflit israélo-palestinien. Mais moi, à leur âge, en savais-je plus qu'eux? Ils posent des questions, c'est bien. Sauf deux filles qui me chauffent les oreilles à parler entre elles pendant que je parle. D'où gueulante.

Le soir, je retrouve plusieurs de mes élèves au Café-Philo, qui porte sur un sujet assez pittoresque, pas du tout de style bac: La vérité est-elle dans notre assiette? Du monde, des échanges, de la répartie, un vrai régal, c'est le cas de le dire! Pour vous mettre l'eau à la bouche, voici quelques amuse-gueules:

- Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es?
- L'alimentation est-elle à la base de la civilisation?
- Y a-t-il une éthique du bien manger?
- Que nous apprennent nos phobies alimentaires?
- Eros est-il dans notre assiette?

Au dessert, une réflexion sur les repas célèbres, la Cène autour du Christ, le Banquet de Platon, puis sur les interdits alimentaires dans les religions. Et pour la route, deux références: Le ventre des philosophes, de Michel Onfray, le cru et le cuit de Claude Lévi-Strauss. Bon appétit!

mercredi 14 janvier 2009

Avez-vous un secret?

Retour à Bernot pour un Café-Philo sur le secret. Nous sommes 18 dans la salle de la mairie, décorée par Raphaël Blanchard et le Foyer Rural. Des malades, dont Monsieur le Maire, se sont faits excuser. C'est la période des gastros et des grippes! Une tasse de café en carton, énorme, trône sur une table. Marrant! Après les essais de micro (à fil, mais qui est assez long pour faire le tour de la pièce), c'est parti pour une bonne heure d'échanges.

Tout le monde n'est pas discipliné. Il y a des bavards dans un coin, et des participants qui n'arrivent pas à canaliser leur pensée et s'expriment avant que le micro ne le leur ait donné l'autorisation! Quand Raphaël s'exprime, sa mère le regarde avec amour et admiration (c'est du moins comme ça que je le vois, et je ne pense pas trahir... un secret). Sinon, bonne ambiance, le thème a très bien accroché, mieux m'a-t-il semblé que la première fois. Mais c'est peut-être Bernot qui s'habitue au Café-Philo...

Il faut dire que le secret est un sujet qui intrigue. Est-il bon d'avoir des secrets? Telle était la question. Le secret est une notion qui apparaît à travers de nombreuses expressions: le secret de famille, le secret du vote, le secret professionnel, le secret de la confession, le secret industriel, le secret de polichinelle, le secret maçonnique, les services secrets, un code secret, j'arrête là, on n'en finirait pas. Sur un fond aussi riche, les questions ne peuvent que prospérer:

Quelle est l'utilité du secret? Est-il possible de garder un secret? Chacun d'entre nous a-t-il un secret? Le secret peut-il être dangereux? Le secret est-il une preuve de culpabilité? Un secret que nul ne connaît est-il encore un secret? Obliger autrui à garder un secret n'est-il pas une façon de le dominer? Secret et discret, quelle différence? Le secret est-il nécessairement un mystère? L'idéal de transparence condamne-t-il le secret?...

mardi 13 janvier 2009

Lire en philosophie.

J'avais rendez-vous ce matin avec un parent d'élève. Le troisième dans l'année! C'est plutôt exceptionnel. En attendant vendredi prochain, le grand rendez-vous: la réunion parents-profs. Je vous raconterai...

Alors, ce matin, comment ça s'est passé? Très bien. Le problème est classique: élève gentille, pas bête du tout, intéressée par certaines matières, mais qui ne travaille pas assez, se laisse un peu aller. Nous avons tous été jeunes, nous avons tous connu cette insouciance. Il faut prendre ça avec beaucoup d'indulgence, de compréhension, mais aussi de gravité et de réalisme: les élèves veulent-ils oui ou non avoir leur bac, sans lequel ils ne pourront pas faire grand-chose dans la vie? Veulent-ils l'an prochain revenir au lycée, redoubler, avoir à me subir une année de plus? Voilà quand même des arguments qui font réfléchir, qui devraient interpeller l'intelligence dont disposent les élèves, comme nous tous!

Le parent m'a posé une excellente question. Elle s'est étonnée que je ne donne pas aux élèves des lectures. J'aime ce genre de question, qui prouve que les parents s'intéressent à leurs enfants et à l'enseignement qu'ils reçoivent. Bien sûr je lui réponds, sans aucun problème:

- La philo au bac n'est pas une épreuve de restitution de connaissances mais de mise en place d'une réflexion personnelle. Une dissertation peut être très bonne sans jamais donner de références philosophiques, sans jamais faire de citations.

- La lecture d'ouvrages peut être un frein à la réflexion personnelle (c'est Platon qui le dit!). On se replie sur les grands auteurs, on oublie, on ne prend pas l'habitude de réfléchir par soi-même. Certains élèves "pompent" odieusement. Ça se voit immédiatement .

- Les livres de philosophie ont souvent un langage très spécialisé, leur style est rébarbatif, ils dégoûtent plus de la philosophie qu'ils nous y font goûter. A l'université, oui, parce que l'étudiant a fait un choix. Au lycée, c'est autre chose: la lecture philosophique est à consommer avec modération.

- Ceci dit, la lecture d'ouvrages n'est pas, évidemment, interdite. Mais elle doit venir dans un second temps. Au deuxième trimestre, je donnerai quelques conseils de lecture à mes élèves, quelques ouvrages accessibles, et nous irons sans doute faire un tour au CDI.

- Enfin, dois-je rappeler que nous travaillons, régulièrement, sur des commentaires de texte, et que le programme invite chaque professeur à étudier des ouvrages ou des parties d'ouvrage dans l'année (un pour les S et ES, deux pour les L). La lecture n'est donc pas négligée dans le cours de philosophie.

lundi 12 janvier 2009

Zarathoustra.

Le programme de philosophe oblige, en Littéraire, à étudier deux ouvrages dans l'année, ou deux parties d'ouvrage qui forment chacune une unité. Ces textes seront utilisées à l'oral du bac, en vue d'un commentaire de la part du candidat. Ils doivent appartenir à deux périodes bien distinctes. Leur choix est un peu un casse-tête: je ne les veux pas trop long, pour que l'élève ne s'y noie pas, je ne les veux pas trop difficile de lecture et de compréhension.

Le premier de ces textes, nous avons commencé à l'étudier, c'est un ouvrage que j'étudie avec les élèves depuis quelques années: le prologue d'Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche, traduction de Goldschimdt. Pourquoi ce choix? Parce que le texte est court (18 pages, mais très denses), parce que c'est un récit très littéraire, quasi mythologique, un peu fantastique, toujours intriguant, qui peut accrocher l'intérêt de l'élève.

Je vous raconte brièvement l'histoire: un ermite, las de sa solitude, quitte sa grotte pour rejoindre les hommes. En traversant une forêt, il croise un autre ermite, à moitié fou, qui ne sait pas que "Dieu est mort". Arrivé en ville, l'ermite (Zarathoustra) tombe sur une foule rassemblée pour un spectacle de funambule. Il en profite pour lui adresser un discours, à propos du "surhumain". La foule ne comprend pas et se moque. Nouvelle tentative, autre discours, sur le "dernier homme" cette fois. Nouvel échec.

Alors le funambule commence son numéro, sur son fil, jusqu'à ce qu'un "luron bariolé", sorte de bouffon, viennent le contrarier et le faire chuter. L'homme s'écrase au sol et entame un bref dialogue avec Zarathoustra, qui en fait son "premier compagnon", qu'il va enterrer loin de la ville. Revenu dans sa grotte, Zarathoustra assiste au curieux spectacle de son aigle et de son serpent, enlacés. Ainsi parlait Zarathoustra. Solution de l'énigme dans quelques jours.

dimanche 11 janvier 2009

Les élèves lisent-ils?

On me pose parfois la question, sur le ton inquiet de ceux qui ont déjà la réponse: vos élèves lisent-ils? Il y a ce préjugé que la lecture se perdrait. Pourtant, quand j'entre dans une librairie, quand je déambule dans une grande surface, je constate que des centaines de livres sont en vente. Fiez-vous au commerce, il sait ce qui marche!

D'abord, il ne faut pas idolâtrer la lecture, surtout en philosophie. Un bouquin de philo, ce n'est pas un polar, c'est un travail, crayon en main. Ne nous étonnons pas que cette lecture ne soit pas fréquente, puisqu'elle n'est pas aisée. Surtout, lire n'est pas nécessairement intelligent. C'est Platon qui le dit, préférant la pensée vivante de la conversation, telle que la pratiquait Socrate. Ce n'est pas en accumulant les lectures qu'on devient meilleur philosophe, c'est en réfléchissant par soi-même. Mais il est vrai que la lecture bien pratiquée peut y aider.

Et puis lire, c'est fondamentalement lire n'importe quoi, sachant que l'effort de lecture, quel qu'en soit le support, est toujours profitable et estimable (sauf à parcourir le mode d'emploi de votre dernière machine à laver...). L'important pour l'élève est de lire un ouvrage trouvé au CDI, quel qu'il soit. Si c'est de la philo, tant mieux. Si c'est Les Trois Mousquetaires (que je n'ai jamais pu lire jusqu'à la fin!), tant mieux aussi.

Surtout, ne nous laissons pas aller à ce pessimisme injustifié: les gens, les jeunes liraient de moins en moins. Ecoutez ce qu'en dit, dans Philosophie Magazine de ce mois, Roger Chartier, professeur au Collège de France (un homme qui doit lire beaucoup!):

"On entend un diagnostic qui consiste à dire qu'on lit de moins en moins. C'est faux: jamais aucune société n'a autant lu, jamais on n'a publié autant de livres (même si les tirages ont tendance à baisser), jamais il n'y a eu autant de matériel écrit disponible à travers les kiosques ou les marchands de journaux, et jamais on a autant lu du fait de la présence des écrans. Il est donc tout à fait faux de prétendre que la lecture se réduit".

Voilà, tout est dit. Et je voudrais ajouter quelque chose, que j'ai conseillé à mes élèves et qu'il n'est pas toujours évident de pratiquer: lire c'est bien, écrire c'est mieux. Il faut écrire ce qu'on aimerait lire. J'en sais quelque chose...

samedi 10 janvier 2009

Connaissez-vous le PAS?

Cette semaine, dans mon casier, j'ai trouvé un étrange papier, intitulé "Le réseau Prévention Aide Suivi des personnes fragilisées". Quelles personnes fragilisées? Les personnels de l'Education Nationale. Pour faire quoi? Rencontrer "un professionnel de l'écoute". Pour aboutir à quoi? "Les aider à la recherche de la solution la plus appropriée". Avouez que c'est un peu sibyllin. Comme je ne me sens pas "fragilisé", je ne me sens pas concerné, mais j'ai envie de comprendre.

Alors, comme tout le monde en pareille situation, je vais sur le Net, je demande à Google. L'Inspection Académique de Besançon est plus explicite. Voilà un extrait de son dépliant:

"Vous rencontrez des difficultés professionnelles et/ou personnelles. Vous avez des relations difficiles avec: les élèves, les collègues, la hiérarchie. Vous éprouvez de l'agressivité, de la lassitude, vous êtes démotivé(e). Vous vous sentez isolé(e). Vous éprouvez un sentiment de dévalorisation, d'angoisse. Vous vous sentez dépendant (alcool, médicament,... ). Vous pouvez en parler en toute confidentialité, pour faire le point et être conseillé(e) par un psychologue".

Voilà. Je ne veux pas me moquer (qui oserait se moquer des "personnes fragilisées"?). Mais je dois dire ce que j'en pense. Je suis surpris, très surpris. Et perplexe. Je n'imagine pas un seul instant qu'on puisse être enseignant et correspondre au tableau ci-dessus. Un enseignant, comme tout le monde, a le droit d'avoir des défauts, sauf un: la fragilité. Face à une classe, pour transmettre quelque chose, il faut être fort, mentalement, et même physiquement. Ce n'est pas une condition qu'on trouve dans tout métier.

Un enseignant fragile, c'est un oxymore, c'est inconcevable, ça ne peut plus être un enseignant, car une classe, elle, n'est jamais fragile. Elle a le nombre, la force pour elle. Elle ne peut être maîtrisée, canalisée, éduquée que par une autre force, celle de l'enseignant. Quelqu'un de fragile peut être employé de bureau, travailleur en usine et bien d'autres emplois encore, mais pas enseignant. Si Péguy disait des instituteurs qu'ils étaient "les hussards noirs de la République", c'est qu'il avait bien compris leur côté soldats laïques. Un enseignant est toujours au front, c'est un combattant. Ses ennemis? Pas les élèves, bien entendu! Mais l'ignorance, le préjugé, la paresse, qui sont des tendances naturelles chez l'homme, très puissantes, et plus encore chez l'enfant.

Je ne parle évidemment pas des névroses, des pathologies, qui sont des drames personnels. Mais le PAS ne vise pas cela. Il est bien précisé que ce n'est pas un "lieu de soin", mais d'écoute et de conseil. La dépression, quand elle existe, relève du spécialiste. Là, si j'ai bien compris, c'est autre chose, qui n'en mérite pas moins qu'on s'y intéresse et qu'on la traite: une perte de moral, une sorte d'abattement, des problèmes personnels. Une "personne fragilisée" n'est pas une personne malade. Mais je reste persuadé qu'on ne peut pas enseigner, se lever chaque matin pour affronter 30 jeunes qui pensent naturellement à autre chose qu'à ce que vous avez à leur dire, quand on est une "personne fragilisée". C'est d'ailleurs un euphémisme: il n'y a pas de personnes "fragilisées" (par quoi?), il n'y a que des personnes fragiles, qui ne devraient pas, pour cette raison, choisir le métier d'enseignant.

vendredi 9 janvier 2009

Un car pour l'avenir.

Chaque année, à cette période, le lycée organise une sortie au Forum de l'Etudiant d'Amiens. Depuis quatorze ans, je suis presque toujours accompagnateur dans cette sortie. Les enseignants préfèrent échapper à cette tâche, quand ils le peuvent. Car quand on est professeur principal, on a l'orientation des élèves dans nos missions.

Il y a quelques années, nous prenions le car en début de matinée et nous rentrions en fin d'après-midi. Toute une journée là-bas! C'était beaucoup trop, mais c'était ainsi, c'était depuis toujours, c'était la tradition. Pourquoi changer? Résultat: la plupart des élèves quittaient l'enceinte du Forum pour aller faire les soldes en ville!

Depuis deux ou trois ans, un changement s'est opéré. Départ 12h30, retour 17h30, deux bonnes heures passées là-bas, un temps suffisant. Car beaucoup d'élèves savent en gros ce qu'ils veulent et ce qu'ils doivent faire. Sur place, je me cherche un petit coin tranquille pour travailler, eurêka j'ai trouvé! Pour bien montrer que cette sortie n'est pas touristique, le proviseur-adjoint est de la partie.

Le déplacement n'est pas très lourd à gérer. Avec des grands, il n'y a pas trop de problème. Il faut simplement veiller à n'oublier personne au moment du départ. J'avais demandé aux élèves d'être précisément à l'heure, 16h15, au car pour le retour. Ils ont tous respecté. Sauf... moi, ne retrouvant plus exactement l'emplacement du car. Nous sommes rentrés sains et saufs, et c'est l'essentiel. En attendant de recommencer l'an prochain.


Bonne nuit.

jeudi 8 janvier 2009

Doit progresser.

J'ai passé la semaine à rendre les devoirs, avec commentaires généraux et individuels, puis à donner les corrigés, très détaillés. Ça prend du temps mais ça vaut le coup. Ce qui est dommage, c'est qu'avec la neige et la perturbation des transports, il y a eu beaucoup d'absents. En ECJS, ce matin, je n'ai même rien fait: il y avait trois élèves!

Rien fait, non, pas vraiment. Nous avons parlé de choses et d'autres, j'ai laissé les élèves me questionner librement. Mais je crois que ce genre d'échanges, hors cours, ont valeur d'enseignement. Il est important que les élèves entendent quelqu'un qui ne parle pas comme leurs parents, et d'autres choses que ce qu'ils entendent en famille. L'ouverture de l'Ecole, c'est aussi celle-là.

Le deuxième trimestre, je l'ai rappelé à mes classes, doit être celui de la progression. M'étant rendu compte que les mois de janvier et février seraient consacrés à un devoir surveillé (dont le bac blanc), j'ai proposé aux volontaires un devoir complémentaire, à la maison (le prochain sera en mars, au retour des vacances), dont je ne retiendrai la note que si elle améliore la moyenne trimestrielle. Une façon d'encourager les élèves et de leur permettre de faire un devoir sans le risque d'une mauvaise note.

Ce progrès que j'appelle de mes voeux pour chacun d'entre eux, à partir de quoi peuvent-ils le réaliser? Je vois trois moyens:

- D'abord, il y a mes recommandations écrites et orales pour chaque copie, qui leur permettent surtout de mesurer leurs erreurs.

- Ensuite, il y a mes corrigés détaillés, qui ne sont pas des dissertations intégrales mais s'en rapprochent beaucoup.

- Enfin, le meilleur moyen ne dépend peut-être pas de moi: ce sont les meilleures copies de la classe, que les élèves doivent oser demander à leurs camarades, afin de comprendre comment quelqu'un de leur âge, de leur niveau, a pu obtenir une bonne note.

mercredi 7 janvier 2009

Le bonheur sous la neige.

"Elle est pas là, elle est pas là!", c'est sous ces cris que je suis entré dans le couloir qui mène à ma classe. Vous n'y pourrez jamais rien: c'est une joie irrépressible et universelle, qui vient du fond du coeur quand les élèves découvrent qu'un prof est absent. D'autant qu'il y avait, sur ma ville et dans sa région, le froid, la neige, le verglas, occasionnant de nombreux retards. La totale, comme disent les lycéens, qui espèrent que le pire (les conditions climatiques) engendre le meilleur (la suspension des cours).

Vous avez remarqué combien, cette année, les individus supportent très mal le froid? Pourtant, la saison est normale, rien d'exceptionnel, nous sommes simplement en hiver. Chez mes L, douze absents sur 32, chez mes ES, dix absents sur 34. Tout ça parce qu'il fait froid en hiver! Plus tard, nous nous plaindrons qu'il fait chaud en été...

Quoi qu'il en soit, en remontant ma rue pour rejoindre mon lycée et en traversant la cour de récréation enneigée, j'ai pris soin de marcher là où la semelle de mes chaussures me fixait au sol. Le risque de glissade était réel, et le déshonneur, l'humiliation et le ridicule au bout de la chute. Un professeur de philosophie à quatre pages dans la neige, vous imaginez un peu! L'attentat à la boule de neige n'était pas non plus à exclure, de la part de collégiens très friands de ce genre d'exercice. Je n'ai heureusement subi ni l'une ni l'autre.

Dans l'après-midi, je suis allé à Cambrai, à la demande d'une association type IUTA, qui propose des conférences dans l'enceinte du lycée Fénelon. C'est ce que j'appelle le grand public cultivé, plutôt âgé, un bon public, que j'aime beaucoup, avec qui j'ai un excellent feeling. C'était ma première intervention, sur le bonheur, où j'ai refait mon sketch philosophique préféré: à la question "Faut-il vouloir être heureux?" je réponds, à la surprise générale, que non, et j'étaie ma démonstration en 15 arguments.

C'est du cousu main, une provocation tout sauf gratuite, et une conclusion où je soutiens que le bonheur est le pire malheur qui puisse nous arriver. Le public se prend au jeu, m'interrompt à mon plus grand plaisir, on rit, on réfléchit, c'est merveilleux. Une bonne journée. Je n'irai pas jusqu'à dire une journée heureuse, ça me contrarierait.

mardi 6 janvier 2009

Mes projets 2009.

J'ai eu cet après-midi mon deuxième rendez-vous de l'année avec des parents, la mère d'un élève plus exactement. Je ne vous raconterai pas, il y a secret professionnel et respect des personnes. Mais c'était douloureux, pas pour moi, pour la situation. Je me suis dit, en sortant, qu'il n'était pas facile d'être enseignant, mais plus difficile encore d'être parent, et pas évident non plus d'être adolescent. Le professeur, lui, ne doit pas se substituer au psychologue, même s'il doit chercher à comprendre un état psychologique. Il doit rester pleinement ce qu'il est, un professeur, et ramener tout problème à la finalité de l'Ecole, c'est-à-dire au travail.

Je vais donc vous parler d'autre chose, de mes activités périscolaires, qui sont en quelque sorte le prolongement de mon enseignement, sans se confondre avec lui, car très différentes de lui. Ce sont des activités associatives, en cohérence avec mes activités professionnelles. En 2009, je vais poursuivre mes "Cafés" mensuels, Café-Philo bien sûr, mais aussi Café-Citoyen, Café-Livres et une innovation, un Café-Sciences. Le Ciné-Philo continuera ses séances, évidemment, avec 30 places gratuites pour les élèves de mon lycée.

Et puis, il y a les nouveautés de l'année, quelques rendez-vous anniversaires qu'il me semble important de célébrer. En février, nous fêterons les 200 ans de la naissance du grand savant moderne Charles Darwin. Son combat est celui de la science mais aussi de la laïcité. Aux Etats-Unis, première puissance mondiale, l'évolutionnisme n'est toujours pas complètement admis.

Le 21 juillet, l'événement sera cette fois technologique: les 40 ans de l'homme sur la Lune. J'avais 9 ans, je m'en souviens un peu. Quelle histoire! C'est l'un des plus grands événements de l'histoire de l'humanité. De notre époque, on ne retiendra que celui-là, j'en suis certain. Alors, célébrons le avec faste, ambition, démesure! N'est-ce pas le début d'une ère nouvelle, celle de la conquête de l'espace?

A l'automne 2009, nous honorerons la liberté, en commémorant les 20 ans de la chute du Mur de Berlin. Là, pas de problème de mémoire, j'avais 29 ans, c'était quasiment hier pour moi. Quelle histoire, là aussi! Le début de l'effondrement du communisme, auquel personne ne s'attendait... Le Mur, symbole de ce qui sépare les hommes. Combien de murs reste-t-il encore aujourd'hui à abattre?

Le dernier anniversaire sera local, les 500 ans de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, où je travaille et habite. J'organiserai une semaine de la démocratie locale, en octobre. Car l'Hôtel de Ville, c'est le coeur de la démocratie municipale, la base de la République, l'exercice concret de la citoyenneté. Il y a tant à dire, tant à faire là-dessus. Aidez-moi!

lundi 5 janvier 2009

Les voeux, je veux!

Comment s'est passée la rentrée? Sous la neige... Sinon, fort bien. Pour moi en tout cas. Pour mes élèves, je ne sais pas. J'ai rendu les copies. Chez les L, un tiers étaient mauvaises. Pour commencer la nouvelle année, on fait mieux... En parlant de ça, je me suis plié à la petite tradition des voeux. Une année, je m'y suis refusé. Pour voir. Je crois que les élèves n'ont pas apprécié. Depuis, je souhaite immanquablement une bonne année à mes classes, et une pleine réussite au bac.

Et puis, il faut le faire aussi avec les collègues. Pas évident. En salle des profs, faut-il présenter ses voeux à chacun? C'est quasiment impossible. Aux uns, qu'on aime bien, et pas aux autres, qu'on connaît moins ou qu'on n'aime pas? C'est risqué, on peut vous reprocher une forme de discrimination, qu'on vous reprochera encore dans dix ans. Vous savez comment sont les êtres humains!

J'ai choisi d'y aller à l'instinct, et au hasard des rencontres. La meilleure stratégie, ce sont les voeux collectifs. Vous vous approchez d'une table et vous lancez à la cantonade une "bonne année" tonitruante. En quelques secondes, vous avez fait une dizaine de collègues à la fois! C'est rapide et pratique. Il y a aussi les voeux auxquels personne ne pense et qui ont, pour cette raison, ma préférence: aux documentalistes, à la Vie scolaire. Je m'y rends et leur souhaite une bonne année.

Autre dilemme: jusqu'à quand est-il décent de présenter ses voeux? Dans une semaine, quand je croiserai un collègue dans un couloir, sera-t-il encore temps de le faire? Je n'en sais rien. Autre dilemme: faire la bise, serrer la main ou se contenter de l'annonce verbale? Ne riez pas, ces petits détails peuvent être la source de grands drames. Enfin, ce matin, j'ai fait le plus gros. Je reprends mercredi, ça va se tasser, comme la neige qui tombe en ce moment sur mon lycée.

dimanche 4 janvier 2009

Dernier jour.

Dernier jour des vacances de Noël: un jour comme un autre, finalement. Suis-je heureux de retourner demain au lycée, de revoir les élèves? Oui, oui, oui. Suis-je satisfait d'avoir été en vacances? Oui, oui, oui. C'est ma vie, et je l'aime ainsi.

Sinon, j'ai terminé aujourd'hui mes sept dernières copies de L, je rendrai donc tout demain aux élèves. Pour ces corrections de Noël, j'ai choisi la méthode homéopathique, qui est la meilleure et que je recommande à mes élèves pour leurs travaux: faire cinq copies le matin puis passer à autre chose, en faire cinq autres plus tard ex caetera. C'est mieux que la chirurgie lourde: en faire quinze d'un coup et tout le paquet dans la journée, comme j'avais procédé à la Toussaint.

Avant de partir pour Londres, j'ai passé deux coups de fil: un pour remercier le père d'une élève qui, absente le jour de la remise des devoirs, juste avant les vacances, a déposé chez moi la dissertation de sa fille. L'autre pour prendre rendez-vous avec la mère d'un élève manifestement inquiète d'avoir reçu, pour son fils, une mise en garde travail. Je lui expliquerai mardi.

Au retour de Londres, j'ai reçu deux messages électroniques et un appel sur mon répondeur, trois élèves cherchant à me joindre: Julie pour me dire qu'elle ne sera pas présente demain, à cause de son JAPD (la journée militaire, qui remplace le service national); Raphaël, pour m'évoquer le prochain café-philo à Bernot; Simon, de l'UNL, le syndicat lycéen, pour m'annoncer que le mouvement de protestation reprendra à la rentrée. Et celui-ci s'étonne de l'absence des profs. Je lui réponds que mes collègues n'ont probablement pas envie qu'on les accuse de manipuler les élèves.

Ce soir, je vais préparer mon cartable (le même après 15 ans d'enseignement!), ranger mes cours et tenter de me coucher pas trop tard. J'espère que mes élèves de L auront acheté et lu le premier ouvrage que nous étudierons (deux sont exigés dans l'année): Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche, le prologue seulement.

samedi 3 janvier 2009

Bonne année à tous.

Me revoici, après trois jours passés à Londres, qui m'ont rappelé combien j'avais été un mauvais élève en langue anglaise, après pourtant sept ans de cours! Comme quoi la quantité d'heures d'enseignement n'est pas toujours un gage de réussite...

Mes (presque) premiers mots sont pour vous souhaiter, bien entendu, une bonne et heureuse année:

- A mes élèves, du courage pour le deuxième trimestre, période charnière, primordiale, et tous mes voeux de succès pour la seule chose qui compte à leurs yeux, et ils ont bien raison: avoir le bac.

- A leurs parents, du courage aussi, parce qu'il en faut, dans ce difficile métier de parent, auprès duquel celui d'enseignant n'est presque rien.

- A mes collègues, de la solidarité entre nous, car le corps enseignant est parfois soumis à rude épreuve.

- A l'Ecole Publique tout entière, mon attachement indéfectible, la certitude que son existence est indispensable au bon fonctionnement de notre société, l'amour du métier, des valeurs républicaines et de la laïcité.